25e jour de la saison du soleil 2448

Certains apprentis dragonniers arrivèrent au moment de l'exécution. Certains parurent choqués tandis que d'autres continuèrent leur route comme si ce spectacle de sang n'était que routine. Azéna remarqua que ceux qui étaient choqués étaient soit des elfes de lune ou des humains de Daigorn, les deux royaumes les plus paisibles et évolués d'Aerinda. Une telle brutalité se faisait rare dans ces territoires et si elle était nécessaire, elle était souvent cachée du public.

De ceux indifférents, Serfantor ne resta pas derrière pour regarder la suite. Il se dirigea vers l'académie d'Archlan d'un pas frustré malgré son expression faciale neutre, son frère et leurs dragons à ses talons. Shalith avait guéri de ses blessures, mais son œil avait gardé une cicatrice bien visible. Katanor demanda à son frère de rester, mais ce dernier perdit patience.

- On s'organisera, dit Serfantor. Je ne veux pas voir cette stupidité. Viens ou reste. Je m'en fout, mais je pars.

- Je suppose, dit Katanor avec incertitude. Mais, tu es certain que les maîtres ne seront pas en colères contre nous?

Il se pressa de rattraper Serfantor.

- Ralenti un peu!

Malgré son ouïe affinée, Azéna ne put suivre le reste de leur conversation. Ils étaient trop loin pour qu'elle n'entende.

- Hmph, grogna-t-elle alors qu'une chaleur familière la distrait.

De ceux choqués, Fayne s'était fermé les yeux et blottie contre son amie. La demi-elfe passa son bras autour d'elle, lui permettant de s'enfouir le visage dans le creux de son bras.

- C'est horrible.

- Je sais, répondit Azéna. Je ne sais pas ce qui se passe avec le monde dernièrement, mais ça m'énerve.

- Ah, mais vous venez tout juste de rencontrer le monde, expliqua Vigoth. Attendez-vous à d'autres surprises. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser, la cérémonie du liage va bientôt commencer.

Il s'installa sur Karia et la grande dragonne blanche s'envola dans un silence inconfortable.

Au sol, deux dragonniers placèrent le corps sur une civière et l'emportèrent. La foule bombarda le bourreau de questions et de critiques. Le bourreau fixa droit devant sans battre un sourcil. Rien ne l'impressionna assez pour qu'il perdre son temps à répliquer.

Azéna se leva, certaine qu'elle se ferrait entendre par le grand homme.

- J'ai une question, hurla-t-elle, sa voix se perdant dans le chaos.

- Laisse tomber Azéna, dit Fayne.

Ses yeux noisette croisèrent l'océan qu'étaient ceux de la demie-elfe.

- Un bourreau n'est que cela, un bourreau. Il n'est pas là pour se préoccuper de l'opinion de l'auditoire.

- Tu as raison, agréa Azéna en serrant les poings.

- Peut-être que Grand Maître Terenas nous en dira plus à la cérémonie du liage. Parlant de cela, il vaudrait mieux y aller si l'on veut avoir de bonnes places en premier rang.

Elle sourit, son sourire chaleureux qui réconfortait les cœurs.

- Bon, ça va, dit la demie-elfe qui s'entêta à paraître frustrée et à évita le regard de Fayne en se dirigeant vers Tyrath.

Elle grimpa sur le drake avec l'agilité d'un félin comme le faisaient si gracieusement les elfes. Le groupe prit place dans l'enceinte de la cour de l'Académie d'Archlan. Le fort était encore plus grand et robuste que dans les souvenirs d'Azéna. Sa force lui rappelait un majestueux chevalier en armure de mithril sur un étalon à la robe d'un blanc éclatant. Bien qu'un tel personnage n'existe probablement pas, l'idée lui plaisait bien.

Une demi-heure plus tard, les soleils jumeaux furent bien hauts dans le ciel, éclairant leurs sujets tels des rois. La chaleur qu'ils produisaient était particulièrement intense. Azéna commençait déjà à manquer les brises enjouées du royaume de la tempête.

Cette année, Azéna et Fayne furent simples spectatrices. La cérémonie du liage fut longue et infructueuse. Plusieurs recrues furent rejetées par tous les dragons. Azéna remarqua que les dragons semblaient être anxieux. Un drake rouge pâle perdit patience contre un bambin qui lui tirait la queue. Il fut arrêté à temps par Terenas alors qu'il était sur le point de le brûler vif. Les parents, fous furieux, ne laissèrent pas le temps à leur fils aîné de se laisser inspecter par les dragons et partirent.

