39 - Le Pestilent

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12e jour de la saison de la mort 2448

- Ouais? questionna Azéna en se rendant compte que Trish et Baldur hésitaient. Sauver Sanah? Oui?

- Je te suis où tu iras, confirma le garde du corps. C'est mon devoir de vous protéger.

La cartomancienne garda le silence malgré la pression qu'Azéna mettait sur elle.

- On ira sans toi dans ce cas, décida l'adolescente qui s'impatientait.

D'un côté, elle désirait se débarrasser de Trish. Depuis l'invasion de son esprit, de son sanctuaire intérieur, elle se sentait colérique face à elle. Si ce n'était pas qu'elle était préoccupée par le bien-être de sa coéquipière, elle lui aurait balancée un coup de poing au visage.

- Viens Baldur, trancha-t-elle sèchement après un moment d'inactivité de la part de Trish.

Avant qu'elle ne puisse tourner les talons, elle aperçut le corps entier de Trish se dissoudre en substance gazeuse puis, se transformer en une dizaine de faucons. L'un d'entre eux poussa un cri qui ressemblait étrangement à la phrase: Je suis désolée. Les oiseaux se dispersèrent et s'envolèrent haut dans le ciel. Sans se soucier de ceux qu'elle abandonnait, la cartomancienne partie en direction des montures, sûrement pour récupérer Hortis.

- Par l'Aspérule Blanche! s'exclama l'archère en clignant des yeux, éblouie par ce qu'elle venait de voir.

- Sûrement un chaman, nota Baldur.

- Cette conclusion me parait logique. Les chamans ont des pouvoirs spirituels étranges, quasi-impossible à expliquer.

Soudainement, une présence à la fois intimidante et rassurante se prononça dans l'esprit de la jeune dragonnière. Celle-ci faillit tomber à la renverse, perdant son équilibre momentanément.

« Mes excuses pour cette intrusion soudainement, mais le dragonneau a raison, grogna une voix caverneuse. »

« Ah te voilà Turion, répliqua Azéna au wyrm violet qui résidait dans les tréfonds de son subconscient. Dit, pourrais-tu m'aider à secourir Sanah? »

Rapidement, l'essence puissante de Turion se mit à engloutir l'esprit de son hôte. Le corps d'Azéna faiblit et elle tomba sur un genou.

- Gah, se lamenta-t-elle. Urgh... A-arrête! St-top!

Alarmé par la conduite étrange de sa coéquipière, Baldur s'approcha d'elle et l'examina avec inquiétude. Il ne remarqua heureusement pas l'unique écaille violette qui était apparu sur son pouce droit.

- Tout va bien, lui mentit-elle.

Dans l'espace d'un instant, la présence de Turion se volatilisa en un rien et l'inconfort d'Azéna cessa.

« Décidément, tu ne pourras pas m'aider, conclut Azéna avec déception. Je suis encore trop faible pour te supporter. »

Elle grinça les dents, frustrée avec elle-même. Elle devait maîtriser l'élément de la vie et rapidement, mais c'était un élément si complexe, si différent de ses frères.

- Nous avons assez perdu de temps. Allons y.

Elle se leva trop rapidement et tituba pour ses quelques premiers pas avant de s'habituer au poids de son corps. Baldur paraissait toujours concerné ce qui n'étonnait en rien l'archère. Le pauvre gamin ; il ne devait pas comprendre ce qui arrivait à sa coéquipière. Tout de même, il ne ronchonna pas et la suivit.

En se frayant un chemin entre les multiples tentes, Azéna jeta un coup d'oeil à son pouce qui était revenu à la normal. Rassurée, elle poussa un soupire et dédia toute sa concentration à leur recherche.

Dehors, c'était la pagaille. Clairement, les membres du Sang du Dragon avaient été informés de la présence de l'escouade. Il y avait des hurlements, des gémissements, des ordres beugler, des cliquetis de bottes et d'armures et des bruits de fer qui frappait contre le fer, indiquant au moins une source de combat. Où exactement? Il y tant de différents sons qu'Azéna n'arrivait pas à discerner l'emplacement de la lutte. Quoi qu'il en fût, elle n'avait pas remarqué de dragon, eux qui auraient dû être évidents à l'œil. Reaginn était sûrement trop occupé pour envoyer le signal. C'était donc à Azéna de s'en charger.

- Merde, grogna l'archère.

Le pleur d'un bébé perça au travers du chahut. Instinctivement, Azéna fit demi-tour à la grande surprise de Baldur puis, elle tourna vers la droite. Son champ de vision était obstrué par une tente à moitié déchiquetée, mais elle savait que derrière celle-ci se trouvait le bébé et peut-être aussi Sanah.

- Devrions-nous pas lancer le signal? questionna Baldur sur les talons de l'adolescente. Les dragons pourraient nous apporter un avantage indispensable.

- Mais Sanah, hésita Azéna. Nous n'avons pas le temps Baldur. Si elle est là où est ce bébé, nous pourrions la perdre encore une fois.

- Ils sont bien trop nombreux, rétorqua le garde du corps.

Celui-ci exprimait son opinion avec insistance ce qui était hors-norme pour lui. Il devait être inquiet car même s'il était un expert en matière de combat, il restait tout-de-même humain et il possédait ses limites.

- Je ne peux pas perdre un autre de nos frères et sœurs, trancha Azéna avec furie. Je ne me le permettrai pas!

Les émotions de l'archère faisaient surface ; elle avait beaucoup de regret par rapport à ce qui s'était passé avec Umah et Yuzia.

Un autre pleur de bébé déchira le vacarme qui faisait rage autour des deux compagnons. Ce cri désespéré motiva encore plus Azéna qui accéléra sa course, laissant Baldur derrière. Le pauvre humain ne possédait pas la vitesse et l'agilité d'un demi-elfe et perdait du terrain. Il appela sa partenaire, mais celle-ci l'ignora, trop concentrée sur son but.

Après avoir tourné un autre coin, l'archère trouva le bébé qui pleurait à chaudes larmes dans les bras de Sanah. L'herboriste observait le même barbare qui l'avait emporté avec lui plus tôt du coin de l'œil. Le père du bébé, semblant décédé, était étendu aux pieds de ce dernier.

