33 - Rencontre secrète

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11e jour de la saison de la mort 2448

Plus tard en soirée lorsque le deuxième soleil se couchait paisiblement, Azéna et ses compagnons avaient cessé de chercher pour des pistes intéressantes puisque l'heure se faisait tardive. L'air revigorait Azéna qui inspirait profondément ces bouffées rafraîchissantes. Elle adorait les nuits d'Elthen. C'était si paisible et magnifique. Le ciel était toujours clair et les étoiles brillaient comme des minuscules lucioles sur une peinture sombre ce qui lui rappelait le Festival du Miracle de l'année précédente. D'ailleurs, elle s'ennuyait de ses amis qui étaient restés derrière. C'était comme sa nouvelle famille qu'elle avait choisi. Mais, elle avait aussi choisi les Gardiens d'Aerinda ce qui faisait de tous les dragonniers ses frères et sœurs. Ainsi, elle devait retrouver Umah.

On ne pouvait presque pas discerner la lune ce soir-là. Elle devenait de plus en plus foncée à mesure que la saison de la mort s'installait. Maintenant qu'elle était bien haute dans le ciel, il était temps pour l'escouade de se rencontrer au centre-ville où l'oasis était. Sanah s'était installée sur une roche pour tremper ses pieds fatigués dans l'eau fraîche et fredonnait une chanson délicatement. Azéna observait les constellations en remémorant de bons souvenirs assis sur l'herbe. Morcan écoutait Sanah adossé contre un palmier. Baldur les surveillait tous les trois en silence tout en demeurant alerte comme un chien de garde. Seul leur capitaine était absent.

- Mais il est où? questionna Sanah qui cessa de fredonner.

- C'est inquiétant. Il nous avait bien dit de venir à l'oasis lorsque la lune sera haute dans le ciel, souligna Morcan en se prenant le menton, toujours aussi songeur.

Baldur resta plongé dans son mystère, mais une petite lueur dans ses yeux indiquait qu'il n'aimait pas la situation. Normalement, Reaginn était ponctuel et ne manquait jamais à sa parole.

Entretemps, la silhouette d'une créature ailée fendit le ciel, faisant disparaître les étoiles momentanément là où elle passait, et attira l'attention d'Azéna. Elle était assez proche pour qu'elle distingue un point noir avec deux grandes ailes et une longue queue dont l'extrémité semblait être ronde.

- Tyrath, marmonna-t-elle.

Elle était soulagée de voir qu'il allait bien, mais bon sang qu'il lui faisait du soucis lorsqu'il s'approchait d'eux.

- Retourne te cacher, gros navet, dit-elle sur un ton rêveur sachant qu'il ne pouvait pas l'entendre.

Un cri plaintif se fit entendre provenant de l'oasis. Azéna tourna la tête en cette direction pour surprendre Morcan entrain de fixer amoureusement Sanah qui ne lui portait pas du tout attention.

- Bon sang, chuchota Azéna qui était mal à l'aise pour l'élémentaliste. Ça fait presque pitié à voir. Vivement que Ruvior arrive bientôt...

Quelques instants plus tard, une silhouette encapuchonnée fit son apparition de derrière l'une des maisons et se dirigea d'un pas ferme vers l'escouade. Baldur fut le premier à l'apercevoir et dégaina ses armes en se positionnant pour l'offense.

- Ce n'est simplement que moi, informa une voix mielleuse qu'Azéna reconnut immédiatement.

Le petit garde du corps se détendit et rangea ses armes. Sanah cessa son fredonnement, Morcan leva le regard vers le nouveau venu et Azéna demeura immobile, jugeant qu'il n'y avait pas de raison de s'en faire. Elle pouvait entendre ce qu'il avait à raconter d'où elle était.

- Où étiez-vous capitaine? questionna l'herboriste d'une voix inquiète. Nous nous faisions du souci pour vous.

- Je dois vous avouer que je n'ai rien trouvé mis à part une écaille à quelques lieues d'ici, annonça-t-il. Malgré tout, leur piste est complètement balayée par les vents et le sable. Par contre, nous avons au moins une direction à suivre.

