Les rêves de Lucie

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Le 06/11

Meurtre inexpliqué à Crèvecoeur-en-Brie

Hier, jeudi 5 novembre, le prêtre de Crèvecoeur-en-Brie, petite commune de l'arrondissement de Melun, a été retrouvé égorgé sur l'autel de l'église Saint Jean Baptiste. Pour les Cépicordiens, c'est un véritable drame.« Dans notre village, il ne s'est jamais rien produit de tel », a déclaré Jacques Trobare, celui qui a découvert le corps. « Vous comprenez, on n'est que 310 à vivre ici, alors, on n'a jamais eu de problèmes. » Comme ses concitoyens, il n'y comprend rien. « Je ne vois pas qui aurait pu en vouloir au père Christian. Il était bon avec nous autres. Et tuer un homme d'église, c'est une abomination. » D'après la police, rien n'indique si le crime a été commis par un drogué, un tueur en cavale ou une secte. La seule particularité du crime, c'est que le sang qui aurait dû s'écouler par la gorge que la victime a visiblement été recueilli ou nettoyé. Espérons que l'assassin sera rapidement retrouvé. 

R.P.

***

Il n'est pas dans mes habitudes de lire les journaux, et encore moins de découper et de conserver des articles semblables, surtout dans mon journal des rêves. Mais... ce n'est pas un simple fait divers pour moi. Et bien que je frissonne à l'idée qu'on puisse découvrir ce que je vais écrire ici, je ne puis m'empêcher de le consigner.

Bien sûr, si je parle de cela ici, c'est que j'en ai rêvé... J'ai vu ce meurtre se dérouler en détail dans mon sommeil, aussi précisément que si j'avais assisté à cette scène atroce. Bon, cela n'a rien d'anormal en soi, si l'on prend en compte que j'habite Crèvecoeur-en-Brie et qu'il est tout à fait plausible que l'assassin soit un de ses habitants. Seulement, j'en ai rêvé la nuit même où le crime est censé s'être produit. Et là, ça devient réellement inquiétant à mon goût. Sans compter que j'en sais plus que la police sur les événements, si mon rêve s'avère fidèle aux faits. Voilà qui me donne la chair de poule...

J'ai vu... je ne sais pas comment raconter un tel cauchemar. J'ai rêvé que j'étais à l'église, assise dans le confessionnal. Le prêtre était devant l'autel, il priait. Ensuite, il s'est dirigé vers les portes pour les fermer... et c'est là que quelqu'un, repoussant le battant, s'est faufilé à l'intérieur. J'avais beau plisser les paupières, je n'arrivais pas à voir de qui il s'agissait. Je me suis alors aperçue que j'avais oublié mes lunettes. Le prêtre a alors déclaré : 

« Il est un peu tard pour venir à l'église. Que voulez-vous ? »

 La réponse a fusé, haletante et fiévreuse : 

« Mon père, je souffre mille morts. Les feux de l'enfer me torturent. J'ai soif, si soif ! Délivrez-moi de mes tourments, faites-moi boire le sang du Christ pour me purifier de mes péchés !

— Ce n'est pas la procédure, ma fille. Vous le savez bien. Pour être absoute, vous devez vous confesser. Revenez demain matin, et je vous écouterai.

— Demain ? Ha, demain... mais ce sera trop tard ! Mon âme sera perdue... perdue ! Ô Dieu, pardonnez-moi... mon père, c'est maintenant qu'il faut... le sang du Christ, je vous en supplie...

— Désolé, ma fille, mais c'est impossible. Revenez demain. A présent, il est trop tard, a répondu le père Christian, en la poussant avec douceur vers la porte.

— Trop tard, oui... alors rien ne pourra me sauver ! Vous refusez de m'aider... Infâme, traître à vos vœux ! »

Et tout à coup, sans prévenir, la visiteuse nocturne s'est jetée sur le prêtre interdit et l'a percuté violemment en pleine poitrine. Sous le choc, le malheureux a basculé en arrière, et sa tête a heurté le dossier d'un banc dans un craquement de mauvais augure. Il a glissé au sol. L'autre l'a tiré vers l'autel avec effort, en pestant et en ahanant sous l'effort. Elle a réussi à grand-peine à le poser sur l'autel, la tête pendant au-delà du bord. Elle a sorti le ciboire de son reliquaire, et un couteau suisse de sa poche. 

Et là, horreur ! Elle s'est servie de ça pour l'égorger. 

Inutile de préciser qu'elle s'y est reprise à plusieurs fois. Et, à chaque coup, le sang qui jaillissait était recueilli dans la coupe eucharistique. Quand le sang a cessé de coulé, plus tard, la meurtrière a levé le ciboire, singeant habilement le geste du prêtre lors des homélies, et a lancé, sur un ton solennel : 

« Le sang du Christ ! »

Je ne suis pas croyante. Mais quand elle a bu la coupe... J'ai pensé : 

« Non ! elle est possédée, ou quoi ? » 

Puis, trou noir.

Vraiment, une telle chose est impensable. Au réveil, il m'a fallu du temps pour dissiper les terreurs de la nuit. Je n'y pensais presque plus, cependant, quand j'ai vu la police devant l'église. Alors, j'ai cherché à savoir pourquoi, et quand on me l'a dit, j'ai eu du mal à cacher mon effroi. Aujourd'hui, mue par une impulsion que je ne m'explique pas vraiment, j'ai décidé de raconter tout ceci et de joindre l'article de journal ci-dessus au récit de mon rêve. J'espère que cela suffira à me faire sortir de la tête toute cette histoire...

