Une folie qui se paye

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- Ma chérie?

- Oui mon amour?

- Je sais qu'on avait dit qu'on attendrait ce soir, mais je suis tellement impatient de t'offrir ton cadeau ... Tiens!

Marie regarda son époux. Elle l'avait rencontré il y a exactement dix ans, par hasard. Pour leur premier rendez-vous, il l'avait emmené mangé un sandwich chez un vendeur de rue. Le rêve. Mais elle se doutait qu'il avait mis le paquet pour arriver à ses fins. Alors elle avait été prudente. Mais finalement, Roger s'était trouvé être un petit ami, puis un mari exceptionnellement attentionné. Il n'attendait pas les fêtes pour lui offrir des cadeaux. Le dernier en date, sur un coup de tête, une bicyclette rouillée dont la selle tenait à peine. Marie n'en avait pas cru ses yeux.Elle l'avait tout de suite adorée.

Au début, elle avait essayé de freiner les ardeurs de son mari. Tous ses présents, ça faisait beaucoup. Mais Roger était comme ça. Lui faire plaisir était son bonheur quotidien. Plusieurs fois il faisait lui-même les repas. Les casseroles encore sales de la veille permettaient de faire des plats de chefs. Et puis il ne lésinait pas devant les tâches ménagères. Jamais la poussière n'avait été aussi belle et présente que lorsqu'il faisait le ménage. Les habits en boule et les taches d'huile traduisaient son soin particulier.

Bref, Marie était heureuse. C'est pourquoi, lorsqu'elle le voyait aujourd'hui, avec ce nouveau paquet dans les mains, elle sourit. Pour son anniversaire, elle allait être gâtée, elle le savait. Mais qu'avait-il trouvé cette fois-ci? Ils avaient tout ce dont un couple pouvait rêver. Une mobile-home vétuste au milieu d'une aire de camping, la fameuse vieille bicyclette, un potager rongé par les pucerons, et un travail épanouissant: chauffeur de bus.

- Ma chérie?

Roger sortit sa femme de ses pensées. Marie tendit la main et se saisit du paquet. Il n'était pas bien gros, ce paquet. Elle se mit à rêver que ce serait peut-être de vieux bouchons de liège. Elle en faisait la collection. Avant de l'ouvrir, elle songea à sa voisine. La semaine précédente, son époux lui avait offert un collier de perles. La pauvre avait été dévastée. Elle n'osait plus sortir de chez elle. C'est que dans ces coins, les rumeurs allaient vite. Tout le monde était au courant de cette affaire, et elle était désormais mal vue dans le quartier. Marie chassa cette pensée de sa tête. Cela ne risquait pas de lui arriver. Roger ne se permettrait jamais de lui offrir une telle chose.

Elle prit une profonde inspiration, et ouvrit le paquet. Ce qu'elle vit à l'intérieur dépassait tout ce qu'elle aurait pu imaginer. Son mari, fier de lui, lui dit:

- Alors, ça te plaît?

Marie prit délicatement dans ses mains le châle troué couvert de trace, et regarda son mari.

- Il est parfait!

- Et là, reprit celui-ci, ce sont des traces de graisse!

Qu'il était heureux d'avoir pu offrir une telle beauté à sa femme. Marie n'en croyait pas ses yeux.

- Mais où as-tu trouvé une telle chose?

Roger hésita avant de répondre.

- Je suis allé dans un vide grenier.

Marie eu un sursaut.

- Roger! Je t'avais pourtant demandé d'arrêter d'aller là-bas! C'est trop tentant et nous n'avons pas les moyens de faire nos achats dans des endroits pareils!

- Je sais ma chérie, mais c'est ton anniversaire, et puis c'est trop tard, on ne peut plus le rendre.

Marie resta muette encore un instant. C'est vrai qu'une scène était inutile. Mais tout de même, un vide grenier! Roger exagérait. Puis ses yeux se reposèrent sur le châle. Il était vraiment magnifique. Bon, pour cette fois elle ne dirait rien. Et puis elle devait se préparer pour le dîner de ce soir, au fast-food. Décidément, elle était gâtée aujourd'hui!

Une heure plus tard, Marie était prête. En attendant que Roger finisse de se préparer, elle se contemplait devant la glace fendue avec son cadeau autour du coup. Tandis qu'elle tournait et retournait sur elle-même afin de mieux s'admirer, on sonna à la porte.

