Chapitre 3

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Blanche était assise sur un sofa plus beau que confortable, dans le couloir d’une bâtisse luxueuse en plein Paris. Ses pieds la faisaient souffrir d’être maintenus dans des escarpins qui ne lui ressemblaient pas. Fins, pointus, aux talons si hauts qu’elle dépasserait la plupart des invités masculins, à moins de participer à une œuvre regroupant des vedettes de basketball cette fois.

Derrière d’autres portes, une réception était donnée. Une de plus. Elle soupira, ayant oublié de se maintenir droite. Sa robe de mauvais goût faite de paillettes et trop courte lui grattait la peau. Elle ne rêvait que d’une chose : quitter cet endroit, ôter ce maquillage, défaire ses cheveux et plonger dans un bain chaud.

— Tiens-toi droite ! lui ordonna sa mère.

Et tel un automate, elle obéit sans broncher. C’était inutile. Elle avait essayé, mais depuis son retour de Suisse, sa vie avait changé. Une vie que beaucoup aurait enviée. Or ils auraient vite déchanté en voyant l’autre côté du miroir.

— Le baron va nous recevoir, fait bonne impression.

Que lui voulait cet homme ? Au fond, elle pressentait qu’il ne valait mieux pas le savoir avant l’heure. Tout ce qu’elle savait à cet instant était que sa vie n’était qu’une illusion. Que cette apparente fortune n’était que fumée. Ses toilettes hors de prix, de la poudre aux yeux. Certes, elles provenaient de grands noms, mais aucune, pas même les sous-vêtements ne lui appartenaient. Et ce n’était pas près d’arriver, même avec un colossal rabais.

Elle se leva, lissa sa jupe et vérifia que ses cheveux étaient en place devant le miroir aux bordures dorées face à elle. Sa mine boudeuse lui donnait un air de fillette capricieuse tout en cachant bien pire.

— Ne fais pas cette tête-là, souris et surtout fais ce qu’il te demandera.

— Mère… tenta-t-elle.

— Allons !

Une double porte fut ouverte par un homme en habit de maître d’hôtel et elle s’avança dans un vaste bureau aux tapis bordeaux assortis aux tentures. Un homme se tenait assis, il eut de la peine à se relever, s’aidant d’une canne, mais fit un effort afin d’accueillir la jeune fille. D’un pas chancelant, il la rejoignit et tendis sa main libre. Les doigts de la biche furent pris en otage par des phalanges plus puissantes qu’elle n’aurait cru et il l’emmena vers un salon agencé devant une cheminée.

— Quel est ton nom ? demanda-t-il d’une voix chevrotante.

— Blanche, monsieur le baron.

Elle se tourna lorsque la porte se referma, les laissant en tête à tête.

— Ah ah ! Monsieur le Baron, répéta-t-il. Je ne possède aucun titre, c’est juste un surnom. Quel âge as-tu ?

— Vingt-et-un ans.

— Mmm… plus âgée que je ne l’aurais espéré.

— Qu’attendez-vous de moi ?

— Que tu sois très gentille avec moi. Allons, tu dois savoir comment faire à ton âge. Viens là…

Il la tira afin qu’elle se lève, puis d’un mouvement brusque la fit ployer devant lui, à genoux sur l’épais tapis. Sans montrer la moindre gêne, il ouvrit la fermeture éclair de son pantalon. A la vue d’un morceau de slip blanchâtre, elle comprit immédiatement de quoi il s‘agissait. Une sensation de nausée se montra plus forte que sa dévotion. Elle se recula, tomba tout d’abord assise avant de se redresser et filer droit vers la porte.

— Chère enfant, ta mère à déjà reçu compensation, je te conseille de revenir.

Elle ne l’écouta pas, elle ouvrit la porte, affronta les regards surpris du majordome et de sa génitrice. Celle-ci écarquilla les yeux, imaginant déjà le chèque remboursé alors qu’elle le tenait encore fraîchement signé dans sa main.

— Qu’est-ce que tu fais !

Blanche ne s’attarda pas à lui répondre. Rien dans l’attitude de sa mère ces dernières semaines ne l’ayant conforté à espérer une discussion capable de porter ses fruits. Elle prit la direction de la salle de bal, flageolant sur ses talons alors que le baron la rappelait.

Soucieuse de lui échapper, elle se déchaussa et, devenue plus agile, parvint à rejoindre les invités.