- Faites voir, dit Sanah avec intérêt.

Cette dernière s'approcha de son capitaine et examina l'écaille. Elle était endommagée, une partie de son côté droit manquant et correspondait à la couleur de Yuzia.

- C'est bien Yuzia d'après moi, mais je suggère qu'on la garde avec nous. Peut-être que nos dragons pourrions-nous confirmer son identité avec leur flair.

- C'était mon idée aussi, approuva Reaginn. Pour l'instant, allons-nous reposer à la taverne. Vous semblez tous épuisés.

Sanah semblait inquiète même après qu'elle remit l'écaille à leur supérieur. Elle se mordit la lèvre inférieure et semblait hésiter.

- Qu'y a-t-il? questionna Reaginn.

- C'est louche que l'écaille se soit brisée, dit-elle.

- Où veux-tu en venir?

- Croyez-vous que Yuzia as été battue? Les écailles de dragons ne se brisent pas si aisément...

- C'est une bien triste possibilité, avoua Reaginn.

La vision de Yuzia qui se faisait brutaliser mit une larme à l'œil de Sanah qui adorait les dragons autant que les plantes exotiques. Elle renifla un bon coup et semblait lutter contre ses propres sentiments.

- Allons, allons Sanah, dit Reaginn dans une tentative maladroite de la réconforter. Yuzia est... une grande fille?

Après tout, il fallait bien qu'un capitaine garde l'ordre dans sa troupe et cela incluait la stabilité émotionnelle des membres. Malgré cela, Azéna failli pouffer de rire.

Soudainement, un long pleur distrait tout le groupe en direction de Morcan qui avait éclaté dans un sanglot. Il se cachait honteusement le visage dans ses deux mains. Reaginn qui était déjà assez mal à l'aise avec la réaction de Sanah avala avec difficulté et s'approcha de l'élémentaliste avec prudence comme s'il était atteint d'une maladie infectieuse.

- Qu'est-ce qui ne va pas? lui demanda-t-il.

- Voir Sanah pleurer, ça me bouleverse, avoua l'élémentaliste qui refusait de lever son visage de sa cachette.

Reaginn demeura immobile pendant un long moment, laissant Morcan pleurer de plus belle. Il ne savait clairement pas comment gérer toutes ces émotions soudaines.

- Bon, allons-nous coucher, décida-t-il finalement. Du bon sommeil réparateur ne nous fera pas de tort.

À ce point, Azéna avait plaquée sa main devant sa bouche, avait les yeux écarquillés et retenait sa respiration dans l'espoir de contrôler son fou rire qu'elle contrôlait à peine. La misère de Reaginn lui accordait un bonheur particulièrement agréable un peu comme une vengeance indirecte.

- Et toi, qu'est-ce que tu as? questionna le rôdeur alors qu'il passait à côté d'elle en direction de la taverne, ses grosses bottes en cuir menaçant de lui marcher sur les cheveux.

- R-rien, répliqua l'adolescente.

- Bon, allez debout, ordonna le capitaine aussi froidement qu'un iceberg.

Les autres membres de l'escouade suivirent leur supérieur en silence. Azéna qui était derrière Sanah et Morcan put observer l'interaction de ses deux camarades qui se calmaient enfin.

- Merci du réconfort, dit l'herboriste avec un petit sourire.

- Ce n'est rien, répliqua Morcan. Tu as failli me faire une crise de cœur!

- Je suis désolée, murmura-t-elle.

Azéna soupira silencieusement et ressentit l'envie soudaine de pousser la tête des deux en direction de l'autre afin qu'ils s'embrassent. Tous ces sentiments cachés l'énervaient et elle voulait juste qu'ils en finissent. C'est à cet instant qu'elle ressentit encore l'étrange pressentiment qu'on la surveillait. Elle et Morcan se tournèrent simultanément, mais ils n'aperçurent personne.

- Toi aussi? demanda Azéna à l'élémentaliste.

- Oui, répliqua-t-il.

