38 - Cinq avatars

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12e jour de la saison de la mort 2448

Une secousse éveilla les sens de l'archère, mais son corps refusait de suivre. Une perle de sueur roulait lentement le long de son front accablé par la chaleur torride. Pourtant, elle se rappelait bien s'être installée à l'ombre. D'ailleurs, combien de temps s'était écoulée depuis? Elle poussa un gémissement et ouvrit un œil pour apercevoir le désert qui était maintenant bercé dans la pénombre de la nuit. Attendez un instant... Pourquoi avait-elle si chaud dans ce cas? Elle réajusta son corps endoloris par sa position inconfortable. Une masse bloquait son mouvement. Lorsqu'elle se tourna vers l'arrière, elle aperçut Baldur qui était accoté contre elle. Il ne bougeait pas, à peine qu'il respirait. Les deux jeunes dragonniers étaient dos-à-dos.

- Il en dégage de la chaleur corporelle celui-là, murmura Azéna.

C'était un peu étrange de le voir si affectueux si on pouvait appeler ça comme ça. Enfin, venant du gamin, c'était le mieux qu'on puisse espérer; il était si antisocial.

- Allez, le deuxième soleil vient de se coucher, indiqua Reaginn qui était en train de réveiller l'escouade en secouant ses membres un à un.

Alors, c'était lui le coupable.

Azéna examina les environs. Morcan était déjà près semble-t-il; c'était probablement lui le dernier guet. Sanah était en train de s'étirer tandis que Trish buvait une gorgée de sa gourde, toujours assise dans le sable avec les jambes croisées.

- Baldur, chuchota Azéna dans l'oreille du gamin. Hé, réveille-toi.

Soudainement, le garde du corps se leva d'un bond en dégainant ses deux haches. Il adopta une position défensive et tenta de trouver l'ennemi qui n'était pas là.

- Eh? dit-il avec confusion.

- Tout doux soldat, dit Azéna avec une pointe de moquerie. C'est juste moi.

- Toutes mes excuses m-mademoiselle, répliqua Baldur en détendant ses muscles.

Capable de décapiter une tête en l'espace d'un instant, mais aussi de faire preuve d'une politesse presque innocente, Baldur était unique en son genre. Azéna n'était pas certaine de comment elle se sentait par rapport à lui. Dans tous les cas, s'il était de son côté, ça la rassurait sur le champ de bataille.

- Bah ça alors, dit-elle tout bas.

Une paire de bottes en cuir et une longue cape noire bloqua momentanément son champ de vue et s'arrêtèrent à la droite de Morcan qui observait le camp de l'ennemi.

- La nuit est de notre côté, souligna l'élémentaliste en faisant référence à la lune qui était présentement de teinte charbon. Il n'y a presque plus de luminosité.

Son compagnon et capitaine hoche de la tête, son visage aussi sévère que sa voix.

- Je vous accorde cinq minutes pour vous préparer, informa-t-il.

L'escouade s'exécuta promptement. De son côté, Azéna frissonna alors qu'elle s'équipe de ses armes. Les brises étaient particulièrement mordantes. Ses poils hérissées, l'archère essayait tant bien que mal de détendre sa mâchoire raide, habituée à la chaleur insupportable du jour.

- J'en n-n'ai marre de c-ce désert, siffla-t-elle entre ses dents tremblantes.

Elle avait l'impression qu'elle n'était jamais confortable avec cette température qui passait d'une extrême à l'autre. Elle trouva un minimum de paix intérieure en se disant que c'était un mal pour un bien; la noirceur presque totale allait leur apporter un grand avantage.

Soudainement, la pensée qu'elle allait peut-être laisser sa vie derrière pour cette mission lui traversa l'esprit. Inquiète, elle ne put s'empêcher de jeter un coup d'oeil en direction de Trish. La cartomancienne devait être au courant de sa destinée puisqu'elle avait lut dans les cartes prophétiques qui l'avaient choisi. Devrait-elle lui demandée? Si elle allait périr, peut-être pourrait-elle éviter une telle erreur? Heureusement, cette dernière lui offrit un petit sourire en coin confiant. Cette réaction rassura Azéna; rien n'allait lui arriver. Elle en était certaine. Il fallait qu'elle soit courageuse à présent, pour Umah et Yuzia.

