28. Croisements

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Alors que le jour s'était levé sur la forêt des larmes, la nuit, insolente, semblait perdurer. De lourds nuages noirs stagnaient tels les eaux sombres d'un marais vaseux. A l'orée d'une clairière, d'un âtre presque éteint, une fumée s'évadait lentement . Quelques braises rougissaient encore au souffle des brises d'hiver serpentant entre les arbres.

Pour qui sont ces tombes?

La question, abrupte, résonna dans son crâne et extirpa Loup d'un sommeil profond. Il ne répondit pas et fit mine de continuer à dormir.

Ta famille?

Il soupira et ouvrit les paupières.

  • Pourquoi me poses tu la question puisque tu es capable de lire dans mes pensées.

Iria releva la tête et sourit.

C'est vrai que je peux le faire mais ça ne veut pas dire que je le fais.

  • Tu ne l'as jamais fait?

Je n'ai pas dis ça. Je ne le fais que quand j'ai pas confiance.

  • Et donc tu as confiance en moi?

Oui.

  • Tu me connais à peine pourtant.

Mon père m'a appris que dans ce monde il y a deux sortes de personnes. Celles qui m'auraient laissé mourir dans cette forêt et celles qui m'auraient aidé. C'est peut-être un peu basique mais peu m'aurait aidé. Merci.

Loup se redressa et regarda Iria dans les yeux.

  • Ma femme et ma fille.

***


Aucune route, aucun chemin, ni même un petit sentier ne parcouraient la forêt des Larmes. Les arbres, les plantes les refusaient. C'était ainsi que nombre de voyageurs s'y étaient égarés. Ce qui n'arriverait pas à Selenn qui arpentait les vieux bois sans hésitation, semblant discerner des chemins que personne d'autres ne voyaient. Auxane la guidait. Sa déesse veillait sur elle et au bout de cette longue route sa soeur l'attendait.

Une demi-pénombre l'empêchait de profiter pleinement de la beauté des lieux, la jeune femme se disait qu'un jour elle habiterait ici, au coeur de la forêt, où les arbres sont les plus hauts. Une nouvelle vie avec sa soeur pour oublier les tourments de ces dernières années.

Selenn et ses réflexions stoppèrent soudainement.


***


Grys atterrit rudement sur le cercle de pierre. Le mercenaire se releva rapidement en grommelant.

Il faisait si sombre qu'il crut un instant que la nuit était là mais en scrutant le ciel, le soleil, spectre du jour, transparaissait à travers les nuages opaques.

Il se frotta les mains pour les réchauffer, il était gelé. La différence de température entre les Terres Brûlées et les Terres Sauvages était telle que le haut de son crâne exhalait une fumée blanche.

Il fouilla dans son sac avec l'espoir d'y trouver un manteau, un pull ou tout au moins un vêtement qui lui apporterai une couche de chaleur supplémentaire. En vain.

Il savait qu'Alzebal et Lodith ne le suivraient pas tout de suite sans renfort. Elles n'étaient pas stupides et la géante était blessée.Il fallait qu'il bouge sinon il était mort.

Son esprit fit venir l'image d'un animal étrange qui vivait dans le désert des Maelstroms.

Le Grestor. Haut comme dix hommes, il déambulait de jour comme de nuit sans jamais faire de pause. S'il s'arrêtait de marcher il mourrait. C'était ainsi que se sentait Grys.

Comme un Grestor.

Comme un animal.

Comme celui qu'il chassait.

Comme Loup.

Il sourit à l'ironie de la situation et leva les yeux vers la cîme des arbres.

Saleté de forêt, râla t-il intérieurement.

Grys détestait la nature, c'était un citadin. Les villes étaient ses refuges, le vert était dangereux et sale. Il fallait impérativement qu'il atteigne Stannarg. De là il pourrait regagner sa maison dans le Nord des Terres Brulées. Ses enfants devaient être là-bas, sans doute sous bonne garde. Il regarda autour de lui en grimaçant.

Tous les arbres se ressemblaient dans cette maudite forêt.


***


Un silence pesant s'était installé depuis quelques minutes.

Loup le rompit.

