22.Neela

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C’est hors de question ! hurle Fala-Cupidon en virevoltant autour de moi, comment as-tu osé ?

Je continue d’épingler mes boucles pour former un chignon.

— Tu fais une montagne de pas grand-chose. Ce sont des enfants.

Elle rajoute une pince ornée de fleurs.

— Justement, des enfants et tu sais ce que font les enfants ? Ils touchent à tout, ils déplacent tout, ils ne demandent rien et quand ils font une bêtise, tu dois rattraper leur erreur et faire le ménage.

— Je les superviserais. Je te promets de ne pas rompre l’harmonie du jardin.

Je dépose avec légèreté quelques touches de couleurs sur mon visage et réajuste le médaillon bleu que m’a offert le conseiller Ragnor. La pierre change de nuance suivant la luminosité.

— J’imagine que je n’ai pas le choix. C’est comme ce bout de tissu inutile !

Je reste figée la main en l’air.

— Tu as raison de la provoquer, tu sais faire bonne impression toi. Rose, n’écoute pas Fala, elle cherche un bouc émissaire pour se défouler.

— Qu’en ai-je à faire de ce vieux bout de chiffon ! Elle n’arrive pas à la cheville de…

Elle s’interrompt juste avant de prononcer son nom. Je lisse du plat de la main Rose qui comprend l’intensité de cette situation morose.

Pardon Neela, murmure la petite reine.

Je soupire.

Ce n’est rien, il n’est pas mort, son âme vit toujours dans une autre dimension. Jaal n’aimerait pas cette tristesse, c’est un soir de fête et ma première sortie officielle.

Rose se teinte de jaune et de nuances d’oranger. Je déchiffre de mieux en mieux la signification de ses émotions, elle compatit. Je pensais que le manque de communication verbal allait me manquer, il n’en est rien. Ce silence m’apaise.

Quelqu’un frappe à la porte. C’est mon père, je reconnaitrais ses harmoniques entre mille.

— Entre papa, je suis prête.

Le bruit de ses bottes passe l’embrasure, je le rejoins aussitôt accompagnée de Fala et d’une poignée de gardes ionodins.

— Tu es splendide, me complimente-t-il, lui-même tiré à quatre épingles.

Il porte un ensemble pantalon droit et veste longue. Sa chemise blanche tranche avec la profondeur du violet foncé de son costume. Rose s’harmonise immédiatement à sa tenue et ma robe change sous les yeux ébahis de mon père.

— Papa, je te présente Rose. Elle est mon nouveau protecteur.

Brusquement, mes vêtements se transforment en une armure d’écailles étincelantes.

— Elle prend son rôle au sérieux. J’aime cette attitude, approuve mon père.

La seconde suivante, des fils violet de soie tissés recouvrent mon corps.

— Prétentieuse, bougonne Fala.

Je lève les yeux au ciel. Je sens que la nuit va être longue. Sans la présence de Calys, Fala s’en donne à cœur joie. Cela fait plus de six heures que nous ne communiquons plus. Elle me manque.

Notre Guide me tend la main. J’enroule mon bras autour du sien et descendons.

— J’appréhende cette cérémonie, il s’agit du premier feuillage.

Il ouvre sa main et me la montre. Dans sa paume et le long de son avant-bras, quatre tâches brunâtres en forme de feuille.

— Chaque siècle, les bénédictions de Yuma nous permettent le renforcement avec la terre. Tu n’as rien à craindre, le lien apparaitra. Tu appartiens à notre peuple, un demi-dieu t’a choisi.

Un frisson parcourt ma peau.

— Mais nous ne sommes plus…

— Cela n’a aucune importance. Neela, recevoir le premier feuillage est une question de cœur.

— Je l’espère.

— Ai foi en toi.

— Oui papa.

Arrivés dans le hall, mon père fait une pause.

— Oh ! J’oubliai. Le fils d’Anéva nous attend dehors. Vous avez le temps de profiter du jardin avant le début des festivités.

— Pardon ? Elrohîr Alfadone ?

— Tu es ma fille. L’hôte parfaite pour s’occuper de ce garçon.

