Chapitre 15 suite

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Quelques instants après la sortie fracassante de sa sœur, Gui prit congé de ces dames et, sa harpe en main, partit à la recherche d’Ermessinde. Bien qu’étant habitué à son fichu caractère, il n’aimait pas la savoir seule lorsqu’elle se mettait dans de tels états.

D’un pas vif, il grimpa l’escalier menant à leur chambre. Parvenu sur le palier du troisième étage du donjon, il s’arrêta l’oreille aux aguets et le regard fixé sur l’immense tenture qui séparait la pièce en deux.

Durant ses colères, sa sœur avait la fâcheuse habitude de détruire tous les objets à sa portée en les projetant soit contre les murs, soit contre les personnes présentes. Mieux valait donc être prudent avant de tenter une approche.

Gui allait poser la harpe sur son lit mais se ravisa au dernier moment.

- La musique adoucit les mœurs, pensa-t-il en souriant et en s’avançant avec prudence.

N’entendant aucun bruit, il appela :

- Ermessinde, c’est moi, je peux entrer ?

N’obtenant pas de réponse, il souleva la tenture et jeta un coup d’œil à l’intérieur de la chambre de sa soeur. Le spectacle qu’il y découvrit le poussa à aller de l’avant. Il laissa retomber le lourd rideau derrière lui et s’avança jusqu’au lit où Ermessinde était étendue à plat ventre, la tête enfouie dans les oreillers, les épaules secouées de sanglots étouffés.

Gui s’assit au bord de la couche et resta un long moment immobile, cherchant les mots qui pourraient apaiser son chagrin.

Il approcha une main hésitante et caressa ses cheveux blonds paille.

- Quelle est donc la cause de ces pleurs, petite sœur ? Je préfère tes colères terribles à ce profond désespoir.

La voix douce et posée de son frère avait le don de calmer ses états d’âme, mais ce jour d’hui, elle eut beaucoup plus de mal à atténuer la douleur qui s’échappait par vagues, soulevant par à-coups réguliers son corps gracile.

Peu à peu, Ermessinde ravala les sanglots qui encombraient sa gorge et, après un effort surhumain, elle se releva pour s’asseoir face à son frère qui lui souriait tendrement.

- Alors petite fille, vas-tu enfin me dire ce qui te tourmente ainsi ?

Un éclair de rage illumina son regard bleu pâle et elle lui rétorqua avec fureur :

- J’aimerais que tu arrêtes de me traiter de la sorte, je ne suis plus une jouvencelle, je suis une femme maintenant et j’en ai plus qu’assez que personne ne s’en aperçoive !

Gui leva les mains en signe de reddition :

- Ne te fâche pas, ma douce, c’était juste une marque d’affection de ma part, je ne le redirai plus, c’est promis. Serait-ce là la cause de ton désespoir ?

- Bien sur que non… enfin… oui… oui et non.

- Je ne te suis plus.

- C’est compliqué, tu ne peux pas comprendre.

- Allons, tu sais très bien que tu peux tout me dire, je serai muet comme une tombe.

Ermessinde se renfrogna et contempla ses ongles, testant leur dureté à l’aide de son pouce. Pendant ce temps, Gui se leva et alla s’accouder à l’étroite fenêtre. Il huma l'air encore chargé des odeurs que l'orage de la nuit avait charrié et tendit son visage vers les rayons du soleil, profitant de sa douceur avant qu'il n'atteigne son zénith. Immobile, il attendait le bon vouloir de la jeune fille.

Un instant plus tard, il se retourna et s'assit sur le rebord, installant sa harpe sur ses genoux. Il commença à pincer les cordes tout en observant sa sœur à la dérobée.

Voyant que même sa musique n'arrivait pas à la sortir de son mutisme, il poussa un profond soupir qui eut au moins l'effet de lui faire relever la tête.

Ermessinde fixa son sourire engageant et murmura enfin d'une voix presque inaudible :

- As-tu déjà aimé ?

Surpris par la question, Gui eut un instant d’hésitation. Il ouvrit la bouche pour la refermer aussitôt, puis réussit à articuler :

- Euh, oui… enfin, je crois. Pourquoi me demandes-tu cela ?

Les larmes à nouveau au bord des yeux, Ermessinde soupira :

- As-tu déjà aimé au point que ton cœur tombe en lambeaux à chacune de ses absences ? Au point d’avoir la gorge nouée au moindre de ses regards, à la moindre de ses paroles ? Au point d’être prête à offrir ta vie contre la sienne ? Au point de te consumer de chagrin à la moindre de ses incartades ? As-tu déjà aimé comme cela ?

Tout en parlant, Ermessinde s’était rapprochée de Gui qui la dévisageait avec stupeur. Les bras ballants, elle s’arrêta devant lui, la mine défaite avec ses yeux rougis dont le trop plein de larmes continuait à se déverser sur ses joues.

