Chapitre 11

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L’air était rare, étouffant et brûlant. Pas un souffle de vent ne venait alléger de sa caresse cette fin de matinée. Tous les arbres de la forêt ainsi que le moindre buisson semblaient figés dans une attente douloureuse. Espérance d’une infime goutte d’eau qui viendrait les délivrer d’une mort certaine. Les oiseaux s’étaient réfugiés au plus profond du feuillage, cherchant un semblant de fraîcheur et économisant leurs trilles en prévision d’un jour meilleur. Le seul bruit incongru qui troublait ce silence religieux était le martèlement sourd et régulier d’une troupe de cavaliers accompagnés du cliquetis mat de leurs épées contre leurs écus de bois.

Les épaules écrasées par cette chaleur poisseuse, Roger de La Canourgue, insensible au charme qui semblait avoir figé les éléments autour de lui, éperonna rageusement son destrier afin de forcer l’allure. Son escorte, composée de Girard son capitaine et d’une dizaine d’hommes, le suivait à distance respectueuse comme il en avait émis l’ordre. Malgré le temps et surtout l’absence de menace imminente, tous avaient revêtu leurs tenues de guerre, et leurs heaumes coniques étincelaient de mille feux sous le soleil.

Transpirant à grosses gouttes sous leurs carapaces de fer, la petite troupe avait déjà parcouru les trois quarts du trajet menant au château de La Canourgue, mais continuait d’échanger des regards interrogatifs sur leur brusque départ de Millau ainsi que sur la mauvaise humeur de leur seigneur. Personne n’avait compris pourquoi l’entrevue avec le vicomte Gilbert avait tourné à leur désavantage. Pourquoi fuyaient-ils de la sorte ? Que s’était-il passé cette nuit pour mettre le vicomte Gilbert dans une telle colère ?

Seul le chevalier de La Canourgue avait la réponse. Depuis son départ précipité de Millau, dès l’aube de ce funeste samedi de juillet, il n’arrêtait pas de revivre la scène et ses yeux noirs enfoncés dans leurs orbites, abrités par des sourcils drus et broussailleux, lançaient des éclairs menaçants tout en ruminant des projets de vengeance.

Il était arrivé l’avant-veille à Millau, paré de ses plus beaux atours de chevalier et auréolé de gloire tel un conquérant. Il portait bien ses trente ans et sa silhouette altière alliée à une musculature de bûcheron, fièrement campée sur un magnifique destrier couleur bai, avait franchi les portes de Millau sous les regards admiratifs de la gent féminine agglutinée pour l’occasion aux rares ouvertures du donjon. Son regard vif et séducteur noyé au milieu d’un visage large mais non dénué de charme avait tout de suite repéré quelques jolis minois qui, bon gré mal gré, lui permettraient de rendre son séjour à Millau beaucoup plus agréable.

Néanmoins c’était sans compter sur le mauvais sort qui s’était acharné sur lui dès son arrivée. Dans son invitation, le vicomte n’avait pas mentionné la présence de son vieil ennemi de toujours : le baron de Séverac ! Que faisait-il ici, au beau milieu du comité d’accueil, à le considérer de son air le plus hautain ? S’il était venu pleurer dans le giron de Gilbert de Millau dans l’espoir d’obtenir une trêve, c’est qu’il ne le connaissait pas lui, Roger de La Canourgue ! Jamais il ne se soumettrait ! À moins bien sûr que ce vieux débris ne lui cède les terres qu’il revendiquait, et encore, cela ne l’empêcherait pas, une fois qu’il aurait obtenu ce qu’il désirait, d’en vouloir davantage ! La paix l’ennuyait, rien ne l’excitait tant qu’une bataille rangée, après une bonne partie de fesses bien sûr.

Et puis son regard s’était posé sur la vicomtesse.

Ah ! Que n’avait-il écouté ses instincts primitifs qui le poussaient vers quelque servante au lieu de succomber dès le premier battement de cil au charme de Gerberge !

