40 - Mur des Pères

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Jour inconnu de la saison de la faux 2448

Ce soir-là, Argent remarque que la lune était brune un peu plus clair ce qui indiquait que la saison de la faux allait bientôt s'éteindre. Cela faisait si longtemps qu'elle ne s'était pas sentit en sécurité qu'elle doutait de son retour à Rikarn. Malgré tout, le groupe de vagabonds avaient atteints le royaume d'Elthen il y avait quelques jours. Le voyage n'avait pas été facile; le désert était sans pitié et surtout, sans source d'eau. Heureusement, Argent s'était assurée qu'elle et son groupe possédaient une trentaine de gourdes d'eau qu'ils portaient dans des sacs à dos avant de s'y aventurer. Même Fooros aidaient à la charge.

- C'est lourd, se plaignait à chaque jour le frère aîné. Mes pauvres muscles...

- Zril nous peinons tous, fit remarquer Shinko. Particulièrement Fooros et Bautog qui transportent la plus grande quantité de gourdes.

- Je sais... Ce que je donnerai pour un lit douillet, une jolie fille à câliner et un bon repas...

Shinko le fusilla du regard, clairement offusqué par le manque de tact de son frère.

- Quoi ? J'ai faim bordel ! rouspéta Zril en montrant ses longues canines blanches, rappelant qu'il était loin d'être humain. D'ailleurs...

Il faufila sa main dans le derrière de ses pantalons, empoigna ce qui semblait être ses sous-vêtements et tira vers le haut. Une longue et mince queue noire en sortit. Cette dernière s'agita avec entrain comme si elle avait sa propre conscience.

- Cache ça ! s'exclama Shinko avec horreur.

- Laisse-le, dit Argent avec douceur. Il n'y a personne dans le coin et il fait nuit.

Zril profita de la défaite de son frère pour lui offrir un désagréable tire de langue en guise de provocation. Shinko eut un mouvement de recul, offensé par l'autre assukar. Il grinça les dents en s'assurant qu'aucune de ses dents pointues ne dépassent de sa bouche.

- Pas de dispute, dit tristement Bautog.

Le colosse avait encore une fois ressenti les émotions négatives autour de lui malgré qu'il ne portait pas attention à la discussion. Il n'était pas très brillant, mais il était sensible à son environnement. D'ailleurs, il avait détecter un désir de malice en quelques personnes que le groupe avait croisé en chemin. Ainsi, ils avaient pu réagir en fonction du danger potentiel.

- Bon, dit Shinko qui s'était déjà remis de sa frustration.

- Désolé, murmura Zril avec ennui.

C'est à ce moment qu'Argent fut distraite par ce qui semblait être une source de lumière au loin. Un petit point scintillait malgré la lourde noirceur de la nuit. Cela devait être une habitation; il n'y avait pas d'autres choix.

- Zril, appela la guerrière.

- Mmhmm ? répliqua l'assukar aîné.

- Peut-être que tu devrais dissimuler ta queue en fin de compte, conseilla-t-elle en pointant devant elle.

Zril suivit le doigt de son interlocutrice et aperçut lui aussi la lumière. Réalisant leur situation, il haussa les épaules et fourra sa queue dans ses pantalons en grognant.

- Puisque tu le suggères si gentiment, dit-il en fixant son frère malgré qu'il s'adressait clairement à elle.

- Merci, répliqua la guerrière avec douceur.

✦×✦

Le groupe de voyageurs arriva à leur destination quelques heures plus tard lorsque le premier soleil apparut à l'horizon. Il était temps car les conditions désertiques du jour étaient pénibles à Elthen. D'ailleurs, le peuple n'errait presque jamais durant ce temps; ils préféraient rester à domicile ou encore, à dormir à l'abri des rayons dans leur maison. Argent avait aussi entendu son père souligner à plusieurs reprises que les Eltheniens souffraient de nombreuses sécheresses et qu'il était souvent impossible de cultiver des aliments à de nombreuses régions. Par contre, la richesse, la production d'armes et d'armures mais plus particulièrement les guerriers étaient ce qui donnait à Elthen son statut de pouvoir suprême. La grande faille de ce dernier était sa dépendance à importer de la nourriture et de l'eau en échange de minéraux rares ou d'argent. Quant à Daigorn, c'était le contraire, rendant le commerce entre les deux royaumes florissants. Spécialement durant une guerre, ils étaient indispensables l'un de l'autre.