Je souffle.

— Tu aurais pu me prévenir avant.

— Et risquer un refus. Non.

Dans la cour, une petite armée patiente rangée en ligne droite. Je reste éblouie face à leur taille et l’ampleur de leurs ailes repliées dans leurs dos. Les Elaîfles sont l’un des trois peuples de la cité d’Alfirin.

Et même si nos peuples viennent de la même souche, le temps s’est chargé de nous éloigner.

Souvent des émissaires sont invités à Narbète. Je les aperçois voler, leur aptitude au vol est phénoménale.

Magnifiques et lactées, leurs ailes descendent jusqu’à leurs pieds et sont partiellement recouvertes de lames dorées. Un par un, je les détaille, si leur poitrine ne se levait pas à chacune de leur respiration, je pourrais croire qu’il s’agisse de statues. Leurs uniformes rouge-sang cousus d’or s’accordent parfaitement avec leurs magnifiques chevelures rougeoyantes et contrastent avec la prunelle de leurs yeux bleus aux pépites d’or.

Parmi eux, vêtu de l’habit officiel de son royaume : sangles de tissu croisées sur le torse, ceinture large autour de la taille et pantalon trapèze noir, se tient… le garçon de la terrasse ? Je dois rire ou pleurer ?

Instinctivement, je regarde ses ailes. Oh. Mon. Dieu. Il m’a vu. Je cesse de respirer.

Elrohîr Alfadone dont les iris scintillent de plaisirs s’approche un peu trop près. Mes gardes miniatures lui coupent l’accès.

Fala !

— Ils ne font que leur travail, tu devrais plutôt calmer les ardeurs de ton bout de tissus. Elle rougit comme une vierge effarouchée.

Je déglutis et repousse avec douceur les boules de lumières du plat de la main.

— Allons, poussez-vous, le Prince ne me fera rien.

Ils s’exécutent et retournent à leur poste initial.

— Pardonnez cet accueil Eli. Mes gardiens n’ont pas pour habitude de ce genre de rencontre.

Il semble amusé et son sourire s’agrandit.

— En revanche, je crois que votre robe m’apprécie.

Je baisse les yeux et constate que le bustier est entièrement carmin.

— Qu’est-ce que je disais, grommelle Fala.

Maitre Olvir m’avait prévenue que la confection du tissu éternel venait en partie du savoir Elaîfle. Il savait tout depuis le début. Inutile d’éluder la remarque.

— En effet, Rose est encore novice, il ne faut pas lui en vouloir, elle découvre le monde. Vous lui faites bonne impression.

Mon père se racle la gorge. Cette intervention a le mérite de recentrer notre attention. Le Prince s’empresse de le saluer avec respect. Un échange cordial s’effectue entre eux.

— Prince Elrohîr, cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas vus. Comment va votre mère ?

— Très bien, guide. Elle m’a demandé de l’excuser pour son absence. Les préparatifs pour la nouvelle lune et l’Envol lui prennent beaucoup de temps.

— Ah que j’aime cette cérémonie où tous les novices ouvrent leur ailes pour la premières fois. Votre mère a ses obligations. Moi-même, je dois y aller. Je vous confie ma fille. Elle est ce que j’ai de plus cher au monde.

Sa voix est chaleureuse, mais sans équivoque.

— Au moins un qui garde la tête sur les épaules ici.

Mon père profite de cet instant figé pour nous fausser compagnie et disparaitre dans les profondeurs de l’arbre Rial. Je mets de côté mes réflexions partagées concernant les critiques de Fala et préfère apporter de l’intérêt à ce prince mystérieux à qui j’ai touché les ailes.

Misère.

Je rougis à cette pensée.

Fala tinte de plus belle. Elle ne doit rien comprendre à la situation. Je n’ai pas abordé le sujet « rencontre d’un inconnu » avec elle. Quand elle saura, je passerais un sale quart d’heure.

La garde Elaîfles change de place et forme une escorte sur deux rangs derrière nous. Je demande aux Ionodins d’assurer un bouclier au-dessus de nos têtes. Ce qu’ils font avec rapidité. D’un mouvement de bras j’invite notre hôte à me suivre vers les arceaux fleuris du jardin.

