« Tout le monde attend sa grande Histoire. C'est une évidence, c'est même un peu l'achèvement de l'adolescence, l'aboutissement de tous les rêves, de tous les fantasmes d'un jeune. C'est la concrétisation de ces longues années d'attentes entrecoupées de rencontres et d'amitiés éphémères.

C'est même un passage quasi obligatoire dans la vie, un passage pour clôturer l'enfance et entamer le début de l'âge adulte.

Enfin, adulte, c'est un bien grand mot. Disons l'impression d'en finir avec l'adolescence, penser qu'on a vécu quelque chose d'assez important pour ne plus être considéré comme un gosse. Penser qu'on a vécu quelque chose d'assez beau pour s'en souvenir toute une vie, pour la raconter à ses enfants, ses petits-enfants !

Et puis, une grande Histoire, malgré ce nom un peu pompeux, c'est plutôt simple dans le fond, non ? C'est une rencontre, un regard peut-être, un mouvement, je ne sais pas, un je ne sais quoi qui déclenche une réaction et qui aboutit à une grande amitié... voir plus si affinité ! Ce n'est tout de même pas atypique, ça arrive tous les jours ! Ce n'est pas la mer à boire !

Alors pourquoi ne m'arrive-t-il rien à moi ?

Je ne demande pas la lune, juste de vivre quelque chose qui vaille le coup, pour une fois !

Bon, je sais que je n'ai que dix-sept ans, mais tout de même, je n'ai jamais eu l'occasion d'expérimenter des trucs renversants, je n'ai jamais été bouleversé, je vis dans la platitude du cocon familial et rien ne m'arrive. J'attends, j'attends désespérément. C'est morne. J'ai des amis que j'oublierais rapidement, pas de petite copine, j'suis même jamais tombé amoureux et va savoir, je crois que personne ne l'a jamais été de moi.

Alors oui, je réclame ma grande Histoire, et je l'attends de pied ferme. Je l'attends, accompagnée de cette grande rencontre censée me renverser et changer ma vie. »

James en était donc là, pensif, se demandant quand viendrait ce bouleversement. Il en était là, assis sur le fauteuil, patientant pour son avion vers la France, ruminant son impatience, sa déception et son anxiété.

Parce que oui, à défaut de voir venir sa fameuse « grande histoire », il avait décidé d'aller vers elle. Sa mère étant française de naissance, elle lui avait transmit sa langue, et lassé de son Irlande grise et vallonnée, il avait choisi de partir un an pour faire sa terminale à l'étranger.

Et il s'était naturellement tourné vers la France, fainéant tricheur qu'il était.

Partir dans un autre pays, oui, apprendre une nouvelle langue, non.

L'hexagone était donc un choix logique, parce que le Québec, faut pas abuser, c'est que ça caille là-bas.

Ah, bien sûr, pour ça, il avait dû sacrifier toutes les économies que ses parents mettaient sur un compte depuis sa naissance en prévision de ses études, et lapider les siennes pour s'acheter une valise, et un ordinateur portable.

Mais une année d'immersion dans un pays étranger, avec une langue étrangère, des coutumes étrangères, sur un CV c'était un énorme plus. Voire même, une raison d'être embauché.

Puisqu'il paraît qu'on revient changé de cette aventure. Plus mature. Plus adulte. Plus autonome. Plus confiant. Transformé. Après une telle année, plus rien ne nous effraie, on est prêt à tout affronter.

C'est vrai que ce n'est pas rien, interdiction de revoir sa famille ou toute personne de son entourage durant dix mois.

Aucun retour possible. Sauf en cas de renvoi. Mais l'exclusion n'était pas vraiment envisageable quand on s'engageait dans un voyage comme celui-ci.

Dix mois dans une famille d'accueil inconnue.

Dix mois à apprendre à vivre selon leur mode de vie et dans un nouvel environnement.

Mine de rien, à dix-sept ans c'est une sacrée aventure, ça forge le caractère et prépare à être lâché dans un univers méconnu. C'est quand même quelque chose à vivre.

Alors quand la mère de James lui avait parlé de ces organismes qui faisaient partir des ados un an dans un autre pays, en immersion totale, il s'était dit pourquoi pas.

Pourquoi pas après tout ? Il n'avait rien à perdre, pas tant d'attaches que ça en Irlande, et une furieuse envie de vivre l'existence ces personnages de fictions d'ados.

Une rencontre fulgurante, une aventure exceptionnelle.

Peut-être que la France était la réponse ?

Enfin, après un an d'attente, de lettres de motivation, de CV, de lettres de présentations, de dialogues et de rendez-vous avec les gérants d'un organisme, il avait eu une réponse : « Une famille se propose de vous héberger durant dix mois dans l'Ouest de la France. »

Et il était là. Tout pataud avec son énorme valise pas si remplie et son attitude plus si sûre.

Il angoissait. Était-ce réellement une bonne idée ?

« Non, mais c'est vrai, regarde toi, pensait-il, assis comme un gauche sur un de ces sièges en plastique gris de l'aéroport, mal à l'aise et transpirant. Dans quoi tu t'es embarqué ? Tu penses vraiment que tu es ce genre de mec décoincé qui peut oser ce genre de voyage ? Ce genre de mec qui n'a peur de rien et qui socialise de toute façon en deux-deux ? Ce genre de mec qui s'adapte en une semaine et se familiarise avec tout comme si c'était inné ? Bah nan. Tu n'es pas ce genre de mec. Tu essayes de faire style, mais rien n'est inné chez toi. Tout est à apprendre. Et partir pour la France, c'est devoir réapprendre toutes les bases, retour à la case départ. Welcome to Hell, en somme. Alors fuis mon garçon. Avant que l'avion n'arrive.»

Et pourtant, malgré le stress qui éclatait en lui, l'avion de James arriva.

Et il monta dedans.

***

Début d'histoire, j'ai déjà quelques chapitres d'avance, mais étant d'une lenteur assez folle, je ne garantis pas longtemps une publication régulière. Pour le moment, j'essaierais de publier tous les dimanches.

J'espère que ça plaira, mais en soi j'écris surtout pour moi, parce que j'ai parfois l'envie de taper des textes sans vraiment avoir d'idées, alors me fixer une histoire me semble être un moyen correct d'occuper mes doigts.

Bisous bisous les ptits potes.