***

Le 16/11

Dix jours ont passé depuis mon cauchemar, et depuis le crime atroce qui a fait les gorges chaudes du village. La coupable n'a pas été trouvée, l'enquête piétine. Je suis bien placée pour le savoir : ma cousine travaille au service de police, et quand je lui ai demandé sur Facebook si les recherches avançaient, elle m'a répondu : 

« La seule chose qu'on ait découvert, c'est que le père Christian a eu le cou brisé avant d'être égorgé... et l'assassin s'y est pris à plusieurs reprises pour lui tailler la gorge ». 

Ainsi, mon rêve rend parfaitement compte des faits... Je ne lui en ai pas parlé, elle m'aurait prise pour une folle. Mais je le suis peut-être... Je n'en reparlerais pas si un événement similaire ne s'était pas produit hier. J'ai rêvé que ma voisine, une retraitée charmante qui se prénomme Christine, se faisait assassiner dans les mêmes conditions que le prêtre. Cette fois, j'étais juste derrière la meurtrière, même si elle ne semblait pas s'en apercevoir ; et je suis restée dans son dos jusqu'à la fin du rêve, malheureusement.

Elle a sonné à la porte, Christine a ouvert en disant : 

« Tiens, c'est vous... Que venez-vous faire à cette heure-ci ? »

La visiteuse a répondu qu'elle avait une chose importante à dire, et a demandé si elle pouvait entrer. Une fois installée dans le salon, elle a sorti de son sac à main le ciboire volé à l'église !

« Mais... que faites-vous avec ça ? » s'est exclamée ma voisine, interdite.

Et son interlocutrice d'expliquer tranquillement qu'elle avait soif, et qu'elle souhaitait juste avoir du vin.

« Cette coupe appartenait au père Christian ! C'est vous qui l'avez tué ! »

A ces mots, la meurtrière a poussé un cri de rage, a commencé à bafouiller au sujet du sang du Christ, d'absolution et de soif inextinguible.

Christine a fini de la même façon que le prêtre, mais sur sa table de salle à manger.

Et encore une fois, les faits et le rêve coïncident. J'ai peur... pourquoi moi ?

***

Le 25/11

J'ai passé une semaine atroce. La nuit, je redoute de m'endormir, et au réveil, je ne suis absolument pas reposée. Pourtant, je ne me rappelle pas mes rêves. Ou presque... Hier, ce n'est pas une surprise, nouveau meurtre, nouveau cauchemar. Ça commence à bien faire, tout ça... Et cette fois, c'est Christelle, ma sœur, qui est morte. La police va être là d'un instant à l'autre. Je l'ai alertée dès que j'ai découvert le carnage. C'est effarant... effarant. D'autant plus que...

Je n'y comprends rien. Vraiment.

La meurtrière était dans la place. Mon rêve a commencé quand elle s'est penchée sur le lit de ma sœur et a posé la main sur son épaule pour la réveiller.

« Christelle, j'ai soif. Tu peux me chercher à boire, s'il te plaît ?

— Vas-y toi-même... a répondu l'intéressée d'une voix ensommeillée.

— Mais je ne me sens pas bien...

— Bon, bon, d'accord... »

Avec un soupir, elle s'est levée. J'aurais voulu pouvoir la prévenir, lui crier qu'elle était en danger, mais je n'y parvenais pas.

Le soupir a provoqué la crise ! Pour la troisième fois, je fus témoin de ce crime odieux. Chute, sang qui gicle, coupe portée à la bouche.

Je n'en puis plus... Combien d'autres mourront ainsi ? A qui le tour, la prochaine fois ?

Peut-être moi... Non, ce n'est pas sûr.

Car, comme je portais mes mains à mon visage, affolée, la meurtrière a tourné la tête vers moi ; et je l'ai reconnue. C'est...

***

Le 26/11

L'assassin au ciboire arrêté

La police crépicordienne a appréhendé hier l'assassin qui terrorisait Crèvecoeur-en-Brie depuis début novembre.

Il s'agit en fait de Mlle Lucie Dérable, sœur de la troisième et dernière victime, Christine Dérable, 17 ans.

Son cas relèverait du domaine psychiatrique. Elle n'a pas conscience d'avoir tué qui que ce soit, même si, a-t-elle reconnu, « j'ai vu les crimes se dérouler devant mes yeux ». Cependant, elle répète que c'est en rêve qu'elle a assisté aux trois meurtres. C'est également ce qu'elle a écrit dans son journal, qu'elle a remis d'elle-même aux autorités pour prouver ses dires. « Mais il y a quand même quelque chose qui m'a choqué, plus encore que ces atrocités : quand j'ai vu le visage de l'assassin, après la mort de ma sœur... c'était le mien. »

Ces prétendus rêves, mensonge ou schizophrénie doublée de somnanbulisme ? Quoi qu'il en soit, la police livrera ses conclusions à ce sujet, sur les liens probables entre les trois victimes et sur les motivations de la meurtrière lors du procès qui sera instruit la semaine prochaine au tribunal de Melun.

R.P.

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