- Laissez vos montures derrières et soyez subtils, dit Reaginn. Choisissez vos mouvements et où vous mettez les pieds avec prudence. Jusqu'à ce que nous soyons découverts ou lorsque nous atteindrons Yuzia, ceci est une mission d'infiltration. Baldur...

Il se tourna vers le gamin qui paraissait aussi serein et concentré qu'un aigle qui chassait une proie.

- Assassinassions silencieuses et propres. Je sais.

- Bien, répondit le rôdeur avant de se tourner vers Azéna. Et toi...

- Je reste à l'écart et j'attends au cas où je dois envoyer le signal, ronchonna l'adolescente qui se croisa les bras.

- Précisément. Contrôle tes ardeurs.

Azéna roula les yeux en évitant le regard de son capitaine et continua de se frotter les bras nues dans une tentative de se réchauffer.

Quelques instants passèrent et finalement, le capitaine donna le signal pour avancer. Il fut le premier, suivit de Baldur puis, de Morcan et de Sanah qui se lançaient des regards tendres et admiratifs et enfin, d'Azéna et de Trish qui étaient côte à côte. L'archère savait que la cartomancienne avait été chargée de la surveiller de près. D'ailleurs, elle se questionnait sur son habileté au combat. Sa compagnonne n'était équipée que d'un simple bâton.

Reaginn fit un mouvement brusque du bras droit qu'Azéna distingua du coin de son champ de vision. Baldur réagit et se positionna derrière l'adolescente et Trish. Décidément, Reaginn manquait de confiance en une ou l'autre, sinon les deux.

- Concentre-toi, susurra Azéna pour elle-même.

Son capitaine lui avait assigné une mission. Quoique banale à ses yeux, c'était tout-de-même important. Il ne fallait pas qu'elle défaille, pas mentalement ni physiquement. Elle s'élança vers l'avant avec entrain, Trish qui suivait son allure avec un sourire coquin aux lèvres.

Le campement grandissait rapidement. L'escouade était présentement très proche de leur but. Le cœur d'Azéna battait la chamade et elle sentit une perle de sueur qui se rebella et s'échappa des pores de sa tempe gauche. Elle posa sa main droite sur son arc elfique dans un moment de stresse puis, elle prit une grande respiration et relâcha l'arme.

Trish lui accorda un hochement de tête en signe de réconfort. L'archère l'apprécia grandement et continua, laissant ses courtes jambes l'entraîner sur le droit chemin à vive allure.

Une dizaine de battements de coeur plus tard, elle entendit un premier gémissement qui fut immédiatement étouffé par une source extérieure. Elle s'arrêta brusquement, leva les yeux et aperçut Reaginn qui s'était mérité sa première victime: une sentinelle qui patrouillait le périmètre du campement. Il avait une main qui serrait la bouche du barbare qui était au bord de l'inconscience et son autre qui tenait fermement une dague imbibée de sang qui avait su percer la gorge de sa cible.

La brutalité de celui qui l'avait guidé et protégé jusque-là provoqua une nausée en Azéna. Elle était consciente de son titre d'assassin le plus renommé des dragonniers, mais elle ne s'était pas préparé à un tel spectacle. Il n'avait émis aucun son; elle ne s'était même pas rendu compte de ce qui s'était passé avant qu'il ne soit trop tard. Sa lèvre trembla légèrement, intimidé par l'homme devant elle qui affichait une expression qu'elle ne l'avait encore jamais vu arboré. Il semblait aussi dur que le fer, presque comme s'il avait perdu son humanité. N'était-il pas affecté par ses actions? Immédiatement, Azéna s'imagina le genre d'entraînement qu'il devait avoir du passé au travers pour être en capacité de neutraliser ses émotions ainsi et une deuxième nausée fit surface.

- Pas vomir, pas vomir, se dit-elle.

- Allez viens, ordonna Trish qui la prit par la main et l'entraîna avec elle.

L'archère ne put s'empêcher de jeter un coup d'oeil derrière elle pour continuer d'observer l'assassin. Elle était hypnotisée et en même temps, elle voulait effacer cette image de son esprit à jamais. Elle ne réagit pas alors que le corps du défunt barbare s'écroula si doucement au sol, soutenu méthodiquement par son tueur. Celui-ci s'assura qu'il était bien mort en posant un doigt sur son cou et fila, sûrement à la recherche de sa prochaine victime. Heureusement, Azéna et Trish allait dans le sens contraire. Elles suivaient Baldur qui menait maintenant le petit groupe. Morcan et Sanah n'étaient plus présents non plus.

