14 - Exécution publique

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25e jour de la saison du soleil 2448

Pour ce qui semblait être la centième fois, Fingäar jeta un coup d'œil aux soleils afin de déterminer le temps de la journée. Il fronça les sourcils et dépêcha le groupe.

La cérémonie d'ouverture allait bientôt commencée et ils étaient toujours à une bonne demi-heure de marche d'Atgoren. Au moins, on pouvait apercevoir la cité avec aise. Elle grandissait lentement. Azéna s'efforçait à suivre la cadence de l'elfe pressé. Elle se sentait handicapé par les bagages qu'elle portait sur son dos; une autre punition pour avoir été irresponsable avec de l'alcool. Des perles de sueurs roulant de son front, elle réalisa que sa force physique n'était pas à son meilleur. Elle grogna et redoubla sa vitesse. Fayne lui avait lancée un regard rempli de compassion. Azéna savait que son amie lui aurait venue en aide si elle avait pu.

Depuis que les dragons étaient partis chassés, ils étaient à pieds et la lenteur frustrait Fingäar.

- Ils auraient pu attendre qu'on soit arrivés, grogna-t-il.

Azéna pris un autre pas en avant, ses bottes s'enfonçant dans la boue et réprima un bougonnement. Le commentaire de l'elfe vint lui peser sur le dos. Elle avait envie de lui lancer les bagages au bout de ses bras et de lui dire d'échanger ses testicules pour des ovaires. Elle serra les dents, se retenant et, opta pour un commentaire plus doux. Tenir sa langue était trop dur.

- Quel bébé, murmura-t-elle.

Seule Fayne l'entendit.

- Azéna, dit-elle tout bas. S'il te plait... Contrôle-toi...

Le garçon manqué soupira. Elle voulait dire à son amie que c'était une grande amélioration de son commentaire original, mais au lieu de cela, elle haussa le regard vers le ciel à la recherche de Tyrath, son compagnon de vie.

- J'espère qu'ils reviennent bientôt. Ça serait plus facile.

Un sourire se dessina sur ses lèvres. Elle se rappela son heure passée en compagnie de Melanh'tash. C'était un court montant de temp, mais ce n'en fut assez pour une vie entière de croissance mentale. Apparemment aussi pour se saouler à la manière des pirates comme disait si allègrement la forgeronne, la meilleure manière. La manière où tu vomis ton cœur et tes bibittes. C'est à ce moment que Azéna avait réalisée qu'elle était bien différente de ce qu'elle croyait. À moitié elfe et possiblement homosexuelle. Le pire cauchemar pour une jeune Dame de la noblesse. Et pourtant, elle se sentait bien, meilleure qu'elle ne l'avait jamais été. Pourquoi s'en faire? Elle avait des buts solides, des merveilleux amis, de puissants alliés et une vocation que même un roi aurait désirée. Une pensée négative lui traversa tout de même l'esprit. Il fallait le dire à Fayne, un jour, qu'elle aimait les filles. Elle ne pouvait pas passer sa vie amoureuse dans le noir éternellement. Mais, d'après l'autorité, l'homosexualité c'était une perversité. Poses toi toujours des questions, avait conseillé Mel entre deux gorgées de rhum. Et la question était : est-ce mal? Azéna n'en voyait aucun inconvénient mis à part briser la tradition et la difficulté d'engendrer ses propres enfants biologiques. La chère tradition, tout comme la loi, décidés par les nobles, les rois et les reines. Cette pensée l'irrita.

« Je suis différente, songea-t-elle. Je suis capable de leur faire face. »

Un petit cri de soulagement secoua Azéna hors de ses pensées. Fayne pointa le ciel, où un point scintillant grandissait rapidement. On aurait dit une gemme azure puis, l'image s'éclaircit en une forme ailée. À leur tour, trois autres gemmes firent leur entrée, un argenté, un blanc-neige et, finalement, un sable.

- Buhrik, Tyrath, Karia et Tonxa, dit Fayne. Ils sont de retours.

Pour la première fois dans la journée, Fingäar sourit. En fait, tous les dragonniers sourirent. Voir leur dragon si majestueux dans les cieux leur ravissait le cœur. Tonxa, petite et élancée, s'amusait à atterrir sur le dos de la bien plus grande Karia. La blanche grogna en signe d'avertissement mais, Tonxa l'ignora, levant bien haut la tête dans le vent. Tyrath, les yeux aussi gros qu'un bouclier rond, se mouvra silencieusement vers elle. Il se pencha, prit la plus grande attention dans chacun de ses pas. Intuitive, Karia sentit ses mouvements et claqua des mâchoires vers lui, le ratant de près.

- Les racailles, ria Dogan. Tonxa adore taquiner les adultes.

- C'est une drake comme Tyrath, confirma Fayne. Pas étonnant qu'il essai de l'imiter.

- Mon gros bébé immature, dit Azéna avec fierté.

En effet, Tonxa faisait un peu plus courte que Tyrath, mais elle était un peu plus vielle que lui. Les dragons bruns et bleus étaient les plus courts de leur espèce.

- Quel âge a-t-elle? demanda Fayne.

- Vingt-sept ans, répondit Dogan. C'est encore une enfant, presque adolescente par contre. Bientôt, elle va commencer à tourner autour des mâles.

- Elle est si magnifique. Je n'ai jamais vu un dragon avec une telle couleur d'yeux et d'écailles.

Tonxa riva ses yeux rose pâle sur Fayne et émit un petit grognement de remerciement, le regard pétillant d'énergie.

- Je suis jeune et petite mais, il ne faut pas me sous-estimer.

Sa voix était aussi vivante que sa personne. Elle replia ses ailes contre son corps et s'élança vers un grand rocher. Elle le frappa d'un coup de tête puissant. Une fissure, deux, trois et, finalement, il s'écroula sous le choc.