Sur instincts, Azéna agrippa son arc et une flèche et se prépara à tirer sur l'homme à la musculature de bœuf. C'est à cet instant que sa cible ainsi que Sanah l'aperçut.

- Elysia soit louée, dit l'herboriste dans un soupir de soulagement.

Le barbare poussa un grognement puis, un cri de guerre ce qui poussa Azéna à le menacer davantage avec son arme en visant directement entre ses yeux. Entre temps, Baldur rattrapa l'adolescente et analysa la scène.

- Que s'est-il passer? questionna-t-il.

- Elle! vociféra le barbare en pointant Sanah du doigt.

Azéna crut comprendre que c'était Sanah qui avait arraché la vie au père de l'enfant.

- Ils allaient me violer! pleurnicha Sanah. Je n'avais pas le choix.

Entre ses petits doigts fragiles, elle tenait un flacon à moitié vide qui contenait un liquide visqueux brun verdâtre. Azéna l'identifia immédiatement comme un poison létal habituellement préparé par un alchimiste qui agissait silencieusement en premier temps, puis attaquait le coeur et provoquait une mort subite. Pour confirmer cette théorie, Azéna examina le cadavre et remarqua que sa main serrait son cœur.

- Ouaip..., se dit-elle. Dire que les cours de Maître Ruvior sont utiles dans cette situation...

Elle se rappelait clairement de l'assassin qui en discutait avec ses élèves durant le deuxième semestre de sa première année. Il n'avait pas révélé comment en concocter; ça restait le rôle des alchimistes, mais il en avait expliqué l'apparence physique et les symptômes.

- La Mort Kaki, murmura Baldur.

Le barbare fit un mouvement rapide. Il s'approcha de Sanah, puis il recula comme s'il essayait de s'en prendre à elle, mais sans vouloir la toucher. Il semblait confus, incapable de se décider de s'il allait attaquer ou partir.

- Ne bouge pas! ordonna Azéna d'un ton sec et impérieux.

Elle le suivait du regard, s'assurant qu'elle visait toujours une partie mortelle de son corps.

- Une flèche et tu crèves, insista-t-elle.

Le barbare grogna, semblant au bord de la panique tellement il était frustré. Finalement, il pointa l'enfant et renifla comme un animal.

- Qu'en penses-tu Sanah? questionna Azéna qui se jugeait inapte à prendre une décision à ce sujet.

- Cet enfant va grandir pour tout simplement devenir un guerrier sanguinaire, répliqua l'herboriste.

La demi-elfe prit une grande respiration. Elle savait ce qu'elle devait faire à présent: sa première mise à mort pour le bien de son escouade et de ce bébé. Elle fronça les sourcils, se concentrant sur sa cible. Elle ne désirait pas le faire souffrir donc, elle devait bien viser.

- Rahza'bin? Rahza! vociféra le barbare dans une langue crue.

Il perdait patience ; il fallait faire vite. Azéna décocha et espérait de tout son coeur que sa flèche reste sur le droit chemin. Le barbare réalisa ce qui se passait et tenta d'éviter son arrêt de mort. Baldur couru en sa direction, levant ses deux haches au cas où l'ennemi survive.

- Tokhùyl! hurla le barbare qui semblait s'adresser à l'enfant.

Il s'effondra lourdement au sol comme si on lui avait fait un croc-en-jambes bien placé. Il se tortilla comme un serpent pendant un long moment avant de perdre conscience. Baldur retira la flèche de son cou, l'essuya et la rapporta à sa propriétaire. Lui, le barbare, Sanah et même le bébé étaient tâchés par le sang de la victime qui s'était transformée momentanément en une fontaine humaine. D'une main tremblante, Azéna accepta la flèche et l'observa pendant un instant. Elle prit plusieurs grandes respirations, réalisant l'acte qu'elle venait de commettre. Son coeur qui battait la chamade trahissait son apparence extérieure qui semblait calme à autrui.

- Tu dois envoyer le signal aux dragons, lui conseilla Sanah qui nettoyait la joue de l'enfant avec sa manche.

Azéna hocha la tête, rangea son arc et s'exécuta. Pendant qu'elle rassemblait une large quantité d'air en la faisant tourbillonner autour d'elle-même, ses deux compagnons surveillaient ses arrières. Sanah berçait le bébé d'un bras et tenait une dague de l'autre. Baldur sondait les environs à la recherche d'un mouvement, ses deux haches en mains.

Azéna était presque prête à envoyer le signal lorsqu'une ombre passa dans le coin de sa vision et la déconcentra.

- Continue, ordonna Sanah. Aie confiance en nos habilités.

L'archère obéit. Elle entendit un bruit de fer frappant contre le fer qui provenait d'où était positionné Baldur puis, le silence fut pendant un long moment. Paniquée, croyant que son garde du corps était atteint, elle tourna la tête.

- Bonne défense gamin, complimenta le nouveau-venu d'une voix mielleuse trop familière.

- Ruvior! s'exclama Azéna, outrée par son capitaine. J'ai failli faire une crise de cœur!

Reaginn était effectivement là en position d'offense alors que sa dague croisait le fer avec la hache droite de Baldur. Les deux guerriers se détendirent et se félicitèrent de leurs belles performances.

- Vous êtes deux parfaits idiots, grogna Sanah. Hé, nous ne sommes pas hors de danger!

Un bruit de bottes étrangères retentit et semblait s'approcher, provoquant une réaction agressive de la part de Baldur qui s'élança immédiatement vers la source du son.

- C'est moi! hurla un homme.

Baldur s'arrêta net.

- Morcan, dit le gamin calmement.

- Bah oui, répliqua l'élémentaliste irrité. Notre si galant capitaine est parti en course et m'a laissé dans sa poussière.

- J'avais crus entendre la voix d'Azéna, expliqua le capitaine. Tu étais trop lent à réagir.

- J'avais un de ces gorilles poilus à mes arrières!

- Désolé, dit tout simplement le rôdeur sur un ton neutre.

Morcan baissa les bras, découragé par l'attitude de son capitaine.

- Il s'en fout... Bien sûr.