Une fois la cérémonie du liage terminée et à l'intérieur de l'académie, Azéna et Fayne s'installèrent à la table des apprentis de deuxième année. Tyrath et Buhrik étaient perchés au-dessus d'elles. Ella, la dragonne verte de l'elfe des bois Teriondil, s'installa à leur côté. Elle avait encore grandi, ses grandes ailes étaient comme des nuages de jade. Elle baissa respectueusement la tête, saluant ses deux compagnons. Buhrik l'imita; Tyrath, les yeux écarquillés, se mit à tapoter l'un des pendentifs attachés aux cornes d'Ella. Celle-ci grogna puis, elle se résigna à laisser Tyrath s'amuser un peu.

- Elle a dépassé Buhrik en grandeur, c'est assuré, dit Fayne. Regarde son long cou et son corps élancé. Elle est magnifique. Eh, d'ailleurs, où est Teri? Ça fait un bail qu'on ne l'a pas vu. J'ai hâte de revoir sa tête.

Les deux amies cherchèrent du regard. Elles aperçurent plusieurs des visages familiers, mais Teriondil n'était pas présent. Arièlla Valkirel les salua de l'autre bout de la table puis, elle retourna son attention à Renora Shenir qui paraissait irritable, comme toujours. Au-dessus d'elles, leurs dragons, deux rouges, agitaient leur queue avec impatience.

- C'est bien de revoir tout le monde, dit Fayne avec joie.

Tous étaient installés. La table des premières années était très peu peuplée. Un malaise envahit Azéna jusqu'à ce qu'une nouvelle présence l'eût distraite.

Un elfe de lune à la longue chevelure neige soyeuse se leva devant l'auditoire. Son regard sévère et fort sonda les apprentis qui se turent aussitôt. Les portes de la Grande Salle se fermèrent à l'aide de magie.

Un cri provenant de l'autre côté des portes poussa Terenas à arrêter son sortilège. Un jeune elfe se faufila dans l'entre-ouverture. Il accourut vers sa table, l'air perdu. Le grand maître attendit patiemment puis termina son sortilège. Les immenses portes de bois et de métaux se fermèrent dans un boummm sourd.

Teriondil Murkwan, comme à son habitude, était imbibé d'une odeur étrange de fleurs et de nuit fraîche.

- Je méditais, expliqua-t-il à Azéna et Fayne.

Il s'assit en face de Fayne, ses cheveux avaient poussé durant les vacances. On aurait dit des vagues de feuilles de menthe qui cascadaient jusqu'au milieu de son dos. Il portait un anneau de plus à son oreille gauche. Comme à son habituel, son habit était de cuir et de fourrure, son regard rêvassait dans le néant et ses cheveux étaient décorés de plumes colorées.

- Ouais, c'est ça, répondit Azéna. Tu méditais...

Elle n'était pas convaincue. Il devait être en train de boire son fameux thé aux fleurs du crépuscule égrainées. Fayne sourit faiblement puis les trois amis posèrent leur attention sur Terenas. Le dragonnier rouge prit sont temps avant d'entamé le discours:

- Bienvenue aux nouvelles recrues et bon retour aux anciens.

Son regard s'arrêta sur la table des premières années.

- Comme vous pouvez le constater, cette année, le recrutement n'a pas été très fructueux. L'atmosphère est tendue, des rumeurs courent et les dragonniers doivent prendre des mesures afin de se préparer à certaines éventualités.

Azéna rétrécit dans sa chaise. Elle sentit Tyrath se réajuster sur son perchoir, son énergie agitée la rendit anxieuse.

Les yeux de Terenas s'abaissèrent légèrement.

- Cette année, une nouvelle menace se pose sur Aerinda. Même le royaume de Daigorn nous a reporté des événements bouleversants. Une organisation dénommée Sombrelame a fait surface. Leur but et intention ne sont pas encore clairs, mais ils nous sont hostiles. Ainsi, nous concentrerons le plus d'efforts possible à vous préparer, vous les apprentis, afin que vous soyez dragonnier accompli le plus tôt possible. Cette année sera compressée réduisant la formation de moitié.

Un apprenti hurla son opinion:

- Mais c'est déjà assez difficile comme c'est là! Nous allons nous écrouler au bout d'une saison.

Avant que Terenas ne puisse répondre, un deuxième apprenti prit parole:

- Comment reconnaître un membre de Sombrelame, Grand Maître?

Puis, un troisième:

- Nous ne sommes pas prêts pour une guerre!

