Chapitre 18

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La nuit est tombée sur l’église Saint Vincent. Le faible éclairage des bougies votives et veilleuses donne un aspect monacal à l’intérieur de l’édifice. L’air exhale l’encens et la cire dans le silence du soir. Hélène s’est assise dans le transept, face au sanctuaire et sa lampe allumée. Son refuge.

Elle sait bénéficier d’un peu de temps avant l’office de dix-neuf heures et profite de la paix pour se recueillir. Combien de fois est-elle venue prier comme en cet instant ? Il fut un temps où elle venait quotidiennement. C’était avant la naissance d’Adèle et ses prières avaient été exaucées.

« Sainte Marie, Mère de Dieu, entendez-moi une fois encore, murmure Hélène dans son invocation. Préservez ma fille, faites que son mariage ait lieu et qu’elle soit heureuse. » S’adresser à la Vierge pour lui demander protection est un mouvement naturel pour cette femme dont la vie a toujours été intimement liée à la foi.

Enfant déjà, elle vénérait Marie, le soir, à genoux au pied de son lit. Elle lui confiait ses joies et ses peines comme elle ne l’aurait jamais fait avec sa propre mère. Sa relation au divin relevait alors davantage du fantastique que du spirituel. Elle s’abreuvait des récits catéchétiques comme d’autres au même âge dévorent des livres de contes. Les saintes avaient sa préférence, Sainte Blandine, en particulier, dont le martyr au temps des premiers chrétiens l’avait profondément marquée. Elle connaissait par cœur la vie de Bernadette Soubirous et dans son exaltation, s’était même trouvée une ressemblance physique avec la sainte dont elle avait vu la photo dans une revue catholique.

Plus tard, d’autres lectures, notamment profanes, ont transformé cette dévotion fantasque en une foi mûrement réfléchie. Rompue à l’exégèse lors de cercles liturgiques auxquels elle adhérait avant son mariage, Hélène n’a rien d’une illuminée. La transcendance divine est pour elle la réponse à la finitude humaine et elle trouve en sa croyance une force face à l’adversité. À chaque turpitude de son existence, l'espoir est revenu grâce à ses convictions.

En proie à de nouvelles turbulences, elle sait où retrouver l’équilibre. En ce lieu, à l’heure où les siens l’abandonnent, elle se sait aimée.

Hélène est toujours plongée dans ses prières quand elle entend des pas lourds se rapprocher d’elle. Levant la tête, elle reconnaît le prêtre de la paroisse. Se peut-il que ce soit déjà l’heure de la messe ? Le Père Beauregard ne cache pas sa surprise.

- Hélène ? Vous êtes bien en avance pour l’office ! Je ne m’attendais pas à vous voir ce soir.

- Bonsoir mon Père. Je suis venue prier, avant que les fidèles n’arrivent justement. Mais je vais laisser la place maintenant, je dois rentrer.

- Oh vous pouvez rester encore un peu, l’église ne risque pas d’être pleine.

Le vieil homme vient lentement s’asseoir près d’elle, sur le banc, le souffle court.

- Vous avez l’air fatigué, mon Père.

- Un peu, oui. C’est que je ne suis plus tout jeune, vous savez, répond-il en riant. L’heure de ma retraite approche.

- Je ne veux pas y penser, dit Hélène en secouant la tête. Que ferais-je… enfin, que ferions-nous sans vous ?

Le prêtre scrute d’un œil attentif cette fidèle qu’il côtoie depuis les vingt dernières années.

- Vous ne me semblez pas en forme non plus, Hélène. Auriez-vous des soucis ?

- Eh bien… je dois le reconnaître… oui, mon Père, je suis inquiète.

- Pourquoi donc ?

- Ma fille, Adèle… elle n’est plus la même ces derniers temps. Elle ne me dit plus rien, ou presque.

- Et d’après vous, quelle en est la raison ?

- Je crois qu’elle me cache des choses, entre elle et son fiancé…

- Quel genre de choses ?

