Chapitre 14 ( partie 2)

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Éric saisit son assiette d’un mouvement vif et repart fissa dans la direction opposée du buffet. Il passe si près de Juliette qu’elle est contrainte de faire un pas en arrière pour ne pas vaciller puis il va s’installer aux côtés de sa sœur. Manuel aurait bien rempli davantage son écuelle mais, pris au dépourvu, se sent obligé de suivre son ami. Avant de le rejoindre, il adresse un sourire navré à la nouvelle venue :

- Pas de chance ! C’était bien tenté pourtant. Bonne soirée quand même !

Les convives se remettent à discuter comme si de rien n’était. Fred, particulièrement volubile, cherche à dissiper le malaise créé par son ex-petite amie. Or, cette dernière, au lieu de s’éclipser comme n’importe qui le ferait à sa place, vient se poster devant eux, les bras tendus en appui sur le bout de la table.

- Bonsoir, chers amis, je ne vous avais pas vus, dit-elle posément au petit groupe. Excusez-moi, un éblouissement passager m’a fait manquer à tous mes devoirs. Je suis sincèrement désolée de mes propos, Adèle, d’autant que tu me fais mentir ce soir, tu es sexy en diable. C’est moi la dinde… À plus tard !

D’un mouvement de hanches, Juliette tourne les talons, offrant à son auditoire bouche bée le majestueux spectacle de sa croupe ondulante. Les hommes gardent un moment les yeux dans son sillage tandis que les filles se répandent à voix basse en critiques acerbes.

Elle ne manque pas de panache celle-ci , se dit Manuel.

- Tu devrais pas boire tant de verres sans manger, murmure Éric à sa sœur qui semble prendre le vin pour du jus de fruits.

- T’en fais pas chérie, glisse à son tour Fred en l’embrassant dans le cou. C’est de l’esbroufe tout ça…

- Tu m’avais dit qu’elle ne serait pas là, lui reproche la jeune fille.

- Elle ne devait pas mais Juliette a toujours été imprévisible.

Frédéric est penaud, sentant le regard peu amène d'Éric peser sur lui. Il veut passer son bras autour des épaules de son amie mais celle-ci se dégage vivement et se lève d’un coup.

- Bon les filles, on va danser ? On est là pour faire la fête, non !

Les deux autres femmes lui emboitent le pas, laissant les garçons seuls avec leurs plats. Éric ne met pas deux secondes à interroger Fred :

- C’est quoi cette embrouille ?

- Mais y a pas d’embrouille ! C’est fini avec Juliette, j'te promets. Mais il faut toujours qu’elle se la joue duchesse et Adèle en a fait une fixette. Enfin tu sais comment sont les filles…

Sourcils levés d’Éric.

- Ah non c’est vrai, tu sais pas, ah, ah… se met à rire Fred en voyant l’expression de son voisin. Putain, c’est vous qu’avez raison, ça doit être plus simple entre mecs, non ?

Bonjour le cliché ! songe Manuel.

Son compagnon, quant à lui, ne répond même pas, se contentant de hausser les épaules.

- Je vais danser moi aussi. Tu viens Manu.

- Euh… tout à l’heure, je voudrais bien manger un morceau si c’est possible…

Éric se fraye un chemin parmi les danseurs pour retrouver Adèle. La pénombre et la promiscuité qui règnent dans la salle lui compliquent la tâche. Il n’a pas vraiment envie de se mêler à la frénésie ambiante mais souhaite soutenir sa sœur dans un environnement qu’il juge hostile. Il l’aperçoit enfin, entourée des copines de Nathan et d’Hugo. Elle a l’air de s’amuser, elle rit, un peu trop fort d'ailleurs, sous l’effet de l’alcool. Son corps mince gainé de noir se balance en rythme et semble vouloir se fondre dans la masse pour mieux s’oublier. Le jeune homme parvient à sa hauteur et cale ses mouvements sur les siens, au son de la musique techno.

- Eh ! s’exclame Adèle en le découvrant, mais tu danses bien dis-moi ! Je ne savais pas que tu aimais ça.

