43 - Pacte d'honneur

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13e jour de la saison de la mort 2448

On avait étendu Azéna sur une longue table en bois que cette dernière reconnaissait trop bien de sa visite interdite dans la Tour Mère. Cette-fois, elle avait été admise d'urgence par Maîtresse Nymia qui cherchait à l'aider. C'était un sentiment étrange. Normalement, elle aurait été nerveuse d'être entouré par ces figures autoritaires, mais elle souffrait trop pour s'en préoccuper. Son bras lui démangeait terriblement et elle ne pouvait en faire car, l'énergie lui manquait et en plus, Nymia l'arrêtait lorsqu'elle trouvait le courage de réagir.

- Montrez-moi son bras, ordonna Grand Maître Terenas avec sévérité.

Nymia s'exécuta. Elle dut couper les vêtements de l'adolescente afin de sauver du temps. Elle avait déjà partagé les informations nécessaires avec lui. Azéna ne l'avait jamais vu dans un tel état de panique; il avait immédiatement fait appel aux trois sages qui dormaient paisiblement dans leur chambre. Troisième Sage Saphia fut la première arrivée et elle ne put dissimuler ses émotions à la vue de l'apprentie. Les yeux écarquillés, elle se tourna vers son supérieur avec une expression anxieuse. Elle désirait évidemment une explication, mais Terenas resta sans voix.

- Ça brûle, se lamenta la rebelle faiblement.

Nymia semblait tout aussi inquiète, mais demeura quand-même calme. Comme la soldate bien entraînée qu'elle était, elle attendit pour un ordre.

- C'est Noktow ? questionna Saphia qui ne put s'empêcher de prononcer ce prénom qui semblait présentement être tabou.

Puisque personne ne réagissait, Azéna lui accorda une réponse d'un hochement de tête.

- Grand Maître ? questionna Nymia. Que faut-il faire ?

- Je ne connais pas d'autres moyens, avoua-t-il sur un ton sombre. Il va falloir tenter un rituel de sacrifice pour apaiser sa colère.

- Mais ! s'exclama Nymia, choquée. Nous ne sommes pas des nécromants !

Entretemps, Premier Sage Wirus et Deuxième Sage Murun firent leur entrée, des bocaux et des fioles de toutes les formes et couleurs en leur possession. Les deux nouveaux venus observèrent la scène, mais plus particulièrement le membre noircis de la victime.

- J'en suis conscient ma chère Nymia, mais c'est ce qu'il apprécie, insista Terenas dont les traits étaient creusés par le stress.

- Et vous ne pouvez pas garantir que cela va fonctionner ? questionna la dragonnière rouge.

- J'en ai bien peur. Nous devons essayer, pour elle et lui, mais spécialement pour ceux qui seront affectés par cette guerre. Sinon, ils seront perdus ou encore pire, sous le contrôle de Noktow.

Wirus fronça les sourcils tandis que Murun et Saphia grimacèrent légèrement. Azéna devinait qu'ils étaient tous préoccupés par la possibilité de perdre leur seul et unique lien avec l'élément de la vie et cela la répugna légèrement.

- Noktow ne se laissera pas convaincre si aisément, souligna Wirus.

- C'est notre seul plan, rétorqua Terenas.

- Très bien, mais que sera le sacrifice ?

- Pour guérir un bras, donnez un bras, dit le Grand Maître en démontrant le membre à être sacrifié: soit son propre bras gauche. C'est l'échange de la vie et de la mort. Cela devrait l'amuser.

Saphia poussa un couinement de dégoût.

- Grand Maître, vous ne pouvez pas !

- Tout ira bien Saphia, rassura Terenas d'une voix douce. C'est un sacrifice nécessaire.

- Vous êtes trop important Grand Maître, objecta Wirus.

- Exactement, dit Terenas. Il nous prendra au sérieux.

Azéna n'aimait pas l'idée d'être en plein cœur d'un rituel de sacrifice pour le dieu qu'elle maudissait tant, mais c'était mieux que mourir car si, elle se laisserait périr avant de se plier à ses demandes.

- Ça va faire mal ? osa-t-elle demandée.

