Chapitre 7 suite 1

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Légèrement ragaillardie, Alis sortit de la citerne souterraine conçue pour recueillir l’eau nécessaire à la vie quotidienne et dont le plafond voûté était soutenu par des piliers de pierre carrés. Elle eut la désagréable surprise de constater que la nuit s’était installée complètement. Elle s’était trop attardée au bord de l’énorme réceptacle de pierre au fond recouvert de gravier et de charbon pour filtrer l’eau. Plongeant avec délice ses bras dénudés et moites dans l’onde fraîche, elle s’était aspergée la nuque, le visage et le cou, éclaboussant son bliaud ; mais la chaleur lourde qui régnait aurait tôt fait de le sécher.

Alis eut un soupir de nostalgie et, pour la énième fois de la journée, se demanda ce quelle faisait ici : sur son Lévézou, les nuits, même au plus fort de l’été, étaient toujours fraîches et reposantes.

Essayant de se repérer, elle regarda autour d’elle et distingua les deux torches qui éclairaient faiblement la rampe en pierre par où l’on accédait au petit donjon. Elle leva la tête et fut impressionnée par l’allure fantomatique de l’énorme tour qui la surplombait avec morgue. Sa silhouette masquait lugubrement une bonne partie du ciel étoilé.

Soudain, elle frissonna : une étrange lueur se déplaçait sur les hourds tel un feu follet.

- Allons, cesse de te faire peur pour rien : c’est sûrement un soldat faisant sa ronde, marmonna-t-elle en hâtant le pas pour traverser la basse-cour. J’aurais peut-être dû dire à Marie de m’attendre, mais elle avait l’air si pressée. Tant pis, je trouverai bien mon chemin toute seule.

Elle atteignait le bas de la rampe d’accès lorsqu’une épaisse silhouette surgit de l’ombre et lui attrapa le bras avec brutalité. Aussitôt, elle essaya de se dégager d’une secousse en poussant un cri de surprise, mais en vain : la poigne qui la tenait n’entendait pas la lâcher si facilement.

- Allons, tout doux la belle, murmura une voix familière à son oreille, ne m’oblige pas à appeler la garde.

Solidement maintenue, Alis fit volte face et se retrouva nez à nez avec le bailli. Elle l’avait complètement oublié celui-là, que lui voulait-il encore ?

- Lâchez-moi ! Siffla-t-elle de son air le plus sauvage pour essayer de l’impressionner.

- Pas la peine de me faire ces yeux-là, Alis la louve, ça ne marche pas avec moi. Eh oui, je vous connais toi et ta famille de hors-la-loi. Vous pensiez peut-être que Monseigneur vous laisserait agir à votre guise, mais cette fois vous avez dépassé les bornes.

Bouche bée, Alis regardait le bailli. Son cerveau tournait à toute vitesse pour tenter d’analyser les paroles déconcertantes qu’il lui lançait au visage.

Profitant de sa déconvenue, Bertrand continua sur sa lancée :

- Un seul geste de ma part, un seul ordre et tu rejoindras ton père au fond de son cachot.

Il la laissa un bref instant digérer ses menaces, puis ferra sa proie :

- À moins que tu n’y mettes du tien et fasses tout ce que je te dis. À cette seule condition, tu pourras retourner chez toi aussi libre que l’air. Pour le moment, pensa-t-il en souriant intérieurement de l’aubaine.

Lorsqu’Alis saisit le fond de la pensée de cet immonde porc, tout son être se révolta. D’apeurés, ses yeux se voilèrent d’une lueur farouche et maléfique. Elle retrouva ainsi toute sa superbe avant de lui cracher au visage :

- Jamais, vous m’entendez, jamais je ne cèderai à votre odieux chantage. Je préfère crever en prison avec mon père !

Une expression de surprise se peignit sur les traits du bailli, vite remplacée par une grimace sournoise.

- Mais qu’à cela ne tienne, tu pourras toujours aller crever avec ton père une fois que j’aurai eu ce que je veux. Tous les gardes sont à mes ordres et je peux te contraindre seul… ou à plusieurs. C’est à toi de choisir, enchaîna-t-il en lui tordant méchamment le bras derrière le dos et en la poussant vers le haut de la rampe.

Des larmes de souffrance jaillirent de ses yeux et Alis trébucha en gémissant de douleur. Elle tenta un dernier avertissement, mais sa voix se brisa et seule une timide plainte franchit le seuil de ses lèvres :

- Lâchez-moi, je vous en prie.

