Chapitre 7

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Aymeric grimpa quatre à quatre les escaliers menant à la grande salle. Il avait hâte de prendre enfin un peu de repos après la nuit mouvementée qu’il avait passée entre les bras de la vicomtesse insatiable. De plus, entre la colère du baron suite aux hésitations du vicomte de Millau et le trajet de retour à Séverac, la journée avait été éprouvante et bien remplie. Il déboucha dans la vaste pièce en étouffant un bâillement d’une grimace peu flatteuse et constata avec soulagement que Dame Joanne, sa fille et ses dames de compagnie s’étaient éclipsées pour la nuit. Il n’aurait pas eu le courage de soutenir une autre conversation futile.

Seuls trois chevaliers dans la force de l’âge étaient encore attablés. Ils vidaient avec méthode leurs gobelets de vin, échangeant moult blagues grivoises saluées de ricanements gras et obscènes.

Déodat de Séverac avait fait appel à Adhémar de Combs, Roger de Prévinquières et Thibault de Pégayrol pour assurer la défense du château en son absence. Il avait ainsi placé sa famille et son donjon, biens les plus précieux, entre les mains de ces chevaliers qui avaient maintes fois prouvé leur loyauté et leur bravoure au péril de leur vie.

La torche fichée dans le mur derrière eux, éclairait de sa lueur vacillante leurs visages rougeauds et luisants de sueur. La trogne taurine d’Adhémar se fendit d’un sourire à la vue d’Aymeric. Il leva son gobelet dans sa direction et l’apostropha jovialement :

- Hé, capitaine, viens donc te rincer le gosier avec nous ! Ces dames nous ont abandonnés et pas la moindre donzelle à l’horizon pour nous tenir compagnie. On se croirait cloîtrés dans un monastère ici.

Aymeric s’approcha d’eux en souriant. Avec la réputation de soudards brutaux et grossiers qu’ils traînaient derrière eux, ce n’était guère étonnant. Ils étaient bien connus des ribaudes de Séverac et des alentours et n’en étaient pas à leurs premiers bâtards abandonnés dans le ventre de leurs servantes. Heureusement que Déodat leur avait donné des consignes strictes et précises concernant le personnel féminin du château !

- Désolé, mes seigneurs, mais le devoir m’appelle très tôt demain matin et je crains d’être de piètre compagnie. Mais rien ne vous empêche d’aller à Séverac, je connais certains fameux bourdeaux où vous ne manquerez pas d’être bien accueillis !

- Hum, tu ne connaîtrais pas une donzelle ou deux peu farouche en ces murs qui contre quelques pièces…

- Je ne pense pas que Monseigneur Déodat serait ravi si cela venait à ses oreilles.

- Et la serve que j’ai vue passer avec Marie, ajouta Adhémar avec un sourire gourmand, elle ne fait pas partie de la mesnie, non ?

À l’évocation d’Alis, Aymeric se raidit et son sourire s’effaça brusquement :

- Tant qu’elle sera ici, la serve, autant qu’une autre, est sous la protection de Déodat.

- Dis plutôt que tu te réserves toujours les morceaux de choix ! D’ailleurs, comment se fait-il que les consignes de Déodat ne s’appliquent pas à toi ? D’après ce que j’ai entendu, tu en aurais déjà attiré bon nombre dans ta couche.

- La différence entre vous et moi, c’est qu’elles y viennent de leur plein gré.

- Je ne te permets pas, grogna Adhémar en se levant à moitié de son siège avant d’être interrompu par Roger de Prévinquières.

- Allons, allons, calmons-nous. Nous n’allons pas provoquer un esclandre, surtout que ce jeune homme a raison, non ?

- Hum, soit. Mais ne t’avises plus de me parler sur ce ton, c’est compris ?

- Comme il vous plaira, messire, s’inclina Aymeric en retrouvant son sourire narquois qui voulait bien dire qu’il n’avait cure de ses menaces.

- Ah, si au moins on pouvait échanger nos places avec toi, on se ferait un plaisir de te remplacer auprès de notre baron. Vous ne devez pas vous ennuyer là-bas avec toutes ces belles filles qui arpentent les rues de Millau. Il paraît même que la vicomtesse est loin d’être farouche et qu’elle invite volontiers les chevaliers de passage dans sa couche, ricana Roger de Prévinquières pour changer de sujet et tenter d’alléger l’atmosphère.

Sa carrure était aussi large qu’Adhémar, mais les nombreuses ripailles avaient transformé ses muscles en chair flasque.

- Allons messires, ne me dites pas que vous croyez ces sornettes, riposta Aymeric en souriant intérieurement, - ainsi je ne suis pas le premier à avoir les faveurs de Gerberge de Millau ! - certes la vicomtesse est d’une grande beauté, mais vu la froideur de son regard, je doute qu’elle agisse de la sorte.

- Sous la glace couve le feu, s’exclama avec grivoiserie Thibault de Pégayrol.

Ce grand échalas au crâne dégarni se faisait un plaisir de ponctuer les discussions de proverbes et de dictons. Il en connaissait pour chaque situation et souvent, comme ce soir, ils tombaient à point nommé pour clore le débat.

Un concert de rires éméchés accueillit cette dernière remarque et les trois hommes choquèrent leurs gobelets avec force.

- Bien le bonsoir, messires. Je ne manquerai pas de rassurer monseigneur en lui disant que son épouse et sa fille sont entre de bonnes mains, les salua Aymeric en tournant les talons.

Le nez plongé dans leurs gobelets, les trois chevaliers ne firent pas attention à la pique lancée par le capitaine pas plus qu’ils ne répondirent à son salut.

Aymeric s’éloigna et ne put réprimer un haussement d’épaule désabusé en entendant une dernière remarque d’un goût douteux sur la vicomtesse Gerberge.

- S’ils savaient !

Il avisa soudain sa cape, posée avec négligence sur un énorme coffre dans un coin de la salle et s’approcha pour la récupérer. Il ne se souvenait pas l’avoir abandonnée là, mais une âme charitable avait dû la ramasser. Le capitaine s’en saisit d’un geste sec, l’enroula autour de son bras et s’avançait vers la porte lorsque son pied buta dans un drôle d’objet qui faillit le déséquilibrer. Etonné, il scruta la pénombre et aperçut une tache claire sur le sol. Il se pencha pour la ramasser et l’examina de plus près : c’était un baluchon. Il allait l’ouvrir pour essayer de deviner à qui il pouvait appartenir lorsque la réponse lui sauta au visage. Un sourire étira alors sa lèvre vers la gauche :

- Ça ne peut être qu’à elle.

Aymeric hésita à le reposer, mais se ravisa et reprit sa progression vers la porte d’humeur plus légère.

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