01 - Une pluie de honte

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4e jour de la saison du soleil 2448

Le cavalier en tête du groupe leva un poing, arrêtant la marche. Sa monture, un troxx, poussa un grognement impatient et obéit. Son cavalier lui offrit un morceau de viande sèche qu'il renifla et avala d'un seul coup après un moment de dégoût. Il posa sa main sur une corne de guerre qui pendait à son cou et s'apprêta à souffler dans celle-ci lorsqu'un deuxième cavalier avec une monture semblable s'approcha.

Non loin derrière, Serfantor écoutait.

- Quel est le problème? demanda le second cavalier. Nous sommes presque arrivés. Son Ombre attend ses fils.

Le cavalier de tête fusilla son compagnon du regard. Ses petits yeux gris brillaient sous son heaume noir. Il retira son gant et sa main aussi sombre que le métal de son armure s'approcha de la tête de sa monture. Il caressa les écailles rouges du long et mince museau reptilien du troxx puis les plumes pâles décorant sa tête.

- Avant de pénétrer en territoire royal, je dois parler aux princes. Va me les chercher.

- Je ne suis pas ton serviteur, répondit le deuxième cavalier. Je suis un Heaume Noir, exactement comme toi.

- Devrais-je alors expliquer à la reine comment tu as failli me tuer avec tes manigances lors de notre voyage à l'académie d'Archlan?

- Je n'ai pas...

- Mais qui va-t-elle croire? Toi ou moi, son favori? Tu ne voudrais pas devenir le repas de la féroce noire derrière.

Le deuxième cavalier jeta un coup d'œil derrière et aperçut la dragonne noire du prince qui surveillait les Heaumes Noirs, guerriers d'élite de la reine, avec un œil assoiffé. Résigné, il fit signe à son troxx de faire demi-tour.

- Bon garçon, dit le Heaume Noir de tête. Ramène-les vite avant que ma patience ne s'écoule.

Quelques instants plus tard, Serfantor et Katanor se présentèrent à lui.

- Qu'est-ce qu'il y a, Sir Bregkhon? demanda Serfantor.

Bregkhon retira son heaume et inspira longuement, comme s'il n'avait pas respirer correctement depuis un long moment. Il frotta son long menton et fixa l'horizon.

- Tu vois la citadelle devant nous?

Les fiers et hauts murs de la citadelle dominaient les steppes grisées qui tournaient lentement au vert pour l'été. Le château noir au centre surplombait la grande cité, le tout formant la grande Norkux.

Serfantor fronça les sourcils dans sa confusion.

- Bien sûr. C'est Norkux. Et alors?

- Tu te souviens de notre entente? J'espère que oui. Dites à vos dragons de rester en dehors du territoire royal si vous ne voulez pas mettre votre reine en colère.

- Pourquoi elle ne voudrait pas? demanda Katanor avec innocence. C'est elle qui voulait qu'on se lie avec un dragon.

- N'essaie pas de comprendre, dit Serfantor. C'est mère; ses actions sont inexplicables.

Bregkhon fronça ses sourcils blancs et pointa les deux dragons de la tête. Serfantor prit son petit frère par la main et l'entraîna vers eux. Bregkhon remit son heaume sur sa tête et fit signe au groupe de continuer leur chemin.

- Pourquoi est-ce qu'il se prend pour le maître ici alors qu'il n'est pas plus important qu'un autre Heaume Noir? demanda Katanor.

- C'est compliqué, répondit Serfantor. Mère est très friande de lui et, en cause de cela, il abuse de cette opportunité. Tu connais la nature des elfes gris.

- C'est typique de nous.

Un Heaume Noir et son troxx passèrent à leur droite. Sa monture siffla, faisant sursauter Katanor.

- Maintenant, n'en parlons plus, dit Serfantor. Nous sommes déjà chanceux qu'il ait laissé Shalith et Klaal nous accompagner jusqu'ici.

