15. Le silence de l'hiver

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Avec les premières lueurs du jour surgit le froid, telle une vague implacable, glissant sur les pentes humides et abruptes du Mont Noir. Les quelques arbres centenaires impassibles, enracinés pour l'éternité, tremblèrent à peine. Le ciel se figea et la pluie devint neige inhumant le paysage sous un linceul blanc. L'hiver, pourfendeur de l'automne, étendait son silence sur le royaume de Milsden.

Au sommet du Mont, une tombe. 

Fraîchement creusée, recouverte d'une terre noire épaisse. 

Devant. Trois silhouettes, têtes baissées. 

Un vent sifflant brisait de temps à autre la discrétion de leur recueillement.

Une autre disparue, une autre tombe. 

Une nimbe lugubre semblait s'être formée autour d'eux. Depuis l'enfance, Loup sentait ce spectre de mort danser au-dessus de sa famille. Comme une malédiction. Parfois assoupie mais jamais profondément endormie. Embusquée. Tapie. Invisible et tangible à la fois. Il fallait que cela cesse. Le maudit n'était que trop resté ici.

Il allait partir. 

Le père prit la main de son fils. Arcis leva les yeux vers lui. Il sut que le moment de la séparation était proche.

Loup hocha la tête. L'enfant baissa les yeux et porta la main paternelle vers son visage comme pour sentir une dernière fois la douce rudesse de son père.

Ils ne restèrent pas longtemps. Personne ne prit la parole. Les mots n'avaient aucune raison d'être à cet instant. 

Les flocons formaient maintenant un mur blanc vaporeux. La brise du début de l'hiver s'était endormie et seul le craquement de leurs pas trahissait leur présence.

Bientôt ils furent au chaud dans la demeure d'Ereim. Sans un mot, le vieil homme prépara des boissons chaudes pour tout le monde. Installés devant le feu crépitant, ils dégustèrent leur breuvage. Ereim finit par briser le silence pesant. 

- Tu pars quand?

- Demain matin. Avant les premières lueurs.

Loup se tourna vers Arcis.

- Tu vas rester avec ton arrière grand-père fils comme c'était prévu.

Arcis approuva de la tête sans grande conviction. Il le connaissait et savait qu'il était inutile de discuter sa décision mais il détestait cette idée. Il aurait tellement voulu l'accompagner.

- Je te promets de veiller sur lui, Ereim prononça ces mots avec gravité. 

- Je n'ai pas d'autres choix de toute façon. Mes amis se comptent sur les doigts d'une main et sont trop loin. De ma famille il ne reste que toi, dit-il sans le regarder.

- Il sera en sécurité ici. Ne t'inquiète pas. 

- Je suis inquiet. 

Loup posa sa tasse et se leva.

- Je vais commencer à préparer mon paquetage.

- Prends tout ce dont tu as besoin ici.

Loup fit un signe de la tête en guise d'acquiescement.

La journée passa vite. Et le soir venu, leur dernier repas ensemble fut encore silencieux. 

L'heure du coucher et le moment des adieux arrivèrent pour Arcis et son père.

- Arcis, demain je pars très tôt. Tu dormiras. il faut qu'on se dise au revoir maintenant.

Le jeune garçon regarda Loup les yeux embués de larmes et lui tourna le dos. Il se dirigea vers son lit.

- Arcis. S'il te plait je ne veux pas qu'on se quitte comme ça. 

Le petit garçon engouffra ses jambes dans les draps rêches et y disparu, seuls ses cheveux étaient visibles une fois la couverture rabattue.

- Arcis, je comprends ta colère mais je suis obligé de partir. Si je ne règle pas tout ça. Ils ne cesseront jamais de nous pourchasser. Le père caressa la tête de son enfant.

- Je te promets que je reviendrais. Sois sage avec Ereim mais surtout ne fais pas tout ce qu'il dit. Suis ton instinct. Je t'aime.

Loup embrassa Arcis puis quitta la pièce, lentement, espérant que son fils le retienne mais il n'en fut rien. L'enfant ne se retourna pas. Les yeux humides, il fixa le mur. Il était en colère. Son coeur battait vite et il ne s'endormit pas tout de suite. Il écouta la musique des voix qui chuchotaient près de sa chambre et finit par sombrer dans un profond sommeil.

- Il m'en veut et je le comprends, murmura Loup. 

- Tu n'es pas obligé de partir, rétorqua Ereim, toujours assis dans le canapé. Sa boisson chaude avait fait place à un verre d'alcool.

- J'ai une vengeance à accomplir. Elle n'a que trop tardé. Ca a coûté la vie à ma femme et à ma petite fille, il s'assit sur un des accoudoirs du divan.