Il avait perdu toute trace de tristesse et d'inquiétude pour laisser place à la méfiance. Voyant qu'ils traînaient derrière Baldur et Reaginn, il agrippa la main de Sanah et l'entraîna avec lui en accélérant sa cadence.

- Viens Azéna, ordonna-t-il à l'adolescente. Reste près de nous.

L'archère obéit. Lorsqu'elle, Morcan et Sanah étaient assez proches de la taverne, l'élémentaliste rougit subitement et lâcha prise de la main de l'elfe lunaire à lunettes. Cette dernière évita le regard de son compagnon, aussi gênée que lui.

- Ridicule, murmura Azéna se secouant la tête négativement. N'importe quoi pour un contact physique...

Reaginn leur loua deux chambres qu'il paya avec des fonds que l'académie lui avait fournit pour la mission: une pour les femmes et une pour les hommes, exactement comme Azéna l'avait prédit. Par contre, ils n'avaient que deux lits alors, elle se demanda lesquels des hommes allaient devoir coucher sur le plancher.

✦×✦

Un peu plus tard en soirée, elle dut faire semblant qu'elle ne trouvait pas sommeil et attendre que Sanah s'endorme. Le temps se faisait long et elle commençait à perdre espoir. Elle était installée sur une chaise en bois devant leur unique fenêtre et s'efforçait à paraître bien éveillée malgré l'envie irrésistible d'aller se fourrer le visage dans son oreiller douillet.

- Bordel Sanah dort, ronchonna-t-elle tout bas.

Quelques instants passèrent et un premier ronflement de la part de l'herboriste fit sursauter l'adolescente qui était sur le point de s'endormir assise. Elle poussa un cri qu'elle tenta d'étouffer en plaquant ses deux mains sur sa bouche.

- Le cactus l'est beau, marmonna l'herboriste qui était en train de baver. Morcan, non! Touches pas à Sonny. L'est beau, l'est à moi... Je l'ais nommée Sonny...

Avec horreur, Azéna se tourna vers sa colocataire de chambre et fut soulagée de voir que celle-ci parlait dans son sommeil. Elle s'accorda un moment de répit en s'étalant les jambes et en ne songeant qu'à du vide.

Un moment passa, puis un deuxième ronflement, celui-ci encore plus agressif que le dernier, lui annonça qu'il était temps de partir.

- Hé puis merde, ronchonna-t-elle doucement.

Il était enfin temps d'aller rejoindre ce fameux fournisseur d'information. Elle se leva et installa son sac à dos à son corps et s'approcha de la fenêtre qu'elle examina.

- Sonny est mien! hurla Sanah, toujours sous l'effet de son rêve. Arrête, tu es grossier.

Azéna figea sur place, une jambe en l'air. Elle tourna machinalement la tête vers Sanah qui bavait effectivement encore. Énervée, elle décida de s'équiper de sa cape à capuchon qu'elle utilisa pour dissimuler son visage dans l'ombre. Enfin, elle ouvrit la fenêtre et s'accrocha un palmier à proximité. En restant au sommet de l'arbre exotique, elle tenta de projeter son esprit afin d'attirer l'attention de Tyrath. Elle ne croyait honnêtement pas qu'elle allait pouvoir créer un lien mental avec lui car il devait être bien trop éloigné, mais celui-ci répliqua en effleurant son esprit contre le sien.

- Mais il est fou, se dit-elle. Qu'est-ce qu'il fout dans les parages celui-là?

L'adolescente n'était pas idiote; elle savait bien pourquoi le drake était à proximité. Il devait être inquiet et la nuit lui donnait assez de camouflage pour qu'il puisse s'approcher. Grâce à son agilité supérieur, elle put descendre avec aise sans se blesser. Elle savait où elle devait aller pour rencontrer son compagnon ailé : elle devait quitter Myssa. Tyrath ne pourrait pas atterrir en plein centre-ville.

Comme de fait, elle rencontra Tyrath aux abords du village. Il lui avait tant manqué qu'elle se tira à son cou sans faire attention. Le drake réagit en reculant, la laissant tomber le visage dans le sable.