Ils atteignirent les deux dragons qui les attendaient en nettoyant leurs écailles. Serfantor avait espéré que Shalith n'avait pas entendu, mais la dragonne avait trop les oreilles fines pour cela.

- Cet idiot vous a encore causé du mal, grogna-t-elle. N'êtes-vous pas leurs princes? Pour qui se prend-il?

Serfantor et Katanor enfourchèrent leur dragon. Klaal leva la tête avec curiosité.

- Encore le long bec de corneille?

Shalith renifla avec irritation et se mit en route, le jeune drake vert à ses côtés.

- Arrête de l'appeler comme ça, dit Serfantor.

- Ça lui va bien, dit Shalith sur un ton empoisonné. Son museau et très long, tout comme son heaume bizarre et il croasse des ordres comme une corneille. D'ailleurs, qu'est-ce qu'il voulait?

Shalith n'était que rarement amusée par des blagues aussi enfantines. Elle devait vraiment détester Bregkhon. Serfantor lança un regard à demi-attristé à son frère.

- Il est temps que vous preniez une décision, dit-il aux dragons. Restez ici ou retourner à l'académie.

- C'est déjà ce temps? demanda Klaal, ses yeux larmoyants.

- Je crains que oui.

Shalith observa les environs. Il n'y avait que des steppes à perte de vue et quelques arbres solitaires qui décoraient les petites collines. La vie n'était pas florissante comme à l'académie. Il leur fallait trouver une bonne place pour survivre. Loin, à l'est, elle aperçut une petite forêt de pins malgré la noirceur. Dans cette région, la lumière n'avait pas de place. Les elfes gris vivaient dans une nuit éternelle que les prêtres de Noktow et les élémentalistes d'ombre formaient en travaillant constamment à maintenir un sortilège complexe.

- Cela te plairait? demanda Shalith à Klaal.

Klaal jeta un coup d'œil à son tour.

- Ce n'est pas grand-chose, mais ça suffira pour l'été. Où allons-nous trouver à manger? C'est la mort qui règne ici.

- Au pire, nous voyagerons.

Klaal poussa un gémissement plaintif.

- Tu sais toujours comment voler, non? demanda Shalith.

- Pfff, dit Klaal, énervé par le commentaire de la dragonne.

- Bon. On peut parcourir des kilomètres en peu de temps alors, arrête de te plaindre. Tu es un dragon, pas un mouton.

Le son de la corne de guerre de Bregkhon résonna et le groupe ralentit. Serfantor sauta au sol et fit signe à Katanor de se dépêcher puis, il se tourna vers Shalith.

- Partez, et soyez saufs. On se reverra bientôt.

Shalith courba le cou afin de tenir sa tête haute. Elle le regarda de son unique œil; le deuxième étant aveugle et toujours en train de guérir. Elle cligna lentement.

- Ne t'inquiète pas, rassura Serfantor. J'irai bien. Je ne ferais rien d'imprudent.

Shalith plissa les yeux et grogna avant d'adoucir son expression.

- Ils n'auront pas de pitié pour toi et tu es si petit. Tu me le promets?

Serfantor hocha de la tête. Satisfaite, la dragonne noire s'envola en direction de la forêt de pins. Katanor dit un dernier au revoir à Klaal alors que le dragon vert la suivit.

- Tu me sembles pensif frère, dit Katanor. On les reverra, bientôt, tu sais. Qu'est-ce qui te trouble?

Serfantor fixa les deux dragons rapetissés au loin. Ses traits durcirent à la question.

- Viens.

Il pressa le pas afin de rattraper le milieu du groupe où ils étaient supposés restés. Katanor le suivit la mine basse. Un Heaume Noir s'approcha avec deux troxx; un mâle noir au plumage orange et un deuxième, celui-ci aux écailles argentées et au plumage noir.

- S'il vous plaît, acceptez ces montures, mes princes. C'est encore une longue route avant d'atteindre Norkux.

- Ce n'est pas comparable à Shalith, mais ça fera l'affaire pour le moment, dit fermement Serfantor.

