17. Froide liberté.

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Selenn frissonnait. Ses lèvres tremblaient. Jamais elle n'aurait imaginée que la liberté pouvait être aussi glacée. 

Du ciel chutaient de petites boules immaculées qui s'agrippaient sur ses vêtements, le vacarme de la cité semblait s'évanouir dans la pluie blanche. Des gouttes de silence habillaient le sol doucement et poudraient ses longs cheveux bruns la vieillissant prématurément de quelques années. La jeune femme, intriguée par ce spectacle, leva le visage vers les nuages et ouvrit la bouche pour en recueillir quelques unes. C'était froid et fondaient au contact de sa langue. C'était semblable à l'eau.

Elle se tourna vers Kjeld qui souriait.

- Je t'avais dis que tu serais surprise.

- Qu'est ce que c'est que cette magie?

- Ce n'est pas de la magie jeune Selenn. C'est l'hiver ici dans le Nord et cette pluie glacée s'appelle neige.

- Neige? Le neige.

- La neige. C'est féminin.

- Ca ne m'étonne pas, c'est tellement beau. Elle sourit et ramena ses bras contre elle. Il fait si froid! 

- Les Terres Brûlées ne connaissent pas l'hiver. Ici le temps change de façon régulière. Il pleut... La jeune femme l'interrompit.

- La pluie je connais. Il a déjà plu deux fois à Cyryul quand j'étais toute petite. Je m'en souviens à cause  des inondations. Nous avions dormi chez les voisins.

- Oui, c'est très rare dans les terres du Sud. Kjeld retira son long manteau et le tendit à Selenn.

Elle s'emmitoufla, sans le remercier, dans le vêtement trop grand pour elle et ses lèvres cessèrent de trembler.

- J'ai faim.

- Je connais une taverne pas loin d'ici. Le meilleur ragoût d'ours de la région! Suis moi.

Selenn ne se sentait plus menacée en compagnie de Kjeld, la découverte de son pouvoir n'y était pas étrangère. Elle se sentait plus forte, pourtant sa rancœur continuait de grandir, petit à petit comme un seau que l'on remplirait goutte à goutte. Un seau percé par les, quelques, éclairs de bienveillance de son bourreau mais qui ne suffisaient pas à le vider.

- Dans quelle ville sommes nous? Demanda la jeune femme.

- Stannarg, la cité des larmes.

- Des larmes, du ciel gris, le froid, quel endroit sympathique.

- C'est une autre vie que je t'offre.

- J'aimais la précédente Kjeld.

- Je ne pense pas que tu l’appréciais vraiment.

- Tu pense savoir tellement de choses sur moi. Par contre je ne sais pas grand chose sur toi.

- Je t'ai déjà dis ce que tu devais savoir et je n'en sais pas plus moi-même.

Selenn doutait toujours de sa sincérité. Il ne lui disait pas tout. Elle le sentait tout comme elle se sentait différente depuis l'expulsion violente de sa magie. Plus forte, plus confiante. La peur qui l’étreignait depuis si longtemps disparaissait lentement.

Kjeld se retourna un instant. Selenn ne le suivait plus, elle s'était arrêtée. Les bras tendus, la tête vers le ciel, elle goûtait l'hiver comme l'aurait fait une enfant. Des milliers de flocons dansaient une farandole autour de la jeune femme.

On le lui avait interdit mais plus il la côtoyait plus il s'attachait à elle. Il rompit le charme de l'instant.

- J'ai une surprise pour toi qui t'attend à la taverne. Selenn le regarda.

- Une surprise? Après la torture, le réconfort?

Kjeld ne répondit pas et continua sa route.

La jeune femme sentait qu'elle l'avait touché. Elle sourit.

- C'est encore loin? questionna t-elle.

- C'est la prochaine ruelle à droite.

- Une taverne dans une ruelle, ça s'appelle un coupe-gorge.

- C'est une partie de la ville peu fréquentée mais bien fréquentée. 

La neige continuait son oeuvre et quelques commerçants étaient dans les rues, pelle à la main, pour dégager leurs échoppes. 

- La neige, aussi belle qu'elle soit, amène beaucoup de problèmes pour les habitants, constata Selenn.

- C'est aussi pour ça que la neige c'est féminin. Kjeld fit un clin d’œil à la jeune femme.

Selenn resta muette. Elle ne voulait pas fraterniser avec lui. Elle ne voulait pas l’apprécier. Sa liberté retrouvée, elle ferait tout pour la garder. Pour le moment elle patientait. Auxane lui ferait un signe, elle le savait.

- C'est ici! Annonça t-il très enthousiaste. Elle a brûlé il y a vingt ans! Un ami l'a acheté et rénové. Du beau travail!

La jeune femme fit une grimace en regardant l'enseigne en cuivre en forme de blason qui se balançait mollement en cliquetant. 

- "La taverne de l'Ours Endormi", très original comme nom, maugréa t-elle

Ils pénétrèrent dans l'antre de l'animal assoupi.

Une grosse cheminée trônait au centre de la pièce comme il y a vingt ans. Le plafond était plus bas et de nombreuses têtes empaillées de diverses créatures décoraient les murs. A l'entrée une gigantesque dépouille d'ours à même le sol accueillait les clients. Selenn ne trouva pas l'endroit à son goût, un repère de chasseurs mâles alcooliques, mais la chaleur était si douce que peu importait le cadre. 

Un léger brouhaha de voix animait les lieux mais ce n'était pas une heure d'affluence et avec la neige qui prenait ses congés d'hiver, la population de Stannarg était plus occupée à dégager les portes et à préparer les bûches pour les cheminées. Seuls quelques assoiffés jamais repus étaient accoudés au comptoir du fond à raconter des histoires toujours plus improbables au gré des chopes qui se vidaient.

Ils s'installèrent sur une table proche de l'âtre. Selenn poussa un soupir de complaisance.

- Enfin je retrouve la chaleur de Cyryul, dit -elle en fermant les paupières en repoussant sa tête en arrière. Ses longs cheveux bruns se balancèrent gracieusement.

- Ce n'est pas la seule chose que tu vas retrouver de ta cité.

- De quoi parle tu? La jeune femme releva la tête brusquement.

Une voix la fit sursauter juste derrière elle.

- De moi Selenn.

- Maman! cria t-elle en se retournant. Elle se leva et la prit dans ses bras. Acilla et Selenn Caryll restèrent longtemps ainsi sans un mot. Trois ans sans s'étreindre, sans contact, trois années qui ne pourraient pas jamais être comblées, tant le temps perdu l'était à jamais.

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