14. Chuchotements et cris

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Inerte.

Nue.

Résignée.

Perdue.

Les aiguilles de l'insaisissable horloge du temps semblaient s'être arrêtées. 

Une semaine, un mois, une année? Recroquevillée sur le lit, Selenn était incapable de le dire.

 Un feu follet flottait dans les airs révélant comme un trésor sa peau pâle et diaphane. Son tortionnaire avait menti. Il ne l'avait pas laissé. Sa voix revenait la torturer régulièrement. Elle résonnait, rebondissait sur les parois de son esprit. 

- Toute l'histoire de ta vie est là, un corps avachi. Un bout de chair qui ne sert à rien.

La jeune femme n'avait presque aucun répit. Elle était épuisée. La mort, elle la souhaitait mais la voix ne voulait pas la laisser partir.

- Regarde toi! C'est ainsi que tu veux finir?

Selenn tenta de parler mais ce ne fut qu'un murmure, un bruissement de mots.

- Laisse-moi.

- Je ne t'entends pas Selenn. 

- Laisse-moi, souffla t-elle.

- Plus fort petite fille. Ta voix est à ton image. Faible.

- Laisse-moi, laisse-moi, laisse-moi, de murmure sa voix se fit soudain cri, un cri primal, incontrôlable. Elle hurla sa fatigue, son désespoir, son impuissance, toute sa colère se déversa dans ce hurlement.

Le lit sur lequel elle était allongée, se cassa en deux par le milieu. La pièce trembla. Le feu follet vacilla mais résista. Une armée de grains de poussières se répandit dans la pièce.

Elle roula sur le sol et la douleur se fit larmes. Les sanglots de la jeune femme durèrent de longues minutes. Son corps tremblait de haine et de désespoir.

Le visage contre la pierre froide du sol, Selenn était inerte. Sa faible volonté était brisée. Elle se sentait vidée de toute énergie.

Une main sur son épaule.

Pas une caresse.

Juste un contact.

La peau de ces doigts inconnus lui procura un bien-être comparable à la drogue des ombres. Elle se sentit soudain vivante. La jeune femme ne bougea pas. Une chaleur apaisante chemina sur sa peau nue. Elle l'envahissait. Elle pénétrait en elle. 

- Je suis désolé Selenn. Il fallait que je sache.

Elle ne répondit pas se laissant porter par la douceur de ce contact.

- Tu as un pouvoir Selenn. Un pouvoir qui peut renverser des mondes. Un pouvoir dangereux.

Selenn ouvrit les yeux. Elle ne pouvait voir l'homme qui lui parlait.

- Je n'ai aucun pouvoir.

- Ta voix, Selenn, est ton pouvoir.

La jeune femme revigorée par le toucher surnaturel se releva lentement.

- Pourquoi te caches tu? Es tu si repoussant que tu doives éteindre les lumières dans les pièces où tu te trouve.

Quelques mots dans une langue inconnue et le feu follet éclata en une myriade de lumières, une douce clarté illumina la pièce. Quelques minutes furent nécessaires pour que ses yeux s'habituent à cette soudaine luminosité. Enfin elle le vit.

C'était un homme à la peau noire, sans âge, grand et fin. Son regard gris était intense. Il portait une tunique de la couleur de ses yeux. De nombreuses petites sacoches débordantes d'herbes diverses étaient suspendues à sa ceinture. Son visage émacié respirait une bonté dérangeante au vue des évènements.

- Je ne m'attendais pas à que tu sois aussi. Elle hésita.

- Normal, compléta t-il.

- Oui.

- Ecoute moi bien Selenn. Tout ce que je t'ai fait subir était pour arriver à ce moment.

- Tu ne parles qu'en énigmes stupides! Mais qui es tu? As tu un nom?

- Autrefois oui mais je ne m'en souviens plus. Disparu comme au réveil d'un rêve. J'ai des savoirs que je n'explique pas et je ne connais même pas mon nom. Son regard se perdit un instant dans le vide.

- Tout le monde a ses petits problèmes. Il ignora les paroles de Selenn et continua.

- Mais les gens m'appelle Kjeld. Dans une ancienne langue ça signifie... La jeune femme l'interrompit.

- Inconnu. Selenn fronça les sourcils.

- C'est juste. Il sourit. Tu parais surprise.

- Comment est ce que je connais cette langue?

- C'est la langue des premiers nés qui ont foulé ces terres.

- Ca ne m'explique pas pourquoi je la connais.

- La voix. La magie de la voix. La plus ancienne des magies. Ton savoir provient de ton pouvoir.

- Tu me parles d'un pouvoir que je possède. Quel est-il?

- Connais tu la magie jeune Selenn?

- Je ne connais que ce que les légendes racontent. Et la magie de mon Dieu.