Pendant ce temps, Azéna eut la chance d'envoyer le signal. Légèrement essoufflée, elle s'assit en croisant les jambes. Elle n'eut pas la chance de regagner son souffle qu'un poigne ferme agrippa son collet et la souleva par arrière.

- Qu'est-ce que...? Qu'est-ce qui se passe? vociféra-t-elle en se débattant.

- Du calme, ordonna Reaginn sèchement.

Le rôdeur la lâcha et se mit à la fixer sévèrement. Maintenant debout, elle put le défiée d'un regard rempli de colère. Comment avait-il osé la soulever comme ça sans sa permission?

- Ne t'assois pas, dit Reaginn. L'ennemi nous cherche. Aussi... Où étais-tu passée? Il y avait une embuscade. Nous sommes chanceux moi et Morcan d'en être sorti vivants. Tu étais supposée envoyer le signal si nous nous faisions repérer!

À la dernière phrase, le capitaine était sur le point d'hurler. Sa voix n'avait cessé de monter à mesure qu'il exprimait sa déception. Heureusement, il s'en rendit compte et s'arrêta là.

Azéna ne savait pas trop quoi lui répondre; elle avait gaffé. Elle avait laissé ses émotions et son impulsion prendre le contrôle de la situation et ça aurait pu mal tourner.

- Elle m'a sauvée, informa Sanah.

Reaginn se tourna vers l'herboriste en haussant les sourcils, surpris de sa réclamation.

- C'est vrai, continua Baldur avec les joues rosées, sûrement par la honte. J'ai réagi trop lentement... J-je pensais trop... Je suis désolé capitaine.

Les traits faciaux de Reaginn s'adoucirent et il porta son attention sur l'enfant que Sanah portait dans ses bras.

- J'ai tué son père, expliqua l'herboriste. Il n'y avait pas d'autre choix... J'étais leur prisonnière et j'avais une fiole de Mort Kaki sur moi... Alors... J-je l'ais utilisée... Le deuxième était si choqué et il ne comprenait pas comment son compagnon était soudainement décédé, alors il nous voulait pas m'approcher. Il refusait aussi de partir car, j'avais Tokhùyl avec moi... J'étais dans une position très délicate. Azéna est arrivée et elle l'a achevée d'une seule flèche.

À cette prouesse, Azéna sentit son visage surchauffer par la gêne. Pendant un instant, les yeux de Reaginn s'agrandirent comme s'il était impressionner puis, il regagna sa sévérité.

- Tokhùyl?

- L'enfant, dit Sanah qui semblait un peu embarrassée. J'aimerai bien l'adopter. Voyez-vous, il serait entouré de guerres, de sang et d'événements horribles dans un tel entourage.

Azéna croyait que Reaginn allait enfin perdre son sang-froid, mais au lieu, c'était Morcan qui était devenu blême. Sa lèvre inférieure trembla comme s'il essayait de dire quelque chose, mais enfin, il garde son silence. Il savait que les dragonniers n'étaient pas supposés formés de familles ni d'avoir d'amoureux ; il ne pouvait pas réagir sans révéler sa relation romantique avec Sanah qui ne faisait que débuter.

- Discute avec Grand Maître Terenas, informa Reaginn. Ce n'est pas ma place à prendre une telle décision. Au pire, nous pourrons l'escorter à une famille qui l'acceptera.

Il se tourna vers les autres et se mit à expliquer leur prochaine stratégie: se dissimuler pour fausser leur retraite, attendre l'arrivée des dragons et compléter la mission avec rapidité et agressivité. Ceci fut aisé : l'escouade se tapit dans une tente abandonnée et se submergèrent dans l'ombre que Morcan manipulait. Plusieurs fois, une sentinelle vint vérifier l'habitation à la recherche des envahisseurs, mais il n'aperçut rien.

Petit à petit, le chaos du campement se retira pour enfin disparaître. Ce calme était infernal pour Azéna car elle savait que ce n'était que temporaire. Bientôt, elle serait jetée au combat où sa vie sera en danger encore une fois en si peu de temps. Ses nerfs menaçaient de lâcher. Elle en avait eut assez de tout ce sang, de tous ces massacres, de tous ces décès incluant celui qu'elle avait causée de ses propres mains. Le pire dans tout cela, c'est qu'elle ne pouvait pas s'exprimer: elle était à la merci de leur situation délicate. Elle devait rester tranquille comme une bonne petite fillette. Ils ne devaient pas se faire repérer.

✦×✦

Une éternité semblait avoir passé alors que enfin, un rugissement bestial fit trembler le sol sous ses pieds. Il n'y avait aucun doute: c'était bel et bien un dragon. Aucune créature n'était assez grandiose pour faire ce genre d'effet simplement avec leur cri. Et ce devait être un dragon au moins adulte.

Reaginn fit signe aux autres de ne pas bouger.

Silence. Puis, un deuxième rugissement, celui-ci moins puissant, mais tout-de-même féroce à sa manière. Un troisième : ce dernier était encore lointain, mais il était familier. C'était Tyrath. Azéna en était certaine.

Le bruit d'ailes constant devint de plus en plus distinguable. Un être normal aurait levé le camp et aurait pisser ses pantalons, mais Azéna sentit une confiance absolue fortifier son âme. Le campement devint encore une fois une anarchie totale. C'était la panique générale.

- Allez! ordonna Reaginn.

Morcan relâcha l'ombre à son emprise et faillit s'effondrer de fatigue, mais il suivit les autres hors de la tente. Azéna attendait son tour alors qu'une violente brise secoua l'habitation rudimentaire dans laquelle elle se trouvait. Les dragons étaient là.

Quand Azéna eut la chance de sortir de la tente, elle trouva le campement à moitié ravagé. Le terrain lui-même était changer par la performance formidable de Sidon qui ne faisait qu'élever et abaisser le sol sous les pieds des barbares. Le dragon brun était petit, mais il avait clairement du cran. Il pouvait manipuler son élément tout en défonçant les os d'un ennemi avec son crâne qui était plus solide que n'importe quelle écaille de dragon. Tyrath et Sèvia balayaient un peu de tout sur leur passage avec des bourrasques gigantesques. Maratid inspectait les environs en patrouillant haut dans le ciel comme un vautour. Enfin, Telyx se posa près de l'escouade.

