Chapitre 23 (Dernière partie)

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À l’autre bout du couloir, Hélène se tient assise, croisant les jambes dans un sens puis dans un autre, à la recherche d’une position aussi confortable que possible sur une de ces chaises rudimentaires de l’hôpital. Elle trouve le temps long, ne sait si elle doit attendre ou bien partir. Savoir sa famille en conciliabule sans elle la mortifie. Se sentir dans la peau d’une accusée dont un jury délibère du sort la met au supplice. Tandis qu’elle rumine ainsi, débarque un jeune homme blond, les cheveux en bataille et le corps bardé de sacs.

- Bonjour, dit Manuel en l’apercevant. Désolé, j’arrive juste de la gare. Je suis venu dès que j'ai pu.

Pourquoi je lui dis ça ? pense-t-il au même moment. Elle en a sûrement rien à foutre.

D’abord étonnée, la femme toise le garçon. Puis elle avise le matériel de photographie et déclare :

- Vous comptez faire un reportage sur mon mari agonisant ?

- Euh… non. Je pensais plutôt à un portrait de groupe avec comme légende : « La magie de Noël à l’hôpital » ou bien : « Un père et sa famille sauvés in extremis ! »

Ah, tu veux jouer…

Contre toute attente, Hélène se fend d’un sourire.

- J’avoue que la situation prête à l’ironie. À l’heure actuelle, mon mari est en train de déballer notre linge sale à nos enfants, sans me laisser droit à la parole. Depuis vingt ans, je m’évertue à garder la tête haute et lui, en une poignée de minutes, il aura dévoilé nos secrets de son inimitable ton mélodramatique.

- J’aime les mélos quand ils sont bien écrits !

La mère répond par une grimace offusquée. Malgré cela, le photographe se débarrasse de son chargement et s’assoit à ses côtés.

- J’en déduis que la santé de votre époux s’améliore, se félicite-t-il. C’est une bonne nouvelle !

La femme hoche la tête en signe d’approbation. Un sourire étire ses lèvres. Pourtant, son regard triste n’échappe pas au jeune homme. L’expression dure et glaciale qui l’avait transpercé l’été précédent a disparu de son visage. À la place, ses yeux se perdent dans le lino à la couleur indéfinissable et ses épaules semblent ployer sous un invisible fardeau. De la marâtre hautaine et sanglée de certitudes, il ne reste pas grand-chose.

- Et vous, comment vous sentez-vous ? demande Manuel.

- Moi ?

Hélène réfléchit un instant, fixant le bout de ses pieds, avant de lâcher dans un soupir :

- Comme une femme abandonnée.

- Hum, hum… je connais ça, moi aussi. Enfin… le sentiment d’abandon, je veux dire, s’esclaffe le jeune homme.

Sa voisine relève la tête vers lui, l’air consterné.

- Vous aimez rire de tout, décidément ! C’est incroyable !

- Personne n’est parfait.

Dans le couloir vont et viennent d’autres familles. Parfois des personnels en blouses pastel conversent à voix haute, laissent échapper des plaisanteries. Après avoir médité un moment, Hélène reprend la conversation.

- Vous le faites rire, Éric ?

- Pas mal, oui. Oh, au début, cela n’a pas été facile. Faut dire qu’il avait un certain handicap, avec l’éducation qu’il a reçue. Mais il a bien progressé.

- Parce que ça s’apprend, l’humour ? s’étonne la mère, ignorant la pique.

- Bien sûr. Et à tout âge.

Elle hausse les sourcils en le regardant.

- Et vous pensez que je pourrais apprendre, moi ?

- Certainement. Plus on démarre de loin, plus les résultats sont spectaculaires. Vous avez un sacré potentiel ! Éric pourrait vous le confirmer.

Hélène ne peut refréner une expression amusée. Puis, comme sous l’effet d’une révélation, elle se dresse d’un bond, se retourne vers le jeune homme, en lui tendant le bras.

- Eh bien, allons lui demander… Vous voulez bien ?

Manuel se lève et lui saisit la main.

- Avec plaisir !

FIN

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