Panique. Panique. Azéna écarquilla les yeux devant la gravité de sa situation. Un énorme noeud coupait une bonne partie de sa respiration. Le froid ne la dérangeait même plus. En fait, elle avait des bouffées de chaleur.

Puis, elle se souvint de la raison de sa présence à ce vil endroit. Une vague de courage et d'inspiration empli ses sens. Elle lâcha prise de la main de Trish et s'élança avec tant de passion vers l'avant qu'elle dépassa ses deux compagnons.

- Attends, dit Trish. Ne soit pas idiote!

Une autre sentinelle devait l'avoir entendu car, immédiatement après ses paroles, un homme costaud vira un coin et charge vers eux, sa grosse hache prête à frapper. Il choisit Azéna comme victime, sûrement parce qu'elle était la plus proche et petite. Alors qu'il était sur le point de pousser un hurlement de guerre, il sentit une douleur vive à son ventre. Il s'arrête nette, émit une sorte de régurgitation et baissa les yeux pour apercevoir un gamin qui lui avait ouvert les tripes avec ses deux armes.

- Qu-quoi? lança-t-il avec difficulté avant de s'effondrer.

Trish s'installa sur son dos et le bâillonna avec un bandeau qu'elle gardait attaché à sa ceinture, sûrement pour cette raison précise.

- Allez crève en silence, murmura-t-elle.

L'homme cessa de se débattre quelques instants plus tard et elle relâcha le corps.

- On forme une bonne équipe, souligna-t-elle dans un chuchotement, toujours avec un sourire espiègle. Ça aurait pu être pénible s'il avait réussi à signaler les autres.

Désintéressée par sa compagnonne, Azéna recommença sa course effrénée. Elle devait trouver Yuzia ou Umah au plus vite.

- Hé pas si vite, appela Trish qui se déhancha pour suivre la plus jeune femme. Ne sois pas imprudente!

Prit au dépourvu par la réaction soudaine d'Azéna et de Trish, Baldur fit de son mieux pour les suivre. Ils traversèrent le côté est du campement, achevant quelques barbares sur leur chemin grâce aux habiletés de combat hors-pairs de Baldur. Azéna chercha quelques tantes en espérant trouver Umah en vain. À la quatrième habitation, elle découvrit Sanah qui était seule et agenouillée devant ce qui semblait être un lit de couvertures en fourrure d'animaux.

- Sanah?

L'herboriste sursauta et dans un mouvement lent et délicat, elle tourna son torse vers ses alliés. Dans ses bras se trouvait un bébé à l'épaisse tignasse ébène qui dormait paisiblement malgré tout le chaos et le vacarme. Il était enroulé dans un doudou, couverture en laine et il souriait dans son sommeil.

- Où sont ses parents? questionna Baldur avec une touche de sensibilité dans sa voix.

- J-je ne sais pas, dit Sanah avec tristesse. Morcan et Capitaine Ruvior ont tués quelques individus près de cette tante puis, ils ont continué leur recherche. Je crois que...

Elle ne termina pas sa phrase, mais Azéna savait comment elle se terminait. Ce petit était probablement orphelin maintenant grâce à l'escouade. L'archère se sentit soudainement mal à l'aise avec ses actions. Elle n'avait jamais pensée aux familles qui étaient peut-être dissimulées dans la horde de barbares viriles.

- Mais qu'est-ce qu'un bébé vient faire dans un tel environnement? questionna Baldur, clairement concerné par la situation.

- J'ai aperçu quelques rares guerrières dans les rangs, répliqua Sanah. C'est probablement... Enfin, tu vois bien.

La peau du visage de Baldur vira légèrement au verdâtre et il baissa les bras qui tenaient toujours ses deux fidèles haches. Il était clairement perturbé par ce qu'ils venaient de découvrir. Une goutte de sang s'échappa de la lame de la hache de droite et tâcha le tapis sur lequel le gamin se tenait. Son regard vacilla du bébé à la lame et il déglutit difficilement.