Enfin, ils se présentèrent devant la grande muraille dorée dans laquelle était taillée les visages de rois qui avaient autrefois gouvernés ces landes sablonneuses. Cette merveille était nommée Mur des Pères. En effet, il n'y avait aucune tête de femme parmi toute cette virilité. En son centre, il y avait un grand portail protégé par quelques soldats dont deux à la base qui inspectaient les arrivants. La plupart se firent refuser accès, chose qui choqua Argent même en ce temps de guerre. Le long voyage de retour sans la possibilité de marchander des rations et de l'eau était possiblement fatale.

Un gamin et ce qui semblait être son grand-père s'étaient acharnés pour un peu d'eau en retour de quelques pièces. Les gardes s'impatientèrent et dégainèrent leurs épées, menaçants les intrus jusqu'à ce qu'ils obéissent.

- Le beau garde sur ces armes-là, fit remarquer Zril sur un ton moqueur.

Argent fixa son regard sur les objets que l'assukar avait mentionné. Déjà choquée du comportement des soldats, elle était maintenant outrée. Des gemmes couleurs chaudes reposaient sur la garde de chaque épée. Le luxe de ces simples gardes équivalait à un membre de la famille suzeraine de Daigorn.

- Ils pourraient partager un peu d'eau, grogna Shinko. Ils les ont pratiquement envoyés à leur mort.

Le garde de droite offrit un regard noir en direction de l'assukar cadet et chuchota quelques mots à l'oreille de son compagnon.

- On dirait bien qu'ils nous ont déjà mis sur leur liste de rejet, en conclut Shinko.

- Pah ! s'exclama Zril. Pour une fois que c'est toi qui lance des propos injurieux, continua-t-il sur un voix clairement forcé à paraître de haute-société.

- Allez les gars, supplia Argent. Nous avons déjà assez de soucis...

Sur ce dernier commentaire, Bautog hocha de la tête. Ce dernier était comme à son habitude en accord avec la perle de ses yeux qu'il avait juré de protéger jusqu'à son dernier souffle.

Zril croisa les bras et ronchonna, mécontent de sa situation. Puis, il vira la tête vers l'ouest où il savait que Fooros était partit chasser. Évidemment, ils ne pouvaient pas se permettre qu'on aperçoive le grand félidé sombre sans attirer bien des ennuis. Argent pouvait lire de l'ennui et même un peu d'anxiété dans le regard de l'assukar.

Lorsque le gamin et le vieillard qui venaient d'être rejetés par le duo de gardes passèrent à côté du groupe d'amis, ils avaient la mort dans les yeux. Le vieillard aux traits creusés par la fatigue et la tristesse mit une main sur l'épaule de son compagnon en guise d'encouragement.

- Tu n'mourras pas, déclara-t-il de sa voix brisée par l'âge.

Le gamin ne réagit pas ce qui surprit Argent car ce dernier semblait entouré d'une vive lueur comme s'il avait la fougue de se perdre aux gouffres de la rage.

- Mmmm, marmonna la guerrière.

Si elle avait eu le temps et si elle aurait été dans une situation idéale, elle aurait aimée discuter avec le gamin d'une possibilité qu'il accepte de venir sous son aile afin qu'elle puisse le guider et lui apprendre à devenir un grand guerrier. À première vue, il semblait avoir une personnalité de feu un peu comme sa sœur Azéna. Souvent insoumis à un certain degré, ces âmes savent normalement se battre avec la prouesse d'un tigre. Hélas, elle ne pouvait que l'aider à passer au travers de ce cruel désert.

- Tiens, dit-elle en tendant une gourde d'eau dans chacune de ses mains en sa direction. Une pour toi et l'autre pour ton grand-p...

Elle s'arrête nette, réalisant qu'elle ne savait pas si cet homme était son grand-père. Ne désirant pas offenser personne, elle se ne prononça pas un mot de plus.

- Si si, ricana le vieillard. J'suis son grand-papi.