Un quatuor à cordes jouait un air classique masqué par le brouhaha mondain. Elle n’était pas entrée par ici tout à l’heure, mais par un accès dérobé dans une rue à l’arrière du bâtiment. Celui-ci lui paraissait tel un labyrinthe de couloirs. Elle parcourut la salle du regard, espérant trouver un indice, quoi que ce soit qui lui permettrait d’en sortir. Que faire ensuite ? Se rendre à la police ? À pieds nus et sans un sou. L’espoir lui revint lorsqu’elle reconnu l’un des serveurs, celui s’étant montré galant, voire un tantinet charmeur avec elle la semaine précédente.

Avant que mère et baron ne la rattrapent — à moins que cette dernière n’envisage enfin de faire la chose elle-même — elle traversa la salle jusqu’à lui.

— Vous vous souvenez de moi ? lui lança-t-elle.

— Oh ça oui, mais je suis navré, je n’ai pas le droit de fricoter avec les invités. Juste vous proposer une coupe.

— Pas de champagne, merci. Je veux savoir où se trouve la sortie. Et le bureau de police le plus proche.

— Pardon ? Pourquoi la police ? Vous aurait-on dérobé votre rouge à lèvres ? plaisanta-t-il.

— Vous n’êtes pas drôle !

Si les invités ne s’attardèrent pas vraiment sur cette jeune fille en robe courte et escarpins à la main, le service de sécurité, lui, commença à s’agiter. Blanche laissa tomber ce serveur qu’elle avait cru plus aimable et tenta une approche de la grand-porte vitrée. L’un des hommes en costume et lunettes noires qui s’avançait vers elle tout en pressant son oreillette la fit reculer. Un autre en faction près des toilettes fit de même.

Florian qui avait cru à un petit caprice de starlette remarqua la scène, ainsi que la mine terrifiée de la donzelle. Non, ce n’était pas un caprice si la sécu s’en mêlait. Et là, un choix s’ouvrait à lui. Soit il lui indiquait la sortie et se faisait griller à vie, soit il l’abandonnait à son sort. Après tout, il ignorait tout de ce pour quoi elle tentait de fuir. C’était peut-être une kleptomane, une arnaqueuse. Non, c’était une Grimhilde. Le genre de nom que l’on ne traite qu’avec respect, condescendance ou… et puis zut !

Il laissa son plateau sur un coin de table, fonça droit vers la belle et la tira avec lui, disparaissant dans la masse.

— Par ici !

— Merci.

— Vous pouvez ! Après ça, je perdrai ma place.

— Je suis désolée.

Il l’a tira jusqu’au buffet.

— À genoux !

— Quoi ! Encore ? Jamais !

Mais la sécu s’approchait et pas le temps de comprendre, il la tira avec lui. Le voyant dans la même position, Blanche comprit qu’il n’en était pas à lui demander de faveur.

— Bon, on est à couvert. Vous allez me suivre.

Au fond, c’est plus amusant que de servir des apéritifs, se dit-il. Et il y aura peut-être une bonne histoire à raconter.

Ils se glissèrent sous la longue nappe. Ainsi dissimulés, c’est à quatre pattes qu’ils s’engagèrent vers les cuisines.

— Vous savez où vous allez ?

— Oui. Il y a une sortie de secours par là. Je l’avais repérée pour ma pause. Par contre, j’ignore où se trouve le commissariat dans ce quartier.

— Vous faites déjà beaucoup.

Il stoppa.

— Mais avant je veux savoir ce que se passe.

— C’est le Baron. Il voulait que… que…

— Que quoi ?

Intéressé par la suite, il se tourna et s’assit face à elle. Une vue plongeant vers son décolleté le désarma un instant.

— Il voulait que je lui fasse une faveur, émit-elle timidement. Vous savez...

— Une faveur ? Mais de quel genre pour avoir toute la sécu à dos ? Oh… non… ne me dites pas ! Il voulait une pipe ?

Rouge jusqu’aux oreilles, Blanche confirma d’un mouvement de tête.

— Et j’imagine que cela ne vous enchantait pas trop. Remarquez, je n’aurais pas voulu non plus. Mais… ce que je ne comprends pas… vous une Grimhilde traitée comme une prostituée. Ça m’échappe.