— Alors prince Elrohîr…

— Eli, me coupe-t-il.

— Eli. Pourquoi ne vous êtes-vous pas présenté sur la terrasse ? Vous saviez qui j’étais, n’est-ce-pas ?

— Pas à cent pour cent. Les maitres artisans de Narbète ont accompli un remarquable travail. Rose est exceptionnelle.

Celle-ci rosit encore.

— Vous devriez arrêter les compliments, elle a du mal avec ses émotions.

Il sourit de toutes ses dents. Le fait-il exprès de taquiner Rose ? Son espièglerie me rappelle Azur. Toujours une blague pour me distraire. Lui aussi me manque. J’espère le voir cette nuit.

— Je vous remercie, Eli d’avoir escorté le tissu jusqu’ici.

— C’était un cas de force majeur. Je sais combien il est difficile de vivre avec la moitié de ce que l’on est.

Cette remarque m’intrigue. Les Elaîfles n’ont pas de symbiose avec les demi-dieux. Ses yeux se voilent de colère, très vite remplacé par de la tristesse. Rose se teinte de nuances orangées. Je décèle une pointe d’affection dans la douceur de ses harmoniques.

— J’ai perdu mon meilleur ami, m’avoue-t-il sans que je lui ai demandé quoi que ce soit. Je donnerai tout pour qu’il revienne. Nous étions inséparables.

— Quelle perte de temps, ronchonne Fala.

Je me racle la gorge. Agacée par ses remarques incessantes. Que lui arrive-t-il ce soir ? Je sais que l’arrivée de Rose et l’absence de Calys n’étaient pas prévue, mais de là à réagir avec autant d’hostilité ! Depuis que je suis revenue de la cité, elle n’a pas arrêté d’être désagréable. Tout a commencé avec le retrait de la déesse puis la présentation de Rose, une véritable furie alors que ma nouvelle protectrice ne demandait pas mieux que de se faire accepter. Ensuite, sa colère contre les étudiants susceptibles de venir dans la serre, et là encore j’ai laissé couler. Mais son comportement inacceptable avec Eli, je ne peux le tolérer. Je me retourne brusquement, la faisant scintiller plus fort.

Tu devrais te retirer Fala, ta conduite est injustifiée. Je ne sais pas ce qu’il t’arrive, mais nous nous verrons après la cérémonie.

La lumière pêche virevolte autour de mes épaules en tintant d’indignation.

Si je pars, mes gardes aussi ! Ce prince n’est qu’une mascarade.

— Fala, voyons, c’est un invité important. Ta jalousie est révoltante !

— Tu ne vois pas qu’il te fait les yeux doux ! crie-t-elle hors d’elle. C’est un imposteur !

— De quoi parles-tu ?

— Ma parole ! Tu es aussi bête que cette robe ! Quelque chose cloche chez lui, je le sens. Si Calys était là, elle te le dirait.

Cette fois-ci, s’en est trop ! Ma patience a des limites.

Reine Fala, ton Grand-master t’ordonne de retourner dans ta ruche immédiatement et profites-en pour déployer le bouclier sur le jardin.

Sa lumière vire couleur prune.

Tu utilises ton autorité de maitre sur moi alors que…

— Fala ne m’oblige pas à user de plus.

Elle semble perplexe, blessée. Sans rien rajouter, elle rappelle ses gardes et s’envole dans la nuit. Je regrette aussitôt mon geste.

Je gène peut-être ? ose demander le prince.

Je refoule ma déception sur ce qui vient de se passer. Fala est une amie chère à mes yeux, mais je dois être à la hauteur de la tâche confiée par mon père. J’irai la voir plus tard pour comprendre son attitude. Ma vie a changé, j’ai besoin de son soutien, pas de sa mauvaise humeur.

— Non, une simple divergence d’opinion qui sera vite oubliée.

— Votre robe semble dire le contraire.

Je caresse Rose pour adoucir son irritation.