- Je ne vais pas te mentir, dit Terenas. C'est un processus très dangereux. Cette méthode attire beaucoup de mauvais esprits et c'est traumatisant aussi mentalement que physiquement pour les participants. Par contre, tu n'auras pas besoin de t'en faire car Noktow te veux évidemment vivante.

- Vous allez tous vous mettre en danger pour moi et Turion.

- Vous êtes indispensables et tu es notre apprentie donc, c'est à nous de te protéger. Tu as prêté serment et depuis, tu es sous notre aile jusqu'à ce que tu deviennes une dragonnière accomplie. Maintenant, dors. Nous nous occupons de tout.

Il passa ses longs doigts fins sur ses yeux afin de fermer ses paupières. À la merci de sa fatigue qu'elle combattait avec ses dernières forces, elle se laissa entraîner par son désir irrésistible. Elle pouvait enfin dormir comme son Grand Maître le lui avait ordonné.

✦×✦

Une secousse éveilla les sens embrouillés d'Azéna qui ne pouvait pas trouver la force de bouger un seul muscle. La sensation de brûlement dans son bras était l'objet de toute son attention. Elle grimaça et poussa un gémissement. C'est alors qu'elle sentit sa respiration accélérer, clairement sous la pression de la survie. Elle savait bien que la Rampante avait presque atteint son épaule à présent. Elle, contrairement à sa victime, avait une source illimitée d'énergie et une soif éternelle. Azéna pouvait presque l'entendre murmurer :

- Le cœur... doux doux cœur...

- Donnez-lui une potion de pureté, ordonna une voix sterne qu'elle reconnut comme étant celle de Terenas. La plus puissante ! Il ne faut pas qu'un mauvais esprit prenne avantage de sa condition.

Cette voix cruelle d'avant... Était-ce vraiment la malédiction ? Ou peut-être...

- C'est impossible Grand Maître ! insista Wirus avec urgence. Ils sont trop nombreux. Noktow nous moque !

- Au Donjon ! rugit Terenas. Emmenez-là au Donjon !

- Grand Maître ? questionna un deuxième homme. Mais cet endroit est si lugubre et humide...

- Ne discute pas Murun ! rétorqua son supérieur sèchement. C'est l'endroit le plus sécuritaire et le plus isolé. Tu sais que je ne désire que son bien-être moi aussi.

Azéna avait l'impression que le rituel ne se déroulait pas comme prévu et elle se sentit coupable de mettre ses pairs dans un tel malheur. Tristement, elle ne pouvait rien faire pour eux et Turion ne répondait toujours pas à ses appels au secours.

- Envoyez un message à Reaginn au travers du dragonnier le plus rapide disponible, lança le Grand Maître. Avisez-le de la situation.

Un cri retentit. Il appartenait à une femme. Azéna devinait qu'il devait s'agir de Saphia. Par la suite, il eut une vague de chaleur intense et ce qui semblait être une explosion de lumière. C'était sûrement une boule de feu.

Le temps passa et bientôt, elle sentit quelqu'un la soulever d'une surface froide et dure. La chaleur corporelle ainsi que les battements du cœur frénétique de cet individu lui apporta du réconfort. Elle se sentait comme une poupée de chiffon. Son bras meurtris, elle se rendormit malgré la douleur persistante qui rongeait son petit corps.

✦×✦

- Azéna, susurra une voix caverneuse.

Encore cet individu, ce demi-dragon persistant. L'archère décida de l'ignorer ; il n'était pas important. Elle avait besoin de sommeil. Il fallait qu'elle gagne de l'énergie si elle désirait survivre.

- Azéna ! appela une deuxième voix, celle-ci beaucoup plus aiguë.

Cette-fois, elle sentit une vague d'irritation émerger en elle. Étrangement, elle se sentait assez en forme pour s'asseoir. Il y avait deux ronds jaunes à sa droite qu'elle reconnut comme les yeux d'Argoshin. Par contre, elle dut attendre que sa vision s'éclaircisse pour identifier le deuxième individu.

- Comme on se revoit, ronronna l'elfe des bois encapuchonné qui s'amusait à faire tourner une dague crochue sur elle-même avec ses doigts.