- Pas la peine de me supplier, sorcière, ta place est sur le bûcher. Mais avant, autant en profiter. Ce serait dommage de laisser périr sans y goûter une belle fille comme toi !

- Je suis tout à fait de votre avis mon cher Bertrand, lança une voix dans l’ombre, mais vous semblez oublier une chose.

Lorsque Alis vit la silhouette d’Aymeric sortir de l’obscurité, elle sentit son cœur s’arrêter de battre et comprit que tout espoir de fuite était inutile. Elle aurait pu essayer de feinter et ainsi échapper au bailli dont l’embonpoint ralentissait les moindres gestes, mais le capitaine serait plus difficile à semer. De rage autant que de douleur, elle cessa de résister et tomba à genoux.

Déséquilibré par la chute d’Alis autant que déstabilisé par l’apparition d’Aymeric, Bertrand relâcha son étreinte. Que voulait-il dire par « oublié une chose » ?

Ses yeux porcins scrutèrent le visage du capitaine à la recherche d’une réponse, mais seul un sourire narquois lui répondit.

- Mais que… que voulez-vous dire ? Balbutia-t-il piteusement. Cette histoire ne vous regarde pas, ajouta-t-il en retrouvant sa morgue.

Avec le capitaine il s’attendait à tout et surtout au pire.

- Mais au contraire, mon cher Bertrand, au contraire, car ce que vous semblez oublier, c'est que votre prisonnière m’appartient de droit.

- Co… comment cela ? S’indigna le bailli.

Ne se sentant plus aussi fermement maintenue, Alis leva un genou pour se redresser, mais dut reprendre sa position avec un cri de douleur. Enervé de sentir sa proie bouger, Bertrand avait accentué au maximum la traction sur son bras.

- Ça suffit, lâchez-la !

Le rugissement d’Aymeric se répercuta lugubrement sur la paroi de pierre du donjon.

- Je n’ai aucun ordre à recevoir de vous, passez votre chemin, croassa Bertrand au comble de la rage.

La main sur son épée, Aymeric s’avança, les yeux étrécis en deux fentes menaçantes.

- Si vous tenez un tant soit peu à la vie, je vous conseille de faire ce que je vous dis.

Lâchant enfin Alis, Bertrand se redressa d’un bond et recula d’un pas.

- Vous n’oseriez pas ! S’indigna-t-il avec cependant une lueur peureuse au fond des yeux.

- Etes-vous sûr de vouloir vérifier ?

- Vous semblez oublier que je suis le bailli, Aymeric et que de ce fait j’ai parfaitement le droit d’arrêter cette serve pour l’interroger, s’obstina le gros bonhomme en tapant du pied comme un enfant à qui l’on enlèverait son jouet.

Pendant cet affrontement verbal, Alis s’était relevée et massait son bras en grimaçant. Elle ne savait pas si elle devait se réjouir de l’intervention du capitaine ou au contraire s’en méfier. Elle cherchait une issue qui lui permettrait de s’échapper, mais les deux hommes occupaient sa seule chance de retraite.

Percevant son doute, Aymeric se rapprocha d’elle et lui saisit le poignet aussi solidement, mais plus délicatement que ne l’avait fait le bailli.

Alis regarda d’un air hébété cette nouvelle main qui la maintenait prisonnière et réprima un sanglot de désespoir. Elle se sentait aussi démunie que l’animal pris au piège. Elle suivait d’une oreille attentive les propos des deux hommes, mais ne comprenait pas l’objet de leur dispute. Pourquoi appartiendrait-elle plus à l’un qu’à l’autre ?

- Vous avez abandonné votre droit sur elle et sa famille le jour où vous m’avez confié la tâche d’aller arrêter son père.

- Mais c’est insensé ! Vous n’avez pas le droit ! J’en réfèrerai au baron dès son retour.

- Justement, n’oubliez pas que je le vois demain et qu’il serait ravi d’apprendre certaines choses à votre sujet.

Le bailli cambra le torse avec morgue et toisa le jeune homme :

- Je ne vois pas de quoi vous parlez.

- Touchez un seul cheveu de cette fille et vous le saurez bientôt.

Pesant le pour et le contre, Bertrand hésita et finit par choisir la prudence. Qu’est-ce que savait ce freluquet à son sujet ? Il n’était pas spécialement pressé de l’entendre de la bouche du baron.

Le bailli soupira et regarda une nouvelle fois Alis avec une moue de dépit. Il recula d’un autre pas et lâcha entre ses dents une dernière remarque, presque inaudible :

- Ça ne se passera pas comme ça.

Il tourna les talons et fut bientôt englouti par la nuit noire.

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