Le dragon perché au-dessus de lui supporta son dragonnier d'un grognement affirmatif.

- Hé! Sombrelame, c'est le nom d'une équipe de skotar, s'exclama Azéna qui s'était souvenue de cette question qui lui trottait dans la tête depuis un moment.

D'un geste de main, Terenas demanda le calme.

- Patience. Je répondrais à toutes vos questions. Je suis conscient que ce ne sera pas facile pour personne, mais, en cas de guerre, nous nous devons d'être prêts. Nous avons prêté serment. Protéger Aerinda est notre devoir. En ce qui consiste les minions de Sombrelame, nous pouvons les identifier grâce à un tatouage qu'ils arborent tous sur l'omoplate gauche. Se faire marquer par le symbole de l'organisation est une obligation pour devenir membre. Ce symbole est tout simplement une épée aux allures sombres. Elle peut différer d'un individu à l'autre, mais la base du dessin ainsi que l'emplacement sont les mêmes.

Il continua son discours et sauta la question posée par Azéna.

« Étrange, résonna la voix Turion dans l'esprit de la jeune demie-elfe. C'est louche tout ça. Pourquoi Terenas refuse-t-il de répondre à ta question? »

Azéna faillit sursauter. La plume améthyste de l'ancien dragon était nichée dans une poche de la tunique d'Azéna. Elle oubliait souvent qu'il était présent.

« Je ne sais pas, répliqua-t-elle. C'est énervant. »

Tyrath souffla une brise de son nez et pétrit le perchoir de ses griffes, éraflant la pierre polie. Tonxa, d'abord confuse, le fixa curieusement puis, elle l'imita, convaincue qu'il essayait de prouver sa dominance. Cette fois, Tyrath ne la trouva pas amusante. Il secoua la tête et foudroya Terenas du regard. La petite brune resta perplexe et poussa un léger gémissement.

Azéna leva le regard.

- Qu'est-ce qu'elle fait ici? questionna-t-elle en parlant de Tonxa. Elle devrait être avec Dogan.

- Elle est probablement lassée de jouer à la garde, grogna Tyrath, alors elle est venue m'embêter. De toute façon...

Il souffla à nouveau avec férocité de ses narines à nouveau avant de continuer:

- ...le grand maître est injuste. Il devrait te répondre. Ça me ronge, ça me met en colère, termina-t-il alors qu'il se mit à pétrir le métal à nouveau.

Azéna n'était pas d'humeur à hausser sa voix pour se faire entendre du dragon argenté. Elle préféra porter son attention sur Terenas. Elle fut un trop tard, car l'elfe avait terminé son discours et la nourriture fut servie. Comme d'habitude, ce fut un festin pour tous les goûts.

- Un nouveau met, s'exclama Teriondil.

Il fit une pause pour examiner les plantes aux feuilles blanches dans la salade étrange. Il plongea sa fourchette et gouta.

- Étrange comme saveur. Ça me rappelle un fruit exotique.

Azéna perdit intérêt et enfouit sa main dans la poche où reposait la plume de Turion. Elle l'effleura doucement comme pour l'éveiller.

« Sais-tu s'il y a un lien entre l'équipe de skotar et cette organisation? Tu es beaucoup plus sage, vieux et éduqué que le grand maître. »

Pendant qu'elle attendait pour une réplique, Azéna fit comme si rien n'était. Elle remplit son assiette de viandes, de pain et d'un peu de pommes de terre garnis d'ail rôti.

Finalement, le dragon violet parla:

« Soit ma mémoire défaille ce que je doute, ou bien je n'ai tout simplement aucun souvenir de ce nom. Je suis probablement mort avant son invention. Ce n'est pas de mon temps. »

Azéna avait déjà une solution en tête.

- Allons à la bibliothèque, dit-elle à Fayne et à Teriondil. Il faut savoir l'historique de Sombrelame.

- J'irai avec Teriondil, proposa Fayne.

Azéna réalisa qu'elle était toujours bannie de la bibliothèque. Elle fronça les sourcils puis un sourire confiant se dessina sur ses lèvres.

- Je viens aussi. On verra bien. Peut-être que je ne serai plus bannie. C'est une nouvelle année après tout!

- Je doute, mais ton enthousiaste est tellement magnifique que je vais te laisser venir en espérant que la gardienne sera tolérante.

- Ce n'est un sortilège ce truc dément. Elle aura bien oublié.

Elle et Teriondil échangèrent un regard inquiet puis le trio termina leur repas.

