18.Neela

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— La classe ! On se croirait au dôme du parc de Beauval.

— Je prends cela pour un compliment.

— Tu peux, c’est gigantesque.

— Nous avons pourtant passé la majeure partie de notre temps ici.

— Je te l’ai déjà expliqué, je n’avais accès qu’à des émotions, pas de sons ni d’images.

Pendant que la déesse s’extasie sur l’architecture de la serre, mes angoisses remontent. Cela fait presque douze semaines que je ne suis pas revenue dans mon jardin. Après la perte de Jaal, revenir dans ce lieu rempli d’histoires pèse sur mes épaules comme autant de pierres sur une montagne. J’ai peur, c’est plus fort que moi, je culpabilise. Heureusement que l’arrosage automatique fonctionne et que les Ionodins désherbent et récoltent les fruits. Sinon, je ne sais pas dans quel état se trouverait le parc. Fala a pris les choses en main et elle a bien fait.

Les rayons lumineux inondent le dôme de leur chaleur automnale. Pourtant, je sens une certaine agitation à l’intérieur. Mon bouclier psychique ondule légèrement. Je hâte le pas jusqu’à l’entrée. L’aura de la flore « nous » accueille avec bienveillance, je la laisse me traverser. C’est si bon de revenir chez soi.

— Tu me fais faire le tour du propriétaire ?

— Pas tout de suite, allons plutôt voir Fala d’abord.

— Bonne idée.

Impatiente de revoir mon amie, je me dirige tout droit vers la ruche. Au passage, je remarque la propreté de la nurserie et les allées entretenues. Les parterres de fleurs resplendissent, même les algues de la mare ont été retirées des galets qui l’entourent. Sacrée reine des fées, quelle efficacité remarquable. Passé le petit pont, l’atmosphère change, je ralentis.

— C’est normal cette pénombre en pleine journée ?

— Non.

Je fronce les sourcils et m’approche avec prudence. Un silence anormal s’installe. Tout à coup, une profusion de lumières multicolores illumine le haut du dôme me faisant sursauter. Même Calys ressent ma stupeur. L’essaim quitte la ruche et s’envole dans les airs comme un seul être.

— Des abeilles qui nous attaquent ?

Je ris.

— Mais non, c’est le peuple des Ionodins dont Fala est la reine.

Il virevolte autour de boules brillantes pour former le mot « Bon retour ».

Émerveillée, je reste les pieds plantés dans le sol à regarder en l’air. Un filet de lumière pêche vient se poser sur mon épaule.

— Ferme la bouche, tu vas finir par gober une mouche.

— Fala, quelle surprise !

— Tu aimes ? Elle devait se faire pour la cérémonie du deuxième âge avec un message différent, mais vu les circonstances…

— C’est prodigieux.

— Flanie m’a aidée, continue-t-elle une moue aux lèvres, même si elle ne comprenait rien à mes directives.

Elle se pose sur un énorme tournesol.

— Et le conseil, raconte.

Je m’installe sur un rocher.

— J’ai appris beaucoup.

— C’est-à-dire ?

— Par exemple que tu caches bien ton jeu Cupidon ! s’exclame Calys un brin revêche.

Aussitôt, la reine s’envole, affolée. De quoi parle-t-elle encore ?

— Déesse Calys, vous êtes réveillée.

— Je t’ai reconnu à la seconde où tu as viré cette demoiselle de son lit. La même odeur écœurante que tu diffuses un peu partout au paradis.

— Fala, tu sais de quoi elle parle ?

— J’ai tout un tas de questions pour toi, l’abeille, et la première, qu’est-ce que tu fais ici ? Et qu’est ce que je fais ici sans être réincarnée ?

— Ça fait deux questions.

— Réponds au lieu de faire l’anguille.

— J’aimerais bien qu’on m’explique, tenté-je d’intervenir une nouvelle fois.

— C’était prévu dès le départ que je vienne.

