Chapitre 5 suite

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Comme pour exaucer son vœu, elle entendit la porte s’ouvrir brusquement dans son dos et des pas décidés se rapprocher. En risquant un œil de côté, elle vit un homme, plus grand que la moyenne et tout de noir vêtu, s’avancer et s’incliner pour présenter ses respects à la baronne. Lorsqu’il se redressa, la jeune serve affolée s’aperçut qu’il s’agissait de celui qui avait arrêté son père.

- Mon Dieu, tout est fichu ! Entre lui et le bailli, je n’ai plus aucune chance. Je n’aurais jamais dû venir ici. Orianne avait raison, c’était de la folie.

Complètement paniquée à l’idée que ce maudit capitaine la reconnaisse, Alis tourna la tête et essaya de passer inaperçue.

Oubliant la serve à la vue du jeune homme, le visage de la baronne s’éclaira. Elle se leva aussitôt et s’approcha de lui.

- Aymeric, quelles nouvelles nous rapportes-tu ? S’écria-t-elle avec une pointe d’angoisse dans la voix en l’entraînant à l’écart.

- Rien de bien grave, Ma Dame, ne vous inquiétez pas, assura le capitaine en la suivant à l’autre bout de la pièce hors d’oreilles importunes.

Déroutée par cette interruption, Alis en aurait bien profité pour s’éclipser discrètement, mais la baronne ne lui avait pas donné de réponse. Et même si elle ne s’attendait plus à un miracle, elle ne pouvait pas partir comme ça. Elle fit un pas de côté et surprit alors les chuchotements de deux des dames de compagnie de la baronne.

- Même fatigué par ses pérégrinations, il a toujours autant de charme ce capitaine, soupira la plus jeune des deux, une petite blonde boulotte aux yeux bleu acier.

Pour la faire taire, sa comparse, une femme entre deux âges au visage déjà marqué par les rides, lui donna un coup de coude et désigna Ermessinde qui s’était levée comme pour suivre sa mère et le capitaine.

Alis regarda discrètement dans la direction indiquée et surprit le regard fiévreux de la jouvencelle, attiré, comme le papillon par la flamme, par le « charmant » capitaine.

- Qu’est-ce qu’elles lui trouvent toutes ? Soit, il est loin d’être repoussant, mais quel rustre… et quel prétentieux, réfléchit Alis en l’observant à la dérobée.

En attendant, elle dû reconnaître que son apparition l’avait tirée d’un bien mauvais pas. Mais pour combien de temps ?

Malgré elle, Alis regarda le bailli. Il la fixait de ses petits yeux porcins et son expression avait changée. Il semblait lui délivrer un message, mais elle hésitait sur l’interprétation qu’elle devait en faire. C’était tellement incroyable et inattendu que cela devait dissimuler un piège. Et puis soudain, elle comprit. Derrière son apparent sourire chaleureux se cachait la véritable nature du bonhomme. Son air bonasse lui faisait comprendre qu’il ne dirait rien à dame Joanne, mais qu’en retour…

Fatiguée par cette journée riche en émotions et pour gagner du temps, Alis hocha la tête en signe d’assentiment.

Fasciné par la réponse de la serve, Bertrand faillit en avoir une crise d’apoplexie.

Leur conciliabule silencieux fut soudain interrompu par le retour de la baronne et d’Aymeric.

Alis, que la présence du capitaine rendait nerveuse, baissa les yeux en priant de toutes ses forces qu’il ne la reconnaisse pas.

- Vous êtes encore là, vous ? Marmonna dame Joanne exaspérée.

- Je… vous ne m’avez pas donné votre réponse, bafouilla la serve en levant la tête.

C’est alors qu’elle croisa le regard bleu perçant d’Aymeric. À cet instant, elle aurait voulu devenir aussi petite qu’une souris pour échapper à son sourire narquois et à son haussement de sourcil qui montrait sans aucun doute qu’il l’avait reconnue.

Terrassée par ce constat, Alis reporta son attention sur la baronne qui la toisait avec mépris malgré le fait qu’elle la dépasse d’une bonne tête.

- Il n’est pas en mon pouvoir de faire libérer un homme que mon époux a fait jeter en prison. Il faudra attendre son retour. C’est lui et lui seul qui décide des remises de peine. Allez, hors de ma vue.

À cette nouvelle, Alis crut que le sol allait encore se dérober sous ses pieds. Elle prit une profonde inspiration pour trouver la force de s’incliner à nouveau devant cette femme qui la rejetait pourtant comme une malpropre et puisa dans le reste de fierté qui lui restait pour se ressaisir et montrer un visage impassible : elle ne voulait pas leur faire le plaisir de s’effondrer.

Mais déjà, sans plus se soucier d’elle, la baronne s’éloignait avec sa fille et ses dames de compagnie en direction de la grande table.

- Vous venez, Aymeric ? Lança-t-elle sans se retourner.

- J’arrive, ma Dame, répondit celui-ci sans pour autant s’exécuter.

Il se tenait toujours devant Alis et l’observait avec amusement autant qu’admiration. Même si elle était la dernière personne qu’il s’attendait à voir ici, il avait reconnu la belle furie du Lévézou. Décidément, elle avait un sacré cran de venir jusqu’au château pour négocier la libération de son père. Il l’avait bien entendue le lui promettre, mais ne pensait pas qu’elle aurait assez de courage et surtout de folie pour le faire.

Se rendait-elle compte qu’elle se jetait dans la gueule du loup ?

Comme en réponse à sa question, Alis tourna les talons en cherchant du regard la porte de sortie. Désireuse de s’éloigner au plus vite de cet antre, ses pas la firent malencontreusement buter dans un chien de chasse roux qui lui barrait le passage.

