17.Neela

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Une centaine de robes plus tard, je suis enfin prête pour rejoindre le conseil dans les entrailles de l’arbre Rial. Mes amies ont fini par tomber d’accord sur ma tenue. C’était amusant ! J’en ai presque oublié la tension dans mon estomac. Flanie s’est occupée de mes cheveux pendant que Fala me labourait le cerveau sur mon retour au jardin dès la fin de l’entretien. Toujours aussi pragmatique cette fée.

Puis les gardes sont venus me chercher. Elles se sont volatilisées. Pouf ! plus personne. Je n’en menais pas large. Ils n’ont pas cessé de me dévisager du coin de l’œil comme une bête curieuse durant tout le trajet. J’ai hésité à faire quelques fausses incantations, histoire de les décoincer un peu, mais je me suis retenue. Je n’étais pas certaine qu’ils apprécient la plaisanterie.

Et me voilà devant cette porte à répéter en boucle un « sois forte, tu vas y arriver ». Rien de tel pour se donner du courage. Malheureusement, ça ne fonctionne pas. Je suis mortifiée.

Nerveuse au possible, je pousse tout de même les battants.

À l’intérieur de la salle, un jeu de lumière éclaire faiblement quelques bancs, une chaise et une tribune où président les cinq représentants de chaque caste. La Grand-master Bétina pour les « Sciences magiques », le général Enole pour les « Protecteurs », la dirigeante des « Inventeurs » Lula, le chef des « Exploitants » Suia et le grand-master Ragnor pour les « Divins ». Tout le reste est dans le noir. S’ils cherchaient à me mettre dans l’ambiance, c’est réussi ! Je n’ai qu’une envie, m’enfuir.

C’est moi ou il fait drôlement froid ici ?

À la droite de mon père, le conseiller Ragnor m’accueille d’un mouvement de tête. Je lui rends et m’approche de la chaise échouée devant la tribune. J’ai le cœur qui bat de plus en plus vite. Je n’ose abaisser mes boucliers pour sonder leurs âmes.

— Vient t’asseoir Neela, me sollicite mon père avenant. Cette séance sera présidée par le Grand-master Ragnor puisque tu es ma fille.

Les deux hommes intervertissent leur place, sous un silence de plomb. Au bout d’une minute de réflexion intérieure, le conseiller se lève.

— Princesse Neela, suite aux évènements qui sont survenus il y a plusieurs semaines nous avons décidé de vous révéler votre rôle au sein de notre communauté. Pour cela, je dois vous parler de la Flamme.

Directe à l’essentiel ! J’aime ça ! J’opine de la tête fortement intéressée.

— La Flamme ne représente pas un pouvoir, mais une personne.

Ok. En fait, je n’ai plus envie de savoir.

Je peux partir ?

Trop tard.

C’est bien ce que je pensais.

Je déglutis et jette un œil en direction de mon père, il affiche un visage impassible. Tout le contraire de ce matin quand il parlait de conséquences et de pardon. Il fait chaud maintenant ? J’ai les mains moites.

— Je m’explique, continue-t-il d’une voix posée. Vous êtes liée à la fille de notre dieu Moniris.

Une déesse ! Je suis liée à une déesse ! Des sueurs froides glissent le long de ma colonne vertébrale. Si c’est une blague, elle ne me fait pas du tout rire. Je peux hurler ?

— Vous rendez-vous compte de votre chance ? ajoute le grand-master Bétina.

Chance ? Chance ! Chance ! Elle manque pas d’air. Pas de mon point de vue.

— Je ne suis pas de cet avis conseillère. Je l’ai vécu comme une punition. J’ai passé ma vie loin de tout, loin des miens. Je suis une étrangère pour la communauté sous prétexte que je suis une boite.

Elle sourit en plus…

— Oh non, princesse, loin de là. Vous êtes une icône. Vous n’avez jamais vu personne, mais tout le monde vous connait.

— Si chacun dans cette cité me connaissait, répliqué-je à deux doigts de perdre mon sang-froid. Je n’aurais pas subi le mépris de ce capitaine. Mon esprit protecteur ne m’aurait pas été retiré et je ne serais pas ici à vous écouter déblatérer sur de fausses excuses. Où sont les responsables de mon calvaire ?