À cause d’elle, il repartait humilié, bafoué, la queue entre les jambes comme un chien chassé à coups de pieds. Tout cela à cause de l’appel de la chair qui avait été plus fort que celui de la raison. Encore une fois, il avait pensé avec son entrejambe et non avec sa tête. Mais aussi, comment aurait-il pu résister à la beauté éclatante de la vicomtesse qui lui avait fait entrevoir sans équivoque possible, les prémices d’une liaison torride ?

Au cours du banquet donné en son honneur, ils s’étaient retrouvés assis face à face, si bien qu’il avait subi comme une torture ce repas interminable. Au début, il avait été hypnotisé par son bliaud émeraude lui moulant la poitrine de telle sorte qu’à chaque inspiration, il semblait sur le point d’éclater pour libérer cette gorge aux formes provocantes. Puis ses sens, déjà mis à rude épreuve, avaient été attirés par un étrange manège : comme pour mieux ferrer sa proie, Gerberge portait sensuellement à sa bouche des mets aux formes évocatrices en le regardant par en dessous de ses yeux de velours aux longs cils noirs. Ses lèvres charnues, rendues encore plus luisantes par ces mets aux sauces grasses, suçotaient et mordillaient les asperges dégoulinantes avant de les avaler goulûment. Cela lui avait fait un tel effet qu’il n’avait pas tardé à sentir son sexe se dresser douloureusement dans ses braies et n’eut été la bienséance, il aurait sauté par-dessus la table pour la posséder. De plus, s’il avait encore des doutes quant à sa tentative de séduction, ils avaient vite été balayés lorsque, à plusieurs reprises, il avait senti son petit pied remonter le long de sa jambe avec insistance dans un lancinant va-et-vient.

Aussi, dès que Gerberge s’était levée pour prendre congé de ses hôtes prétextant une grande fatigue, il ne lui avait pas fallu longtemps pour trouver une excuse avant de s’éclipser à sa suite.

Seulement, il était loin de se douter où le mèneraient les conséquences de ses actes.

Mais comment avait-il pu être aussi stupide pour agir de la sorte ?

Il avait grimpé quatre à quatre les escaliers menant au deuxième étage du donjon et s’était arrêté net lorsque dans un recoin sombre, il l’avait vue penchée à une fenêtre pour profiter de la fraîcheur de la nuit. Les yeux rivés sur cette croupe qui se dessinait sous le tissu tendu de son bliaud, il s’était approché à pas de loup et s’était pressé contre elle en saisissant et pétrissant à pleines mains ces seins qu’il n’avait pas arrêté de convoiter tout au long du repas. Il l’avait coincée de telle sorte qu’elle ne pouvait pas bouger, mais l’aurait-elle pu qu’elle ne l’aurait fait, peu pressée de se dégager de son emprise : sa croupe s’était cambrée davantage, se frottant sensuellement contre sa virilité tendue à l’extrême en une invite sans équivoque.

Perdant toute notion du lieu où ils se trouvaient, il avait commencé à retrousser avec précipitation son bliaud, mais sa voix grave et posée l’avait arrêté net :

- Ne restons pas ici, voulez-vous ? Allons dans ma chambre et prenons notre temps.

Ce rappel à l’ordre lui avait fait brusquement réaliser qu’il se trouvait avec la vicomtesse et non avec une vulgaire servante que l’on sautait dans un coin à la sauvette. À contrecœur, il lui avait obéi et l’avait suivie jusqu’à sa chambre. Cette fois-ci, ses yeux avaient été accaparés par le balancement de hanche aguicheur qui le précédait. D’ailleurs, Gerberge avait à peine poussé sa porte qu’il l’avait saisie à bras le corps, refermant le battant d’un coup de pied. Sans même prendre le temps de se déshabiller, il l’avait jetée sur le lit, tel un rustre, et retroussant sans ambages son bliaud, il l’avait possédée sauvagement comme la chienne en chaleur qu’elle était.

Pour satisfaire sa curiosité, il avait dégagé deux superbes globes laiteux de leur prison de tissu, pétrissant et mordillant sans retenue les tétons durcis de cette chair tressautante avec des grognements porcins.