— Certainement pas, je voulais être tranquille, sans l’influence des sbires de mon père. J’espère qu’il n’y a que toi !

Le silence de la reine ne pouvait pas plus mal tomber. Je voulais des réponses moi aussi.

— Qui ?

Fala bourdonne. La discussion s’envenime et je n’aime pas ça. Jouer le vaisseau passerelle non plus.

— Vous devriez arrêter de crier.

— Alors qui d’autre ?

La reine hésite. Les ondes de Calys s’intensifient poussant ma toile. Je tente de reprendre le contrôle, elle résiste. Mes barrières se fissurent, la déesse cherche à prendre toute la place. Je m’écroule sur le sol et gémis de douleur.

— Calys arrête, tu me fais mal.

La pression se relâche sur-le-champ.

— Neela ? Tout va bien ?

Je me redresse et m’assoies le souffle saccadé.

— Tu vois ce que tu as fait Cupidon ? continue-t-elle d’aboyer.

— Elle ne peut pas d’entendre, j’ai coupé le lien.

— Oh ! Désolée. Et qu’est-ce qui vient de se produire ?

— Je ne sais pas, j’avais l’impression que tu m’écrasais.

— Le chérubin doit avoir des explications. Tu peux rétablir la connexion ?

— Seulement si tu m’expliques pourquoi tu l’appelles Cupidon ?

Fala virevolte agitant ses bras dans tous les sens.

— Il s’agit d’un chérubin, une sorte d’érudit. Il joue les espions pour le compte de mon père.

Voilà autre chose ! Comme si l’apparition de la déesse ne suffisait pas.

— Elle te protège ?

— Il fouine plutôt le moindre faux pas pour en informer mon père. Je ne suis plus une enfant.

J’ai l’impression de m’entendre parler.

— Oui, les parents ont tendance à ne pas voir notre passage à l’âge adulte.

— Je n’aurais pas dû faire confiance à mon géniteur. Il trouve toujours le moyen de tout gâcher. Attend que je retourne au paradis, il va m’entendre !

— Il s’agit peut-être d’un malentendu.

— Non, non, mon père ne fait jamais rien au hasard. Il a planifié son coup. J’ai refusé la participation de Cupidon, je devais me réincarner sans souvenirs et vivre une vie complète. À la place, je suis coincée dans un corps qui n’est pas le mien avec ce fouineur qui n’est pas venu seul.

— Je comprends.

— Tu comprends rien, j’en ai ras le bol. Je veux mon corps.

À cet instant, je me rends compte de sa fragilité. Nous ne sommes pas si différentes finalement.

— Tu vois, depuis l’incident aux portes de Narbète, je ressens la même chose. Tout le monde ment ou garde des secrets. Tout s’écroule. Même toi ! Je n’ai aucune idée pourquoi tu m’as choisi.

— Oh, ça.

— Encore un secret ?

— Non, une bizarrerie.

— Laquelle ?

— Ton aura sent une drôle d’odeur.

— C’est-à-dire ?

— Elle ressemble à celle d’une divinité ou un créateur.

J’éclate de rire sous le regard sidéré de Cupidon-Fala.

— Arrête ! Mes parents n’ont rien de divin.

— Ah ! ah ! Aucun rapport ! Pour faire simple, les dieux engendrent les dieux en s’unissant avec les filles de la création, mais les créateurs sont des entités générées par l’univers lui-même. Ils apparaissent comme par magie.

— Je sens qu’il y a un « mais ».

— Oui. Depuis l’immuable, aucune créatrice n’a vu le jour. Tu serais la première. Plutôt cool, non ?

— Absolument pas ! C’est ridicule.

— Ah oui ? Et tes dons, tu crois qu’ils sortent d’où ? D’un chapeau de magicien ?

— Et bien, ce sont les tiens. Le conseil pense que…

À son tour d’éclater de rire.