- Il y a donc un peu d'émotions sous cette carapace meurtrière, taquina Trish.

- Ce n'est pas amusant, la reprocha Sanah. Chaque être a droit à une humanité.

- Désolé Je sais que c'était une blague de mauvais goût. J'ai un sense de l'humour sombre parfois.

Une longue pause rendit la situation encore plus gênante qu'elle ne l'était.

- Alors, qu'est-ce qu'on fait? dit Azéna qui s'impatientait.

Des pas résonnèrent du côté droit de l'habitation. Il y avait bel et bien une silhouette derrière le mur en matériel de cuir et celle-ci portait une épée courte à chaque main. Azéna ouvrit la bouche pour avertir Sanah qui était la plus proche de l'intru, mais celle-ci fut trop lente. Alors qu'elle hurla, le barbare déchira la tante et passa un immense bras musclé autour d'elle pour l'empêcher de s'enfuir, pressant une lame contre son cou délicat.

Les autres ne bougèrent pas d'un pouce, craignant que le barbare allait tuer Sanah.

- Donner l'enfant, grogna le guerrier aux épaules larges.

C'était probablement le père. Il portait des ressemblances au bébé: longs cheveux noirs, petits yeux et peau olive. Trish paraissait aussi surprise que le reste du groupe.

- Tu ne l'avais pas prévu ça ein? trancha Azéna à la cartomancienne.

L'archère était frustrée. Impatiente de sortir de cette tante et de terminer cette mission. Elle réalisa trop tard qu'elle avait projeter ses émotions sur Trish.

Un grognement retentit de la bouche solide du barbare. Il frappa le sol de son pied et fixa ses yeux à nouveau sur l'enfant.

- Voilà, voilà, dit Sanah en lui tendant le petit paquet grouillant.

Alors que le père sécurisa son emprise sur sa progéniture, un deuxième grand mâle imposant fit son arrivée. Ce dernier avait les yeux d'un marron si foncé qu'on aurait dit qu'il était possédé par un mauvais esprit. La mâchoire carrée et un petit sourire en coin, il pointa Sanah du doigt. Ses bras étaient aussi larges qu'un tronc d'arbre et aussi poilus qu'un ours. Répugnée, Azéna serra les dents et les poings. Elle avait une sale envie de tous les cogner.

- Pah! lança le père, irrité par quelque chose.

Azéna s'attendait à ce qu'il allait laisser Sanah partir, mais à la place, il l'entraîna avec lui et la poussa dans les bras de son compagnon qui faisait une tête de plus que lui. Si le père était intimidant, le deuxième était une véritable bête sur deux jambes. Son épaisse barbe sombre lui cachait la moitié du visage, mais ses dents jaunies étaient bien visibles.

- À moi, siffla-t-il de sa voix caverneuse. Bougez et son sang coulera.

- Ne vous inquiétez pas, rassura Sanah.

Son nouveau propriétaire grogna et lui tira les cheveux vers l'arrière en signe de dominance. Clairement, il voulait qu'elle se taise, ce qu'elle fit.

Les deux barbares, Sanah et le bébé disparurent sous le regard choqué d'Azéna, de Trish et de Baldur. Les trois compagnons étaient complètement démolis, tous à leur propre façon. Baldur avait honte d'avoir échoué en tant que garde du corps, Trish était désolée de ne pas avoir prévue une telle tragédie tandis qu'Azéna fulminait face à son impuissance. D'ailleurs, l'adolescente poussa un rugissement et se mit à frapper une petite table de nuit en bois à côté du lit improvisé pour se défouler.

- Arrête, ordonna Trish. Calme-toi.

- Sale Sang du Dragon, rageait la demie-elfe sans prendre conscience de Trish. Je les déteste tous! Merde!

Elle dégaina sa dague qu'elle gardait pendue à sa ceinture et la planta à multiple reprises dans le bois du meuble. Soudainement, ses mouvements furent limités par deux bras féminins qui la serrait par derrière. Un souffle chaud chatouilla sa nuque et elle sentit sa propre respiration ralentir.

- Détend-toi, susurra Trish dans son oreille.

Comme si les mots de la cartomancienne étaient absolus, ses muscles relâchèrent et l'arme tomba au sol. Azéna se sentait comme une poupée à la merci de son entourage. Malgré sa sérénité soudaine, elle ne trouvait toujours pas la paix. Une larme roula le long de sa joue et elle poussa un gémissement silencieux.