Il grimpa sur le dos du troxx noir. Il ne lui causa aucune difficulté.

- Il est très bien entraîné.

- Merci, mon prince, répondit le Heaume Noir. Ce n'est pas le cas pour notre jeune argenté ici.

Katanor luttait pour calmer son troxx, le jeune argenté au plumage noir. La reptile était costaud pour son âge et sa race. Sa musculature rappelait celle d'un troxx uruss. Il secouait la tête, grattait le sol de ses griffes acérées et ne tenait pas compte des ordres de son cavalier. Serfantor ordonna à sa monture d'approcher et il agrippa les rênes du troxx rebelle. Il donna un coup et le troxx s'immobilisa dans un sifflement agacé.

Katanor le regarda avec un regard à demi reconnaissant.

- Prends le mien, dit Serfantor. Je m'en occuperai.

- Mon prince, dit le Heaume Noir, en êtes-vous certain? Prince Katanor a besoin d'être plus ferme. Ça lui donnera un bon entraînement.

- Nous venons de passer plusieurs saisons à nous entraîner avec un dragon. Je crois qu'il mérite du repos. Par contre, il devra m'observer et apprendre.

- Comme mon prince le souhaite.

- Je sais comment discipliner mon troxx, grogna Katanor.

- Apparemment, pas encore, dit Serfantor.

Serfantor et Katanor échangèrent de troxx et Serfantor s'avéra très sévère avec le sien. Le troxx finit par lui obéir sans broncher.

- Tu me fais paraître faible, dit Katanor plus tard alors que les autres n'étaient pas à proximité.

- Ne t'inquiète pas, dit Serfantor. Tu auras l'air d'un puissant combattant avec Klaal lorsque tu termineras tes études. Ne te préoccupe pas des troxxs. Préoccupe-toi des autres, particulièrement de Sir Bregkhon, de mère et de père, encore plus spécialement de mère.

Katanor parut surpris.

- Pourquoi de mère et père? Ils sont là pour nous protéger et nous élever.

- Ne crois pas tout ce qu'on te dit. Chaque âme possède plusieurs facettes. Tu te souviens de ce dicton, j'espère.

Katanor regarda nerveusement autour de lui.

- Mais, pas eux.

Serfantor ne réagit pas. Il resta droit et aussi inexpressif qu'un bloc de glace. Katanor attendit une réplique, mais après un moment, il réalisa que son frère était sérieux. Il baissa la tête.

- Fais-tu confiance à quelqu'un, mon frère?

- J'ai confiance en Shalith, répondit-il. Maintenant, redresse-toi. Nous arrivons à Norkux. Ils ne doivent pas voir ta peur. Mère et père vont le savoir.

Chaque fois qu'ils retournaient à Norkux, c'était pareil; il réconfortait son petit frère afin qu'il ne défaille pas à ses émotions. La pression exercée par la société elfe grise n'avait pas été un fardeau pendant six saisons paisibles grâce à la protection de l'académie. Ils devaient s'y réhabituer et rapidement s'ils voulaient survivre.

- Pourquoi? demanda Katanor, le cœur battant et de la sueur brillante à son front.

- Je ne sais pas, répondit Serfantor. Mais, c'est qui nous sommes. Ne pose pas de questions. Concentre-toi sur ta survie. N'oublie pas les leçons de mère et père.

Devant eux s'élevait dans toute sa splendeur un château protégé de grands murs de pierre noire. Sur les remparts étaient stationnés plusieurs archers et les capitaines qui les commandaient. À l'intérieur, Serfantor savait que plusieurs assassins attendaient pour leur chance d'affaiblir sa famille. Chez les elfes gris, la royauté ne se gagnait pas par héritage, mais par prouesse. La famille la plus douée en assassinat était normalement celle qui régnait sur le reste. Plusieurs autres facteurs déterminaient le rang des familles telles que la richesse, la force militaire, la réputation, la manipulation sociale et d'autres compétences utiles.