- Ils étaient tous très en colère, expliqua-t-il avec remords.

- La destruction de ce camp est la bienvenue, répliqua Reaginn à la grande surprise d'Azéna.

- C'est ce que Sèvia nous assurait, mais j'avais mes doutes... C'est un peu... radical à mon avis...

Le rôdeur eut un sourire en coin comme si les actions de sa dragonne lui plaisaient.

- De toute façon, toi et Morcan allez trouver Yuzia et libérez-la. Je sais qu'elle se trouve quelque part au nord du campement.

- Je désires accompagner Telyx et Morcan, avoua-t-elle en s'avançant.

Reaginn fronça les sourcils et y songea pendant un instant avant de répliquer.

- Tu prends la libération de ces deux-là à cœur, n'est-ce pas?

Azéna hocha de la tête et sentit une perle de sueur rouler le long de son front, sûrement du au stress.

- Vas-y, mais ne fait rien sans le consentement de Morcan et de Telyx, tu m'as bien compris? grogna le capitaine.

- Oui capitaine! s'exclama Azéna.

Un autre rugissement fit trembler la terre sous leurs pieds. À ce son, Reaginn marmonna quelques mots incompréhensibles, puis il fixa son regard sur Azéna, Telyx et Morcan.

- C'était Sèvia, dit Morcan.

- En effet, répliqua le capitaine. Elle semble désirer qu'on la rejoigne. Allez tous les trois. C'est sûrement important.

L'élémentaliste enfourcha son dragon noir et aida Azéna à monter et à s'installer derrière lui. L'archère s'accrocha à son compagnon et leur monture piqua vers le ciel en un puissant battement d'ailes. Azéna avait toujours du mal à s'habituer à l'odeur humide et semblant moisit des dragons noirs, mais elle ne réagit pas par respect pour le noble Telyx. Les écailles de celui-ci étaient gluantes malgré la sécheresse du désert. C'était impressionnant.

Telyx fit quelques rondes au-dessus du campement avant d'apercevoir la dragonne grise qui était en train de déchiqueter une énorme tente. Un barbare arriva de derrière elle et ficha son énorme hache de guerre dans sa large queue. Elle poussa un gémissement plaintif, fit volte-face et propulsa le guerrier dans les airs d'un violent coup de patte. Un craquement confirma que celui-ci était mort directe, sa colonne vertébrale brisée à l'impact.

- Bien joué Sèvia, complimenta Telyx qui atterrit aux côtés de la grande femelle. Cet humain ne devrait pas oser nous toucher!

- Aidez-moi à me débarrasser de cette étrange cage infernale, ordonna-t-elle dans un grognement irrité.

À cet ordre, Telyx figea et renifla à multiple reprises.

- Je le sens moi-aussi, informa-t-il.

- Qu'y-a-t-il? demanda Morcan.

- C'est Yuzia sous cet étrange matériel que vous appelez une tente.

Le cœur d'Azéna sembla s'arrêter pendant une bonne minute à cette découverte. Enfin, elle avait atteint l'un de ses buts: délivrer Yuzia. Souriant, elle se laissa bercer par son accomplissement et se mit à déchirer la tente avec sa dague.

- Elle devrait être capable de s'en défaire, remarqua Morcan. Il y a quelque chose de plus ici...

Avec du travail d'équipe, les deux dragons et les deux dragonniers débarrassèrent Yuzia de son enveloppe seulement pour découvrir qu'elle était clouée au sol, ses mouvements complètement obstrués par plusieurs chaînes aussi larges que le torse d'un humain qui serpentaient autour de son corps. Elle ne pouvait même pas ouvrir la gueule, un ajout qui était probablement nouveau puisque l'escouade l'avait bel et bien entendu plus tôt. Cette vue désola Azéna qui savait à quel point ses créatures accordaient de l'importance à leur liberté et à leur fierté.

Lorsque la dragonne aperçut Azéna, ses yeux s'illuminèrent légèrement et elle secoua sa tête avec vivacité en vain. Impatiente, elle tortilla son corps malgré sa situation difficile. Elle renifla un bon coup et se mit à gratter le sable se ses griffes avant. Ses efforts n'apportèrent que des résultats très limités.

- Ombre et vent, dit Telyx en observant les chaînes. Ce n'est pas suffisant. Si seulement nous avions un dragon rouge avec nous... Le feu nous serait utile pour fondre le fer malicieux.

- Vous êtes puissants toi et Sèvia, fit remarquer Azéna. Je veux dire physiquement.

- Et alors?

- Soulevez les chaînes!

Telyx gratta son menton d'une griffe, réfléchissant à la proposition de l'adolescente.

- Je ne suis certainement pas le plus fort physiquement, mais je suis tout-de-même un dragon. Ça pourrait fonctionner, surtout avec moi et Sèvia.

- J'approuve, dit Sèvia avec un sourire en coin. Si nous ne pouvons pas les briser, nous pouvons les arracher de la terre!

Un petit groupe de barbares virèrent un coin et aperçurent le groupe qui se préparaient à libérer Yuzia. Ils rugirent et chargèrent, leurs armes levées vers le ciel à peine illuminé par la lune qui se faisait de plus en plus sombre, presque complètement noire.

- Protégez-nous! ordonna Sèvia. Nous ne devons pas être interrompus!

La dragonne grise et le légèrement plus jeune Telyx agrippèrent chacun une chaîne du côté opposé de l'autre, prirent leur envol et tirèrent vers le haut. Immédiatement, l'effet ressenti. Les crochets fichés profondément sous le sable frais commencèrent à céder.

- Allez Telyx! encouragea Sèvia avec passion.

Le crochet du côté du dragon noir avait moins réagi ; après tout, ce dernier était moins fort que la dragonne. Il redoubla d'efforts et battit furieusement des ailes.

- C'est ça Telyx! beugla Azéna.

- Porte attention à l'ennemi! avertit Morcan.