- Décidément ! Marmonna Aymeric en la retenant d’une poigne ferme pour l’empêcher de tomber par-dessus la bête qui s’éclipsa aussitôt dans un jappement effrayé.

Ayant retrouvé son équilibre, Alis le foudroya de son regard noir avant de se dégager d’une brève secousse. Ses mains la démangeaient d’effacer son sourire moqueur d’une bonne claque, mais ce n’était ni le lieu ni le moment. Ravalant sa rancœur, elle détourna la tête et s’élança vers la sortie d’un pas plus que pressé.

Elle allait atteindre les portes, lorsqu’elle sentit une petite main s’insinuer dans la sienne et la tirer à l’écart. Alis se retourna d’un bond et se retrouva face à Marie la lavandière qui arborait un large sourire faisant encore plus disparaître ses lèvres.

- Viens, il va faire nuit et ce ne serait pas raisonnable de se promener seule en ville.

- Mais où… commença Alis de plus en plus stupéfaite.

- De toute façon, c’est le couvre feu. Tu ne pourras pas sortir du château. Viens te restaurer aux cuisines. Après, on trouvera bien une couche à te prêter pour la nuit.

Alis allait répliquer, mais Marie l’entraîna avec force vers l’escalier pris dans le mur qui conduisait aux cuisines. Elle avait vu le bailli se diriger vers elles et, ne le connaissant que trop bien, voulait éviter toute confrontation désagréable.

Aymeric suivait du regard les deux donzelles. Cette serve était encore plus belle et désirable que dans son souvenir. Il revoyait encore l’éclat de ses beaux yeux sombres : ils révélaient un esprit vif comme il en avait rarement vu chez les femmes de sa classe. Elle le subjuguait et l’intriguait à tel point qu’il en venait à regretter de devoir repartir dès l’aube le lendemain matin.

Son visage se rembrunit lorsqu’il vit le bailli se rapprocher à son tour de l’escalier menant aux cuisines. Son petit manège vis-à-vis de cette serve ne lui avait pas échappé et il allait se faire une joie de l’envoyer chercher ailleurs une autre proie. Celle-ci lui était réservée.

En trois enjambées, il le rejoignit et le tira sans ménagement par la manche :

- Eh bien, cher Bertrand, qu’est-ce que vous faites ? Venez vous asseoir, voyons. Ne faites pas attendre Dame Joanne !

- Mais… mais, balbutia le gros bonhomme pendant qu’Aymeric lui faisait intégrer sa place de force aux côtés de la baronne.

Après s’être assuré, de deux tapes menaçantes sur les épaules, que le bailli ne se relèverait pas, Aymeric se redressa et s’approcha de Dame Joanne pour prendre congé. En fait, il n’avait qu’une envie : échapper à cette assemblée pour descendre aux cuisines et se sustenter en bonne compagnie.

La baronne s’était installée au milieu de la table face à la cheminée, de manière à voir toute sa cour. Elle avait laissé une place entre elle et sa fille et lui sourit en lui indiquant la chaise vide :

- Venez vous asseoir à mes côtés, Aymeric, comme cela vous pourrez me narrer votre séjour à Millau. Je suis curieuse de tout connaître de la cour du vicomte.

Devant son regard suppliant, il décida de tempérer en lui proposant :

- Mille excuses Dame Joanne, mais je vais juste prendre une coupe de vin à vos côtés. Je suis trop épuisé et crotté pour être de bonne compagnie. Ma place est en cuisine où je prendrai une collation rapide. N’oubliez pas que je dois repartir pour Millau dès l’aube.

- Mais bien sûr, où avais-je la tête. Il est vrai que ce jour d’hui j’ai entendu tellement de jérémiades qu’un peu de gaîté et de frivolité m’auraient détendue. Vous savez si bien raconter les histoires ! Mais promis, je ne vous retiendrai pas longtemps.

Aymeric s’assit pesamment sur le siège vide et adressa un sourire complice à Ermessinde qui rougit comme une pivoine.

Savourant ce moment, la jouvencelle dévora Aymeric des yeux avec un pincement au cœur. Elle n’était pas dupe et savait pourquoi il ne voulait pas s’attarder à leur table : elle avait vu le regard de prédateur qu’il avait lancé à cette serve.

Mais comment faisait-il pour ne pas s’apercevoir qu’elle, digne fille de baron, aurait tout donné pour un seul mot, un seul geste de sa part ?

Ermessinde allait bientôt avoir quinze ans, mais Aymeric la considérait encore comme une fillette. Comme elle maudissait sa silhouette qui tardait à se développer. Ses seins si menus malgré le rembourrage dont elle remplissait son corsage, n’attiraient pas le regard des hommes. Son âme de femme se sentait prisonnière de ce corps trop juvénile.

Ermessinde eut un froncement de sourcil agacé : ce n’était pas le moment de s’appesantir sur ces détails futiles alors qu’Aymeric était à ses côtés !

Voulant profiter au maximum de sa présence, elle chassa vite ses pensées moroses et essaya de se concentrer sur la conversation, surtout que l’élu de son cœur s’était lancé dans une description assez cocasse de ses aventures, captivant son auditoire de telle manière que l’on avait du mal à entendre le ménestrel parmi les éclats de rire.

Complètement électrisée par sa présence si proche et son regard si doux qui l’effleurait de temps en temps comme une caresse, Ermessinde se fit un étrange serment : un jour, Aymeric serait à elle et à elle seule... quitte à pactiser avec le diable lui-même s’il le fallait.

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