Le fléau de colère qui ravageait l'âme du gamin s'éclipsa presque entièrement. Ses yeux s'agrandirent et son expression devint innocent. Il agrippa les deux gourdes et en offrit une à son aîné. Il leva la tête pour observer sa sauveteuse et ses joues s'empourprèrent comme une boule de feu.

- M-merci, marmonna-t-il.

Le grand-père rigola pendant un instant au courant de ce qui se passait dans l'esprit de son petit-fils puis, il fixa son regard sur l'horizon, balaya l'étendue de liquide dorée et sourit.

- Quelle magnifique désolation.

Il fit une longue pause.

- Soyez bénite jeune demoiselle, dit-il à Argent. Que ce soit la bénédiction de quelconque divinité que vot' cœur chérit.

Il se mit en marche, le petit homme à ses trousses.

Tout ce temps, les trois compagnons d'Argent l'avait fixé avec des grands yeux admiratifs. Zril fut le premier à s'en remettre. Les deux autres restèrent figés comme des statues.

- Frère, tes béguins... Tu sais... Ça devient un peu embarrassant, avoua Zril sans gêne.

Comme s'il avait été relâché d'un envoûtement, Shinko secoua légèrement la tête, fronça les sourcils puis, ses traits s'accentuèrent.

- Je ne suis pas...

Il se tue et soupira profondément.

- Pense donc ce que tu veux, abandonna-t-il. Qu'on en finisse avec cette mission ! Je ne désire que le bonheur et la sûreté de la Dame Argent.

- Ouais... C'est ça..., répliqua Zril avec paresse.

Les deux gardes se mirent à ignorer les voyageurs qui étaient couramment en train de leur expliquer la raison de leur présence au Mur des Pères. Ils échangèrent un regard à la fois curieux et surpris, puis le deuxième fit signe à Argent et sa bande d'approcher. Il y avait au moins une dizaine de personnes en tête de ces derniers dans la file d'attente et ils ne semblaient pas ravis de la passe gratuite des nouveaux arrivants.

- Restez calme et rien ne de malheureux ne vous arrivera, annonça le premier garde sur un ton autoritaire, s'adressant à son auditoire grincheux.

Le deuxième, un peu plus élancé et à la tignasse légèrement plus sombre, ne lâcha pas Argent des yeux. Il semblait attentif et un peu plus amical que son congénère quoi que cela ne vaille pas grand-chose.

- Mademoiselle, commença-il sur un ton poli.

- Monsieur, répliqua la guerrière en lui offrant son plus radieux sourire forcé.

Il se mit à examiner la jeune femme sans explications alors que son compagnon s'assurait à ce que personne ne le dérange, soit en plaçant son épée devant lui comme pour donner un avertissement.

Bautog tressaillit, inconfortable avec cette situation délicate. Le colosse était un peu comme un enfant; il ne savait pas contrôler ses pulsions émotives et bien souvent, il ne réfléchit pas avant d'agir. Les deux frères assukars étaient bien au courant de ce trait et s'exécutèrent avant qu'une tragédie ne frappe.

- Tout va bien aller, lui assura Zril avec la douceur d'un agneau.

- Dame Argent sait ce qu'elle fait, supporta Shinko.

- Vraiment ? questionna Bautog, les yeux brillants d'innocence.

- Bien sûr, dirent les deux frères en chœur.

Les muscles du colosse se détendirent et il semblait soudainement plus en paix avec lui-même. Argent en était ravie et désirait-elle aussi offrir du réconfort à son grand ami, mais elle n'osa pas émettre un son avant que son inspection ne soit complète. Elle se concentra à garder son dos bien droit, à lever la tête et à afficher une expression de confiance digne d'une future reine exactement comme sa mère le lui avait enseigné depuis sa tendre enfance. D'ailleurs, elle n'aimait pas utilisée cette méthode, mais elle devait avouer qu'elle était parfois nécessaire.

- Alors ? s'impatienta le garde à l'épée dégainée.

- Elle semble posséder les caractéristiques physiques décrits par le Prince, marmonna son compagnon. Elle est un peu abattue par contre...

Sur ce fait, Argent était d'accord et une dame de sang noble ne devait pas l'être. Elle devait se défendre.

- Je vous prie de m'excuser bon garde, mais j'ai voyagé longtemps en compagnie de mes valeureux gardes du corps ici présent, soit du royaume du Griffon Bleu jusqu'à ici. Il est bien normal que mes vêtements aient encaissés du dommage durant la route.