Il était accroupi afin de pouvoir fixer Azéna dans les yeux ce qui énervait la demi-elfe. Elle brisa le contact et l'examina : il portait un accoutrement trop grand pour son corps élancé, ses dents étaient sales, son visage était abimé par de multiples cicatrices et il était courbé vers l'avant. L'identité de son interlocuteur était évidente à présent. Malheureusement, elle n'était pas d'humeur. Elle avait une sale migraine et son bras presque entier brûlait toujours.

- Non, mais on dirait une vermine, insulta l'archère. Tu ne peux pas aller jouer ailleurs ? Pourquoi est-ce que c'est toi qui montes la garde pour me surveiller ?

- Le tact chez cette jeune femme, ricana Vyrius avec sarcasme en souriant. Pour répondre à tes questions: non et parce que je suis en charge du Donjon lorsque Maître Ruvior est absent.

- La galère...

- On m'a avisé de bien prendre soin de toi car, tu n'es pas ici pour une leçon, mais pour ta protection. Honnêtement, tu en mériterais une...

Le ton de la voix de l'elfe des bois était vénéneux, plein de désirs sadiques. Azéna ne savait pas ce qui lui passait par la tête, mais ses suppositions n'étaient pas positives. Énervée, elle se tourna vers Argoshin qui était cloué au mur du fond de sa petite cellule. Son corps entier était dénudé sauf pour un pantalon simple et ses membres incluant ses ailes étaient retenus par des chaînes. Ses poignets étaient déjà rouges, irrité par la friction constante de sa peau contre le métal rugueux.

Choquée, l'archère sentit son cœur se tordre de regrets et elle resta bouche-bée pendant un long moment.

- Je suis la raison pour ceci, réalisa-t-elle en exprimant ses pensées tout haut.

Vyrius poussa un ricanement moqueur. Si elle avait pu l'atteindre, Azéna l'aurait frappée et ce même s'il était un maître. Elle était encore paranoïaque en ce qui concernait le demi-dragon, mais il ne lui avait jamais réellement apporter du mal.

- Je veux lui parler, dit-elle en parlant d'Argoshin.

- Va s'y, dit l'elfe des bois avec intérêt.

- Seule, grogna-t-elle. Je ne suis pas ta prisonnière, mais sous tes services de protection. Accorde-moi un peu de privé.

Vyrius continua son ricanement et disparut dans l'ombre. Son rire sinistre mit beaucoup plus longtemps à disparaître que son physique. Azéna était presque assurée qu'il n'était pas réellement parti, mais à ce point, elle ne pouvait rien faire de plus.

- Pardon, dit-elle en évitant le regard neutre du demi-dragon. J'ai paniqué.

- Je sais, répondit tout simplement Argoshin.

Il désigna le bras de l'adolescente d'un mouvement de tête. Celle-ci tendit son bras exposé en direction de l'homme cornu. Ce dernier l'examina en silence et plus les secondes passaient, plus ses traits s'assombrirent.

Enfin, il parla :

- Il ne te reste que peu de temps.

Azéna se mordit la lèvre inférieure, anxieuse à l'idée de la gravité de sa situation. Elle enlaça son membre comme une mère avec son enfant. Le contact de sa propre chaleur corporel aidait un peu avec la douleur.

- Ils n'ont pas réussi à apaiser Noktow, pas vrai ? questionna Argoshin.

- Je devine que non si mon bras est toujours dans cet état, avoua l'adolescente en grimaçant à l'idée de l'horreur que Terenas et les trois sages eurent à affronter en vain.

- Tu sais... Je peux sceller la Rampante noircissante. C'est ainsi que j'ai convaincu ton capitaine de me faire confiance. Ainsi, il a laissé Sèvia me transporter d'urgence jusqu'à ici.

Les yeux d'Azéna s'écarquillèrent alors qu'elle réalisa qu'elle avait eu complètement tort un peu plus tôt.

- Il est resté derrière pour l'escouade puisqu'ils n'étaient pas en état de voyager, devina-t-elle alors qu'elle rougit de honte.

Argoshin acquiesça et continua son explication :

- Il savait que Terenas pourrait possiblement pas t'aider, mais il n'avait aucune autre solution alors, il t'a envoyé à lui. Lorsqu'il est arrivé à Myssa, je suis venu voir comment vous vous portiez. J'ai bien vu que tu n'étais pas là. Il m'a donc tout raconter.