- J'y vais! cria-t-elle à son mari.

Dans l'encadrement de la porte se tenait un officier de police en uniforme. Marie en fut toute étonnée.

- Bonsoir, fit-elle en hésitant, puis-je vous aider?

- Madame Plissou? Je suis l'officier Clerc. Puis-je m'entretenir avec votre mari?

- Il... il est en haut, nous nous apprêtions à sortir. C'est à quel sujet?

- Madame, je souhaite parler directement à votre mari.

- Je suis sa femme! J'ai le droit de savoir!

- Comme vous voudrez madame. Votre mari est soupçonné de vol.

- De vol?

Marie tomba sous le choc. Roger, son merveilleux Roger, un voleur? C'était impossible!

- Vous vous trompez, fit-elle. Roger n'aurait jamais fait une chose pareille!

Les yeux de l'officier se posèrent sur le châle autour de son coup.

- Où avez-vous trouvé ceci madame?

- C'est un cadeau, fit-elle la tête haute. Personne ne l'a volé.

L'officier sortit alors de sa poche des photographies de mauvaise qualité, et les tendit à Marie. Celle-ci s'en saisit lentement, ne sachant pas si elle voulait vraiment jeter un œil à ces clichés, peu certaine de ce qu'elle allait y voir.

Puis soudain, le monde s'arrêta de tourner autour d'elle. Sur la première photo, une femme d'un certain âge, portant autour du coup ce même châle qu'elle avait en ce moment. La confusion était impossible, il y avait les mêmes taches de graisse dont Roger avait été si fier. La seconde photo montrait une vieille bicyclette. Puis sur une autre, des bouchons de liège. Puis un vieux coussin troué ... Marie n'eut pas le courage de continuer. Tous ces objets, elle les connaissait si bien. Ils étaient tous chez elle en ce moment même.

Comment avait-elle pu être aussi aveugle? Elle s'était bien demandé comment Roger arrivait à les faire vivre dans de si bonnes conditions depuis si longtemps, mais elle avait mis ça sur le compte d'une très bonne organisation. Et puis, elle se l'avouait maintenant, elle était si ravie de pouvoir pavaner devant ses amies avec toutes ces belles choses qu'elle ne cherchait pas plus loin.

Et maintenant, la triste réalité venait la frapper, le jour même de son anniversaire. Sortant de sa torpeur, elle questionna le policier:

- Qu'est-ce qu'il va devenir?

- Il ira en prison madame, je le crains. Les faits sont trop graves, ce ne sont pas de simples babioles qui ont été volées.

- En prison? Mais on raconte que les draps sont en soie et que la nourriture est préparée par un chef étoilé!

- C'est exact madame.

- Mais c'est horrible! Jamais Roger ne pourra survivre à ça!

- La prison est faite pour des criminels, madame. Nous ne leur accordons pas de traitement de faveur.

- Pauvre Roger, sanglota Marie. Je pourrais quand même lui rendre visite pour lui apporter des affaires décentes?

- Il faudra voir ça avec le juge, madame. Ce n'est pas de ma responsabilité. Maintenant si vous le voulez bien, je vais emmener votre mari.

- Je suppose que je n'ai pas le choix. Il est au premier, la première porte à gauche.

Le policier fit un signe de tête, entra dans la maison, et monta les escaliers. Marie resta là, incapable de bouger. Tout se bousculait dans sa tête. Il y a à peine une heure, elle recevait un cadeau du plus merveilleux des hommes, et maintenant elle allait se retrouver seule. Il faudrait qu'elle rende tous ces objets. Elle n'en avait pas profité assez. Mais la vie est ainsi faite. Dès le lendemain, elle se résignerait à aller acheter d'autres affaires pour les remplacer. Mais plus d'objets si beaux, elle ne pourrait plus se le permettre. Elle allait devenir la honte du quartier. Un mari en prison, une nouvelle voiture, des bijoux et des tableaux de maître. Voilà à quoi elle en serait réduite. Il faudra beaucoup de courage. Et alors qu'elle songeait à tout ça, elle entendit venir d'en haut:

- Monsieur Roger Plissou, vous êtes en état d'arrestation. Tout ce que vous direz ....

Elle n'entendit pas la suite. Elle avait déjà refermé la porte sur son ancienne vie, et se préparait à affronter la nouvelle.

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