- Je ne peux pas laisser Sanah se faire emporter. Elle pourrait se faire abuser, violer ou encore tuer. Ça ne prend pas longtemps, tu sais.

- Ils sont trop nombreux, répliqua Trish avec un peu plus d'énergie dans sa voix. Il faudrait attendre Morcan et Reaginn.

Azéna trouvait le raisonnement de Trish absurde. Elles avaient Baldur qui était un tueur accompli.

- J'y vais avec Baldur.

- Attends ici. S'il te plaît.

- Non! trancha l'archère qui commençait à être agacée à nouveau. Baldur vaut cinq de ses barbares idiots à lui seul.

Les joues du gamin s'empourprèrent face au compliment de la jolie demie-elfe. Malgré tout, il ne s'exprima nullement. Il fixa Azéna avec détermination et hocha de la tête, confiant en ses habiletés.

- Tu peux rester ici, cracha Azéna à Trish.

Elle se défit de l'emprise de la cartomancienne et se dirigea avec Baldur vers la fente créée par la lame du barbare qui était aussi père.

- Non! couina Trish.

Elle s'élança et agrippa Azéna par le bras. À son contact, la demi-elfe se débarrassa d'elle dans un grand mouvement sec et fit volte-face pour la dévisager.

- Tu commences vraiment à m'énerver, grogna-t-elle entre ses dents. Pourquoi est-ce que tu insistes?

De la culpabilité envahit les yeux pétillants de Trish. Celle-ci pinça les lèvres comme s'il était en train de débattre avec elle-même. Elle était incertaine de ce qu'elle devait faire.

- Tu viens ou tu nous laisses partir, précisa Azéna.

L'archère tourna les talons, irritée par l'hésitation de son interlocutrice. À cet instant, un rugissement qui était assez puissant pour faire trembler le sol retentit. Il n'avait aucun doute: c'était celui d'un dragon, de Yuzia. Elle était à proximité. À ce point, c'était sûrement la pagaille au campement.

- Je suis désolée! s'écria Trish. Tu dois rencontrer tes avatars!

Celle-ci fut plus rapide; elle agrippa Azéna par l'épaule et donna un coup pour la forcer à s'arrêter. Puis, elle passa sa deuxième main sur le visage de sa victime et ferma les yeux, entrant dans une transe profonde.

Azéna se sentit immédiatement envahie par la présence de la cartomancienne qui était beaucoup trop près d'elle physiquement. Elle n'eut pas le temps de réagir; son esprit fut bombardé par des images étranges.

Première, elle aperçut une petite graine qui s'agita d'elle-même à quelques reprises avant de laisser une tige transpercer sa surface. Immédiatement, pour une raison quelconque, Azéna se souvint de la carte qui servait à entamer la procédure de lecture prophétique.

- Chacun possède une naissance et une croissance, dit une voix douce qui semblait à la fois de provenir de nulle part et de partout. L'Avatar du Début vous choisit, vous qui êtes connectée aux restes des êtres vivants de ce monde.

Azéna cligna des yeux, abasourdie par ce qu'elle voyait et entendait. Était-ce ceci une véritable lecture des cartes de Thalic?

- Non, supplia-t-elle. Je ne désire pas savoir! J-je ne veux pas voir!

- Le second avatar qui vous guidera est l'Idiot, répondit l'entité.

Un visage identique à celui de la deuxième carte se manifesta à la place de la graine et fixa Azéna droit dans les yeux. L'expression presque innocente qu'il arborait provoqua un malaise profond en l'archère. Elle ne comprenait pas pourquoi, mais elle désirait s'enfuir. Pourtant, il n'y avait rien d'alarmant à propos de ce visage.

- N-non, bégaya-t-elle. Arrêtes!

- Vous ressentez que je suis votre ami, mais aussi votre ennemi, rigola le visage. C'est bien normal! Voyez-vous, pauvre idiote, vous accordez votre confiance à des personnes qui ne sont pas dignes! Vous serez trahis au cours de votre vie par un individu que vous respectez et que vous idolâtré sincèrement, puis par un deuxième que vous observez de haut, que vous n'appréciez pas.

- Pourquoi?

