Chapitre 2

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La donzelle aux yeux de biche s’assit à califourchon sur un Florian innocemment allongé sur son lit. Celui-ci hésita à lui demander ce qu’elle faisait là, dans son studio et à cette heure. Et surtout, comment avait-elle fait pour entrer.

— Je te veux, je te veux toi, lui susurra-t-elle.

Il en avala sa salive avec difficulté, la gorge subitement devenue telle un désert en plein mois d’août. Il se redressa, pressant son torse contre la poitrine voluptueuse de la belle.

— Pourquoi moi ? la questionna-t-il d’une voix rauque.

— Bip bip bip bip ! répondit étrangement la donzelle.

Bip bip bip !

— Ah merde ! jura le jeune homme de retour dans la réalité. Forcément, c‘était trop beau.

Il se redressa, stoppa la sonnerie du radio réveil, jeta la couette au pied du lit, ouvrit les rideaux ainsi que la fenêtre et huma l’air. Pas trop profondément tout de même, il ne vivait pas loin d’une avenue.

— Au boulot ! claironna-t-il tout en se dirigeant vers la salle de bain.

Une fois lavé et habillé, il se posa devant son portable installé sur la petite table. Celle-ci faisait office de salle à manger à elle seule, mais elle avait l’avantage de faire face au paysage de toits parisiens. Il fit craquer ses doigts et commença son article.

Une énième soirée humanitaire hier soir au Arendelle Palace. Que du beau monde, que d’argent dépensé, mais aucun signe d’humanité mis à part parmi le petit personnel. Encore une fois, je n’y ai côtoyé que des sans âmes à l’égo hors normes venus s’y pavaner.

Florian n’était pas journaliste, il aurait aimé pourtant. Sans doute parce qu’il percevait le monde avec un regard un peu trop personnel parfois et l’abordait dans ses textes avec un cynisme qui ne pouvait plaire à tous. Il la place, il s‘était reporté sur le métier de blogueur. De ces professions qui, lorsque l’on avouait en faire partie, trouvait toujours quelqu’un pour vous demander quel était votre vrai métier mis à part celui-là.

Il ne devait pas déroger à ses habitudes, son style, sa griffe. Et poursuivi.

Au programme, champagne et mets de choix. Parmi les invités de marque, la plantureuse madame Grimhilde, dont le prix de la robe seule aurait pu générer suffisamment de fonds pour permettre la construction de cette école pour laquelle ils étaient tous rassemblés. Ainsi que les terrains de sport, un hôpital et deux centres de planning familial. Que c’est beau d’être aussi altruiste.

Certes, il faisait plus souvent preuve de mauvaise foi que de bonne volonté et s’attirait souvent les griefs de pas mal de ses cibles, mais ses lecteurs l’adoraient et c’était grâce à eux qu’il subsistait. Entrainé par le souvenir tout frais de cette soirée, il termina son article, le relut, en corrigea les quelques coquilles et posta le tout une fois satisfait.

Florian tentait de ne pas se laisser embrigader dans l’obsession des chiffres, de laisser les statistiques mûrir quelques jours sans se jeter sur elles afin de s’assurer des retours, tant textuels que pécuniaires. Mais nous étions samedi et c’était le jour du bilan. Il soupira et fit ses calculs. Cela stagnait. Il espérait que ses escapades récentes au sein des soirées VIP rapportent quelques abonnements supplémentaires et beaucoup plus de sous.

Il fallait bien payer le loyer ainsi que la vue sur les cheminées.

Suite à cela, il prit sa veste et sortit. Il devait négocier sa présence lors du prochain bal de charité avec son cousin traiteur. Il aurait pu lui téléphoner, mais selon lui, rien ne valait mieux que le contact direct. De plus, son cousin était bien capable de faire mine de passer sous un pont pour éviter de lui parler. Et ce, même s’il se trouvait dans ses cuisines. C’est là qu’il le rejoignit.

— Et dis-moi ce que j’y gagne moi ? Tu dragues ouvertement les invitées, tu passes ton temps à fumer dehors.

— Oui, mais je ne coûte pas un sou ! Je ne demande pas de salaire, juste d’être introduit sur place. Et je n’en ai dragué qu’une seule !

— Oui, mais pas n’importe laquelle. La fille Grimhilde, par pitié, oublie là !

— Et pourquoi ?

— Parce que… mais parce que c’est logique ! Vous n’êtes pas du même monde.

— Je ne compte pas demander sa main non plus, mais qu’elle soit née avec une petite cuillère en or dans la bouche ne me gène pas. Je ne suis pas intéressé par son fric… quoique… mais par ses yeux de biche.

— Oui ben évite. J’ai eu de sales retours et je préfère que tu ne sois pas là lors de la prochaine sortie de la demoiselle, je vais y perdre mes contrats moi !

Florian soupira. Quelle mentalité digne du Moyen Âge ! songea-t-il. Hé bien moi, le fou du roi, j’oserai parler à la princesse, non mais ! À moins qu’elle me repousse de nouveau.

— OK, alors on va faire un marché.

— Oooh non, pas de marché avec toi, je te connais, ça va encore me retomber dessus ! fit le traiteur tout en empilant ses plats en étain.

— Mais non… mais si tu ne veux pas, tant pis, je proposerai le buffet de la tribune d’honneur à quelqu’un d’autre.

Tony se figea, le plat en main. Des souvenirs d’enfance lui revinrent, chamboulant tout son être. Sa passion de gosse, le football. Sa rencontre avec son idole et son rêve inaccessible de pouvoir lui serrer la main de nouveau. Et il le savait, il serait là lors du prochain match exhibition, dans la tribune d’honneur. Ses yeux brillèrent d’un nouvel espoir.

— Bon allez, je te laisse bosser…

Sûr de sa technique de persuasion, Florian fit mine de partir, il fut rattrapé par le coude.

— Non ! Attends ! Bon, OK pour cette fois. Mais pas de drague, tu te comportes comme un vrai serveur.

— Ça marche !

Ce n’était pas de l’esbroufe, Florian avait négocié la chose depuis des semaines. Au départ pour remercier son cousin et lui en faire la surprise, mais devant son refus de réitérer leur arrangement, il avait dû s’avancer. En attendant, il pourrait de nouveau se glisser incognito dans cet univers quasi inaccessible afin d’étoffer ses articles cinglants.

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