— Sans doute parce que vous imaginez, comme tout le monde que nous possédons encore quoi que ce soit mit à part notre nom. C’est faux, ma mère est ruinée. Elle se montre à toutes les soirées afin de récolter de quoi vivre. Il y a deux mois, elle est venue me chercher en Suisse, j’y étais à la FAC. Mon père avait pourtant tout payé d’avance, mais…

— Mais elle avait besoin de vous pour se trouver un mécène n’est-ce pas ? On dit que le Baron est amateur de jeunes filles, pas de femmes mûres. La dernière en date devait avoir dix-huit ans et deux semaines tout juste. Ce type est un vieux cochon. Il peut avec la fortune qu’il trimbale. Bon suivez moi, on n’est plus très loin.

Telle une expédition dans un tunnel secret, ils bifurquèrent, croisèrent bien des chaussures et arrivèrent à destination. Afin de la conduire, Florian lui prit la main, l’aida à s’extirper de dessous le buffet tout en levant la nappe et scrutant les alentours. Ils ne perdirent pas de temps, traversant les cuisines. Tony ouvrit des yeux ronds.

— Mais non ! Qu’est-ce qu’on avait dit !

— Cas de force majeure cousin, je t’en prie si on te le demande, tu ne nous as pas vus. Et surtout pas elle !

— Comment ! Mais… j’espère que tu ne t’es pas attiré d’ennuis !

— Moi ! Jamais ! Mais un gars s’est mal comporté avec la demoiselle, je la ramène chez elle.

À ces mots, Blanche faillit se trahir et refuser cette proposition. Elle ne pouvait y retourner, tout recommencerait, c’était inévitable. Elle suivit donc Florian, lui confiant son destin. Celui-ci la mena jusqu’à la porte.

— Ma voiture est garée sur une petite place pas loin, en se faufilant discrètement, on peut y arriver.

Il la détailla, évaluant les chances de se montrer effectivement discret accompagné d’une si jolie fille aux jambes et aux pieds nus !

— Vous devriez remettre vos chaussures.

Il sortit en éclaireur, lui fit signe de le suivre lorsque l’un des agents de sécurité à la porte toucha son oreillette, signe qu’on lui intimait de nouvelles directives. Ce dernier scruta la rue, aperçu Florian et Blanche et, malgré toute la discrétion dont eux aussi étaient censés faire preuve, beugla à travers tout.

— Hé vous !

Immédiatement Florian changea ses plans, renonçant à cette sortie. Le type était entrainé, il possédait peut-être même un taser sur lui, et l’envie de tester cette charmante petite chose n’y était pas. Il reprit la main de belle et la tira avec lui, traversa les cuisines en sens inverse et retrouva la sureté d’un dessous de table.

— Pas moyen par là, il faut trouver une autre issue, mais mis à part l’entrée principale… Les toits ? Non pas les toits, ce serait non seulement risqué, mais nous serions pris au piège s’il n’y a pas de possibilité de fuite. La soirée s’annonce de plus en plus sympa, sourit-il.

— Je suis désolée, je vous cause de gros ennuis.

— Des ennuis, j’en avais déjà. Juste que je gardais l’anonymat jusque là.

— Que voulez-vous dire ?

— Je vous expliquerai plus tard.

— Il y en a une autre porte derrière, mais… elle est gardée elle aussi.

— Où se trouve cette sortie ?

— Je ne veux pas y retourner.

— Nous n’avons que trois possibilités, deux sont gardées à coup sûr. Il y a un service de sécurité formé de six hommes. Peut-être un septième, un genre de superviseur qui lui, ne bouge pas, mais distille les infos aux autres. Quand j’y pense, il doit y avoir un système de caméras. Il doit surement se trouver dans la salle des moniteurs.

— Vous avez l’air bien au courant.

— Me documenter c’est mon métier.

— Vous êtes documentaliste ?

— Non ! Journaliste. Enfin, j’aurais aimé, blogueur, mais j’en vis. Tout le monde ne peut s’en vanter.

— Vous avez de la chance, vous faites un métier qui vous plait on dirait.

— Oui et… et on devrait plutôt parler de ça devant un café lorsque ce sera réglé. Où est cette sortie ?

— C’est du côté du bureau du Baron.

Il écarta deux nappes et observa la zone. Une paire de jambes immobiles lui indiquèrent que la porte était gardée par un seul homme.

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