L'élémentaliste venait d'aveugler le barbare qui s'apprêtait à frapper Azéna de son épée bâtarde en engouffrant son visage dans un nuage d'ombre. Le guerrier balança son arme qui manqua sa cible d'un cheveu. Azéna sentit la petite brise près de son oreille droite et contre-attaqua en plantant sa dague dans la jambe musclée de son assaillant. Ne le laissant pas réagir, elle invoqua une bourrasque et le repoussa. Le guerrier frappa ses alliés et en empala un de son épée dans ses mouvements erratiques.

Azéna n'aimait pas l'idée de tuer, alors elle réussit à utiliser le vent à son avantage de sorte à ce que ses ennemis blessèrent les leurs. S'ils perdaient la vie, ce n'était pas directement des mains de la demie-elfe. Ce n'était pas beaucoup mieux, mais ça l'aidait un peu à faire face à ce qu'elle devait commettre pour sa survie.

Alors que le dernier ennemi tomba, les chaînes de Yuzia furent enfin libérées du sol, laissant la dragonne brune bouger de son propre gré. Elle se débarrassa de la muselière en fer qui l'empêchait d'ouvrir la gueule et poussa un rugissement terrifiant qui suggérait qu'elle avait énormément souffert durant son séjour avec le Sang du Dragon. Elle acheva les deux barbares que Morcan et Azéna avaient tout simplement affaiblis au point où ils étaient impuissants en enfonçant une griffe directement dans leur crâne.

- C-ce n'était pas nécessaire, bafouilla la demie-elfe.

Yuzia tourna la tête vers son interlocutrice et rugit à nouveau.

- Ne me dit pas quoi faire humanoïde, cracha-t-elle avec véhémence.

Azéna fut secouée par l'émotion négative de la dragonne, mais elle se souvint de la douceur de celle-ci face à son dragonnier.

- Pardonne-moi Yuzia. Ce n'était pas ma place de te lancer une telle remarque.

- Certainement pas, répliqua-t-elle, cette-fois avec un peu plus de calme.

Elle ferma les yeux et ralentit sa respiration, probablement pour retrouver son centre, sa sérénité. Personne ne la dérangea pendant ce temps.

Lorsqu'elle s'agita, elle posa son attention sur la demie-elfe. Elle approcha son museau de sa chevelure et renifla à quelques reprises.

- Partez, murmura-t-elle assez fortement pour que Telyx, Morcan et Sèvia puisse entendre.

- Que veux-tu dire? questionna Telyx en penchant la tête d'un côté en signe de confusion.

Yuzia renifla encore une fois, cette-fois plus longuement.

- Quelque chose de plus grand est en jeu ici. Partez, maintenant!

- M-mais Umah, dit Azéna dans un moment de faiblesse.

- Je peux m'en occuper seule, siffla la dragonne. Partez! Le temps nous manque!

Elle était terriblement insistante et cela inquiétait grandement Azéna. Devait-elle l'écouter? Devait-elle reporter cette information à son capitaine? Devait-elle rester malgré l'avertissement? Elle chercha pour Tyrath du regard, apeurée pour sa sécurité. Le jeune drake argenté paraissait sain et sauve. Il observait le campement du ciel en compagnie de Maratid. Tout paraissait sous contrôle.

- Je ne vois pas ce que tu veux dire, avoua Azéna en accordant son attention à Yuzia.

- Je ne sais pas ce qui se passe, informa Yuzia avec impatience. Pas exactement... Mais je sais que le Sang du Dragon a préparé quelque chose pour vous et que ce n'est certainement pas bon.

Morcan s'approcha et prit la parole:

- Ça va Yuzia. Nous avons la situation sous contrôle. Que peuvent-ils faire contre une troupe au complet de dragons et de dragonniers?

- Ne penses-tu pas qu'ils ont anticipés cela, idiot? grogna Yuzia.

- Touché, sifflota Azéna.

- Bon... Partez, répéta Yuzia. Et Azéna, je dois t'avouer que-

Elle poussa ce qui semblait être un sifflement, mais qui se termina en rugissement. Elle se tortilla dans tous les sens comme si elle avait été brûlée un peu partout. Azéna cherche la source de sa torture, mais elle ne détecta la présence de personne de suspicieux.

- Où? Où !? se fâcha-t-elle.

La dragonne se calma, mais son visage était tordu par la douleur. Elle n'arrivait pas à parler. Clairement, elle était toujours une victime.

- Tu es venue, dit une voix grave avec un accent relativement prononcé.

La langue commune n'était pas la langue maternelle du nouveau venu. D'ailleurs, il semblait éprouver une légère difficulté à prononcer ses mots lorsqu'il parlait.

- J'espérais que tu courais à la rescousse de mon cher fils, continua l'homme.

Une silhouette aux épaules carrés et à la stature intimidante émergea de l'ombre. Ses longues oreilles pointées vers l'arrière révélèrent sa race comme étant elfe sylvaine. Les deux énormes bois de cerfs qui saillaient de son front l'identifièrent immédiatement: Erurawin. Les détails de son visage n'étaient pas évidents dans la pénombre, mais on pouvait aisément distinguer son immense barbe qui descendait jusqu'à son torse. Il semblait faire au moins deux têtes de plus haut qu'Azéna; il était gigantesque. Comment était-ce possible? Avait-il grandi? Était-ce bien lui? Ce n'était pas tout: ses cheveux étaient longs à présent. Il portait la même robe de rituelle étrange, il avait les pieds nus et il portait une paire de brassards en métal sombre et des gants munies de deux griffes de fer acérées.

- Erurawin? questionna la demie-elfe qui se souvint de sa rencontre aigre avec le chaman noir.

- Tu te souviens de moi, dit Erurawin. J'en suis flatté. En plus, tu m'as reconnue ce qui est encore plus impressionnant.

Alors, il était en tête des chamans noirs et possiblement du Sang du Dragon. Il était certainement important. Ainsi donc, elle n'avait pas rêvé les changements physiques du chaman. Mais au final, ça importait peu.

- Je vais te découper en morceaux, menaça Azéna en serrant les poings.

- Est-ce que ton capitaine serait d'accord avec cela? répliqua-t-il avec une touche de moquerie dans sa voix.

C'est à ce moment que le reste de l'escouade, incluant les dragons firent leur arrivée. Lorsque Azéna aperçut son supérieur, sa rage diminua, laissant place à de l'incertitude.