Azéna sentit une perle de sueur se former sur son front.

- J'ai tendance à sauter aux conclusions...

- Je suis au courant. C'est une faiblesse que tu devrais travailler. Mais premièrement, soignons ton bras, qu'en dis-tu ?

Azéna sourit faiblement et hocha de la tête. Puis, le souvenir de Morcan ensanglanté lui revint.

- Morcan ! Oh non ! Est-ce que... ?

- Il ne va pas bien, informa le demi-dragon avec sévérité. C'est une autre raison pour laquelle ton capitaine est resté à Myssa. Je suis désolé Azéna.

Il fit une pause, probablement afin d'accorder un moment de répit à l'adolescente qui venait de réaliser qu'un ami allait possiblement perdre la vie. Il avait deviné juste si c'était le cas. Le sentiment de remord pesait lourd sur la morale de l'archère, mais celle-ci ne pouvait pas se permettre de se morfondre. Pas maintenant.

- Quoi qu'il en soit, il faut te sortir d'ici, annonça-t-elle une fois remit de ses émotions. Je dois arranger mon erreur... Aussi...

Elle avait honte de terminer sa phrase, mais elle devait s'excuser auprès du demi-dragon. Elle savait aussi qu'il était le seul qui pouvait la sauver de la malédiction qui l'affligeait et qui pouvait lui servir de mentor. Elle avait été idiote de ne pas le voir, mais il était difficile pour elle de dénier sa nature méfiante. C'était tel que pour elle, même un serment ne faisait pas de quelque chose de coulé dans le roc. Les gens ont toujours un choix, qu'importe la situation. Personne n'est parfait, pas même les Gardiens d'Aerinda. Aujourd'hui, elle les trahirait pour aider cet être au cœur bon.

- Tu en es certaine ? questionna Argoshin qui semblait ébranlé par la décision de la dragonnière. Tu te rends compte que cette action serait à l'encontre des désirs de ton Grand Maître ?

- Ce serait de la trahison. Je sais, termina la rebelle pour lui. De toute façon, je n'ai pas le choix. Je dois survivre et Terenas n'a pas réussi à me sauver. Mon destin est entre mes mains à présent.

- Tu grandis déjà, souligna-t-il avec un léger sourire.

- Ouais comment peux-tu savoir ?

- Cela fait quelque temps que je t'observe, avoua-t-il en rougissant légèrement. Je savais qu'il y avait un lien qui nous unissait, mais j'étais incertain de ce qui c'était. Je suis désolé aussi... Je n'ai pas été parfait. Je craignais que tu allais avoir trop peur de moi et que tu allais me reporter aux autres et qu'ils allaient me faire du mal.

Azéna devinait que cet être unique n'avait pas eu la vie facile tout comme elle. Il avait sûrement été victime de violence, d'abus et de harcèlement extrême, un bien pire traitement qu'elle avait reçu.

- Quoi qu'il en soit... J'accepte ton aide et d'apprendre sous ta guidance...

- Dans ce cas, à partir de maintenant, appelle moi Maître, dit-il.

- Mais, mais...

- Il va falloir que tu travail sur ton tact et ton respect pour l'autorité aussi, jeune femme.

- C'est de l'abus, ronchonna l'adolescente en se croisant les bras.

Avant qu'elle ne puisse protester davantage, elle sentit le sol trembler légèrement. Confuse, elle chercha la source de cet évènement étrange et remarqua enfin que son nouveau professeur était en train de pousser de toute ses forces dans une tentative de s'évader.

- Tu es fou ! s'exclama-t-elle.

Argoshin rugit tel un véritable dragon et dans un moment d'inspiration, il brisa trois des quatre chaînes qui retenaient son corps. Il s'élança vers l'avant en se propulsant d'un coup d'aile puissant et la dernière se rompu aisément.

Azéna cligna à multiples reprises, à la fois choquée et inspirée par le demi-dragon.

- Tu aurais pu t'enfuir tout ce temps ? demanda-t-elle avec stupéfaction.

- Oui, je suis plus fort qu'un homme ce que peu de gens savent. J'ai joué le jeu de l'infériorité car je désirais te parler. Je savais que tu allais venir tôt ou tard.