- Car vous êtes une idiote et vous faites confiance à ceux que vous ne devriez pas, aux infidèles!

- Tu mens, se dit-elle pour se rassurer.

Le visage éclata dans un rire fou, un rire joueur qui ne cessa pas. Le pire c'était qu'au fond d'elle-même, Azéna savait que les prophéties de Trish s'étaient tous avérées vraies quoique parfois vagues. Ces trahisons l'inquiétaient. Qui? Qui pourraient-ils être? En fin de compte, elle avait d'autres préoccupations en ce moment.

- Je n'ai pas le temps pour ça! hurla Azéna avec furie. Je dois aller sauver Sanah!

Le visage qu'elle commençait à détester se dissout pour laisser place à un félidé quelconque. Il avait des grands yeux passionnés, des longues dents de sabres et une fière crinière.

- Le Rugissement est une partie intégrale de votre cheminement, dit l'énorme chat à la voix à la fois mielleuse et enflammée. Rugir est votre instinct, votre partenaire! Il sera votre libération, mauvaise comme bonne. Votre esprit rompra lorsqu'un rugissement remplira vos oreilles et vos yeux! Sur une occasion, elle se brisera. Il est possible de la réparer par un rugissement encore plus grand! À plusieurs reprises, le courage ou l'aveuglement se défera de sa carapace par le rugissement en vous qui s'échappe si doucement.

- Qu'est-ce que ce charabia signifie? se frustra l'adolescente.

- Écoute-bien la bête en toi. Elle te parle même si vous ne l'écoutez pas toujours. Semble-t-il que vous ne parlez pas toujours son langage. Peut-être l'ignorez-vous... Ou encore, une surdité accidentelle. Pourtant, il est là, omniscient dans le tréfonds de votre subconscient.

- Bordel... Laissez-moi partir! Je n'ais pas de bête en moi! Je suis humaine!

Par habitude, elle s'était proclamée humaine ce qui la frustra encore plus. Comme plus tôt, elle avait envi de frapper, de cogner, de détruire, de causer du dommage rien que pour se défouler. Cette-fois, elle était coincée dans cet état d'esprit étrange et ça la rendait dingue. Elle se sentait prisonnière de son propre esprit, de son propre corps.

- Rugit! s'écria le félin en hurlant lui-même.

Azéna se laissa guider par son interlocuteur et beugla jusqu'à qu'il n'y avait plus assez d'air dans ses poumons pour maintenir le son. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle se rendit compte que le félin s'était transformé une spirale qui tourbillonnait sur lui-même si rapidement qu'elle en eut un mal de crâne instantanément.

- La passion des âmes: ce qui rend les mortels intéressants. Le Chaos dans votre cœur est ancré dans qui vous êtes. Main dans la main avec le Rugissement, c'est le plus bel art au monde, éternellement imprévisible, repousser par la raison! Quelle sublimité!

- Et toi, qu'est-ce que tu es? grommela Azéna en se croisant les bras, détournant le regard. Je ne peux pas te regarder, tu me donnes mal au crâne.

La spirale se transforma en une dizaine de plus petites spirales qui se mirent à danser entre elles, complètement désordonnées. Celles-ci tournèrent autour d'Azéna qui n'avait pas le choix de les voir passer devant ses yeux. Elle grogna, secoua la tête et ferma les yeux.

- Nous sommes le Chaos! Faites-nous face, jeune dragonnière! ordonna les spirales à différents temps ce qui donnait une impression d'écho. Nous sommes les conflits qui vous survolent constamment. Vos choix détermineront le destin de tant de grandes choses! Vous avez libre d'esprit, incapable de vous adapter à la hiérarchie et à l'autorité. Vous êtes loyale en rien! Pas en un être, pas en une faction, pas en une race, pas en un royaume, pas même en un amant! Ou devrais-je dire, une amante! Au fond de vous, vous en êtes consciente! Ne vous en faites pas, cette mentalité est hors-norme, mais elle n'est pas nécessairement mauvaise.

Azéna se couvrit les oreilles, incapable d'endurer les multiples voix des spirales qui menaçaient de lui faire perdre la boule. Les spirales se mirent à ricaner sans cesse, se moquant de la demie-elfe qui sentait sa patience déjà disparue se drainer encore plus.