- Voilà qui est une bonne fille, continua le père d'Umah.

Les traits de la demie-elfe devaient s'être adouci, laissant paraître ses émotions. Elle se sentait comme une gamine face à cet elfe qui pourrait sûrement lui démolir le visage en un coup de poing bien placé. D'ailleurs, les elfes avaient un physique habituellement plus svelte. C'était si étrange, voir troublant de faire face à un tel monstre. À bien y penser, Umah commençait à se faire baraquer lui aussi.

Enfin, Azéna remarqua que le chaman avait une de ses grandes mains ouvertes en direction de la dragonne. Ça devait être lui la source de son martyr.

- Arrête, grogna l'archère qui était dans une humeur infernale.

Erurawin eut un sourire en coin, semblent ravis de la défiance de son interlocutrice.

- Où est Umah? continua Azéna. Comment as-tu pu faire une telle chose à ton propre enfant et sa partenaire de vie?

Aucune réplique de la part du chaman mis à part que celui-ci ferma sa main en un poing. Quoi qu'il fît, cela provoqua un spasme dans le corps entier de Yuzia qui gémit dans son agonie.

- ARRÊTE! hurla Azéna qui commençait à voir des petits points noirs dans sa vision.

Elle était trop préoccupée par le chaman pour se rendre compte du malaise du reste de son escouade. Même Reaginn avait de la difficulté à le cacher; il avait du mal à se tiendre en place. Des tics nerveux tels que ses doigts qui jouaient constamment avec une dague trahissait son calme. Ils avaient compris quelque chose qui n'était pas venu à l'esprit d'Azéna.

- Tu ferais une chaman noire prodige, commenta Erurawin.

- Dans tes rêves, cracha Azéna comme si l'elfe était une ordure.

Erurawin changea légèrement son angle, ses petits yeux sombres se posèrent sur Sanah qui portait le jeune Tokhùyl.

- Cette vie ne t'appartient pas, dit-il d'une voix sereine.

Alors que le chaman se déplaça encore une fois, Azéna remarqua enfin ce qui avait tourmenté le reste de ses compagnons : les pieds de l'elfe n'étaient plus humains, mais des sabots de cerfs.

- Il aura une bien meilleure condition de vie que dans un campement de barbares qui font la guerre et attirent le désastre partout où ils passent, accusa Sanah sèchement.

Tokhùyl lâcha un pleur et se mit à beugler en cause de l'agitation de sa porteuse. Sanah le calma en flattant sa petite tignasse ébène qu'elle peigna de ses petits doigts fins.

- C'est bien mal jugé, répliqua le chaman.

- Fait attention à ta langue, ordonna Reaginn à la petite elfe lunaire. Nous sommes en présence du Pestilent. Cela va pour toi aussi Azéna. Recule. Immédiatement.

Sanah ajusta ses lunettes et examina leur ennemi tandis que l'archère obéit à contre-coeur. Tyrath en semblait bien ravit ; il renifla sa partenaire et poussa un petit grognement en signe de salutation. Azéna lui offrit un petit sourire forcé ; elle n'était pas d'humeur.

- Ça fait bien longtemps qu'on ne m'a appelé ainsi, souligna Erurawin. Le Pestilent... Que de souvenirs nostalgiques... Mais trêve de bavardage... J'ai une proposition à vous faire.

Sanah et Morcan écarquillèrent les yeux et tournèrent la tête vers leur capitaine qui ignora cette attention soudaine. Celui-ci semblait pensif, voir intrigué.

- Parle.

- Azéna contre Yuzia et Umah, déclara le Pestilent. Quant à on dragonneau argenté... Je m'en fous. Gardez-le si vous le désirer. C'est une offre équitable.

Le capitaine ne répliqua pas ; il semblait toujours réfléchir. Les autres membres de l'escouade sauf Sèvia semblaient tous choqués par son attitude.

- Capitaine, murmura Morcan presqu'en suppliant. Allons...

Reaginn leva une main pour le faire taire. Il croisa le regard de son subordonné pendant un seul instant et ce dernier acquiesça comme s'il avait compris quelque chose.

De son côté, Azéna sentit la rage bouillir dans ses veines. Elle avait confiance en son capitaine, mais ceci était bien suspicieux. Il ne pouvait pas la troquer comme un vulgaire animal; c'était contre le code des dragonniers. Il devait y avoir quelque chose de plus, mais elle n'arrivait pas à le voir. Elle était aveuglée par l'impatience et la furie qui courait dans son esprit.

- Montre-moi Umah, ordonna Reaginn.

- Tu es aussi corrompu que dans les histoires à ton sujet, ricana Erurawin.

Les yeux du chaman luirent dans le noir ; il était excité par les mauvaises intentions du rôdeur.

- Bien, continua-t-il.

Il leva la tête brièvement. Cette action ne manqua pas à Azéna qui l'imita. Là-haut sur un arrière-plan noir avec quelques étoiles luisantes se trouvait la silhouette d'un dragon qui ne faisait pas partie de l'escouade. Il était si haut qu'il était difficile de juger sa grosseur, mais il semblait désirer garde son statut de spectateur. Sur le coup, Azéna se demanda si c'était ce fameux dragonnier noir qui ne faisait qu'apparaitre de temps en temps pour l'observer. Elle grinça les dents, devinant qu'il devait être un allié d'Erurawin.

- Saloperie, murmura-t-elle tout bas en baissant les yeux.

À sa grande surprise, Erurawin fit signe au mystérieux dragonnier d'approcher ce que ce dernier fit.

- Rends-toi, jeune dragonnière violette, dit-il sur un ton mauvais. Donne-moi ta vie, ton service, ton corps, mais plus particulièrement la légende qui vit en toi.

Des exclamations se firent entendre dans le groupe. Clairement, Reaginn n'avait pas mit toute l'escouade au courant de la situation d'Azéna. D'ailleurs, l'archère ne voulait pas obéir à l'elfe sylvain. Elle ne bougea pas d'un poil. Même, pour se moquer de lui, elle se croisa les bras et lui lança un regard noir.

- Fait ce qu'il demande, ordonna le capitaine.

- Quoi !? s'exclama Azéna. Tu n'es pas sérieux...