À la fin de la cérémonie d'ouverture, ils dirent bonne nuit à leur dragon et partirent vers la bibliothèque à la place de suivre les autres apprentis à leur tour respective. Une fois arrivé à destination, ils furent accueillis par une enseigne était accrochée aux portes.

- Réouverture demain matin, lut Fayne.

- Non, non, non! hurla Azéna dans sa frustration.

- Mais, arrête! Tu vas enrager la gardienne encore.

- On s'en fout un peu. C'est important.

- Un peu de patience, conseilla Teriondil. Une nuit ne va pas tuer personne.

- Je refuse d'attendre! grogna Azéna. Le grand maître cache quelque chose. Vous vous en rendez compte?

- Et si c'était pour notre bien? questionna Fayne. Aie confiance en tes maîtres.

Elle leva le ton et bientôt les deux jeunes dragonnières criaient. Leur débat prit fin abruptement lorsqu'une voix féminine et sterne les enterrèrent:

- Vous ne savez pas lire? Quelle bande d'idiots. Allez-vous-en !

Les trois dragonniers figèrent et se retournèrent vers les portes. Là, une image d'une femme au corps translucide flottait, les observant avec les bras croisés.

- Gardienne! s'exclama Azéna. Pourrais-tu nous accorder-

- Non, coupa la gardienne de la bibliothèque. Et certainement pas à toi. Je ne t'ai pas oubliée.

Fayne ricana légèrement, sachant qu'elle avait eu raison de douter qu'Azéna avait été pardonnée.

De son côté, Azéna sentit l'impatience bouillir en elle.

- Pourquoi la bibliothèque est-elle fermée? La saison d'apprentissage est officiellement ouverte, elle.

- Ce n'est pas votre souci, répondit fermement la gardienne.

Azéna détacha son regard de l'étrange représentation du sortilège et tenta de voir ce qui se passait dans la bibliothèque. Des sortilèges de lévitation transportaient plusieurs livres de la section publique à interdite.

La Gardienne fusilla Azéna du regard et d'un ton sec, elle ordonna au trio de partir. Azéna s'obstina jusqu'à ce que la Gardienne menace d'appeler le grand maître. À ce point, elle était rouge de rage et c'est Fayne et Teriondil qui la trainèrent à la Tour de la Motivation, la résidence des apprentis de deuxième cycle. Elle était parfaitement identique à la Tour de la Connaissance mis à part le petit symbole qui reposait au sommet de la porte d'entrée qui représentait le nom de son porteur: un guerrier qui s'entraînait au bout de sa sueur. Encore une fois, Fayne et Azéna avaient fait la demande pour une chambre ensemble.

Alors qu'elle défaisait ses bagages, Azéna ne dit pas un mot. Son esprit était préoccupé par une folie. Une idée folle. Elle se tourna vers Fayne.

- Je vais me faufiler à l'intérieur de la bibliothèque durant la nuit.

Non ! s'exclama l'herboriste avec choque.

Elle se reprit plus calmement:

- Tu dois comprendre les risques. Tu pourrais être expulsée pour infraction.

- Vraiment? C'est si grave que ça? Ce n'est que la bibliothèque!

- Arrête de faire l'idiote, dit Fayne d'un ton alarmiste.

- On doit savoir. Imagine si ça changerait tout.

- Exactement. Ton expulsion changerait toute ta vie.

- Pèse les arguments. Je crois que ça en vaut le risque. Ils ne peuvent pas m'enlever Tyrath. Il est lié à moi.

- Je ne crois pas que c'est une bonne idée. Soit patiente un peu. La bibliothèque ouvre demain matin.

Elle soupira et tira les couvertures jusqu'à son cou.

- On n'en reparlera. Je te le promets. Repose-toi un peu, d'accord? Tiens-toi tranquille cette-nuit!

Un instant passa. Azéna se leva d'un bond, mais une faible voix résonna dans son esprit et elle s'arrêta:

« J'ai un mauvais pressentiment à ce sujet, dit Turion. Il sera sage de vérifier. Cependant, il n'est pas très brillant de chercher les ennuis. Nous pouvons éviter ton expulsion. Je suis avec la jeune Litfow là-dessus. »

« Ça va, ça va, songea Azéna. J'ai un autre plan. »

Elle sourit en coin et s'allongea sous ses couvertures de laine. Elle détestait ces couvertures; elles piquaient et l'empêchaient de dormir.

Pendant des heures, elle songea à son plan avant de finalement s'endormir. Le jour suivant, elle allait lancée l'exécution de ce fameux plan et elle ce simple fait lui donna un sommeil léger.