Chapitre 8

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Ce matin-là, Éric se lève tôt et, café en main, se met devant son ordinateur. Il a accumulé du retard dans son travail ces derniers jours et doit rattraper le temps perdu. Se remettre à l’ouvrage de bonne heure lui permettra aussi, pense-t-il, d’éviter de ruminer les événements de la veille.

Il consulte ses mails à la recherche d’une réponse de Nicolas, un web-développeur avec qui il collabore à la construction d’un site. Pas de nouvelles, c’est anormal. Le garçon qu’il connaît bien, car c’est aussi un ami, est un professionnel fiable et généralement très réactif. Éric décide de lui envoyer un texto : Salut Nicolas, je ne vois pas ta réponse concernant notre projet. Y a un problème ? Le retour est quasi-immédiat : Salut, si tu peux passer me voir, ce serait plus simple pour en parler.

Le jeune homme répond par l’affirmative, d’autant que quitter l’appartement avant le réveil de Manuel lui paraît une échappatoire bienvenue. Pas envie de parler à son ami. La soirée a été assez plombée comme ça, après la visite surprise de sa sœur. Lui faire la tête ce matin encore ne servirait à rien, vu qu’il sait que son compagnon essaiera de l’amadouer avec les gestes tendres dont il a le secret. Et comme il pourrait bien y succomber, autant ne pas être là. Ça suffit de se faire manipuler de toutes parts !

Après un court trajet en tram, il parcourt quelques centaines de mètres pour se rendre chez Nicolas. Éric aime particulièrement ce chemin longeant la Loire où il vient souvent courir avec Manuel. Marcher tranquillement au bord de l’eau et sentir l’air frais sur son visage lui procure une sensation de bien-être qui l’apaise, après les tensions de ces dernières heures.

Il aperçoit un duo de joggeuses qui vient à sa rencontre. La vingtaine, peut-être moins, débardeurs roses et leggings noirs moulants. Elles rient et bavardent plus qu’elles ne courent. Quand elles croisent Éric, il les entend pousser de petits cris énamourés à son endroit puis pouffer comme des gamines. On dirait ma sœur, se dit-il, en sentant qu’elles se retournent sur lui. Adèle ! Mon Dieu qu’elle est exaspérante ! Cette façon de fouiner chez eux, en poussant des « J’adore ! », « Oh, c’est trop chou ! », tout ce qu’il déteste chez les filles et chez les garçons aussi, d’ailleurs. Et dire que Manuel s’est entiché d’elle. « Je la trouve attachante », lui a-t-il dit, hier soir, alors qu’ils se querellaient à propos de sa visite et de ses conséquences. Forcément, avec les compliments qu’elle lui a faits sur son « talent », il peut bien s’attacher. Sa décision de rester à distance de la famille n’a pas résisté longtemps au chant de la sirène Adèle. Toujours est-il qu’ils sont bien dans la panade maintenant qu’il a pratiquement accepté de les prendre en photo, elle et Fred !

Il arrive à la résidence de Nicolas. C’est le genre d’endroit où les deux hommes aimeraient s’installer : un immeuble pas très haut avec balcons donnant sur le fleuve.

Son collaborateur l’accueille en peignoir défraîchi.

- Salut mec, lance Éric en entrant.

Mais il se retient d’ajouter l’habituel « Ça va ? » car visiblement, le garçon n’est pas en grande forme. Les cheveux en bataille, une barbe loin d’être un attribut de séduction et les paupières lourdes, attestent d’un laisser-aller tant physique que moral.

- Qu’est-ce qui t’arrive ? reprend Éric.

- J’arrive plus à travailler, répond l’autre. Grosse déprime.

- Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

- Pauline m’a quitté.

- Merde alors ? Quand ça ?

- Y a trois jours, ce week-end en fait.

Cette nouvelle est un réel choc pour Éric qui connaît le couple depuis longtemps. Par ailleurs, c’est Nicolas, copain de lycée, qui l’a encouragé à revenir dans leur ville natale, argumentant auprès de Manuel pour le convaincre que travailler en freelance était tout à fait viable dans la région. Le voir dans cet état le peine terriblement.

- Mais qu’est-ce qui s’est passé ? répète-t-il, abasourdi.

Et l’ami de se mettre à raconter comment sa copine est tombée amoureuse d’un autre, un pote en qui il avait pleinement confiance. Une soirée trop arrosée, un besoin de s’encanailler pour changer de la routine, mettre un peu de piment dans leur couple, a-t-elle expliqué. Puis de fil en aiguille, le piment s’est transformé en élixir et elle lui a annoncé son départ, pour l’autre.

- Et t’as rien vu venir ?

- Bah non, faut croire que je suis con, répond Nicolas, totalement abattu.

- Elle n’avait pas changé ? Vous aviez toujours une bonne relation ? interroge Éric, cherchant à comprendre.

- Une relation de couple comme tant d’autres, j’imagine. Un peu pépère peut-être mais moi, ça m’allait très bien.

Éric marque une pause, songeur. C’est quoi au juste, une relation « pépère » ?

- Faut croire que ça lui suffisait pas, à elle, reprend Nicolas, après réflexion. Il lui a révélé sa vraie féminité, paraît-il. Tu parles de sacrées conneries ! Une histoire de cul, oui !

Éric écoute le garçon s’épancher en sarcasmes sur son ancienne compagne comme on dévide l’écheveau de ses rancœurs. Si jamais un jour, Manuel et lui se séparaient, deviendrait-il comme ça, désabusé et aigri ? S’il devait subir la trahison de l’être aimé, tiendrait-il également des propos méprisants à son égard ? Le jeune homme ressent de la compassion mêlée d’inquiétude. Se peut-il qu’un jour les caresses et les mots tendres partagés pendant des années laissent place à tant de ressentiment ?

Au bout d’un moment, Éric s’apprête à prendre congé.

- Non, mais attends, pas déjà, je ne t’ai même pas fait de café, réagit l’ami subitement. Et on n’a pas parlé du boulot.

- T’en fais pas pour le boulot, je vais m’arranger autrement. Prends soin de toi, tu me feras signe quand t’iras mieux.

- En tout cas, ça m’a fait plaisir de te voir, et ça m’a fait du bien de te parler.

Ils sont sur le pas de la porte maintenant, Éric déjà dans le couloir de l’immeuble et son copain resserrant la ceinture de son peignoir informe.

- Et toi, ça va ? Manuel, ça va vous deux ?

- Oui, oui, ça va, t’en fais pas. Allez, bye, on se rappelle !

Une fois dehors, le jeune homme respire un grand coup puis regarde sa montre. Manuel doit être réveillé maintenant, il l’imagine prenant son café très noir et très brûlant comme il l’aime. Peut-être qu’il ne lui en voudra pas d’être parti sans prévenir. Peut-être qu’il viendra se recoucher avec lui et le laissera lui faire l’amour comme s’ils ne s’étaient pas encore levés.

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