Son interlocuteur s'étouffa et toussota à quelques reprises. Le visage empourpré, il acquiesça.

- C'est bon... Quelques-uns de nos chevaliers vous escorteront jusqu'à la capitale dorée Rikarn où le prince se fait maladif tellement il s'inquiète pour vous.

- Le geste est apprécié bon garde, mais comme je l'ais déjà fait mention, je suis déjà entourée de gardes du corps, souligna Argent sur un ton sévère.

La future reine désirait finir le reste de son aventure en compagnie de ses nouveau amis uniquement. Elle allait être très occupée une fois à Rikarn et n'allait sûrement pas avoir beaucoup de temps pour eux. D'ailleurs, il était très possible que les deux frères ne resteraient pas. Après tout, ils étaient des vagabonds. Quant à Bautog... Elle ne pouvait pas l'abandonner.

- M-mais nous devons insister, dit le garde élancé avec hésitation. S'il vous arrive malheur... Le prince nous punirait...

- J'insiste, répondit-elle avec le ton si déterminatif qu'utilisait son père lorsqu'il en avait assez d'argumenter.

- Bon... Comme ma Dame le désire. Avez-vous besoin d'un toit, d'un bain et de la nourriture chaude?

- Cela serait très apprécié.

- J'aviserais donc le propriétaire de la taverne locale de votre arrivée, ma Dame.

Zril se racla la gorge et essaya le filet de bave qui coulait au coin de sa bouche pour paraître pour présentable.

- Si je peux me le permettre, y aurait-il un certain établissement voyez-vous... Un bor...

Shinko plaqua sa main sur le visage de son frère afin d'étouffer ses mots. Il murmura quelque chose à son oreille et le frère aîné grogna, mais il garda le silence.

Le garde leva un sourcil, clairement confus par le comportement étrange de ses interlocuteurs. Il leva le bras et signala les soldats au sommet de la muraille d'ouvrir le portail. L'immense grille de métal fut soulevée par un mécanisme complexe qui fut activé lorsque deux hommes tournèrent chacun une roue.

- Signale le roi de la présence de Dame Argent ! hurla le garde à la tignasse plus sombre que ses congénères. Et avise Wynne qu'elle a besoin de ses services et qu'il la traite comme de la royauté, c'est bien compris Hurlÿn?

- Bien ! s'exclama le garde dénommé Hurlÿn qui fit signe d'un bras à quelqu'un d'autre derrière lui.

Argent s'inclina légèrement en signe de reconnaissance puis, ouvrit la marche en direction du centre-ville animé.

- Je dois avouer frère que ta ruse était impressionnante, complimenta Zril alors que le groupe d'aventuriers s'avançait parmi la foule jacassant de la petite ville sans nom attachée au derrière du Mur des Pères.

Il affichait un sourire en coin et son regard luisait d'une soif de vengeance.

- Qu'est-ce que tu veux dire ? questionna Shinko avec confusion.

Bien qu'il ne comprît pas ce que son aîné racontait, ses joues prirent une jolie teinte rosée.

- Réfléchit un peu pauvre âne, insulta Zril en affichant une grimace moqueuse.

- Oh ! C-ce n'était p-p-pas une ruse, bégaya le cadet, complètement pris au dépourvu. Je disais tout simplement la vérité.

Zril retint un rire, mais son visage se tordit tout-de-même, révélant ses intentions refoulés.

Derrière eux, le portail se referma dans un grognement sourd ainsi qu'un nuage de poussière et de sable. Argent remarqua alors que la ville sans nom était entourée de cette muraille épaisse et qu'elle était fortifiée par de nombreux piquants. Elthen était bel et bien maître de la guerre; mêmes les villes mineures semblaient prêtes à affronter n'importe quoi sauf peut-être un dragon... Mais qui dans ce monde pouvait bien lutter contre de tels créatures, plus particulièrement lorsqu'elles étaient adultes?

- Pas étonnant que père désire si désespérément d'Elthen comme allié.

- Mmmm? marmonna Shinko.

Argent sursauta et tentant de trouver une explication sensée pour ses dires sans révéler qu'elle faisait partie d'un échange pour sécuriser les ressources du royaume de la Coupe Dorée durant la guerre à venir.