- Mais, c'était quoi ça? ronchonna-t-elle en levant son poing vers lui.

- Tu allais t'empaler avec un de mes piquants, bougonna le drake.

Elle s'assit en croisant les jambes et se débarrassa le visage du sable qui y était collé. Elle toussa et quelques particules furent projetés hors de sa bouche.

- C'est répugnant, grogna-t-elle.

Tyrath se mit à régurgiter et finit par vomir ce qui semblait être le restant d'une carcasse de vautour à moitié digéré. L'odeur nauséabonde lui chatouilla le nez et elle failli dégueuler à son tour.

- Ça c'est encore PLUS dégoûtant, beugla-t-elle en se pinçant le nez.

- Cadeau? dit Tyrath en penchant la tête d'un côté innocemment.

- Pouah non merci, répliqua-t-elle d'un ton étouffé.

- Je l'avais gardé spécialement pour toi, mais je me doutais bien que ce n'était pas à ton goût. Vous les humanoïdes vous aimez la nourriture brûlée et propre, termina-t-il sur un ton moqueur comme s'il trouvait ce comportement capricieux.

- Pas brûlée, mais cuite. Et c'est donc ça que tu faisais dans le coin. Une petite livraison maison?

- Ne sois pas stupide. J'aurai... J'aurai...

Il semblait à court de réponse et finit par abandonner en baissant la tête.

- Tu n'y avait pas penser, ein? questionna Azéna. Espèce de gros navet, il y a des gardes partout. Tu n'aurais jamais pu me délivrer ça sans te faire voir.

- Mais je m'ennuyais, avoua-t-il en bougonnant. Et je ne suis pas un navet.

Azéna aurait pu lui faire la morale qu'il ne devait pas s'approcher en cause de leur mission de sauvetage et en cause du danger potentiel, mais elle se doutait bien que le drake était déjà au courant de tout ça et il semblait déjà assez désolé alors, elle préféra tout simplement lui parler de leur petite mission secrète.

- Ralalala, une chance que j'ai une mission pour nous deux ce soir, révéla la dragonnière en se plaçant les mains sur les hanches.

Le regard du drake s'illumina instantanément et il se mit à sautiller comme un enfant à qui on offre une friandise. Plus il s'excitait, plus le sable dans l'air autour de lui s'épaississait, formant éventuellement une petite tornade.

- Quoi? Quoi? Dis-moi! Qu'est-ce qu'on doit faire? Dis, dis!

- T'es pire qu'un gamin, dit Azéna avec un sourire espiègle. J'oubliais... Tu es un gamin, petite vermine!

- Mais, dis-moi! supplia Tyrath qui continuait à tournoyer sur lui-même.

- Je dois rencontrer un individu qui réclame avoir de l'information à propos d'Umah et de Yuzia, mais il désire me voir seule. Alors, tu vas rester dans le coin, faire le bon garçon - ce qui veut dire calme et subtil... et tu observes au cas de danger.

- Je suis le grand protecteur! dit-il en se raidissant le corps subitement pour se positionner comme un majestueuse statue.

Le sable tomba lentement comme des petits flocons beiges autour du drake.

- Bien sûr, répliqua Azéna en haussant un sourcil interrogatoire.

La demi-elfe commençait à se douter de la raison de plusieurs de ses coéquipiers. Ils étaient fous à lier, mais elle les aimait bien.

- Va falloir faire vite, informa Tyrath. Les autres dragons pensent que je suis parti pour une chasse rapide. Initialement, ils ne voulaient pas que je parte seul.

- C'est bon, dit Azéna. Ça ne devrait pas prendre longtemps. C'est juste un relais d'information après tout.

- Si tout va bien. Si ce n'est pas le cas... Je vais me délecter de leurs os.

Azéna avait confiance en son partenaire. Il n'était pas le plus sage ni le plus puissant, mais il était redoutable et féroce comme le voulait son héritage de dragon gris.

