L'Avalanche

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 Maëlys prit une profonde inspiration et regarda autour d'elle. Mille et mille cristaux étincelaient sous ses pieds, l'éblouissant malgré son masque adapté aux jours de grand soleil. Le panorama la fascinait, comme toujours. Des vagues. Des vagues immobiles. De grandes vagues immobiles, immaculées et scintillantes. Et elle, elle allait affronter cette tempête figée, naviguer sur cette mer démontée en laissant derrière elle des sillons mousseux qui ne s'effaceraient pas après son passage.

Au fond, elle voyait les cimes d'une chaîne de montagnes lointaine émerger d'une mer floconneuse dans le matin frileux.

Elle était seule, et heureuse d'être là, solitaire .

Se détournant du spectacle, elle donna une impulsion à ses skis, plongea dans la pente, les yeux fixés sur l'abîme qui s'ouvrait entre les crêtes. Petite appréhension. Ivresse de la vitesse. Souffle grondant comme la voix de la mer à ses oreilles. Incroyable sensation de ne faire qu'un avec les skis tandis qu'elle surnageait dans l'étendue poudreuse.

Très vite — trop ? — elle atteignit le replat qu'elle visait. Le souffle court, les joues rosies par la course, après un freinage impeccable, elle regarda derrière elle avec le sentiment d'avoir passé un excellent moment. Encore une descente comme celle-ci et elle aurait rejoint la vallée.

Elle repartit de plus belle. Décidément, elle avait bien fait de ne pas se laisser impressionner par le coup de fil de sa meilleure amie, Anna. N'y va pas, l'avait-elle supplié. J'ai un mauvais pressentiment ; j'ai fait un cauchemar, et jamais mes rêves ne m'ont menti. Maëlys avait haussé les épaules et lui avait ri au nez. Superstitions. C'était facile d'établir des corrélations entre un mauvais rêve et un incident après coup. Ça ne voulait pas dire que tous les cauchemars se réalisaient mais plutôt que chez l'être humain, il était naturel d'établir des liens de cause à effet entre tout et n'importe quoi. Anna avait tendance à croire au surnaturel. Elle pensait que la montagne était vivante, qu'elle était fée, qu'elle punissait les hommes et les femmes assez arrogants pour se croire plus forts qu'elle. A tort.

Bref, les conditions étaient excellentes. C'était la journée à faire du ski de randonnée. Tout à coup, elle crut entendre la voix d'Anna pousser un cri d'alerte. Comment était-ce possible ? Elle crut d'abord que celle-ci, surmontant sa peur, avait décidé de venir la rattraper. Mais non, ce n'était pas son genre... Un grondement succéda aussitôt à cet avertissement fantôme. Et zut. Maëlys ne se retourna pas. Elle savait. Une avalanche. Et elle était seule, même si elle avait pris son matériel de sécurité. Le risque annoncé était seulement de trois sur cinq... Comment la neige avait-elle pu décrocher ? C'était insensé.

Les grognements assourdissants de l'avalanche se rapprochaient. Bientôt, elle fut dépassée, encerclée, submergée par le flot vivant d'une armée d'esprits des neiges à la blancheur de linceul. Ballottée dans tous les sens, incapable de s'orienter, elle ouvrit la bouche pour crier. Erreur fatale. Elle referma promptement la bouche, inspira autant d'air qu'elle le pouvait. Elle crut voir un visage menaçant, grimaçant, vengeur ; et, à côté, la figure triste de son amie dont les lèvres articulaient silencieusement : je te l'avais bien dit... Tout cessa soudain. Silence.

***

Anna regardait tristement par la fenêtre. Là-bas, sur la montagne, c'était comme si toute la face s'effondrait, et le bruit de l'avalanche résonnait dans la vallée. Je te l'avais bien dit, Maëlys, pensa-t-elle. Il fallait te fier à mon instinct... Elle saisit son téléphone et appela les secours.

***

Maëlys prit une profonde inspiration et regarda autour d'elle. Mille et mille cristaux étincelaient sous ses pieds, l'éblouissant malgré son masque adapté aux jours de grand soleil. Le panorama la fascinait, comme toujours. Des vagues. Des vagues immobiles. De grandes vagues immobiles, immaculées et scintillantes. Et elle, elle allait affronter cette tempête figée, naviguer sur cette mer démontée en laissant derrière elle des sillons mousseux qui ne s'effaceraient pas après son passage.

***

« On l'a trouvée ! Il était temps ! Elle respire encore, mais à peine. Vite, à l'hôpital le plus proche ! »

***

Au fond, elle voyait les cimes d'une chaîne de montagnes lointaine émerger d'une mer floconneuse dans le matin frileux.

Elle était seule, et heureuse d'être là, solitaire .

Se détournant du spectacle, elle donna une impulsion à ses skis, plongea dans la pente, les yeux fixés sur l'abîme qui s'ouvrait entre les crêtes. Petite appréhension. Ivresse de la vitesse. Souffle grondant comme la voix de la mer à ses oreilles. Incroyable sensation de ne faire qu'un avec les skis tandis qu'elle surnageait dans l'étendue poudreuse.

***

L'hélicoptère du PGHM atterrit à l'hôpital. Transférée en urgence dans les services appropriés, Maëlys gisait, blafarde, sur son lit. Au moins, elle n'était plus bleuâtre.

***

Très vite – trop ? – elle atteignit le replat qu'elle visait. Le souffle court, les joues rosies par la course, après un freinage impeccable, elle regarda derrière elle avec le sentiment d'avoir passé un excellent moment. Encore une descente comme celle-ci et elle aurait rejoint la vallée.

***

« Votre amie survivra, mais elle est dans le coma, mademoiselle. Vous n'auriez jamais dû la laisser y aller seule...