- Ce n'est rien, répliqua la dame. Je suis tout simplement impressionnée par mon nouveau peuple.

Impressionnée si, mais pas pour les raisons qu'elle espérait. Elle s'ennuyait déjà de la culture paisible des siens et du paysage venteux, mais frais. Ici, ce n'était que chaleur torride et gorge accablée par les griffes des soleils jumeaux. Et ce sable entêté... Ce n'était vraiment pas pratique pour le mouvement. Par contre, elle pouvait s'y faire à ce beau temps permanent.

- Une taverne ! annonça Zril avec enthousiasme.

Sans attendre ses compagnons, il s'élança à grandes enjambées vers le bâtiment imposant si on le comparait aux des maisons régulières. Comme ces dernières, la taverne était renforcée par des briques couleur paille. Ses fenêtres étaient ovales, chose rare à Daigorn qui adoptait communément un style tirant plus sur le carré.

- Attends ! beugla Bautog qui croisait ses doigts ensembles. Oh...

Le grand gaillard s'était décidément attaché aux assukars malgré son initiale méfiance d'eux. Il paraissait anxieux à l'idée que Zril les devance sans escorte.

- Ça va aller Bautog, rassura Shinko. Il est fou, mais il sait se défendre.

Le barbare se gratta la barbe qui avait besoin d'une bonne coupe. Cela faisait maintenant quelques jours qu'il ne s'en avait pas occupé. Maladroit, il se blessait souvent sur la lame de son couteau durant ce travail et il devenait grincheux. Ainsi, il la laissait pousser longtemps. D'ailleurs, cette crinière lui donnait un style bien à lui et ça le rendait mignon. Enfin, c'était l'opinion d'Argent. Shinko et Zril trouvait qu'il avait un air encore plus intimidant.

- Mais..., commença Bautog qui hésita longuement avant de continuer. Les vilains guerriers...

- On y est presque, dit Shinko. Les soldats ne nous feront aucun mal, surtout pas avec Dame Argent dans le coin.

Le pauvre colosse avait clairement été élevé dans un environnement rural, même probablement dans un simple campement. La vue de toute cette populace, cette activité et sans oublier les multiples marchands qui l'acharnaient, le rendait mal à l'aise. Il tentait d'ignorer tout ce brouhaha en baissant les yeux au sol et en enveloppant son corps de ses longs bras musclés. Son extérieur n'était pas son intérieur et cette faiblesse était évidente.

- Regarde-moi cette belle épée bâtarde, lui disait un vendeur qui était tellement énergétique qu'il en devenait effrayant. Avec ta carrure, tu pourrais décapiter tes ennemis en un seul mouvement !

De l'autre côté, un autre marchand essayait de le charmer avec des gemmes et des pierres précieuses.

- Je peux les façonner sur n'importe quelle surface ! prétendait-il avec fierté. Ton arme, ton armure... Oh ! Tu n'es pas marié ! Même une bague de fiançailles, je peux m'en occupé ! Est-ce ta promise ? Pas le choix avec ton corps de bœuf ! Les femmes aiment ça se sentir en sécurité.

Il continua se causer ainsi sans se soucier si Bautog lui offrait une réplique ou non. Argent avait un peu pitié du gentil colosse. Habituellement, il était dans un endroit peuplé que pour piller et détruire; il ne savait pas comment interagir. Voyant la détresse grandissante de son ami, Shinko lui agrippa le bras et l'entraîna jusqu'à la taverne où il ne ralentit aucunement pour franchir le seuil de la porte que Zril tenait ouverte en grimaçant.

- Quels fous, se dit Argent en souriant.

Une fois au comptoir, elle s'identifia et le visage de l'adolescente qui l'avait accueilli s'illumina immédiatement. Elle appela son père. Aucune réponse.

- Wynne ! rugit-elle avec impatience alors qu'elle posa ses mains sur ses hanches pour adopter un air sévère.

Cette-fois, un cri en réponse provint de l'autre côté de la grande salle dans laquelle une multitude de gens - sûrement des clients - mangeaient, buvaient et ricanaient à leur table respective. Un grand homme qui semblait être âgé dans la trentaine et qui était équipé d'un tablier blanc et de grosses bottes accourut à sa fille comme une gazelle qui avait aperçut un lion.