Le groupe s'arrêta devant le pont-levis levé. Les Heaume Noirs s'équipèrent de leur bouclier et de leur arme de préférence. L'un d'entre eux apporta aux princes leur armure et les aida à l'enfiler.

- Rabaisse ta visière, ordonna Serfantor à Katanor.

Le jeune elfe gris grommela qu'il n'y voyait rien, mais obéit.

- Surtout, ne meurs pas, dit Serfantor.

Katanor serra son emprise sur les rênes de son troxx. La corne de Bregkhon résonna et le pont-levis fut baissé. Le groupe avança dans un rang serré. Les Heaumes Noirs levèrent leurs boucliers pour former un mur protecteur autour d'eux et des princes qui se trouvaient au centre.

Une fois à l'intérieur, deux Heaumes Noirs tombèrent immédiatement à la main d'assassins. L'un d'entre eux n'était pas très brillant et s'était fait capturer par les Heaumes Argentés, gardes de la cité, dédiée uniquement à la protection neutre de Norkux. Les autres n'osèrent pas continuer leur attaque.

Personne n'acclama l'arrivée des princes. Des centaines de paires d'yeux attentifs observaient la scène depuis les ombres.

Le silence se faisait lourd et Katanor perdait son calme. Il s'assura qu'un Heaume Noir le protégeait de chaque côté et s'efforça de ne pas abaisser la tête. Serfantor le surveilla de près tout le long de la route.

Ils traversèrent la cour puis, un deuxième pont-levis, celui-ci plus petit que le premier et enfin, ils atteignirent le château. Ses murs étaient imposants et de la même pierre noire que les murs extérieurs et ils étaient décorés de statues de trois divinités : Noktow, le Père de la Mort, Mukhèr, l'Ombre À Deux Visages ainsi qu'Èlskaëve, Courtisane Dont La Couronne Luit, cette dernière récemment ajoutée par la nouvelle reine qui avait un faible pour le sexe et la passion.

À la vue de la statue de Noktow, tous les elfes gris baissèrent la tête respectueusement. Les immenses portes en fer sombre s'ouvrirent lentement dans un grincement aigu. Plusieurs Heaumes Noirs ainsi que des serviteurs les attendaient à l'intérieur. Les serviteurs débarrassèrent les princes de leur armure ainsi que de leur troxx et leur offrirent une tenue de soie très chic de teinte foncée comme la norme le voulait. Les princes les enfilèrent et furent escortés au Grand Hall de l'Ombre, soit la chambre de trône. Un peu partout, les bannières de la maison Diramin étaient exposées, une chouette grise sur un champ violacé. Un blason que Serfantor avait grandi à détester.

Le hall était terriblement long et Serfantor eut le temps de savourer l'image de sa punition plusieurs fois avant de s'arrêter devant les deux elfes gris installés sur leur trône en obsidienne et en améthyste. Les gemmes étaient polies à la perfection. Ils semblaient si doux qu'on y était tenté d'aller les caresser, mais les elfes gris savaient mieux et s'abstenaient.

La reine portait une robe en soie noire translucide extrêmement révélatrice. Son visage aux traits durs mais jeunes brillait de malice. Ses pommettes ressortaient, lui donnant une allure féroce. Elle posa sa main sur celle de son roi, un elfe gris aux longs cheveux argentés et au regard soumis. Elle creusa ses longs ongles dans sa peau et griffa. Le roi fronça les sourcils, évidemment souffrant, mais ne bougea pas.

- Mes fils, dit la reine en les observant avec un regard cruel. C'est si bon de vous revoir.

Serfantor et Katanor firent une révérence et dirent ensemble : Mère.

La reine sourit. Son sourire était artificiel. Elle se tourna brièvement vers Sir Bregkhon.

- Merci aux Heaumes Noirs d'avoir si vaillamment protégé mes fils.

Serfantor aperçut une lueur d'extase dans les yeux de sa mère qui ne durera qu'un moment, mais il ne l'avait pas raté. Il comprit maintenant pourquoi Bregkhon était son favori. Cela ne l'étonna pas, sa mère était incapable de contenir son appétit sexuel. Il sourit à lui-même, satisfait d'avoir compris son petit jeu.