Les deux compagnons se séparèrent par la suite, Tyrath prenant le ciel pour patrouiller d'en haut en s'assurant de rester en contact mental avec la demi-elfe qui elle se faufila au travers des rues sombres pour se retrouver derrière la Caille et les Voyous. Lorsqu'elle arriva à destination, elle n'y trouva que les vieux sacs de vidanges de la journée qu'un employé avait abandonnés. Deux chats de gouttière qui reniflaient curieusement les ordures à la recherche d'un repas. À la vue d'Azéna, le premier détala. Il était probablement habitué de se faire chasser de là. Le second par contre, ignora la nouvelle venue.

- Pouah, dit Azéna en se bouchant le nez.

Elle se distrait de l'odeur nauséabonde en s'accroupissant au sol pour offrir au chat un morceau de viande séchée qu'elle avait gardée dans son sac à dos pour un encas. L'animal hésita, mais finit par s'approcher. Alors qu'il dévorait son maigre repas, il se laissa caresser la tête par la jeune demie-elfe. Sa fourrure était sale, graisseuse et d'une magnifique teinte gris souris tout comme son nez d'ailleurs. Ses grands yeux verts cherchaient pour la lueur de la lune qui était presque invisible dans la pénombre de la nuit. Il était content de sa situation courante.

- Tu es mignon, chuchota Azéna. Je t'adopterais bien si je le pouvais. Tu serais bien nourri et je te laisserai ta liberté bien sûr. Tu pourrais aller courir les rues pour chasser les souris et les oiseaux. Une vie de prince quoi?

Elle était tellement préoccupée par son nouvel ami qu'elle oublia pourquoi elle était là. Le chat qui avait presque terminé sa viande séchée l'abandonna soudainement. Tout comme son compagnon, il prit la fuite, disparaissant dans l'ombre de la nuit.

- Qu'est-ce qui... Pourquoi il est soudainement parti? marmonna Azéna. Il n'a même pas terminé son repas... Lui qui semblait tant l'apprécier.

Et soudainement, elle sentit une présence intimidante qui provenait de derrière elle. Elle était en danger mortel, ça elle le savait et pourtant, elle restait immobile dans sa panique. Que fallait-il faire? Si elle tournait la tête, provoquerait-elle l'intru? Devait-elle tout simplement attendre qu'il lui dise quelque chose? Pendant un long moment, rien ne se produit. La présence demeura et la seule activité qu'elle détectait était son cœur qui palpitait de plus en plus rapidement sous le stress.

Finalement, une voix qui ressemblait presque à un grognement, mais qui était à la fois rassurante brisa le silence qui paraissait il y a un instant de cela indomptable:

- Que venez-vous faire dans ce coin, jeune demoiselle?

Azéna n'osa pas répliquer. Était-ce l'homme qu'elle devait rencontrer ou était-ce un filou ou encore pire, un meurtrier?

- C'est dangereux de se promener seul dans la nuit, continua-t-il aussi calmement.

Il fit une pause.

- À ce que je vois, vous n'êtes pas seule. Vous avez emporté votre dragon comme je vous l'avais proposé. Sage décision, mais je vous assure qu'il ne sera pas nécessaire dans cette situation.

Azéna relaxa soudainement. Son corps sembla retrouver de sa fluidité et elle put enfin se retourner. Elle fit face à un grand individu qui portait un large manteau, une cape à capuchon et une épée à sa ceinture. Il abaissa son capuchon et fit une révérence comme pour se présenter.

- Je m'appelle Argoshin. Je n'ai pas de nom de famille ni de nom de clan. Je suis mon propre maître, mon propre supérieur. Je suis tout simplement cela: un simple vagabond.

Azéna le reconnut immédiatement. C'était la créature ailée qui ne faisait que l'embêter depuis l'été. Des souvenirs se déversèrent dans son esprit et elle fut prise d'une confusion. Son comportement était si mystérieux et évasif qu'il semblait être un ennemi, mais lorsqu'elle y réfléchit plus profondément, elle voyait qu'il n'essayait pas de lui faire du tort. Après tout, il avait sauvé son group d'une bande de barbares tueurs de dragons, mais est-ce que cela faisait de lui un allié? Elle n'en était toujours pas convaincue. Immédiatement, elle fut prise d'une frustration qu'elle exprima en hurlant:

- Mais qu'est-ce que tu me veux à la fin?