- Bah ça alors... Je n'avais pas le choix avec ce truc qui me ronge le bras, grommela l'archère.

Lorsqu'elle tourna son attention vers son interlocuteur, ce dernier était maintenant directement à côté d'elle. Il n'y avait que des barreaux qui les séparaient.

- C'est un pacte d'honneur alors, dit Argoshin. En plus, je fais le serment de ne jamais te faire du mal intentionnellement. Et pour te prouver que je suis sincère...

Il se trancha la paume gauche avec une griffe de sa main droite. Quelques gouttes de sang se mirent à dégouliner de son membre.

- Qu'est-ce que tu fous ?! s'exclama Azéna. Non, non je veux pas d'un sacrifice !

Argoshin roula les yeux et ignora son commentaire. Il lui tendit sa main mutilée en espérant qu'elle accepterait son offrande.

De son côté, l'archère était répugnée par le liquide visqueux à la teinte étrangement violacé. Elle grimaça et ce sans gêne. Tout-de-même, elle serra la main griffue de son nouveau maître.

- Dégoûtant, commenta-t-elle.

Le demi-dragon eut un sourire satisfait. Azéna lâcha prise et secoua sa main vigoureusement afin de se débarrasser du sang.

- Pourquoi fais-tu tout ça pour moi ?

- J'ai le sentiment que c'est mon devoir en tant que demi-dragon violet, dit-il alors qu'il se créa un bandage improvisé avec le bas de son pantalon. Je suis techniquement un pont entre les mortels et le vol de la vie.

- Mais tu n'es pas qu'un ermite ou un truc dans ce genre ? questionna Azéna.

Argoshin resta sans voix pendant un long moment. C'est à ce moment que l'archère réalisa qu'elle fut un peu trop franche. Heureusement pour elle, le demi-dragon semblait posséder de la patience et un grand contrôle de ses émotions.

- Ça n'a rien à voir peste, déclara-t-il enfin. N'oublie pas notre pacte d'honneur. Je promets de te guider dans ton cheminement et en échange, tu fais un effort pour me respecter et me faire confiance en tant qu'apprentie. Maintenant, partons avant que l'elfe des bois ne revienne.

- Comment sommes-nous censés te sortir de là sans attirer l'attention ? questionna l'archère.

- Nous n'avons pas le luxe du temps, lui rappela le demi-dragon.

Il déploya ses ailes qui étaient aussi larges et hautes que sa cellule, recula jusqu'au mur du fond et chargea. Juste avant d'atteindre la porte, il protégea son bras en le collant à son torse. Il bomba son épaule partiellement renforcit par des écailles et avec tout le poids de son corps, il défonça sa prison.

Un nuage de poussière aveugla Azéna qui toussota à quelques reprises. Elle fut agrippée par une pogne solide et entraîné de force.

- Par où ? questionna Argoshin. Tu dois mieux connaître cet endroit que moi. Guide-moi.

Une vague de fatigue s'empara de la dragonnière et elle marmonna quelques paroles incompréhensibles. Son corps devint aussi mou qu'une poupée et elle sentit sa conscience défaillir. Elle était soudainement si faible que même la douleur de son bras n'existait plus à cet instant.

- Pardonne-moi, entendit-elle.

Deux bras musclés la soulevèrent et elle perdit la notion de ce qui se passait autour d'elle.

✦×✦

Une odeur désagréable de chevaux et de fumiers vint chatouiller les narines d'Azéna. L'image de l'équidé se manifesta dans son esprit, mais il n'était pas seul ; il était accompagné d'un cavalier équipé d'une armure lourde aussi sombre que la lune durant la saison de la mort.

- Noktow ! hurla-t-elle en se redressant, à bout de souffle.

Au même instant, elle avait ouvert les yeux. Haletante, elle prit le temps d'observer ses environs. Un homme ailé était accroupi devant elle et tenait son bras gauche. Son regard semblait loin comme s'il n'était pas véritable présent. Par contre, il était clair que son focus était ce membre partiellement noircis par le maléfice qui affectait la jeune dragonnière. Puis, les lèvres d'Argoshin vibrèrent et ce dernier se mit à psalmodier dans une langue étrangère.