Sa mère le fusilla du regard.

- Je ne sourirais pas si j'étais à ta place, lâcha-t-elle sèchement. Pas dans la situation dans laquelle tu t'es fourré.

Le visage de Bregkhon s'illumina tandis que celui de Serfantor s'assombrit.

- J'ai essayé de mon mieux, dit le prince.

- Ton mieux ne suffit pas, dit le roi. Tu es un Diramin. Ton potentiel dépasse ton mieux. Nierais-tu être mon fils?

La reine enfonça ses ongles dans sa peau grise.

- Silence, mâle. Je parlerai à nos fils de leur performance.

Ses yeux pâles se fixèrent sur lui et brisèrent son autorité. L'auditoire tressaillit.

- Katanor, appela-t-elle. Mon plus jeune, mon plus innocent.

Katanor ne réagit pas, il était terrorisé. Serfantor lui donna un coup de coude subtil et enfin, il leva les yeux sur sa mère, non parce qu'il le voulait, mais parce qu'il avait peur de l'offusquer.

- Oui, mère? dit-il d'une voix tremblante.

La reine réfléchit pour un moment. Son regard pesait sur Katanor qui retenait maintenant une larme.

- Cette elfe lunaire, cette Fiara Blakar, m'a dit que tu causais beaucoup de problèmes à l'académie. L'arrogance n'amène à rien. Il faut être charmant et rusé. Que t'ai-je donc appris durant toutes ses années?

- Ça ne se reproduira plus, lui assura Katanor.

- Il ne vaut mieux pas. Tu fais honte à la Maison Diramin avec tes stupidités. Le monde extérieur n'est pas à plaire. La seule chose qui importe est que tu gagnes ta place dans le pouvoir. Pour gagner du pouvoir, tu dois être charmant. Garde t'es ennemis proches.

Katanor se recroquevilla légèrement sur lui-même.

- L'an prochain, continua la reine, tu seras un elfe gris exemplaire. Tu sembles avoir oublié tes leçons. Va dans ta chambre, j'enverrai un maître te rafraîchir la mémoire... Un volontaire?

Katanor sortit du hall sur un pas pressé et anxieux, un elfe gris habillé d'une robe de prêtre à ses talons.

Une fine pluie tomba sur les grandes fenêtres de la toiture. De là haut, un grognement retentit. Serfantor sentit ses muscles se détendre. La présence de Shalith le rassura. Heureusement, personne ne sembla la remarquer.

- Et toi, dit la reine d'une voix plus cruelle et venimeuse qu'un poison de scorpion.

Serfantor leva la tête et plongea son regard dans celui de sa mère.

- Oui, mère?

- Tu as apporté une grande honte à notre famille, grogna-t-elle. Une pluie de honte comme la température le démontre si bien.

Elle riva le regard vers le haut. Ses pensées se perdirent pour un instant dans la noirceur du ciel; un nuage gris foncé couvrait la plupart des étoiles. Son doigt se faufila jusqu'à sa coupe de vin. Elle prit une gorgée et lui accorda à nouveau son attention.

- À partir de maintenant, tu m'appelleras par mon titre de royauté.

Serfantor grimaça et s'inclina encore plus bas. Il sentait le regard de sa mère lui percer l'âme. Il fut troublé par sa décision. Il entendit des chuchotements dans l'auditoire, une vingtaines de représentants de maisons importantes. Apparemment, les paroles de la reine les avaient touchés autant que lui.

- Le prince a été dégradé par sa propre mère, chuchota l'un d'eux. Il doit vraiment avoir lésé les Diramin.

- La reine est vraiment maudite, murmura une autre. Deux garçons, elle ne peut plus reproduire.

La reine prit une autre gorgée de vin et se leva. Elle fit signe à l'auditoire de partir. Ils traînèrent, curieux de savoir ce qui allait se passer.