Les yeux or liquide de l'homme écaillé rencontra les siens et c'est à cet instant qu'elle ressentit un étrange sentiment de réconfort comme si elle venait d'apercevoir un membre de sa famille. Plus elle se concentra sur ce sentiment, plus elle réalisa qu'il ne provenait pas d'elle, mais de Turion.

- Q-quoi? bégaya-t-elle. Qu'est-ce que cela signifie?

C'était comme si le wyrm essayait de lui conseiller de faire confiance à cet Argoshin, mais il n'osait pas se manifester assez pour être en capacité de discuter avec elle. Confuse et apeurée par l'influence qu'il avait sur Turion, elle recula et faillit trébucher sur un sac d'ordures. Heureusement, quelqu'un l'agrippa par le bras et l'aida à maintenir son équilibre. Elle se tourna instinctivement pour voir son sauveur et identifia la femme qu'elle avait aperçu plus tôt aujourd'hui. Elle portait le même habit, soit une cape à capuchon brun foncé trop grande pour elle qu'elle utilisait pour envelopper son corps.

- Toi! s'exclama Azéna. Je t'ai vu nous observer. Qui es-tu?

La femme svelte lâcha le bras de l'adolescente et baissa son capuchon à son tour. Immédiatement, Azéna reconnue son visage serein et sa chevelure châtaine décorée avec des billes de multiples teintes.

- La diseuse de bonne aventure! lança Azéna, complètement sous le choc. Tu es Trish!

- Je préfère barde, oracle, cartomancienne ou même à la limite vagabonde si ça ne te dérange pas, dit Trish. Diseuse de bonnes aventures, ça fait un peu frauduleux.

- Comme si jouer avec des cartes révèle véritablement le destin d'une personne, rétorqua Azéna avec irritation.

Argoshin se plaça entre les deux femmes. Trish paraissait calme, mais elle ne semblait tout-de-même pas appréciée l'attitude de l'adolescente.

- Azéna, commença l'homme-lézard, Trish est la raison que je connais l'emplacement d'Umah et de Yuzia.

- Q-quoi? dit Azéna qui était complètement bouche-bée.

- Ces cartes nous révèlent une piste, mais pas l'exact chemin à suivre. Par contre, c'est une bonne indication et ça m'a permis de les trouver il y a deux jours, soit juste avant votre arrivée. Il est bien possible qu'ils aient migrés, donc il faudra une nouvelle lecture.

- Ah bah ça alors, murmura Azéna qui était gênée de ses accusations. Tu es certain que c'était en cause des cartes?

Argoshin poussa un petit rire qui ressemblait étrangement à celui des dragons. Le cœur d'Azéna se serra alors qu'elle réalisa ce que cette créature était véritablement.

- Est-ce que tu es... Je veux dire... Je ne désire pas m'immiscer dans vos affaires, mais êtes-vous-

- Un demi-dragon? questionna Argoshin avec un petit sourire en coin.

- Oui, exactement. En fait, mes maîtres pensent que c'est n'est pas possible, mais vous leur ressemblez tellement d'une certaine façon.

- Tu as parfaitement raison, confirma Argoshin sur un ton dominé par la bienveillance.

Sur le coup, Azéna ne put faire autre que le croire. Il paraissait si sincère.

- Est-ce que je peux voir... pour confirmer...

Argoshin acquiesça et retira sa cape ainsi que sa tunique pour révéler un torse musclé avec des écailles violettes ici et là qui brillaient sur sa peau pâle. Il s'entraînait évidemment très souvent, probablement quotidiennement. Son corps était tonique, sain et bien entretenu. Ses longs doigts fins se terminaient par des griffes acérées et ses canines supérieures dépassaient légèrement de sa bouche.

- Frimeur, lança Trish en se croisant les bras.