Lorsque entre deux cris de plaisir, Gerberge lui avait fait remarquer qu’il n’avait pas poussé le loquet, il s’était contenté d’émettre un grommellement agacé tout en continuant ses coups de boutoirs énergiques. Il n’allait pas s’interrompre si près du but !

Mais voilà, il était tellement occupé à son affaire, à cette jouissance qu’il sentait monter, qu’il n’avait pas entendu la porte s’ouvrir.

- Ne vous gênez surtout pas pour moi !

La voix dure du vicomte avait claqué comme un coup de fouet dans son dos, l’immobilisant net dans son élan. Comme un diable sortant de sa boîte, il s’était prestement dégagé, rangeant dans ses braies son membre ramolli comme par magie, tout en fixant avec un mélange d’incrédulité et de frayeur Gilbert de Millau qui le toisait avec superbe malgré sa petite taille. Machinalement, il avait reporté son regard d’enfant pris en faute sur Gerberge et s’était aperçu avec stupeur que celle-ci n’avait pas bougé d’un pouce, ne daignant pas rabattre son bliaud sur sa nudité provocante encore offerte.

En fait, un sourire ironique étirait ses lèvres pulpeuses et il avait même cru apercevoir un éclair de pitié dans ses yeux de jais. C’est à ce moment-là qu’il avait réalisé avec colère qu’elle s’amusait à ses dépens de cette situation grotesque.

- Comment le chevalier que vous êtes a-t-il pu trahir ainsi ma confiance ? Je vous accueille sous mon toit avec tous les honneurs et vous ne trouvez rien de mieux à faire que de profiter lâchement de la faiblesse de mon épouse !

Rouge de colère, le vicomte ponctuait ses propos en le menaçant de son index.

- Dire que je vous ai fait venir pour essayer de régler à l’amiable le litige qui vous oppose à Déodat de Séverac et qu’en plus je pensais vous donner raison. Nom de nom, trop c’est trop. Je veux que vous quittiez Millau dès matines et que je n’entende plus jamais parler de vos méfaits dans la région. Sinon j’enverrai personnellement mes troupes à l’assaut de votre misérable château ! Et estimez-vous heureux que je ne vous fasse pas arrêter sur-le-champ pour félonie et trahison. Sachez que c’est dans l’unique but de préserver l’honneur de ma femme.

- Mais, c’est…

- Sortez ! Je ne veux plus rien entendre au sujet de cette affaire, lui avait intimé le vicomte d’une voix de stentor tout en lui indiquant la porte.

Très digne, il avait quitté la pièce sans un regard en arrière, abandonnant l’étrange couple à ses vicissitudes. Le seul regret qui taraudait ses entrailles était de ne pas avoir eu le temps d’ensemencer cette chienne !

L’aube commençait à peine à poindre le bout de son nez lorsqu’il avait rassemblé ses hommes pour le départ dans la cour du château.

Une fois juché sur son destrier, il avait aperçu un soldat adossé contre les portes grandes ouvertes qui, les bras croisés sur la poitrine, observait la scène avec un sourire narquois.

Les deux hommes s’étaient toisés du regard et Roger de La Canourgue avait compris qu’il avait devant lui le responsable de sa déconfiture.

Se contraignant à demeurer impassible, il s’était détourné, dédaigneux, et la troupe s’était mise en marche sur un geste de sa part.

Le chevalier revint un instant à la réalité et éperonna encore une fois sa monture. Il venait d’apercevoir la plus haute tour de son château et il lui tardait d’arriver pour réfléchir à la situation et trouver un moyen de se venger de l’affront subi. Il l’avait reconnu, ce maudit capitaine de Déodat de Séverac. Il ne savait pas comment ce félon s’y était pris pour le confondre dans une telle situation, mais il ne perdait rien pour attendre. Il lui ferait ravaler ce sourire insolent et payer de sa vie le fait d’avoir cru pouvoir défier impunément le seigneur de La Canourgue !

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