Tyrath grogna et montra les crocs au rôdeur. Reaginn ignora le drake et accorda une certaine émotion à l'archère qu'elle n'arrivait pas à décrire, mais pour une raison quelconque, elle décida de suivre ses ordres et de lui faire confiance.

- Ça va Tyrath, murmura-t-elle. Tout va bien aller.

Elle s'approcha d'Erurawin et le laissa passer un immense bras autour de son cou, menaçant de l'étrangler. De l'autre, il empoigna les deux petites mains de sa victime, l'empêchant de dégainer une arme. Le derrière de la tête de l'archère était accoté contre le haut du torse de son capteur. Elle avait l'impression d'être en la présence d'un géant.

Au même instant, le dragonnier noir poussa un jeune homme qui tomba en bas de sa monture. L'individu était bel et bien Umah. Celui-ci avait atterrit lourdement dans un nuage de sable et se releva avec peine et misère. Il semblait à moitié endormit, incapable de coordonner ses mouvements correctement. Il s'approcha de son père et de Yuzia qui était épuisée par la longue torture qu'elle avait endurée.

- Non, dit doucement Erurawin.

Umah pencha la tête, semblant confus, puis il fit volte-face et il se dirigea vers l'escouade d'un pas maladroit et lent. Il semblait zombifié comme si une partie de son esprit n'était pas présent ce qui inquiétait Azéna.

Pendant ce temps, Yuzia procéda à se traîner dans cette direction aussi.

- Merci, dit-elle à Azéna alors qu'elle passait à côté d'elle.

Elle frôla délicatement son museau dans la chevelure naturellement hérissée d'Umah qui se trouvait juste en avant d'elle. Elle lui murmura quelques paroles qu'Azéna n'entendit pas. En réponse, son dragonnier remua les doigts comme s'il essayait de s'exprimer, mais sans rien de plus.

Une fois que Yuzia et Umah se trouvaient en compagnie de l'escouade, ils se dirigèrent vers l'arrière du groupe pour un peu de protection et de repos. De son côté, Reaginn avait plongé son regard dans celui d'Azéna un peu comme pour la réconforter. L'adolescente était certaine que son capitaine avait un plan; il n'allait certainement pas la laisser dans les griffes de l'ennemi. Par contre, un long silence lourd pesait sur sa conscience. Qui allait agit en premier? Elle espérait sincèrement que ce soit l'escouade. Elle craignait ce que le chaman noir planifiait de faire d'elle. Tyrath fouettait le sable de sa queue; il était impatient. Erurawin mut son torse. Azéna le sentit mais, elle ne pouvait pas voir son visage. Tyrath avait réagi en montrant légèrement les crocs. Est-ce que le chaman était en train de provoquer? Si oui, le drake allait craquer d'un moment à l'autre. Elle fit non de la tête pour le convaincre de garder son sang-froid. L'elfe des bois serra son emprise pour encore plus restreindre ses mouvements ce qui la fit toussoter.

- Tu ne sais pas avec quoi tu joues, dit la dragonnière d'une voix brisée par la pression.

- Tu ne sais pas non plus, répliqua le Pestilent. Ton capitaine le sait lui.

Il fit un signe de la main en direction du mystérieux dragonnier noir. Son dragon, aussi maigre et dégoûtant que ses frères et sœurs, prit son essor et se dirigea en ligne droite vers le ciel. Pendant ce temps, son cavalier créa une épaisse couche d'ombre dans son sillage qui enveloppa Azéna et Erurawin.

L'archère sentit son capteur se déplacer sans cesse, la traînant avec lui comme une vulgaire poupée et elle entendit des grognements autour d'elle, puis des hurlements de guerre. D'autres barbares s'étaient montrés le bout du nez et distrayaient l'escouade. Tyrath se concentrait à se débarrasser de l'ombre qui aveuglait tout le monde, mais le nuage était si épais et large qu'il ratait sa cible : Erurawin. De plus, le nuage refaisait surface à mesure qu'il le dissipait. Le dragonnier noir était sûrement encore là.

C'était un véritable jeu de cache-cache et pendant ce temps, Erurawin s'était tapi dans un coin à part. Azéna désirait signaler Tyrath, mais l'elfe serrait son cou si fortement qu'elle arrivait à peine à respirer.

- Je savais que je pouvais pas leur faire confiance, susurra le chaman dans l'oreille de sa victime.

La chaleur de son souffle sur la peau de la demie-elfe l'énervait. C'était répugnant, absolument repoussant. Elle était trop épuisée pour réagir; la simple tâche de respirer asséchait son énergie. Ses poumons travaillent comme des fous pour la garder vivante. Elle avait l'impression de respirer dans une paille.

Erurawin se mit à psalmodier dans une langue qui lui était étrangère. C'était sûrement une sorte de rituel ou de sortilège; ce n'était pas bon signe du tout. À la fin de son chant, le chaman prononça clairement le prénom du Dieu de la Noirceur: Noktow. Azéna sentit son coeur redoubler en vitesse, menaçant d'exploser. Maintenant qu'elle savait que les divinités étaient réelles, elles étaient bien plus effrayantes.

- N-non, réussit-elle à dire. P-par pit-tié... Pas l-lui...

Devant ses yeux écarquillés par la terreur apparut une forme humanoïde. Celle-ci était première formée entièrement d'ombre puis, elle se transforma en un homme à la longue chevelure ébène et raide qui était équipé d'une longue cape et d'une armure en plaques incluant des épaulières munies de piquants qui rappelaient des crocs, le tout aussi sombre que l'élément que représentait leur porteur. Noktow était moins bâtit qu'Erurawin, mais il émanait une aura à la fois cauchemardesque et glorieuse. Des deux, Azéna en était certaine: elle devait s'éloigner du Dieu. D'ailleurs, celui-ci fixa son attention sur l'adolescente. Immédiatement, Azéna sentit un frisson glacial lui traverser l'épine. Elle était terrorisée ; elle voulait s'enfuir, partir, même disparaître.

- Écoute bien ton père, lui conseilla Erurawin. Car oui, il est le père de tout ce qui meurt, de tout ce qui possède une facette sombre, de tout ce qui brûle, de tout ce qui respire l'air duquel tu dépends.