- Ça suffit! vociféra-t-elle avec une furie vengeresse.

Elle eut enfin un moment de silence. Capable de se concentrer, elle frappa dans le vide, mais évidemment, elle n'atteignit rien. Lorsqu'elle se tourna à la recherche d'une cible, elle remarqua que les immondes spirales avaient disparu. À présent, une main ouverte supportait quelques individus, humanoïdes comme animaux. Ceux-ci n'étaient que des silhouettes, mais leur âme brillait doucement autour de leur corps. Le mal de tête de l'archère se dissipa instantanément et sa rage s'estompa.

- Bon, c'est quoi ce dernier avatar? grogna-t-elle, résolue à ce qu'elle devait tous les passer avant d'être libéré.

- Le Monde, répondit amicalement l'une des silhouettes humanoïdes.

Azéna cligna des yeux, légèrement inquiète de la signification de ce dernier avatar. Les autres représentaient tous des aspects qui semblaient plutôt personnels, mais celui-ci émanait quelque chose de grandiose, de bien plus grand.

- Je suis ton dernier Avatar, continua la représentation appelée le Monde.

À chaque fois que celle-ci parlait, une différente silhouette prenait la parole.

- Ouhla toi tu es différent, dit Azéna. C'est évident.

Le Monde pouffa de rire, les petites représentations de personnages ricanèrent en chœur.

- Mais tu es calme, continua Azéna avec un sourire. Merci pour cela. Les autres-

- Ils sont aussi lumineux que sombres, interrompu le Monde. À toi de voir si tu les laisses te guider de façon qui te convient. D'ailleurs, ils ne sont pas les seuls. Chaque avatar possède plusieurs facettes qui s'adapte à la personne qu'ils choisissent.

- Même toi?

Reposant sur la main, ce qui semblait être un loup ou un coyote quelconque hocha de la tête et pointa une griffe vers son interlocutrice.

- Nous représentons votre lien, votre influence avec le reste d'Aerinda. Vous allez avoir un impact considérable sur plusieurs communautés au cours de votre vie, que ce soit en mauvais ou en bien, calamité ou miracle, vilain ou héro, un modèle à suivre pour les vilains ou les saints.

- Q-quoi? bégaya la dragonnière. Qu'est-ce que cela signifie?

- Souvenez-vous que qu'importe vos choix, vous ne pouvez pas plaire à tous. C'est tout.

- C'est tout? M-mais, attendez! C'est si vague. C'est si peu d'information pour un avatar si important!

Soudainement, elle aperçut le visage de Trish et de Baldur qui l'observait. Le gamin paraissait inquiet, sa peau légèrement pâle tandis que Trish avait les yeux écarquillés, pétillants d'intérêt.

- Qu'est-ce qui s'est passer? s'exclama l'adolescente en se levant d'un bond. Où est Sanah? Qu'étaient-ce ces avatars?

- Nous sommes restés ici, expliqua Baldur. Tu es soudainement tombée...

Azéna réalisa que c'était Trish qui l'avait touché juste avant qu'elle soit acharnée par les visions de ces soi-disant avatars. D'ailleurs, elle s'était excusée aussi. Elle savait ce qu'elle était en train de faire. L'adolescente lança un regard noir en direction de la cartomancienne.

- Une petite lecture privée, mais forcée ein?

- Un jour, tu comprendras, répliqua Trish.

- Je t'avais dit non ! beugla l'archère. Maintenant, je suis et serai tourmentée par des énigmes que je ne comprends même pas! C'est quoi cette histoire de Monde? Cette carte... Cet avatar plutôt... Il m'a donné un mauvais arrière-goût.

Trish baissa le regard, prit une grande respiration et releva les yeux.

- Je n'en sais rien non plus, mais c'est la première fois que cette carte se manifeste pour quelqu'un. Habituellement, les gens ont quatre avatars dont le Début qui est toujours présent. Mais toi... Tu en as cinq. Cela signifie quelque chose d'important! Il fallait que je te le partage!

- Hé bien, bravo !

La demie-elfe se leva en secouant ses vêtements et son armure pour se débarrasser du sable et de la poussière qui y était collés. Elle vérifia que son arc, ses flèches et sa dague était toujours sur sa personne puis, elle prit une décision:

- Nous allons sauver Sanah.

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