— Ah ! Ah ! Tu m’héberges gratos, chacune de nous possède son espace vital, il n’y a pas de vases communicants. Mes pouvoirs n’ont rien avoir avec les tiens. Le groupe de viocs sait que dal.

— Ah.

— Mais ne t’inquiète pas, je sais qui pourrait t’apporter des réponses.

— Qui ?

— Mon père.

— Comment ?

— En retournant au paradis. Une fois là-bas, je réintègre mon corps et on s’occupe de toi.

Tout parait si simple avec Calys. Pas le temps de s’apitoyer sur son sort.

— Très bien, je t’aiderai car je souhaite des réponses.

— Chouette, maintenant que nous avons clarifié les zones d’ombres te concernant tu pourrais rétablir la ligne, histoire que je cuisine la fée surexcitée. Ma parole, elle carbure aux amphétamines !

— Tu me promets de ne pas te mettre en colère.

— Oui. Je serais sage. Tu peux pas le voir, mais j’ai craché.

— Craché ?

— Une coutume terrienne pour sceller une promesse.

— Décidément, quel drôle de peuple.

— Vas-y, je suis prête.

Avec précaution, j’ouvre un espace et tisse un lien de communication. L’esprit de Fala s’y engouffre.

— Tout va bien Neela ?

— T’emballe pas Cupidon, tout est sous contrôle. Réponds plutôt à ma question. Qui t’accompagne pour la garde alternée ?

Fala ou plutôt Cupidon soupire. La patience ne semble pas être le fort de notre déesse.

— Gabriel, murmure l’accusée.

— Non, mais j’hallucine !

— N’oublie pas Calys, tu as promis.

— Oui, oui.

La tension monte dans sa voix crispée. J’ose une question.

— Qui est-il ?

— Une raclure de la pire espèce, grince Calys. Qu’est-ce que mon père a manigancé cette fois ?

— Tu devrais voir ce point avec Gabriel.

— Je veux pas le voir.

— Il faudra bien.

— Pourquoi ? Tu ne peux pas me ramener au paradis ?

— Moniris nous l’a interdit.

Je sens la colère de la déesse monter. Je frappe des mains et me lève.

— Allons, allons, une pause nous fera le plus grand bien. Calys, je t’en prie, calme-toi.

— J’ai besoin d’une minute pour rassembler mes idées.

— Bien. Pendant ce temps, Fala, enfin Cupidon, Rha ! Je ne sais même plus comment t’appeler, tu me dois des explications pour tes mensonges.

— Je ne t’ai pas menti, grogne Cupidon, je m’appelle bien Fala sous mon entité féminine. Je suis hermaphrodite, à la fois homme et femme.

Que répondre…

— D’accord. Et le reste alors ?

— Tout est vrai ! Tu es mon amie. Tu représentes beaucoup pour moi. Je suis la même personne capable de te secouer quand il le faut.

Et c’est peu de le dire. Fala reprend place sur le tournesol, abattue. Je soupire, la voir dans cet état m’attriste. Fala symbolise beaucoup à mes yeux qu’une histoire d’identité. Et même si je suis déçue, je n’arrive pas à lui en vouloir.

— À partir de maintenant, plus de secret, plus de non-dit. Je veux tout savoir.

Elle relève la tête les yeux pleins d’espoir.

— Oui ! Je ferais mon possible.

Je souris. Au moins, nous avançons.

— Et si nous commencions par aborder le sujet « Gabriel ».

— Encore lui, rumine Calys, ce séraphin ne mérite pas de retenir l’attention.

— Pourtant, il s’est porté volontaire pour assurer ta protection.

— N’importe quoi ! Il me déteste.

— Il faudra quand même faire avec, car lui seul pourra répondre à tes questions.

J’entends la déesse ronchonner dans son coin.

— Alors où est-il qu’on en finisse.

— Je ne sais pas, avoue Fala, il est imprévisible.

— Neela ! Tu es là ?

— Flanie ? Je crois que nous devons reporter cette discussion.

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