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il de sa voix caverneuse et inquiète. Le cuisinier est-il encore à son poste ?

Une perle de sueur roula sur son front qui luisait sous la lumière. Il possédait des caractéristiques physiques similaires à Bautog, mais si ce dernier avait été né en Elthen. Sa fille aussi possédait une chevelure sable et une peau bronzée un peu comme presque tous les gens de cette région d'ailleurs.

- Cesse de stresser ma parole ! s'exclama-t-elle Tout va bien.

- Bah alors... ? commença-t-il, semblant confus par l'urgence de sa présence.

- Voici Dame Argent, dit-elle avec un sourire espiègle en désignant la guerrière devant elle. Tu sais... La future épouse du prince...

- Quoi !?! Mais ! Mais ! Je le sais très bien ! Pah ! Tu aurais pu m'avertir Aphrya...

Il se tourna vers Argent et s'inclina profondément pour démontrer sa loyauté.

- Elle est jolie n'est-ce pas ? mentionna Aphrya comme pour tourmenter son père. Regarde-moi ses joues pâles parsemées de taches de rousseur, ses yeux gris fer qui résonnent de puissance et ses magnifiques cheveux châtains qui serpentent le long de son épine. C'est exotique par chez nous.

- Aphrya ! gronda Wynne avec mécontentement. Milles excuses, ma Dame. Aphrya agit en petite délinquante lorsque l'envie lui arrive.

Argent ricana à cette information et lui offrit un sourire bienveillant.

- Ne vous inquiétez pas. J'ai une plus jeune sœur qui me rappelle joliment de votre fille. Peut-être seraient-elles de bonnes amies si elles s'étaient connues.

Wynne toussota et continua :

- De toute façon... Nous avons des chambres de luxe de disponibles... Aucune charge pour vous bien sûr ni pour votre nourriture ni pour tous autres services requis.

Argent allait remercier l'homme de sa générosité quand une voix attira son attention. La source de sa distraction provenait d'une femme assez âgée, peut-être dans sa quarantaine ou cinquantaine, qui était installée sur une scène et faisait face à la clientèle qui était aussi son auditoire. Elle chantait telle une sirène, sa parole n'ayant aucunement été affectée par le temps.

Soyez chérit, ce monde est bon, ce monde est cruel

Comme un écu, deux facettes à multitudes couches

Bénit par deux soleils, n'oublions pas la mystérieuse lune

Sa constante évolution, son cycle, ses humeurs

Les créatures des profondeurs peuvent faire surface

Mais de valeureux défenseurs offrent toute la différence

- Mademoiselle...? appela Wynne qui remarqua que son interlocutrice ne lui portait plus attention.

La jeune Aphrya prononça quelques mots qui traversèrent l'esprit d'Argent comme un bourdonnement en arrière-plan.

- Cette composition, marmonna la future reine. Elle...

- Vous connaissez ? questionna Wynne avec intérêt.

- Mon grand-oncle Cohennar me chantait souvent cette mélodie, avoua Argent. J'étais si jeune... Je ne comprenais pas vraiment, mais il me répétait qu'il appréciait tout simplement ma compagnie et...

La voix sombre et sévère quoique joyeuse de son grand-oncle résonna dans sa tête puis, le souvenir d'elle-même à environs cinq ans qui était installée sur les genoux du fameux combattant domina ses pensées.

- Ton acceptance, dit Cohennar avec un large sourire dissimulé par l'épais buisson de poils qu'était sa barbe ébène parsemée de blanc.

Soudainement, Argent se sentit à la fois nostalgique et reconnaissante. Durant ce temps, son grand-père Hurath était toujours au pouvoir, mais il était malade et sa vie n'était plus très active. Lui et Cohennar ne s'étaient jamais très bien entendu. D'ailleurs, ce dernier était toujours parti à l'aventure et revenait à chaque quatre saisons pour visiter sa famille à Nothar.

- Ne le répète pas car je me retrouverai avec biens des ennuis, mais je t'avoue ma jolie dame que je reviens ici uniquement pour toi, disait-il en offrant un clin d'œil diablotin à la fillette.