La douleur du bras malade d'Azéna qui était jusqu'à ce moment inexistante refit surface avec vengeance. C'était comme si elle réagissait à Argoshin, comme si elle luttait. Elle devint si intense que l'archère lâcha un hurlement et sentit son cœur se serrer, mais son nouveau maître ne cessa pas son incantation.

- Arrête, supplia-t-elle. Argoshin, arrête!

Des larmes rebelles roulèrent le long de son visage anguleux et elle se mordit les lèvres dans une tentative désespérée de ne pas brailler à nouveau. Elle distingua malgré sa vision embrouillée un flux d'énergie violet qui émergeait du corps entier du demi-dragon et qui faisait son chemin jusqu'à sa main pour ensuite pénétrer sa peau comme une sangsue.

La souffrance était insupportable. En cet instant, la dragonnière perdit toute pensées rationnelles et tira son bras pour le dégager de l'emprise d'Argoshin. Ce dernier serra son emprise et le bout de ses griffes percèrent la peau fragile de la demie-elfe, le tout sans le moindre changement d'émotion. Du sang fit surface et coula lentement, dégoulinant au sol. Azéna savait que si elle continuait de tirer, les griffes allaient lui ouvrir les veines. Elle ne pouvait plus se permettre de bouger alors, elle poussa hurlement après hurlement.

Jusqu'à ce qu'enfin, la douleur s'estompa tranquillement, lui accordant de plus en plus de répit. Peu de temps plus tard, elle n'avait plus mal, mais elle continuait à pleurer à chaudes larmes, incapable de retenir ses émotions. S'en était trop. La torture avait été trop horrible pour ses nerfs qui ne s'étaient pas rétablies aussi rapidement que son corps.

- C'est fini, susurra Argoshin avec tendresse.

Il lâcha prise.

Immédiatement, l'adolescente serra son bras engourdis contre son torse et renifla sans cesse. Elle comprenait qu'il n'avait pas eu le choix, mais elle avait tout-de-même été affectée par l'agressivité de ses actions.

- Tu étais à court de temps, expliqua Argoshin sur un ton consterné. Je suis indéfiniment désolé. J'avais espéré que tu ne t'éveilles pas pendant la procédure. Et... Je ne pouvais pas te permettre de bouger une fois entamée...

Ces mots rassurèrent la dragonnière bien plus qu'elle ne l'aurait cru il y avait un instant de cela. Bien qu'elle se fût calmée, son corps continua se trembler sous le stresse physique.

- Laisse-moi... ummm... Ta blessure..., dit Argoshin avec embarras.

Azéna lui tendit son membre qui saignait toujours légèrement. Le demi-dragon plaça sa main sous le bras de sa protégée afin de le supporter puis, il ferma les yeux. Peu de temps plus tard, le même flux d'énergie violet voyageait de son hôte original jusqu'à la plaie qui se referma en quelques instants.

- Voilà, dit Argoshin après qu'il fut satisfait de son travail.

Encore une fois, il lâcha prise d'Azéna. Cette dernière observa le tout, ébahi par ce miracle. Elle était au courant du fonctionnement de base de l'élément de la vie, mais elle ne l'avait jamais vu en pratique dans une telle situation.

- C'est presque surnaturel, dit-elle. C'est étrange... mystérieux, mais si agréable.

Elle leva le regard et remarqua que son interlocuteur semblait fatigué, encore plus qu'après avoir terminé de sceller la Rampante noircissante. Il avait sacrifié beaucoup de son énergie vitale pour la guérir.

- De rien, murmura-t-il faiblement. J'ai besoin de repos... Malheureusement, nous sommes encore une fois à court de temps. Ils nous cherchent... Ils pensent que je t'ai kidnappé... ce qui fait mon affaire.

- Comment ça !? s'exclama l'adolescente, outrée.

- Je dois m'échapper sans qu'ils sachent que tu es ma complice. Tu dois continuer ta formation de dragonnier. C'est un aspect vital de ton entraînement que je ne peux pas t'apprendre.

L'aéromancienne tourna la tête de tous les côtés et identifia leur emplacement: l'étable de l'Académie d'Archlan. Ce n'était plus étonnant qu'elle s'était éveillée à l'odeur de chevaux et de fumier. D'ailleurs, un étalon à la jolie robe ébène les observait avec curiosité et d'un semblant de crainte.