Sa pitié enflamme mes joues.

— Je comprends Princesse. Votre colère est légitime. Nous avons mal géré la situation. La femme à l’origine de votre accident a disparu. Une enquête est en cours. Nous trouverons les coupables. Ils seront jugés avec sévérité, m’explique la dirigeante Lula.

— Voilà vos excuses ? Une mauvaise gestion ? Du retard dans les récoltes, un voyage imprévu, une construction en attente de ressources découlent d’une mauvaise gestion ! Mais ! Ruiner la vie de quelqu’un, je qualifie cet acte d’irresponsable !

— Neela ! intervient mon père.

Ah ! Non ! Il n’a pas le droit de me reprendre comme une petite fille.

— Guide. Mes paroles vous contrarient-elles ?

À voir son regard sévère plongé dans le mien, peut-être un peu. Tant pis, il s’agit de ma vie après tout. Déterminée, je conserve mes positions. De longues secondes s’écoulent, comme suspendues, mon père fronce des sourcils puis soupire. Tout son visage se détend.

— Non, tu as raison. Des failles dans notre communauté existent. Tu as été désignée comme cible. Par qui ? Pourquoi ? Nous n’avons aucune réponse. Nos meilleures pisteurs cherchent des indices depuis des mois. Fala a sillonnée l’intégralité de notre territoire, posté des gardes sur chaque arbre de la jungle. Passé au peigne fin la moindre piste. Rien. Alors oui, nous ne t’avons pas préparé en conséquence. Oui, nous avons été négligents. Mais nous souhaitons faire mieux. Nous pouvons faire mieux. En commençant par te raconter la partie de ton histoire que tu ignores.

— Très bien. Je t’écoute.

— lorsque Moniris nous a honorés de sa visite avec l’espoir qu’on lui vienne en aide, nous n’avons pas hésité un seul instant. Il est peut-être notre créateur, mais notre évolution ne tient qu’à nous. Nous étions prêts. La Flamme est longtemps restée en notre possession dans un lieu tenu secret, lourdement gardé. Puis tu es née. Dès ton premier cri, la Flamme a manifesté un intérêt particulier pour toi.

Le dieu Moniris en personne ? La Flamme m’a choisie ? Cette histoire frôle celles de certains livre de la bibliothèque. Sauf que l’élue finit par mourir.

— Je ne me souviens de rien. Comment ?

— Tu étais si petite. À l’époque, nous présentions les nouveau-nés à la Flamme. Elle les bénissait de son aura bienveillante. Quand ta mère s’est présentée, la Flamme s’est agitée, tourbillonnant sur elle-même. Elle cherchait ton contact. Éluna a eu peur. Elle a tout fait pour t’éloigner d’elle. En vain. Un jour, alors que tu plantais des fleurs dans le jardin, tu as déjoué sa vigilance. Tu t’es rendue dans le sanctuaire et vous vous êtes liées. Ne me demande pas de quelle manière, je suis incapable de te le dire. Même les gardes n’en portent aucun souvenir. Après un examen minutieux, nous avons constaté que tes pouvoirs se modifiaient. Tu pouvais influer sur tout ce qui t’entourait. Et lorsque tu as parlé de Jaal, ton protecteur, le conseil a décidé de t’isoler.

Un relent d’émotions afflue dans mes veines.

— Je n’étais qu’une enfant ! Mes pouvoirs me faisaient peur ! Comment avez-vous pu !

— Penses-tu que nous l’ignorions, pour être franc, nous étions démunis. Moniris ne répondait pas à nos appels. Ta mère ne faisait que pleurer et toi, tu t’enfermais dans un mutisme inquiétant. La situation nous échappait.

Ah ! Ben si la situation leur échappait… alors !

— Et puis Fala est arrivée, ajoute-t-il avec éloquence.

Quoi ?

— Fala ? ma voix monte dans les aiguës. Ne me dis pas qu’elle a joué un rôle dans tout ça ?

Mon père confirme sans même songer à protester.

— Grâce à elle, tu as maitrisé le don de la Flamme. Vous parliez pendant des heures. Elle t’a redonné le sourire, initié à la théographie. Tu progressais si vite.