- Dehors où je vous fais tous tué! hurla-t-elle.

Bregkhon et les autres Heaumes Noirs se firent un plaisir de menacé les seigneurs et les dames de leur armes.

Une fois l'audience partit, la reine signala à ses gardes et à Serfantor de rester.

- J'ai affaire à toi, jeune imbécile, dit-elle en fixant son fils froidement.

Serfantor s'agenouilla et baissa la tête.

Le roi se pencha vers sa reine et chuchota à son oreille. Quoi qu'il lui dît, la reine n'en fut pas ravie car son visage fut dominé par la colère. Elle le repoussa farouchement sans lui laisser la chance de terminer.

- Ce n'est pas important que j'ai offensé les Hautes Maisons. Ne vois-tu donc pas? Ce qui mérite notre attention et notre soin repose entre les mains de ton abruti de fils.

Un grognement retentit d'en haut. Cette fois, la reine s'en rendit compte, mais elle n'y fit pas attention. Elle était bien trop occupée à choisir ses prochaines paroles.

- J'ai été maudite avec deux garçons. Je ne comprendrai jamais pourquoi les mâles de cette société sont si simples d'esprit. Pourtant, notre grand dieu, Noktow, est un mâle à moins qu'il ne soit en vérité qu'un ombre sans sexe, ce qui expliquerait bien des choses.

Même Bregkhon paraissait abattu à ce moment. Il avait le regard bas et n'osait pas croiser le regard de la reine.

- Ne t'en fais pas Bregkhon, dit-elle avec douceur. Tu es l'exception à la règle. Tu es un précieux garde, un Heaume Noir. Tu fais ton devoir comme il se doit, un vrai fils de Noktow.

Bregkhon leva la tête et, pour un instant, il parut ému. Il dissimula cette faiblesse en s'inclinant.

- Vous êtes trop bonne, ma reine de la noirceur, sur un ton ton presque amoureux.

- Peut-être pourrais-tu apprendre à Serfantor comment faire son devoir, dit-elle avec irritation. Il est indigne des Diramin. Soit il apprend et rapidement ou j'en disposerai.

Bregkhon se redressa et resta impassible comme si les dires de la reine n'étaient qu'une banalité de tous les jours. Serfantor lui, sentit son cœur se serra dans sa poitrine. Il avait peur de la réponse du Heaume Noir. S'il ne répondait pas bien, la colère de la reine allait sûrement lui arracher la vie sauf si...

- Puis-je demande ce qu'il a fait pour mériter cette rétrogradation? demanda Bregkhon.

- Il a perdu une partie importante de notre pouvoir, répondit la reine. Et cela, à une fillette ignorante dans l'art de l'assassinat. Peut-être devrais-je le remplacer par elle. Elle ferait une bien meilleure héritière. Au moins, elle aurait une cervelle à la place d'un pénis.

Elle se tourna vers Serfantor.

- Qu'est-ce qui t'a rendu si faible? Est-ce que tu as vu son décolleté et tu as perdu la raison, comme la plupart des hommes.

Serfantor n'osa pas répondre. Ce n'en valait pas la peine. La reine trouverait une excuse pour le punir d'une manière ou d'une autre.

- Pathétique, dit-elle. Peut-être devrais-je tout simplement me débarrasser de toi.

Elle se mit à psalmodier. Ses yeux fondirent dans sa peau pour se transformer en trous noirs. Son regard était celui d'un serpent à la quête de son repas.

Bregkhon et les Heaumes Noirs empoignèrent le pommeau de leur arme. Ils s'approchèrent de Serfantor tels des prédateurs entourant leur proie.

Un craquement retentit, puis la toiture se fracassa. De la vitre et de la pierre tombèrent partout dans la salle de trône. Un Heaume Noir fut broyé sous une immense patte. Une griffe lui perça le crâne et s'enfonça jusqu'à son cou. Les autres gardes s'immobilisèrent et la reine se tut. Malgré tout, elle défia la dragonne en la fixant.