— Je sais, mais elle n'a pas voulu m'écouter.

— Ça lui a coûté cher... Mais rassurez-vous, elle se réveillera. »

***

Elle repartit de plus belle. Tout à coup, elle crut entendre la voix d'Anna pousser un cri d'alerte. Comment était-ce possible ? Elle crut d'abord que celle-ci, surmontant sa peur, avait décidé de venir la rattraper. Mais non, ce n'était pas son genre... Un grondement succéda aussitôt à cet avertissement fantôme. Et zut. Maëlys ne se retourna pas. Elle savait. Une avalanche. Seulement, cette avalanche avait quelque chose d'anormal. Une voix mugissante se faisait entendre par dessus son grondement. Une voix menaçante, qui lui disait : « Tu as voulu me défier, humaine. Tu as voulu m'affronter seule. Tu n'aurais jamais dû. Tu aurais dû écouter Anna. Je te maudis. Tu revivras cette journée jusqu'à ce que la mort t'en délivre. »

***

Soudain, un spasme agita Maëlys. Anna poussa un cri d'alarme tandis que sur le moniteur auquel son amie était reliée, on voyait le rythme cardiaque s'affoler. Deux yeux vitreux s'ouvrirent brusquement, la rescapée se mit à se débattre contre on ne savait quoi. Anna appuya sur le commutateur permettant d'appeler une infirmière.

***

Bloquée dans un tombeau de neige, la skieuse tenta de se débattre. En vain. Son corps, malgré ses efforts, ne pouvait se défaire de sa camisole glaciale.

Glaciale ? Non. Maëlys ne sentait plus le froid. Elle somnolait, s'endormait petit à petit. Était-ce cela, mourir ? Dans ce cas, ce n'était pas bien terrible. Il y avait pire. Bientôt, plus de journées ensoleillées où profiter de la montagne ; mais bientôt aussi, plus de stress, plus de peines, plus d'angoisses quotidiennes. Elle remercia silencieusement l'avalanche qui l'avait submergée. A part ses rares moments de répit, elle ne regretterait pas grand-chose ; à part son amie, elle ne serait pas regrettée par grand-monde, n'ayant plus de famille.

La voix mugissante qu'elle avait entendue en sombrant revint soudain. Pas si vite ! Je te rappelle que je t'ai maudite : tu revivras cette journée encore et encore.

Anna lui apparut. Elle attaqua la voix : Non, je la ramènerai à moi. Elle ne subira pas longtemps ta malédiction. Maëlys, les médecins m'ont dit que tu survivrais ; ils m'ont dit que tu revivrais. Reviens, je t'en prie !

Découragée, Maëlys ferma les yeux.

Quand elle les rouvrit, mille et mille cristaux étincelaient sous ses pieds, l'éblouissant malgré son masque adapté aux jours de grand soleil. Le panorama la fascinait, comme toujours. Des vagues. Des vagues immobiles. De grandes vagues immobiles, immaculées et scintillantes. Et elle, elle allait affronter cette tempête figée, naviguer sur cette mer démontée en laissant... Étrange, cette impression de déjà vu...

Je te l'avais dit, Maëlys ! ricana la voix mugissante de la montagne.

Alors, elle se souvint. La descente. La pause. La reprise. L'avalanche. Le recommencement.

Hurlement de frustration et de désespoir.

***

Anna regarda longuement son amie. Les jours, les semaines passaient, et les crises de Maëlys, dans son coma, se reproduisaient avec la régularité d'un métronome. Les médecins étaient inquiets. Ils n'étaient plus si sûrs qu'elle se réveillerait bientôt. Le cerveau était atteint, avaient-ils expliqué. La malheureuse était restée trop longtemps sans oxygène.

***

Soleil. Scintillement enchanteur de la neige. Descente dans la poudre. Pause. Souvenir, montée de la peur. Fuite en avant. Avalanche.

Soleil. Scintillement enchanteur de la neige. Descente dans la poudre. Souvenir, montée de la peur. Pause. Fuite. Avalanche.

Soleil. Neige scintillante. Souvenir, montée de la peur. Descente dans la poudre. Replat. Descente. Avalanche.

Soleil. Souvenir, montée de la peur.

Laissez-moi mourir ! Par pitié !Je n'en peux plus !

Le sourire triste d'Anna lui apparut. Sa voix douce retentit. Tu le veux vraiment, hein ?

Oui. Oui, elle le voulait vraiment. Elle voulait que ça cesse. La souffrance. La peur. Le cauchemar qu'elle vivait.

La voix mugissante parla : Non. Tu es à moi. Tu ne peux pas fuir comme ça.

Si. Elle le pouvait. Anna allait l'aider.

Je punirai ton amie comme je t'ai punie.

Non, car Anna n'allait plus en montagne depuis l'accident de Maëlys. Elle le lui avait dit entre deux recommencements.

Je veux mourir.

***

« Laissez-moi mourir ! Par pitié ! Je n'en peux plus ! »

Anna, qui lisait au chevet de son amie, sursauta. Maëlys, les yeux vitreux, se débattait, une fois de plus. Seulement, jamais elle n'avait prononcé un mot lors des crises précédentes.

Se penchant sur elle, son amie sourit tristement.

« Tu le veux vraiment, hein ?

— Je veux mourir. »

Et l'accidentée, comme épuisée, redevint immobile. Ses yeux se refermèrent.

Alors, Anna, se fiant à son intuition et aux paroles de Maëlys, débrancha les appareils qui la maintenaient en vie.

Au même moment, dans la montagne, là-bas, une avalanche fit entendre sa voix mugissante, comme pour exprimer sa frustration.

Maëlys était libre.

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