- Je comprends, dit Azéna. J'ai bien l'intention de respecter notre pacte d'honneur, maître.

- J'en suis ravis, répliqua Argoshin avec un sourire.

Il semblait satisfait du comportement de son nouvel élève et surtout de son acceptance à leurs nouveaux rôles. Au fond d'elle, Azéna se sentait beaucoup mieux depuis. Elle allait enfin pouvoir apprendre à maîtriser l'élément de la vie correctement et ainsi, elle allait pouvoir communiquer avec Turion plus aisément. Elle s'ennuyait du vieux wyrm et elle avait pitié pour lui qui attendait sagement dans un coin de sa conscience qu'elle soit prête pour le supporter. Sa patience et sa bienveillance pour elle étaient si vastes qu'elle se sentait constamment aimé, même dans son silence.

Un glapissement la ramena à la réalité. Devant elle, Argoshin grimaçait et avait les yeux tourné vers son aile droite. Cette dernière partiellement brûlée.

- Tu ne peux pas t'envoler, n'est-ce pas ? questionna l'archère.

- Malheureusement pas, non. J'ai été atteint par une boule de feu lors de ma fuite, expliqua le demi-dragon.

- Tyrath pourrait te venir en aide. Il n'est pas voué aux Gardiens d'Aerinda, seulement à lui-même.

Argoshin acquiesça, approuvant le plan de l'adolescente.

- D'ailleurs... Pourquoi mon bras est-il toujours noirci ? questionna cette dernière en démontrant son membre.

Le demi-dragon baissa le regard au sol comme s'il avait honte.

- La malédiction est scellée, mais elle est toujours ancrée en toi. Comme tu le sais, je ne suis qu'un demi-dragon donc, je suis loin d'être aussi puissant qu'un dragon au sang pur. J'ai fait ce que j'ai pu, mais tu devrais porter cette marque jusqu'à ce que tu rencontres un dragon violet assez talentueux pour t'en débarrasser ou jusqu'à ce que tu développes tes propres pouvoirs.

- Je vois, dit la rebelle qui était un peu déçue de la nouvelle.

Gênée, elle désirait le remercier, mais elle évita le sujet en passant à l'action.

- Bon, allons trouver Tyrath.

Comme planifier, le duo se faufila jusqu'au Nid du dragon et avec un peu de chance, ils réussirent à s'y rendre non détecté par les gardes affolés qui cherchaient pour eux.

- Tu ferais une espionne splendide, complimenta Argoshin.

- Disons que j'ai dû apprendre quels passages sont les moins fréquentés pour m'échapper de situations fâcheuses, avoua-t-elle en souriant bêtement.

- Petite vilaine donc, conclut le demi-dragon.

- Très souvent, admit l'archère dans un gloussement.

Une fois à leur destination, Azéna fit quelques pas en direction de la caverne où elle savait que Tyrath dormait habituellement et celui-ci en sortie comme un bœuf surexcité. Comme d'habitude, il avait surement repéré le flair de sa dragonnière et avant même qu'elle puisse l'appeler, il s'était élancé vers elle.

- Tu es saine et sauve ! s'exclama-t-il avec joie. Ton énergie ! Elle semble être de retour, pas vrai ?

- Exactem...

Sa parole fut interrompue par un sifflement alarmé; Tyrath avait enfin remarqué l'intru. Paniqué, il grogna sans cesse en bombant le torse, défiant le demi-dragon.

- Du calme, lui dit Azéna en roulant les yeux. J'ai accepté son aide... J'ai besoin qu'on m'entraîne à la maîtrise de l'élément de la vie.

- Tu quoi ? lâcha le drake en fouettant l'air avec sa queue épineuse.

- Je t'en prie, coopère avec nous. Tu dois l'emporter à un lieu sécuritaire. Je t'expliquerai plus tard, d'accord ?

Elle s'attendait à ce que son partenaire ailée allait ronchonner et adopté une attitude têtue, mais à sa grande surprise, celui-ci se calma et s'assit.

- Entendu..., répliqua-t-il à contrecœur.