- Fiston je ne veux pas te donner de leçons sur la vie. La mienne est loin d'être un exemple. Mais si tu n'avais pas abandonné, il y a vingt ans, ta vengeance. Aurais tu eu une famille?

- Je ne sais pas grand-père. Tout ce que je sais, c'est que si je m'étais vengé, ma famille n'aurait peut-être pas existé mais au moins elle n'aurait pas souffert.

- C'est toute la difficulté des choix. J'ai choisi de garder en vie ma femme. Mais si j'avais abrégé ses souffrances, aurais-je survécu au chagrin d'avoir tué celle que j'aimais? Et donc tu n'aurais trouvé personne ici.

- Tu n'as plus à poser cette question, je l'ai fait pour toi. C'est plus facile hein grand-père. Rien n'énervait plus Loup que ces stupides leçons sur la vie. Son père était pareil.

Ereim vociféra.

- Tu n'es qu'un imbécile égoïste. Crois-tu que la voir dans cet état a été facile. Jour et nuit j'ai cherché un remède. Je me suis épuisé à m'occuper d'elle. Je l'aimais, alors oui peut-être que j'aurais du mettre un terme à ses douleurs mais je ne regrette pas et je sais qu'elle ne m'en veut pas, le vieil homme prit une gorgée de son breuvage puis reprit en prenant une inspiration.

- Pour tout te dire je ne t'ai jamais apprécié. Trop arrogant. Trop taciturne. Mais je t'ai toujours respecté. Et d'autant plus après ce qui vient de se passr. Tu as délivré ta grand-mère. Et jusqu'à mon dernier souffle je te serais redevable d'avoir fait ce dont moi je n'ai pas eu le courage. Mais tu restes un être avec cette rancoeur et cette haine qui ne s'éteindra qu'à ta mort. Tu as un fils maintenant et il a besoin de son père.

- Arrêtons là grand-père. Je n'ai pas besoin qu'on me dise ce que je suis ou ce que je ne suis pas. Je vais me coucher. Seras tu là à mon départ?

- Oui. Il inclina la tête, je serais là. Bonne nuit.

Loup se leva et partit se coucher.

Son sommeil fut agité. Le spectre de mort s'était glissé dans son lit et le tourmentait.

La nuit était profonde quand il se leva. Lentement il prit son sac préparé la veille, posé contre le mur, à côté de la porte de sa chambre. Dans la grande pièce, Ereim, déjà levé, s'affairait aux fourneaux. Une odeur de café lui chatouilla les narines. 

- Tu as une tête à faire peur, annonça Ereim en le regardant.

- La nuit a été mauvaise.

- Le contraire aurait été étonnant.

Loup approuva de la tête et prit la tasse fumante que son grand-père lui tendait.

- Veux tu quelque chose à manger.

- Non, merci, je mangerai en route. Je ne veux pas perdre de temps.

- Je t'ai préparé un sac de provisions.

Les deux hommes se regardèrent un instant. Fugace mais suffisant pour exprimer tout ce qui ne se dirait pas.

- Je vais voir Arcis avant de partir.

Loup se dirigea vers la chambre de l'enfant.

Il respirait fort, il était allongé sur le dos les bras dans une position improbable.

Le père embrassa son fils sur le front. Puis il le regarda.

Une larme. 

La seule qu'il ne put retenir. 

Elle parcourut son visage, épousant son contour et s'arrêta un instant sur son menton, avant de plonger vers le plancher pour y mourir. Il ferma les yeux quelques secondes et quitta la pièce sans se retourner.

- Occupe toi bien de lui. Il est ce que j'ai de plus précieux, dit-il à Ereim.

- Je sais.

- Je pars.

- Je t'accompagne.

Tous deux grimpèrent les quelques marches menant au vestibule.

Ereim ouvrit la porte d'entrée. Le froid en profita pour s'engouffrer dans la maison et sous la tunique du vieil homme qui frissonna.

- J'ai dégagé la porte tout à l'heure avant ton lever.

- Merci Ereim.

- Bon voyage et prends garde à toi mon petit fils.

Loup tendit la main. Son grand-père ne tendit pas la sienne mais le prit dans ses bras. Un geste qui le surprit  mais il ne se déroba pas et profita de cette chaleur humaine. Une chaleur qu'il ne retrouverai peut-être jamais.

- A bientôt, murmura le vieillard, les yeux rougis.

-A bientôt grand père. Tu donneras cette enveloppe à Arcis si je ne reviens pas de mon voyage.

- Tu reviendras.

- Tu sais que j'ai très peu de chances d'en revenir vivant.

- Ne pars pas alors.

- Je suis obligé sinon tout continuera. Je n'ai pas le choix.

- Je n'insiste pas. Va maintenant. 

Loup inclina la tête et se retourna. 

Il disparut dans la nuit. 

Ereim referma la porte.



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