Argent ne savait pas si ce que réclamait son grand-oncle était vrai, mais elle savait que celui-ci n'avait pas de femme ni d'enfants. Il vivait pour l'aventure et la bravoure. Il se disait l'épée la plus fine de Daigorn de son époque et la plupart des gens était en accord. Tous sauf son frère Hurath qui ne le portait pas dans son cœur. D'ailleurs, personne n'en avait parler, mais Argent avait aisément discerner le comportement rude et injuste de Hurath vis-à-vis de Cohennar. De son côté, Argent avait toujours appréciée son grand-oncle. Il était à ses yeux une idole à suivre et il avait les meilleures histoires que la cité avait à offrir. C'est de lui qu'elle avait attrapé la fièvre de combattre. Était-ce en parti la raison pourquoi son père était tant ivre à cette idée ? Ou était-ce tout simplement parce qu'elle était une femme ? Peu importe... Kiojar lui avait promis qu'elle pouvait devenir chevalière.

La voix de la femme qui chantait revint hanter ses pensées. Une nouvelle question la persécuta: comment connaissait-elle cette mélodie que son grand-oncle aimait tant ?

- Dame Argent ? appela Wynne avec appréhension. Tout va bien ?

- Oui, répondit Argent en clignant des yeux. Je suis là.

- Enfin bref... Est-ce que cela serait suffisant ?

- Bien sûr. Je vous en remercie. Je ne l'oublierai pas, monsieur Wynne.

Elle ne pouvait pas s'empêcher de défigurer la chanteuse qui ne la remarqua pas. De son côté, Wynne rougit sur les compliments de la jeune dame. Sa fille ne manqua pas ce changement dans la complexion de son père et ricana de plus belle.

- Ça va, ça va, ronchonna le grand homme.

Il tendit deux clés en bronze à sa cliente et s'inclina une deuxième fois.

- J'espère que votre séjour sera parfait, ma Dame.

Lui et Aphrya retournèrent ensuite à leur travail. Argent et ses compagnons se délectèrent sur leur repas: un énorme sanglier rôti à la perfection entouré d'une multitude de légumes. Quelques ananas décoratifs rendaient la présentation encore plus colorée. C'était une tradition à Elthen afin d'honorer la Coupe Dorée.

- Je ne comprends pas, avoua Bautog un peu gêné.

- Les ananas sont de la même teinte que le drapeau du royaume, expliqua Argent.

- Je vois...

Le grand gaillard était un peu mal à l'aise. Il était conscient qu'il n'était pas le plus vif d'esprit et qu'il était ignorant quant à la culture de la civilisation en général. Il baissa le regard vers son assiette et se mit à grignoter à petites bouchées délicates. Il était maladroit avec l'utilisation des ustensils. Normalement, il dévorait tout ce qui lui était offert sans hésitation, mais Argent devinait qu'il tentait se fondre à la foule.

- Bah tu sais, commença Zril en faisant virer sa fourchette sur elle-même sur laquelle était fichée une carotte, je n'en reviens pas que tu disais la vérité. Tu es une future reine ma parole !

Argent cligna des yeux, incapable de comprendre pourquoi son ami pouvait penser une telle chose. Elle n'était pas du type menteur pourtant.

- Tu l'as douté ? questionna Shinko sous le choc. Que tu peux être grossier frère !

Lui aussi ne faisait que jouer avec sa nourriture. Maintenant qu'elle y songeait, Argent ne pouvait pas se souvenir d'une seule occasion où les deux frères avaient avalés de la nourriture.

- Et toi tu croirais ce que n'importe quelle jolie demoiselle te susurrait à l'oreille, rétorqua Zril avec malice. Tu es innocent petit frère.

Argent devait avouer que ses propos étaient un peu difficiles à croire. Pas n'importe qui était issue d'une famille noble et encore moins promis à un membre de la famille royale. L'argument continua ainsi pendant quelques minutes jusqu'à ce que Bautog frappe ses poings sur la table qui fut secouée sous le choc de ses grosses mains puissantes.

- Assez ! hurla-t-il.

Les deux frères s'excusèrent et décidèrent d'aller se coucher tôt, sûrement un coup de fatigue après ce long voyage. D'ailleurs, ils partageaient leur chambre avec Bautog. Argent remarqua qu'ils n'avaient pas touchés à leur repas encore une fois.

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