— Ne laissons pas ce contretemps gâcher une si belle soirée. Parlez-moi plutôt de vous ou de votre belle cité de Falsure. Je suis partie si vite tout à l’heure.

Nous approchons d’un banc et en profitons pour nous asseoir. Les gardes se déploient à différents endroit pour nous laisser un peu d’intimité.

Après des explications détaillées sur la particularité magique des falaises abruptes de roches noires lisses comme des miroirs entourant Falsure, le prince m’explique les préparatifs de l’Envol des débutants. Une cérémonie qui permet le passage des jeunes Elaîfles à l’âge adulte et la raison de l’absence de la Reine. Il me parle de milliers de fleurs odorantes, d’une avalanche de couleurs qui contrastent avec les pavés charbonneux de la ville. De l’immense place où flottent des étendards chatoyants et l’édifice majestueux aux tours pointant vers le ciel. Son regard s’illumine quand il décrit la façon dont les enfants confectionnent des cerfs volants pour inonder le ciel de toutes les couleurs. J’imagine parfaitement les stands aux toitures dorées qui pullulent d’étalages et de friandises. Rien qu’en fermant les yeux, je peux visualiser ce qu’il me décrit.

En retour, je lui raconte notre fête pour « Ethuil » à Narbète où tous les habitants se réunissent aux alentours du lac central en tenue d’apparat pour glorifier Yuma ; notre déesse de la nature. Les enfants et les adultes se réjouissent pour la grande course de « Thoron », une épreuve en coopération avec nos demi-dieux. Je lui parle aussi de Rial et de son étrange pouvoir pour façonner la nature. La conversation est très agréable, j’en oublie presque ma contrariété vis-à-vis de Fala.

La nuit pose des diamants dans le firmament. Il est temps de rejoindre la communauté pour l’ouverture des mondes par les divins et ainsi recevoir le feuillage de la cérémonie du deuxième cercle de vie.

Le temple de Yuma se situe dans les profondeurs de Rial, une cavité d’enchevêtrements de racines lumineuses relativement basse, mais assez haute pour ne pas se sentir oppresser. Pour y accéder, il faut passer par l’entrée principale de l’arbre et emprunter des escaliers de pierres soigneusement taillées qui mènent au sous sol où un large tunnel de terre brune, mêlée à de petits galets de sphères luminescentes colorées, dégagent des fragrances naturelles subtiles. Par endroit, il est possible d’apercevoir le passage d’une racine géante ou la cavité de gros vers de terre. Je constate à notre arrivée qu’une grande partie de la communauté narbe est déjà réunie et attend que la cérémonie commence. Installée en demi-cercle sur des bancs de racines naturelles, chaque caste affiche la couleur de leurs dirigeants. Sciences magiques — bleu —, Protecteurs — noir —, Inventeurs — beige —, Exploitants — vert —, Divins — blanc —, tous exhibent leurs nouveaux centenaires au premier rang. En tant que grand-master en théographie, je devrais me tenir aux cotés des Inventeurs et afficher les couleurs beiges de ma caste, mais ce soir, je suis la fille de notre guide d’où la couleur violette de ma robe. Peu importe où je me trouve, Yuma apposera sa marque. Un peu partout, les divins finissent de tout préparer. L’intégralité du sol a été recouvert de feuillage et de fleurs tropicales en hommage au changement de saison. Sur les murs les fluides lumineux de Rial filent sous la surface lisse. Au centre, la fontaine de sève phosphorescente surplombée d’une statue à l’effigie de Yuma — un arbre majestueux aux feuillages denses — baigne l’atmosphère d’une douce lueur tamisée. On entend le clapotis régulier du liquide de vie éclairé par des bougies parfumées. Le mélange de senteurs fruitées et florales apaise les esprits. Malgré le monde, le chant de leurs âmes flotte serein. Rose et Le médaillon me préserve d’éventuelles ondes massives.

Pendant que nous prenons place dans l’alcôve du conseil et invités importants, je cherche des yeux mon amie Flanie. Vêtue d’une robe blanche, je la vois me faire de grands signes réjouis.

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