Shalith poussa un grognement si féroce et clair que la reine sourit.

- Quelle créature magnifique, complimenta-t-elle.

Ses yeux reprirent leur teinte normale, ravis de ce qu'elle voyait.

Shalith retroussa ses lèvres et des crocs acérés furent révélés. Son souffle nauséabond fit le roi reculé. La reine ne s'en préoccupa pas; elle était fascinée par la dragonne.

- Ses écailles sont gluantes, se plaignit le roi. Elle salit nos planchers.

- N'insulte pas notre invité d'honneur sinon c'est toi qui nettoieras, vociféra la reine.

Elle se vira vers Serfantor.

- Elle doit avoir faim. Demande-lui de ma part.

Le prince traduit. Shalith n'était pas très à l'aise avec la langue elfique et répliqua dans une série de grognements.

- Elle dit que oui, dit Serfantor, mais que ça n'importe pas.

La reine ricana.

- Bien sûr que c'est important. Elle pourra dévorer Bregkhon puisqu'il est aussi incompétent que le reste des mâles dans cette salle.

Les yeux du Heaume Noir s'écarquillèrent et malgré tout, il n'osa pas bouger. Il respira à peine. Serfantor passa le message. Shalith ignora son invitation et parla dans sa langue maternelle, sa voix était nette et colérique.

Serfantor traduit :

- Elle dit que tu devrais avoir plus de respect envers un dragonnier, que tu es peut-être un prédateur, mais que c'est elle qui est le prédateur alpha et qu'elle est lassée par vos lois et vos manigances.

La reine sourit avec malveillance.

- C'est ce qu'elle croit. Il y a toujours différentes méthodes à affronter une situation. Par contre, si elle veut coopérer, je te laisserais vivre.

Elle fit signe à Bregkhon. Celui-ci s'empara de Serfantor et lui plaqua la dague noire qu'il cachait dans sa botte de cuir à la gorge. Shalith se tourna vers Bregkhon et poussa un sifflement.

- Du calme, dit la reine. Je vais te laisser une chance de t'expliquer. Alors, pourquoi n'as-tu pas la plume en ta possession?

Bregkhon adoucit sa prise.

- Elle a gagné le duel honnêtement, répondit Serfantor.

- Tu as tenté de gagner la plume par combat et tu as perdu contre cette petite fille sans défense?

Serfantor voulait défendre Azéna, dire à sa mère qu'elle était une adversaire féroce, mais cela le ferrait paraitre faible. Il ne voulait pas mettre à rude épreuve la situation déjà tendue, alors il ne lutta pas.

- Oui, c'est ça.

- Encore une fois, ton honneur te rend faible, siffla la reine. Ton honneur est dans le chemin de ton devoir. Mets-le de côté. L'honneur, c'est pour les idiots, pas les elfes gris. Es-tu un elfe gris?

Serfantor hésita; sa défaillance n'échappa pas à la reine.

- Vous allez retourner à l'académie à la fin de la saison et me rapportez cette plume sans faute sinon, je trouverai une autre manière de renforcer notre peuple.

- Son Ombre veut dire notre famille, corrigea Serfantor.

- Arrête de jouer et traduis.

Serfantor obéit et Shalith accepta l'offre à contrecœur.

- D'ailleurs, continua la reine, comment es-tu entré en Norkux?

Shalith répondit d'une voix vénéneuse en regardant la reine de haut. Serfantor traduit:

- Elle dit que notre culture n'est pas très brillante et que nous sommes un peuple faible et dépendant. Notre nuit artificielle lui a permis de voler jusqu'au château sans se faire repérer.

- Dragonne sournoise, dit la reine. Elle se tient droite comme une fière chasseresse. Mais, à présent, elle doit repartir si elle veut garder sa vie. Les elfes gris ne toléreront pas sa présence et je ne veux pas m'encombrer de ces problèmes.

Shalith creusa ses griffes dans le corps du Heaume Noir et le sang s'écoula des blessures pour souiller le plancher poli.

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