- Différentes magies ont existé mais le tumulte des âges les a dévorés. Il fit une petite pause,  toussa et sortit une petite fiole dont il avala le contenu avec une délectation proche de l'extase. Il reprit.  La magie de la voix fut la première. C'est un don inné que beaucoup possèdent sans le savoir. Tes anciens amis, les adeptes ont tous été acceptés dans la tour blanche parce qu'ils possèdent cette aptitude. Mais toi Selenn, tu es plus forte que les autres.

- Plus forte?

- Oui ta magie est plus puissante.

- Je ne sens aucune puissance en moi, elle secoua la tête.

- Ne l'as tu pas senti quand tout à l'heure tu as poussé ce cri ?

- J'ai senti de la colère contre toi. Je la sens encore.

- Oui ça commence souvent ainsi. Une émotion forte peut libérer ce pouvoir. C'est pour cela que je t'ai poussé à bout.

- Et si je ne l'avais pas libéré?

- Ce n'était pas envisageable. Tu l'aurais libéré d'une façon ou d'une autre.

- Jusqu'où serait tu allé?

- Jusqu'au bout Selenn. Pour l'instant tu ne te rends pas compte de ce que tu es. Mais un jour... Elle ne le laissa pas finir.

- Mais qu'est ce que je suis? Comment sais tu tout ça?

- Je te l'ai déjà dis. Je me suis éveillé, il y a fort longtemps, avec un savoir. Je t'ai cherché de longues années Jeune femme.

- Tu ne m'en diras pas plus n'est ce pas? Selenn ne tenait plus en place, elle marchait de long en large.

- Non. La suite te donnera les réponses que tu te poses.

- Toujours tes énigmes agaçantes! Peux tu au moins me dire si tu es un mage?

- Je connais quelques tours. Un léger sourire éclaira son visage.

- Quel est ta magie?

- Je suis un touche à tout. Les ombres, la voix.

- Les ombres! J'en ai déjà entendu parler. Les mages des ombres ont massacré des peuples entiers. On dit qu'ils ont disparu.

- C'est vrai mais la magie des ombres n'est pas pire que les autres. Tout dépend de comment on l'utilise. C'est comme ton Dieu. Il n'est pas pire qu'un autre. Tu ne vénères pas un Dieu, tu vénères les hommes qui l'ont créé et si ces hommes sont mauvais alors le Dieu sera mauvais.

- Un raisonnement simpliste d'un homme qui ne croit pas aux Dieux.

- C'est possible mais la vérité est souvent très simple.

- Tu te prends pour un sage mais un vrai sage ne torturerait pas une jeune femme.

- Un sage? Il rit. Je ne crois pas mettre présenté ainsi mais si tu penses que je pense que je suis un sage alors c'est que toi, quelque part, tu estimes que mes paroles sont d'une certaine sagesse.

- Tu m'énerves. Je n'ai aucune sympathie pour toi. Ce n'est surement pas ta magie de guérison qui va me faire oublier ta torture.

- Je t'ai soigné, voilà la vérité.

- Soigné?! 

- Oui tu n'es plus droguée et je parie que tu te sens revigorée et libérée. Se sent-on ainsi après avoir été torturé?

Selenn resta coite, mais une infime partie d'elle-même reconnaissait qu'en quelques sorte il l'avait peut-être sauvé.

- Je pourrais te tuer avec ma voix?

 - Oui tu pourrais me réduire en poussière. Mais tu ne le feras pas.

- Et pourquoi donc?

- Parce que pour l'instant tu ne sais pas le faire. Il sourit. Mais je peux t'apprendre.

- Tu m'apprendrais le pouvoir qui me permettrai de te tuer?

- Peut-être qu'à la fin, tu ne voudras plus me tuer.

Selenn se sentait de mieux en mieux. Une nouvelle vigueur courait dans son corps. 

- Qu'en pense tu Selenn? Veux tu que je te montre un nouveau monde sans ton Dieu?

- Je crois toujours en Auxane. Mais je veux bien voir ce que tu as à me montrer. Mais surveilles tes arrières. Ce que tu m'as fait n'est pas pardonnable. Maintenant il y a une chose que je voudrais tout de suite.

- Je t'écoute?

- Des vêtements!

- Il sont posés sur la table au fond.

Un pantalon en cuir marron, une chemise blanche, une longue veste noire, des chaussettes grises et des bottes étaient en effet posés pliés soigneusement sur une table.

Elle s'habilla prestement. tout était à sa taille.

Elle se retourna vers le mage sans nom.

- Fini de jouer les voyeurs! Elle était euphorique depuis que Kjeld avait apposé sa main sur elle. J'ai faim!

- Suis moi. Nous allons nous restaurer.

- Sommes nous toujours à Cyryul?

- Non.

- Tu risques d'être surprise. Kjeld sourit. Il avait réussi à libérer la vraie Selenn, enfouie au plus profond de son être. Tout se passait comme prédit.

La jeune femme suivit son bourreau dans un escalier étroit, quelques marches séparaient les ténèbres de la lumière, une porte s'ouvrit et dans l'éclat du jour ils furent aveugles quelques instants tandis un vent frais caressa leurs visages. Un vent de liberté.





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