Enfin, l'elfe des bois lâcha prise de l'adolescente qui s'écroula lourdement au sol. Alors qu'elle était sur le point de faire face au sable, une force invisible ralentit sa chute et lui sauva beaucoup de douleur. Lorsqu'elle leva le regard, elle aperçut Noktow qui se mouvait d'une façon familière: il manipulait le vent autour d'elle.

- Je ne suis pas ton ennemi, souligna le Père des Ombres.

Sa voix était absolue, si caverneuse et impériale. Azéna eut la force de se mettre sur un genou. Désespérée pour de l'aide, elle sonda les environs. Elle n'y voyait qu'un mur épais d'ombre qui isolait le monde extérieur. De toute façon, personne ne pourrait rien faire contre un tel adversaire. Malgré le stresse intense, elle ne devait pas défaillir. Elle devait rester forte! Avec peine et misère, elle réussit à se lever et à regarder le Dieu comme un égal.

- Bien, dit Noktow, sa voix résonnante dans les brises qui déformaient brièvement l'ombre autour d'eux.

- Que me veux-tu? questionna la demie-elfe qui se dit qu'elle n'avait plus aucun contrôle face à une divinité.

- Pendant si longtemps ma fille, tu ne m'as pas porté dans ton cœur. Malgré cela, tu as reçu ma marque : celle du vent car oui, le vent est ma création.

- Et alors? Je fais ce que je veux de ma vie.

- Le monde est bien plus complexe que tu le crois, que les dragonniers le croient, que chaque mortel peut imaginer. Il y a tant de perspectives, tant de dimensions, tant de vécu.

Une image de Tokhùyl en compagnie ses parents biologiques apparut dans son esprit. Ils paraissaient heureux autour d'un feu de camp. Ils chantaient, dansaient et faisaient cuir des brochettes de viande sur une branche polie. Soudainement, le sourire de la mère s'effaça et une nouvelle scène apparut. Maintenant, il y avait le barbare qui avait emporté Sanah. Il tenait une femme par les cheveux qui était à quatre pattes au sol et il la montait de derrière. Sans savoir pourquoi, Azéna savait que Tokhùyl était sa progéniture. Que cela était un viol ou non resterait un mystère. Une troisième scène apparut: celle de Sanah qui accusait les barbares de mal élever leurs enfants. Puis, il y avait Morcan qui était anxieux à l'idée de l'adoption sans son consentement. Après tout, il était maintenant l'amoureux de Sanah. Finalement, il avait toute cette histoire des lois des dragonniers et du serment: l'interdiction d'avoir des enfants et d'être en couple.

- Tu vois? continua Noktow. Et cela n'est qu'une situation bien simple comparé à d'autres.

Azéna fut libérée de ces images floues.

- Et ça me concerne en quoi?

Elle remarqua que le langage corporel d'Erurawin était inhabituel. Il était moite, ses sourcils étaient froncés, ses mains étaient fermées et il se balançait d'un côté à l'autre comme s'il était entrain de prendre son mal en patience.

- J'ai respecté mon marché, lança-t-il.

Noktow qui n'avait pas porté la moindre attention au chaman depuis son arrivé tourna enfin le regard vers celui-ci.

- Patience, grogna-t-il.

L'elfe des bois se recroquevilla face à la soudaine réaction irritée du dieu. C'était presque hilarant de voir un tel colosse être dominé par un seul mot, mais Azéna retint son envie de rire.

Noktow tourna ses yeux vers Azéna et soudainement, il émit une sensation de rage.

- À quoi bon... Tu es bien l'esprit du vent. Il faut être directe avec vous, dit-il en soupirant. Si têtu et insubordonné! rugit-il soudainement.

Il leva le bras gauche en direction de l'archère qui était maintenant complètement horrifiée et ses orbites changèrent à complètement noirs. Cette couleur engloutie la vision de l'adolescente qui hurla longuement avant que ses émotions fussent extériorisées.

Lorsqu'elle se calma, une série d'images défilèrent dans son esprit. Elle aperçut des centaines de scènes de meurtres, de guerres, de sang, de cadavres, de trahisons, de pertes et de vies brisées.

Lorsqu'elle revint à elle-même, ses joues étaient trempées par des larmes qu'elle ne savait même pas qu'elle avait versée.

- P-pour-q-uoi? bégaya-t-elle?

- Parce que la guerre est déjà commencée, expliqua Noktow sur un ton sérieux.

- Alors que je me prélasse à l'académie?

Cette vérité lui déchira le cœur qui se tordit intensément et lui donna des nausées.

- Ce n'est que le début. Cette merveille n'a pas atteint plusieurs royaumes... Pour l'instant. Alors, ma proposition est la suivante: donne-moi ta loyauté, ton dévouement, ta vie et contrairement aux dragonniers, je t'aiderai. Suis les conseils d'Eruwarin et ensembles, nous pourrons apporter la paix.

En premier lieu, Azéna fut tentée par la proposition du dieu. Les dragonniers ne faisaient pas grand-chose pour aider à la terminaison de la guerre, ça s'en était clair. Par contre, la dernière phrase qu'il prononça lui rappela pourquoi elle était venue si loin pour secourir Umah et Yuzia.

- Me joindre à ces barbares sans cœur qui osent kidnapper leur propre enfant et qui désirent utiliser Turion à des fins corrompus? Je ne crois pas!

- D'abord, tu seras maudite! hurla Noktow. Cela te fera réfléchir plus profondément.

Il la pointa de son index puis, il disparut en se fusionnant à l'ombre qui les entourait.

- Stupide fille, ricana Erurawin. On ne refuse pas le Dieu de l'Ombre.

Azéna se sentait relativement bien pourtant. Elle ne comprenait pas en quoi consistait cette malédiction. Il n'y avait rien de différent.

- On se reverra bientôt, lui dit le Pestilent.

Celui-ci se leva le bras vers le ciel et peu de temps plus tard, l'ombre se dissipa, un dragon noir piqua vers lui et l'empoigna de ses griffes arrière un peu comme un oiseau de proie.

- Non! hurla l'archère.

Elle encocha une flèche et relâcha.

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