Argoshin fixa sa compagne avec sévérité et imita sa pose comme s'il essayait de se moquer d'elle. Azéna remarqua que malgré la couleur animale des yeux du demi-dragon, celui-ci avait des pupilles complètement humaines tout comme ses expressions faciales d'ailleurs. D'ailleurs, elle s'attendait à ce que sa chevelure allait être violette, mais elle était brun foncé quasiment noire. Celle-ci était coiffée en une large queue de rat qui touchait presque le sol tandis que le reste était semi-long.

- Tes oreilles sont trop adorables, se moqua Trish.

- Arrête, grogna Argoshin dont les joues rosirent.

Au commentaire de la barde, Azéna examina le reste du physique d'Argoshin et se surprit a effectivement adorer ses oreilles qui ressemblaient à celles de elfes sylvains: longues, pointues, à un angle qui s'approchait plus de l'horizontale que de la verticale. Par contre, les siennes étaient parsemées d'écailles.

Mais les deux traits physiques les plus impressionnants étaient sa paire d'immenses ailes et ses deux cornes spiralées en ivoire qui suivaient l'angle de ses oreilles. Heureusement, celles-ci n'étaient pas très longues, donc il réussissait à les dissimuler sans problème sous un capuchon.

Malgré les preuves physiques et la prétention qu'il allait l'aider, Azéna ne portait pas cette créature dans son âme. Les dragons violets étaient disparus depuis si longtemps qu'elle questionnait l'identité d'Argoshin. Par contre, elle ne désirait pas provoquer sa colère, alors elle jugea qu'il était préférable de garder cette suspicion pour elle-même.

- Bon, ça te convient? questionna Argoshin.

Azéna hocha de la tête et l'homme se rhabilla sans hésitation, rebattant sa capuche sur sa tête à nouveau, dissimulant son identité. À cet instant, n'importe qui l'aurait pris pour un simple humain avec des épaules et un dos très large. Sachant que cet effet était causé par ses ailes, Azéna sourit, satisfaite de connaître ce secret que cet individu tentait si hardiment de cacher.

- Montrez-moi ces fameuses cartes, dit Azéna en réalisant qu'elle devait paraître exigeante, mais elle s'en foutait. Je dois savoir.

Trish se mit à fouiller dans les poches profondes de son manteau et en ressortit une petite boîte en bois solide sur laquelle étaient gravés quelques symboles runiques.

- Qu'est-ce que ça signifie? questionna Azéna en pointant les symboles.

- Une petite curieuse à ce que je vois, rétorqua Trish avec un sourire en coin. C'est bien d'être prudente.

Elle tendit la boite en direction de la dragonnière et plaça son index en dessous du premier symbole.

- Ces symboles proviennent d'une langue plus vieille qu'Aerinda elle-même. On dit que c'est l'écriture des divinités. Enfin bref, il a fallu que j'étudies sous un mystérieux sage qui refusait de me parler de lui pendant une année entière pour comprendre ce que mes cartes me révélaient. Une vraie tête de mule celui-là. Je ne sais toujours pas son prénom.

Elle fit une pause, réalisant qu'elle s'éloignait du sujet original. Azéna dut s'éloigner un peu car, la barde s'exprimait beaucoup avec des gestes extravagants lorsqu'elle discutait. Elle paraissait très énergétique contrairement à son compagnon qui observait en silence.

- Je divague comme à mon habitude! se corrigea Trish avant de continuer avec passion. Pardonnez-moi. Enfin bref, ceci n'est qu'une traduction vague: Vérité, quoique celle-ci vague, émerge du bois enchanté de ces cartes. Prend garde, sa magie vivante seulement entre les mains de celui qui a appris directement sous les anciens.

Azéna haussa un sourcil, incertaine de comprendre.

- Tu vois, je crois que cette vieille peau était un ancien et ça explique pourquoi il refusait de me parler de lui.

- Que veux-tu dire par ancien exactement? questionna Azéna.

- Je n'en suis pas certaine non plus, avoua Trish. Ça pourrait être un personnage très vieu ce qu'il l'était, un dragon, une créature mythique ou encore un demi-dieu, mais j'en doutes. Cette expérience était vraiment mystérieuse.

