Brad#23 - Et vous ? Où étiez-vous ?

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Une fois n’est pas coutume, je vais vous parlez de moi. Sans détour. Parce qu’une actualité résonne : le premier procès des attentats de 2015, celui de janvier contre le journal Charlie. Pourtant ce n’est pas de Charlie que je souhaite vous parler mais des attentats en série de la soirée du 13 novembre 2015.

La soirée du vendredi 13 est très vague dans ma mémoire. Comme tous les vendredis, apéro avec les enfants, chacun résume sa semaine avec les moments préférés et les pires. La télé n’est quasi jamais allumée, et fatigués de nos semaines, on se couche relativement tôt.

Le samedi vers 11h, le téléphone fixe sonne. C’est mon beau-frère. Il me dit qu’il est vraiment heureux de nous avoir car il se rappelait qu’on avait un concert programmé au Bataclan. Je sors à peine du lit. Je réponds machinalement que le concert est en février. Et il me dit que c’est vraiment une chance, qu’il y a eu un attentat, qu’il s’est inquiété sans oser nous appeler plus tôt de peur de nous réveiller. Effectivement, le week-end, sauf impératif, nous dormons jusqu’au moins 11h et si le téléphone sonne avant, on part du principe que c’est quelqu’un qui ne nous connait pas, donc on laisse courir. Je lui répète que tout va bien et demande à mon homme d’allumer la télé.

Je crois bien qu’on est resté devant une bonne partie de la journée. Pour la première fois, un attentat touche à nos vies. Le 11 septembre nous a scotchés par sa démesure et l’effet colosse aux pieds d’argile de la grande Amérique. Le 13 novembre nous frappe au cœur. Le Bataclan, je le connais bien. Nous y avons été à quatre ou cinq reprises, systématiquement dans la fosse, comme tous nos concerts. On visualise la scène, terrible. On s’y voit.

Mes parents appellent aussi. Ils sont rassurés de nous entendre. Mon père a été marqué par les attentats de 1995, il nous conseille de ne plus prendre le RER. Impossible vu que mon conjoint bosse au cœur de Paris. Si nous arrêtons de vivre, les terroristes auront gagné. Nous essayons d’expliquer tous çà aux enfants, sans trop les inquiéter. Difficile à saisir à treize et neuf ans. D’autant qu’ils voient bien l’impact de l’évènement sur nous.

Le lundi 16 novembre, je ne travaille pas, je garde mon second. Je ne sais plus pour quelle raison. Il n’y a que nous deux au moment où toute la France se fige pour une minute de silence. Je suis immensément frustrée, de ne pas pouvoir vivre ça avec mes collègues, de ne pas pouvoir chercher dans leurs regards compréhension et tristesse, d'autant que plusieurs connaissent bien le Bataclan également. Le retour au boulot le mardi laisse un manque. Les autres ont partagé ce deuil. Le deuil d’un pays tout entier ne peut se vivre juste avec un enfant de neuf ans. C’est ce que je ressens.

Au grand dam de mes parents, le 10 février 2016 en remplacement du Bataclan, nous nous rendons au Trianon pour le concert de Skunk Anansie. Impossible de faire l’impasse sur les évènements. Nous sommes dans la fosse à attendre l’artiste, et je vois le regard de mon conjoint qui furète de tous côté. Je lui attrape la main et il m’explique que c’est con, mais il a repéré les issues de secours, et que cela ne servirait à rien si la scène devait se reproduire.

Le concert commence. Je ne me rappelle pas la première partie. Sympa sans plus, j’imagine. Enfin, Skin, la chanteuse du groupe monte sur scène. Elle se lance dans un morceau énergique qui me réjouit. Puis le son cesse. La lumière se braque sur elle, et elle nous parle. Après un classique « bonsoir Paris », elle nous explique qu’elle a tenue à être là ce soir. Malgré les évènements, pour ces évènements. Nous devrions être au Bataclan et nous sommes au Trianon, et pour le Bataclan, pour tout ce qui s’est passé, elle nous demande de crier ensemble.

Le hurlement qui sort de milliers de gorges ne ressemble pas à celui que l’on entend d’habitude dans un concert. C’est un hurlement de rage, de détresse. J’en ai mal à la gorge, le corps qui tremble. Nos cous tendus ne s’arrêtent pas de crier contre cette violence inutile qui a fauché des gens plein de vie, gratuitement, alors qu’ils ne faisaient de mal à personne. Cela aurait pu être nous, ce furent nos amis, nos frères, des inconnus auxquels nous nous sentons néanmoins liés. Quand nos gorges finissent trop serrées pour hurler plus longtemps, un grand silence tombe sur la salle. Je nous sens ensemble. Soulagée, émue aux larmes, je regarde mon homme que le spot éclaire de biais. Ses yeux sont aussi brillants que les miens. Nous nous serrons les mains, très fort. Skin acquiesce face à la foule et le concert démarre pour de bon.

Aujourd’hui encore, rien que vous l’écrire, ma gorge peine à laisser passer l’air.

Et vous ? Vous rappelez-vous, où vous étiez le 13 novembre 2015 ?

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