Je soupire. Oui. Cette fée avait plus d’un tour dans son sac.

— La Flamme vous a choisi, princesse, nous ne comprenons pas ses raisons, mais nous avons décidé de le voir comme une bénédiction, émet le conseiller Ragnor.

Mouais, un peu légère cette justification. Il va falloir creuser un peu plus le sujet. Si seulement, je pouvais lui parler.

— Et maintenant ? Que comptez-vous faire de moi ? m’enfermer ?

— Absolument pas ! coupe la conseillère Bétina.

— Ah ?

Intéressant.

— Vous êtes tout à fait apte à gérer votre vie comme bon vous semble au sein de la communauté.

Je me disais aussi… Pas si libre que ça !

Aussitôt, une idée saugrenue jaillit dans ma tête. Et si j’essayais d’entrer en contact avec la Flamme. Après tout, je suis capable d’entendre le chant des âmes, pourquoi pas la sienne.

— Inutile, je suis déjà dispo !

— Qui parle ?

— D’après toi ? Je croyais que tu voulais discuter !

— La Flamme ?

— Appelle-moi, Calys. Et avant que tu le demandes, c’est grâce à Jaal que je peux enfin communiquer avec toi. Ce demi-dieu déchire en matière de magie. Il a pulvérisé les barreaux de ma jolie prison en un claquement de doigts.

— Il s’est sacrifié.

— Hein ? N’importe quoi, il a simplement changé de dimension.

— Je sais.

— Je sais aussi que tu sais. Alors, ne me le reproche pas.

— Pourquoi ne pas te manifester avant ?

— Disons que je n’ai pas les talents d’une assistante sociale. Tu chialais toute la journée, horrible. En revanche, tes nuits avec « bogoss666 » ouh ! Chaud le gars ! Très instructif.

— Tu parles de qui ?

— De qui ? De qui ! Celui qui te fait croire depuis des semaines qu’il est ta conscience. Brun, les yeux bleus, un corps « badabam ». Tu fais le rapprochement ? Si je peux me permettre, comment tu as pu gober un truc pareil ? Je suis ta conscience (imite-t-elle avec une grosse voix) viens plus près, ouais poupée, encore plus près.

— C’est répugnant ce que tu dis, Azur n’est pas ce genre de garçon.

— Princesse Neela ?

— Je te garantis qu’il est bien pire encore. Crois-en mon expérience.

— Neela ? Tout va bien ?

— Nous reprendrons cette conversation plus tard.

— Comme tu veux, beauté !

Une demi-douzaine de paires d’yeux me dévisagent. J’ai loupé un passage ?

— Il te propose une virée dans la cité ! reprend la voix de la déesse.

Je crois défaillir.

— Non ! Je ne peux pas ! La dernière fois que je suis allée aux portes de la cité, j’ai perdu Jaal.

— Je suis là maintenant, il ne t’arrivera rien ! Je te le promets ! Aller répond oui, qu’on se casse d’ici !

Une visite de Narbète, où je pourrais me rendre où bon me semble ? J’en ai tant rêvé. Seulement, est-ce bien raisonnable. La foule, les ondes des âmes, la souffrance, je me sens déjà mal.

— Je vais y réfléchir, déclaré-je à demi-mot.

Super ! Dis au revoir… attends, attends comment ça tu vas y réfléchir ? Je t’ai dit que je te protègerai.

— Ça n’a rien avoir avec toi.

J’ai à nouveau très chaud. Mon cœur s’emballe, qu’est-ce qui m’arrive ?

— Calme-toi, où tu es bonne pour une crise de panique.

Ses mots étranges, comme tous les autres depuis le début, glissent sans m’atteindre car je ne les comprends pas. L’angoisse monte et la vision de cette vague géante déferlant contre mon bouclier me coupe le souffle.

Mon père descend de l’estrade inquiet et s’approche.

— Calme-toi ma chérie, tu n’es pas obligé d’y aller. Respire. Ragnor !

Aussitôt, une main se pose sur mon front. Je suis allongée sur le sol ? Perdue, je cherche d’où vient l’onde apaisante qui envahit mon corps. En vain.