Gui posa sa harpe sur le sol et serra tendrement sa sœur dans ses bras en enfouissant son visage dans ses cheveux fins :

- Allons, Ermessinde, ce n’est pas la peine de te mettre dans un tel état. Dis-moi quel est ce chevalier pour lequel ton cœur bat si fort et il ne devrait pas être difficile de le convaincre d’épouser un si joli minois.

Exaspérée devant l’optimisme à toute épreuve de son frère, elle poussa un long soupir :

- Non seulement il n’est pas chevalier, mais de plus je sais très bien qu’il n’éprouve rien pour moi.

- Mais comment peux-tu en être aussi certaine ? Lui demanda Gui en se détachant d’elle pour mieux l’observer.

Ermessinde se détourna de son regard inquisiteur et se rapprocha du bord de la fenêtre. Les yeux dans le vide, elle contempla sans vraiment le voir le remue-ménage qui régnait maintenant dans la cour.

Ruminant les paroles déconcertantes de sa sœur, Gui, les sourcils froncés, erra de long en large dans la pièce. Quel était donc le sombre personnage qui avait ainsi ravi le cœur trop sensible d’Ermessinde ?

Soudain, son regard se reporta sur la frêle silhouette qui s’était penchée dangereusement à la fenêtre. Il se rapprocha et s’inclina par-dessus son épaule tout en lui enlaçant la taille afin de voir ce qui la préoccupait. En effet, ses mains délicates aux jointures blanches étaient crispées sur le rebord, le serrant comme si elles voulaient en pulvériser la pierre.

De prime abord, Gui ne remarqua rien d’intéressant ni d’inhabituel dans les allées et venues de quelques palefreniers, soldats ou servantes qui composaient les personnages essentiels de la scène qu’ils avaient sous les yeux. Il haussa les épaules et allait se détourner lorsqu’il sentit le souffle d’Ermessinde s’accélérer.

Intrigué, Gui essaya de capter dans quelle direction était fixé son regard et y reporta le sien. Le destrier harnaché d’Aymeric attendait devant la porte de la garnison. Le capitaine, au bras duquel était appuyée une servante, s’en approchait lentement, réglant son pas impatient sur celui hésitant de sa compagne. Pour le peu qu’il en apercevait, il lui sembla qu’elle était assez jolie.

Un sourire narquois étira ses lèvres, vite effacé lorsque Gui réalisa avec consternation qu’il avait devant les yeux l’homme qui rendait sa sœur aussi malheureuse.

Le sentant se raidir dans son dos, Ermessinde le devança et murmura :

- Tu as compris, n’est-ce pas ?

- Je crois que oui, répondit-il dans un souffle.

Gui détacha les doigts de sa puînée encore crispés sur la pierre et la ramena avec lui à l’intérieur. Il la prit par les épaules, la maintenant à bout de bras. Complètement dépassé par les évènements, il bafouilla :

- Comment peux-tu… Il n’est pas… Ce n’est pas possible… Tu ne pourras jamais…

- Je sais tout cela, Gui, l’interrompit-elle, et c’est bien pourquoi je ne t’en avais jamais parlé. Mais maintenant que te voilà dans la confidence… je vais avoir besoin de ton soutien… et surtout de ton aide.

Ermessinde avait retrouvé un ton posé et, devant le mutisme effaré de son frère, elle insista :

- Pourrai-je compter sur toi ?

Désemparé, Gui regardait fixement sa sœur. Il venait de comprendre que tout ce qu’il pourrait dire ou faire n’aurait aucun impact. Elle était prête à tout pour satisfaire son caprice même si pour cela elle devait détruire sa vie et celle de son entourage. Déjà, le chagrin s’effaçait de son visage et une lueur farouche brillait à nouveau dans son regard. Gui avala à grand peine la boule d’angoisse qui bloquait sa gorge et lâcha enfin :

- Je ne sais pas encore ce que je vais faire de tout cela, mais tu me mets dans une situation extrêmement embarrassante. En attendant, il faut que je réfléchisse à tête reposée. Alors tu vas faire comme d’habitude et dans un petit moment tu iras t’excuser auprès de mère pour ta conduite. Je compte sur toi, ajouta-t-il en s’éloignant.

Ermessinde le regarda avec tristesse sortir de sa chambre et fixa le lourd rideau qui venait de lui ravir la seule personne en laquelle elle avait une confiance totale. Puis, elle se détourna et son regard accrocha la harpe qui gisait abandonnée au bas de la fenêtre. Gui devait être sacrément bouleversé pour l’avoir oubliée. Elle alla la ramasser et retourna s’asseoir sur son lit. Elle la caressa d’une main distraite et essaya de se souvenir des leçons que son frère avait tenté maintes fois de lui apprendre. Elle pinça les cordes, mais les seuls sons qu’elle obtint lui écorchèrent les oreilles.

Ermessinde repoussa l’instrument et décida de se ressaisir. Gui avait raison, il ne fallait pas qu’elle se laisse abattre et avant toute chose, elle devait reprendre figure humaine avant d’aller présenter ses excuses à sa mère. Ce n’était pas le moment de s’en faire une ennemie car la bataille qui allait s’engager entre elle et ses parents s’annonçait rude et pénible.

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