- Je ne sais pas trop, c’est une intuition. Je pense qu’ils se sont disputés mais elle ne veut pas en parler…

- N’est-ce pas un peu normal ? Elle a le droit d’avoir son jardin secret, vous ne croyez pas ?

Hélène reste stupéfaite, accrochée aux paroles du prêtre comme à son regard. L’ecclésiaste lit un profond désarroi dans les yeux de la femme. Il reprend sur un ton plus doux.

- La parole, comme un enfant, s’accueille. Il faut laisser la porte ouverte et savoir attendre. Ne la brusquez pas, restez à l’écoute.

- J’ai essayé… plaide Hélène, au bord des larmes. Mais je ne sais pas faire…. Oh mon Père, je suis une mauvaise mère… une mauvaise épouse et une mauvaise mère !

- Mais non, pourquoi dites-vous cela ?

- Vous savez bien pourquoi… Je n’ai jamais su garder ceux que j’aime proches de moi. Mon mari, mon fils et maintenant, c’est Adèle qui s’éloigne.

- Allons, vous exagérez. Vous avez su garder Charles, rappelle le père Beauregard, en guise de réconfort.

Hélène marque une pause. Elle songe à son époux, se revoit à table, seule avec lui. Depuis quand n’ont-ils pas ri ensemble ? Echangé un geste d’affection ? Certes, il ne l’a pas quittée. Certes, il rentre chaque soir. Mais il repart aussi chaque matin comme si la vraie vie se tenait ailleurs. Elle ne peut confier cela au prêtre, préfère revenir au passé.

- Dieu m’a sauvée, dit-elle, et vous aussi.

- Ah, ah ! comme vous y allez, je n’ai rien d’un sauveur, moi.

- Si vous n’aviez pas été là, à cette époque, pour me soutenir et prier à mes côtés, j’aurais sombré, déclare Hélène, avec gravité.

- Allons Hélène, ne vous mortifiez pas. La vie réserve bien des peines, il est vrai mais l’espérance de Dieu nous aide à les surmonter. Votre fille traverse une période de doute et vous entraîne dans son sillage. Quoi de plus normal pour une mère ? Mais souvenez-vous, le doute permet de grandir. Le doute fait partie de la foi.

La paroissienne médite ces paroles, mesure leur justesse dans leur simplicité. Une fois encore, elle remercie Dieu d’avoir mis sur son chemin, cet homme si sage et bienveillant. Ce dernier, la voyant toujours silencieuse et pensive, reprend avec entrain :

- Réjouissez-vous Hélène ! Votre fille va partir vivre sa vie de femme, avec son mari !

- Mais justement mon Père… j’ai si peur qu’elle ne se marie pas.

- Eh bien en tout cas, sachez qu’elle s’y prépare. Elle a confirmé sa présence avec son fiancé, au week-end de préparation au mariage, juste avant les fêtes. N’est-ce pas un beau cadeau de Noël, ça ?

- Oh mon Dieu ! Vraiment ?... Elle ne m’en a rien dit mais je suis si heureuse. Dieu soit loué, c’est merveilleux !

Hélène se sent tout à coup légère et pleine d’allégresse. Adèle a donc bien l’intention d’épouser Frédéric, le doute n’est plus permis. Ses angoisses se dissolvent dans l’air comme l’encens et la myrrhe. Elle se retient de prendre les mains du prêtre dans les siennes mais tout son être lui exprime sa reconnaissance.

- Merci mon Père, vous me sauvez, décidément. Merci encore !

Sur le trottoir qui la conduit vers son appartement, la mère marche d’un pas rapide et assuré. Elle ne sent pas le froid ni la pluie courir sur ses épaules. Dans sa tête, refont surface les tâches à accomplir d’ici le printemps : finir la liste des invités, choisir les faire-part et … la robe de mariée ! À ce moment-là seulement, elle réalise qu’elle a oublié de vérifier à l’église, les livrets de chants pour son amie Claire-Marie.

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