  • Comment te sens tu Iria?

Beaucoup mieux.

  • Je peux regarder ta plaie?

La jeune femme se retourna et présenta son dos à Loup. La blessure était propre. L'onguent était efficace.

  • Qui t'a blessé?

Je ne sais pas. J'étais sur mon bateau, j'ai posé les pieds dans un cercle et je me suis retrouvé dans une sorte de caverne au milieu d'un autre cercle. Des hommes étaient en embuscade. Ils m'ont attaqué.

  • Un portail de Trieste sur un bateau? C'était quoi ce bateau?

C'était le navire de mon père. Le Pourfendeur.

  • C'était?

Oui il a coulé hier et tout le monde est mort.

  • Et ton père?

Je ne sais pas. Il était derrière moi. Mais...

La jeune femme baissa la tête, peinant à dissimuler ses premières larmes de deuil.

  • Je suis désolé. Je ne voulais pas t'y faire penser.

***


Assise sur une branche morte, tombée sur le sol sans doute depuis de nombreuses années, Selenn attendait.

Auxane n'était plus là. Elle lui avait dis d'attendre. Sa voix lui manquait déjà et l'inquiétude commençait à poindre dans le ventre de la jeune femme.

Sa déesse l'avait elle abandonné?

Au moment où le désespoir s'insinuait en elle, elle sursauta. Auxane venait de lui susurrer à l'oreille qu'il était temps de reprendre la route.

Selenn sourit de soulagement et se leva. Elle parcourut quelques mètres, la forêt se faisait moins dense et une petite fumée grisâtre dansait au loin. La promesse d'une belle rencontre. Auxane l'incita à se hâter et rapidement elle posa les pieds dans une petite clairière.


***


Grys étaient complètement perdu. Un mélange d'inquiétude et de colère montait en lui. Les ronces lui entaillaient les mains. Le froid lui engourdissait les doigts.

Il leva les yeux un instant, le soleil était toujours prisonnier des nuages.

Face à lui les arbres semblaient être plus épars et plus loin une petite fumée lui procura un espoir de chaleur et de nourriture mais au vue de ses dernières déconvenues cela pouvait être aussi une mauvaise rencontre. Il ne se précipita pas et ce fut aux aguets qu'il pénétra dans la clairière.



***


Iria resta prostrée pendant quelques minutes.

  • Iria?

Elle releva la tête.

  • Ca va?

Elle abaissa le visage en signe d'assentiment.

Tu peux me parler de tes agresseurs?I

lls étaient une dizaine. armé comme des soldats. J'en ai tué cinq ou six et certains se sont enfuis.

  • Tu en as tué cinq ou six?

Loup esquissa un sourire.

Oui.

  • Toute seule?

Oui ce n'est pas parce que je suis une femme que je ne sais pas me battre.

  • Je n'ai pas dis ça mais tu es si jeune.

Mon père a été un bon professeur.

  • Te souviens-tu d'un petit homme trapu qui est sans doute resté à l'écart.

Oui c'est lui que j'ai vu en dernier.

  • C'est ce pourri qui t'a blessé?

Non, quelque chose a surgi derrière moi. Je ne l'ai pas vu arriver comme s'il était invisible.

Le visage de Loup respirait la colère.

Qui sont-ils?

  • Des mercenaires. C'est moi qu'ils attendaient. Ils me chassent. Je suis désolé que tu sois tombée sur eux.

Et cette chose invisible?

  • Un mage des ombres j'imagine.

Mon père m'en a parlé un jour quand il m'a fait la liste des choses dont je ne devais jamais croiser la route.

Loup fit craquer ses doigts.

C'est lui? Le petit homme?

  • Oui c'est lui qui a tué ma femme et ma petite fille.

Et donc tu veux le tuer?

  • Non je ne veux pas, je vais le tuer, lui et son patron, je ne vis que pour ça et je mourrais pour Je graverai au couteau mon nom sur leurs torses.

Iria fronça les sourcils et regarda son sauveur.

Comment s'appelaient-elles?

  • Ma petite fille s'appelait Tili et ma femme Dwenn.

Loup! Nous ne sommes plus seuls ici.

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