Ils doivent pratiquement hurler pour s’entendre.

- Ça ne m’arrive plus très souvent mais à une époque, je sortais pas mal en boîte.

- Vraiment ? J’imaginais pas ça de toi.

- Bah si, c’est même comme ça que j’ai rencontré Manuel.

- Ah oui, je vois. T’allais en boîte pour draguer surtout.

- Au moins autant que pour danser, j’avoue, déclare Éric en riant. Tout le monde ne peut pas rencontrer l’homme de sa vie en se tordant la cheville dans la rue…

La jeune fille ne répond rien mais son léger rictus en dit long sur le sentiment de désillusion qui l’étreint. Elle en a gros sur le cœur, se dit son frère. Il lui soulève le menton du bout des doigts et croise ses yeux noisette fardés d’ambre et d’or. Pour la première fois, il réalise que sa sœur est une vraie beauté et cela le rend fier.

- Mais où est Manuel au fait ? demande-t-elle pour faire diversion.

- Il mange mais il va nous rejoindre d’ici peu.

En réalité, le jeune homme a déjà fini de se restaurer et est allé chercher deux bières. Tenant les chopes au-dessus de sa tête pour ne pas en renverser, il entreprend de traverser la foule à la recherche de son compagnon. Il déambule en cadence comme une danseuse de flamenco, bien décidé à profiter de la soirée de façon plus festive. Il est à la moitié du parcours quand il sent des bras enserrer sa taille : Juliette se tient face à lui, ou plutôt collée à lui.

- Comme on se retrouve, beau prince. C’est gentil de m’apporter à boire.

La demoiselle esquisse un pas de danse entraînant le garçon dans son mouvement. Ne pouvant se dégager comme il voudrait, Manuel a un moment la sensation d’être une marionnette entre ses mains puis il parvient à retrouver son équilibre.

- Désolée ma belle, mais c’est pour mon chéri.

- Et si je t’entreprends comme ça, il rapplique ton chéri ?

Juliette vient de glisser ses mains sur le jean du jeune homme et caresse ses fesses effrontément.

- Eh ! Mais t’as peur de rien, toi ! s’écrie Manuel, aussi amusé que surpris.

C’est le moment que choisit Thomas pour réapparaître, visiblement éméché.

- Juliette ! Mais qu’est-ce que tu fais ? Vient plutôt tâter de l’homme, du vrai, profère-t-il en désignant ses attributs virils d’un geste vulgaire.

Manuel se dégage en deux secondes et sans réfléchir lui jette un de ses verres en pleine face. L’autre se fige, le visage dégoulinant et sonné par le choc.

- Eh merde ! dit Manuel, une bière de fichu à cause de cet abruti.

- Abruti ? Tu vas voir ce qu’il te dit l’abruti…

Le garçon montre maintenant ses deux poings, en position de boxeur. Les danseurs autour poussent des exclamations et s’écartent, sentant venir l’échauffourée. Mais Thomas ne parvient qu’à faire quelques pas en titubant. Fred, Nathan et Hugo alertés par la rumeur, arrivent juste à temps pour l’empêcher de s’affaler de tout son long.

- Désolé, dit Fred tandis que ses camarades emmènent l’ivrogne au loin. Il ne sait pas se tenir.

- T’as de ces copains quand même… Je ferais le tri, à ta place, lui conseille Manuel.

- Un copain d’enfance, difficile…

Le garçon de la DDASS se dit qu’avoir été balloté de familles en écoles, sans pouvoir créer de relations durables, lui aura au moins évité de traîner ce genre de boulet.

Juliette s’apprête à lui proposer d'aller prendre une nouvelle chope avec elle quand Adèle et Éric les rejoignent.

- Que se passe-t-il ici ? demande le frère.

- Rien, rien, vous arrivez après le spectacle, dit son ami en souriant.

Adèle lui prend la bière des mains et l’avale presque en entier.

- Eh… !

Éric entraîne alors Manuel vers le bar, non sans jeter un regard noir à Juliette au passage.

- À plus tard…, a-t-elle néanmoins le temps de lancer à son éphémère partenaire.

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