- Comment? Ta tête! s'exclama Fayne, les yeux écarquillés, choquée.

Dogan sourit fièrement, laissant l'honneur à Tonxa d'expliquer. La dragonne brune fouetta un morceau de roche hors de son chemin avec sa queue et retourna près de son dragonnier.

- La tête des dragons bruns sont extrêmement solides. On l'utilise pour briser et creuser avec l'aide de nos griffes.

- Assez avec l'arrogance, rogna Fingäar. Allez, on continue à Atgoren.

Tonxa fit la moue, mais obéit. Les dragonniers enfourchèrent leur compagnon et, en quelques minutes, ils traversèrent les portes principales d'Atgoren, cité des dragons et dragonniers. Ils virèrent pour l'académie d'Archlan. Le brouhaha du centre-ville piqua la curiosité des deux drakes; ceux-ci changèrent de cap. Les deux dragons adultes, Buhrik étant maintenant dans sa première année en tant que dragon, suivirent. Une foule immense bloquait la rue principale. La Garde de la Cité tentait en vain de calmer les habitants.

- Qu'est-ce qui se passe? demanda Tyrath.

- Allons voir, s'excita Tonxa de sa nouvelle mission.

La drake sable vira et atterrit sur le toit d'une maison à proximité du groupe. Tyrath et Buhrik choisirent la même maison que Tonxa, laissant la deuxième à Karia qui était beaucoup plus massive qu'eux. La patte derrière droite de Tyrath dérapa et il poussa un cri surpris. Buhrik réagi rapidement; il mordit l'un des plus longs piquants au cou de Tyrath. Le drake argenté se redressa, encore un peu étourdi par le choc. Il secoua la tête légèrement et remercia son compagnon d'un hochement de tête.

- Sois prudent, dit Buhrik. Les tuiles sont encore un peu humides de la dernière pluie.

Les habitations d'Atgoren avaient été conçues en considération des dragons. Ainsi, ils étaient robustes et de parfaits perchoirs pour les majestueuses créatures. En avant de la foule, en vedette, était présenté un homme enchaîné sur une plate-forme en bois. À ses côtés, des dragonniers veillaient à ce qu'il ne bouge pas. Derrière, un quatrième homme affilait une grande hache de guerre. Azéna devina rapidement ce qui se passait.

- Une exécution publique.

Elle en avait rarement vu puisque son père préférait qu'elle ne soit pas présente à ce genre d'événements mais, elle savait tout de même en reconnaître un aisément.

- C'est ça la cérémonie d'ouverture? Soient ils rigolent ou ils sont des idiots.

Fingäar était concentré sur le condamné.

- Tu sais c'est qui? demanda Dogan. On ne nous a pas avisés. »

- J'aurai choisis une autre route si j'aurai su, grogna l'elfe lunaire. Et non, je ne sais pas, mais il ne semble pas important. Il porte des vêtements de vagabond commun.

En effet, l'homme en question portait une armure rudimentaire de cuir, une vielle cape à capuchon et des bottes hautes qui tombaient en morceaux. Sa barbe restait légère malgré le manque d'entretien évident. Sa figure mince, élancée mais, tout de même, puissante résonnait elfe mais, aurait pu aussi bien être humaine. Mais ce qui confirma sa race fut l'abaissement de son capuchon. Ses courtes mais pointus oreilles transperçait ses longs cheveux sales soulignant qu'il n'avait pas eu accès à un bain depuis quelques temps.

La révélation fit réagir l'audience.

- Du calme, demanda le dragonnier à la droite de l'elfe. Habituellement, Atgoren ne se salit pas avec la justice du Haut-Roi mais, aujourd'hui est un jour spécial. Nous avons devant nous un traître et un danger aux sujets de l'Empire du Haut-Roi.

Le dragonnier continua son discours, mais des battements d'ailes l'enterrèrent momentanément. Une immense dragonne, un peu plus grande que Karia, prit place sur la maison à côté de celle où étaient installés Tyrath et Buhrik. Elle secoua la tête et renifla, une salutation qui fut retournée des autres dragons.

- Grand Maître Vigoth, s'exclama Azéna, le sourire aux lèvres.

Vigoth était toujours un plaisir; Azéna adorait cet elfe lunaire. Il rayonnait toujours de son bon-vivant, mais aujourd'hui, il se faisait gris.

Fayne, Fingäar et Dogan hochèrent de la tête par politesse à leur supérieur. Vigoth répondit par un mince sourire.

- Quelle horreur, n'est-ce pas? Toutes mes excuses pour ce spectacle. L'ouverture, la cérémonie du liage, sont supposés êtres de joyeux évènements.

- C'est un traître et un danger, non? demanda Azéna. Alors, c'est une bonne chose.

L'innocence de la jeune demie-elfe fit sourire Vigoth.

- La mort ne devrait jamais être célébrée. Rien n'est noir ou blanc. Par contre, une décision doit être prise.

- C'est inhabituel, dit Fingäar. Atgoren n'est jamais l'hôtesse de brutalité. Pourquoi celle-ci?

Il s'adressa à Vigoth :

- Grand Maître, que se passe-t-il? »

Ce dernier ne lui accorda aucun détail.

Les yeux rivés sur la scène, le groupe se sentit rétrécir lorsque la tête du condamné roula au sol. Son sang, virevoltant, projeté dans tous les sens, teinta le bourreau, la plateforme, quelques spectateurs et finalement, s'encra entre les pierres du chemin. Le condamné n'avait pas bougé, il ne n'avait pas lutté. Il avait accepté sa mort comme s'il avait accompli un exploit, comme si sa vie était complète.

- Bon retour, dit Vigoth dans une neutralité qui trahissait son serrement au cœur.

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