- Tu es le meilleur, complimenta l'adolescente, sachant l'effet que ces mots allaient produire.

Tyrath haussa le regard majestueusement, content de satisfaire sa cavalière.

- Soit gentils, ajouta-t-elle en plissant les yeux avec méfiance. Je vais le savoir si tu n'as pas été correcte.

Cette-fois, le drake ronchonna et laissa Argoshin s'installer sur son dos. Le demi-dragon se tourna vers elle comme s'il attendait quelque chose. Évidemment, il voulait qu'Azéna lui dise au revoir ou un truc du genre. Celle-ci soupira, inconfortable avec ce genre de situation.

- Merci beaucoup pour ton aide, lança-t-elle après avoir ravalé sa fierté.

- Viens me voir dès demain, ordonna le maître avec sévérité. Nous devons débuter ton entraînement.

- Oui, maître.

Pour une fois dans vie, Azéna ne sentit pas un malaise en appelant quelqu'un maître. C'était un sentiment nouveau et elle se sentait comme si elle avait une fait la bonne décision en donnant une chance à Argoshin. S'il était étrange, mais peut-être avait-il un bon cœur.

Le demi-dragon la salua et Tyrath prit son essor, plus gracieux que n'importe quel oiseau de proie dans le ciel et ce malgré sa taille gigantesque.

Azéna retourna à l'académie sans trop porter attention au chemin qu'elle prenait. Par contre, elle devait songer à une explication pour son retour. Tout le long, elle observa son bras noircit en éprouvant un mélange curieux de colère et de soulagement à son égard.

Une fois près du bâtiment fortifié, une voix familière l'arrêta:

- Azéna ! Azéna ! Elysia soit louée !

Elle leva les yeux et aperçut Maîtresse Valkirel qui accourait à sa rencontre.

- Et ne penses pas que tu va-t'en sortir si aisément ! hurla-t-elle en s'adressant à un dragonnier qu'Azéna ne connaissait pas. Tu étais en charge de la garde de l'académie et tu as laissé une dizaine d'elfes gris se faufiler sous ton nez ! Tu as mis une apprentie en danger ! Ohh ! Attends, je n'en ais pas terminé avec toi !

Elle se tourna vers la soi-disant victime et lui offrit un large sourire. Ce changement radical d'humeur éberlua l'adolescente qui avait la soudaine envie de décamper devant l'instabilité de la blonde.

- Pauvre mec, marmonna-t-elle.

- Ça va bien ? questionna Nymia avec douceur.

Azéna s'aurait bien recroquevillée, mais elle ne voulait pas se faire décapiter aujourd'hui. Elle se souvint du plan d'Argoshin et afficha une expression un peu plus anxieuse.

- J'ai réussis à m'enfuir, mentit-elle.

- Tu n'es pas blessée ? continua la maîtresse sur un ton concernée.

Les sourcils froncés, elle se mit à examiner l'adolescente de la tête aux pieds minutieusement. Évidemment, elle fit une pause devant le bras qui était toujours noir.

- La malédiction...

- Oh ça va, je t'assure. La créature a fait l'erreur de mentionner comment on s'en débarrasse et qui aurait cru que c'est avec la maîtrise de la vie ? J'ai eu de la chance de réussir mon coup !

- En effet... toi qui as tant de difficultés avec cet élément...

Elle observait Azéna avec suspicion et cette-dernière le savait. Anxieuse, l'adolescente se gratta le derrière de tête et se mit à dire n'importe quoi:

- Ah hé bien, un coup de chance, eh? Bon, bah, je vais y aller. Je suis crevée ! Mais je vais bien, je vous assure ! Bon râlage ! Heu... Je veux dire, bon disciplinâge !

Elle réalisa sur le coup que disciplinâge n'était même pas un mot.

- Heuu... Oui bon, à plus tard ! Oh... et la créature est partie vers le nord !

En réalité, Tyrath s'était dirigé vers le sud, mais Azéna ne voulait pas qu'on le trouve. Elle salua la blonde de la main et continua son chemin en direction du fort qui lui était si familier. Enfin, elle était de retour chez elle et elle avait hâte plus que tout de revoir ses amis: Fayne, Teriondil, Serfantor et Arièlla.

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