— Tout va bien, déclare la voix du conseiller. Vous n’avez plus rien à craindre. Vous êtes en sécurité.

— Qu’est-ce-qui se passe ?

— À l’évidence, tu souffres de stress post-traumatique. Je crois que le grand gaillard vient d’enrailler la crise.

— Tu pourrais employer des mots que je connais.

— Ah, oui, c’est vrai. Le choc que tu as subi lors de la perte du demi-dieu prend le dessus sur ta raison et te provoque un état de peurs incontrôlables.

— Pourquoi ? J’allais bien mieux depuis quelques jours.

— Faut croire que non.

— J’ai même plus la force de parler.

— Focalises-toi plutôt sur ta respiration, comme le préconise ce beau mâle.

— Tu es obligée de parler de lui de cette façon.

— Ce n’est pas ma faute si tous ces gars sont plus beaux les uns que les autres. Mon père a fait fort sur ce coup-là.

— D’accord.

J’oublie cette conversation futile et me concentre sur la voix apaisante du conseiller. Au bout de quelques minutes, tout semble revenir à la normale. Enfin.

Mon père m’aide à me redresser et m’asseoir sur la chaise. Nous sommes seuls à présent.

— Je vais te raccompagner dans ta chambre. Tu dois te reposer.

— Non, j’ai promis à Fala de la rejoindre dans le jardin.

Il m’attrape les mains.

— Tu t’en sens capable ?

— Oui.

Il examine mon visage avant de capituler.

— Très bien. Sache que tout le monde souhaite ton bonheur ici. Les habitants plus que tout. Ils pensaient être en présence d’une usurpatrice. Pardonne-leur.

— Je sais.

— Nous trouverons une solution pour t’aider. Je te le promets.

— Merci.

Une fois dehors, l’air frais me revigore et « nous » prenons le chemin vers la serre. J’oublie mon mal être, remplacé par la voix de Calys qui chante une chanson où il est question d’autoroute et d’enfer. Dire qu’une heure plus tôt, j’ignorais tout de son existence.

— C’est dingue, depuis que je vis en toi, je n’avais accès à aucune donnée. Juste des émotions plus ou moins vives. C’est le pied ici ! Tu veux que je te dise ça me rappelle un film génial de science-fiction avec des avatars bleus.

— Je ne comprends toujours rien à ce que tu dis.

— Normal, j’ai vécu toute ma vie sur la planète Terre avec mon oncle Lucifer. Ma culture diffère légèrement de la tienne.

— Où se trouve cette planète ?

— À des milliards d’années-lumière de Verthe, dans une galaxie appelée « la Voie lactée ». Si ça peut te rassurer la faune et la flore y sont identiques.

— C’est joli comme nom.

— Ben pas autant que ses habitants. Ils ont détruit la magie et préféré les sciences.

— Quel malheur !

— Tu peux le dire, leur planète est en train de crever. Mon oncle en profite pour faire des tas d’expériences louches. Il a même renoncé aux privilèges d’être un dieu. Un éternel môme. Mon père l’héberge depuis qu’il est en situation de précarité, la famille s’est sacrée.

— C’est vrai. D’ailleurs, en parlant de famille, je vais te présenter Fala, mon amie de toujours.

Nous traversons le plateau de verdure qui mène à la serre. La vue est imprenable sur la cité.

— J’ai hâte de la rencontrer. Nous sommes de vieilles connaissances.

— Ah oui ? Il faudra que tu me racontes. Le monde parait plus petit qu’on le croit.

— Je dirais même l’univers. Je suis persuadée qu’elle désire faire son coming-out.

— Son quoi ?

— Laisse tomber. Au fait, tu n’as pas peur qu’on te prenne pour une dingue à parler la moitié du temps toute seule ?

— Je suis le porteur de la Flamme.

Je l’entendis rire dans ma tête.

— Sur Terre, tu serais détenue dans une pièce molletonnée entravée dans une camisole de force entourée de médecins et infirmiers.

— Étrange, les habitants de cette planète.

Une façon polie d’exprimer mon ignorance. Les reflets du soleil sur les vitres de la serre m’éblouissent.

— Ah ! Nous sommes arrivés.

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