Elle leva les yeux vers Azéna qui clignait sans arrêt en silence, accablée par les informations qu'elle venait de recevoir.

- Je sais, ça me semble improbable! lança Trish en levant les bras vers les cieux. Monsieur le bouc ne me croyait pas non plus!

- Cesse de m'appeler ainsi, se plaignit Argoshin. Je ne suis pas un bouc!

- D'accord... Je m'excuse.

Elle s'approcha du demi-dragon pour lui serrer la main en signe de réconciliation ce qu'Argoshin sembla hésiter à accepter pour un bref instant.

- Tu as oublié de laver tes pattes encore! s'exclama Trish avec un sourire espiègle.

- Franchement, grogna Argoshin en se retirant pour s'essuyer la main sur son manteau. Je ne suis pas un animal, Trish. Combien de fois va-t-il falloir que je te le répète?

- Il est mignon quand il est en colère, pas vrai? demanda la barde en s'adressant à Azéna.

- Heu.. Je ne sais pas? répliqua la dragonnière avec malaise.

- Désolé, elle adore rendre les gens inconfortables, expliqua Argoshin avec une légèrement pointe d'irritation. Elle fait exprès et parfois, ce qu'elle raconte n'est même pas une vérité.

Il ronchonna pendant un instant et sembla rétablir son sérieux.

- Alors, tu comprends donc pourquoi je ne voulais pas de tes compagnons avec toi?

- Oui, dit Azéna. Ils auraient eu une mauvaise réaction, je crois. C'est difficile à croire.

- Tu verras demain. Je t'assure que nous pourrons vous aider. Je suis désolé de t'avoir demandé de venir seule. C'était un immense risque pour toi, mais il était nécessaire. À présent, il sera plus facile de convaincre le reste de ton groupe de me faire confiance.

- C'est entendu. Je vais essayer.

Trish se mit à agiter les mains encore une fois.

- Oh j'ai presque oubliée, dit celle-ci en rangeant la boîte dans son manteau. Vërena désirais s'excuser pour vous avoir cachée mon existence et celle d'Argoshin.

- Elle vous connaît? demanda Azéna, incertaine de comprendre où tout ceci allait en venir.

- Bah oui, c'est elle qui vous a ramener ici non?

- C'était une ruse! s'exclama Azéna qui se sentait encore une fois complètement sotte.

- Bah ouais, tu t'attendais à quoi? Qui patrouillerait à longueur de journée dans le désert à la recherche de voyageurs potentiels?

- Mais, le repas gratuit?

- C'était organisé, dit Trish en hochant de la tête.

- Donc, elle est rien qu'une barmaid?

- Exactement! Bah, c'est mon amie de longue date, mais bon...

- Et... Comment toi et Argoshin vous vous connaissez?

Argoshin leva un doigt et se mit à répliquer:

- C'est...

- Il m'a payé! s'exclama Trish sans gêne.

- ... une amie de longue date, termina Argoshin en rougissant.

- Mensongeeee, chantonna la barde.

- Bon, je vais me coucher, décida Argoshin en tournant les talons. À demain, je te trouverais.

Il s'éclipsa dans l'ombre de la nuit, Trish sur ses talons.

- Attend-moi, grogna la barde en rabattant sa capuche sur sa tête. Attend! Tu vas toujours trop vite avec tes grandes jambes!

Azéna resta longtemps immobile entourée des sacs de vidanges, perdue dans ses songes. Lorsqu'elle revint à elle-même, plusieurs chats de gouttière l'avaient entouré sans trop se préoccuper d'elle sauf le petit orange à qui elle avait offert un bout de viande séché. Celui-là s'était allonger près de ses pieds et roupillait paisiblement. Heureusement de le revoir, la demie-elfe lui laissa un deuxième morceau et décida de rester encore un peu pour le caresser.

- J'espère que demain ne sera pas un désastre total, murmura Azéna à son nouvel ami malgré le fait que celui-ci ne la comprenait pas.

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