32. Le fleuve des larmes

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Le réveil sous la neige n'émerveilla que Selenn qui ne connaissait que les terres sèches et désertiques du sud.

La jeune femme et ses nouveaux compagnons ramassérent prestement leur paquetage et entamèrent leur voyage.

L'ambiance morne et les flocons épais alourdissaient les épaules de la troupe de mercenaires.

Les nuages semblant immobiles n'auguraient pas l'espoir d'une percée prochaine du soleil.

En route depuis quelques heures, Arshard rompit le silence.

- Nous arriverons ce soir en vue de la forteresse Selenn.

- Parfait. Quand attaquerons nous?

Le guerrier barbu sourit devant l'empressement de la jeune femme.

- Au petit matin, juste avant le réveil. C'est le meilleur moment. Nous aurons un bel effet de surprise. Mais avant tout nous devons traverser le fleuve des Larmes. Cela nous fera gagner deux jours de marche.

Le regard d'Ashard s'assombrit. Selenn perçut encore une inquiétude déjà vue en abordant le sujet.

- Quel est le problème avec ce fleuve?

- C'est une longue histoire.

Selenn hocha la tête.

- Le temps ne nous manque pas.

Ashard soupira.

- Une légende raconte que le fleuve des larmes ne coule que pour une raison. Il fit une pause. Les larmes des arbres morts

- Des arbres qui pleurent? Foutaises!

- D'aucuns disent la même chose d'Auxane.

Arshard lui fit un clin d'oeil.

- Depuis que tu arpentes ces bois, n'as tu jamais entendu des lamentations jeune Selenn?

- Des hallucinations provoquées par le vent et l'imagination.

L'aplomb insolent de la jeune femme ne perturba pas le moins du monde le guerrier lettré.

- Sais tu que les arbres de cette forêt n'ont pas toujours été enracinés profondément. Les Gravisses arpentaient les terres sauvages dans les temps anciens. Ils ont été massacrés pour leur bois plus solide que l'acier et un jour le pire leur est arrivé. Epuisés par les luttes, ils se sont enracinés et leurs pleurs ont formé la rivière. Chaque vague, chaque remous est un sanglot. Une tristesse empreinte d'amertume et de colère. Une légende qui court encore aujourd'hui.

- Belle histoire Arshard le conteur. Et comment le traverse t-on ce fleuve vengeur.

- Un pont existe.

- Juste un pont?

- Oui, construit en bois de Gravisse.

- Où est le problème alors, un pont solide, pas besoin de traverser à la nage!

- Le problème se posera si la rivière gronde. Et il faut espérer que cela n'arrive pas.

Au moment où Arshard terminait sa phrase un grondement sourd monta.

- Et il semblerait qu'il faudra compter sans la chance dans notre périple.

Des rires brisèrent la monotonie ambiante. Les compagnons d'Arshard entonnèrent une chanson dans une langue que ne connaissait pas Selenn. Les voix rauques et bourrues des guerriers sonnaient faux mais étrangement lui apportaient du réconfort.

- Ils n'ont pas l'air d'avoir peur tes amis.

- Ceux sont des guerriers Ourze. Il se droguent au danger. Ils ne peuvent s'en passer.

- Ce ne sont pas des adeptes d'Auxane?

Arshard ricana.

- Ils crachent sur les dieux, déesses et autres divinités. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils ont été choisis.

Selenn réprima un frisson.

- Des incroyants.

- Pas incroyants.

- Tu viens de me dire qu'ils crachaient sur les dieux, ils ne croient donc en rien.

Elle jeta un oeil sur les infidèles qui continaient à chanter avec ferveur.

Arshard rétorqua avec un léger sourire.

- Ils croient en l'argent et l'aventure!

Selenn soupira en secouant la tête.

Au fur et à mesure qu'ils progressaient les arbres se faisaient moins nombreux jusqu'à disparaître totalement sur les berges.

Le groupe eut un temps d'arrêt en découvrant le panorama qui s'offrait à leurs regards.

Le grondement de la rivière déjà impressionnant n'était rien comparé à la puissance des flots sombres qui se déversaient devant leurs yeux.

Les rives du fleuve étaient nues de végétation et une boue noire épaisse semblait avoir été piétiné par un troupeau d'animaux ou une armée en route vers la guerre.

Du pont de Gravisse, seuls les poutres massives plantées dans le sol apparaissaient, le reste de l'édifice plongeait sous l'eau noire en colère.

- On ne va pas traverser ici? Cria Selenn pour se faire entendre.

- Si, répondit calmement Arshard en élevant la voix.

- C'est de la folie!

- Oui mais si tu veux aider ta soeur, il va falloir faire preuve de témérité et de beaucoup de folie.

Selenn ne répondit pas, elle regardait fixement le chaos du fleuve en colère.

- Allez tout le monde, cria Arshard. On y va.

Ils s'approchèrent du pont. Ils étaient trempés quelques mètres avant d'arriver devant l'édifice en bois.

Arshard enfila une paire de gants de cuir.

- Il y a une corde à droite et à gauche. Prenez celle de droite! Accrochez vous et priez!

Des rires explosèrent chez les Ourze.

Selenn regarda les guerriers avec un mélange d'incrédulité et d'admiration.

- Vous êtes complètement fous!

Arshard lança le départ.

- C'est parti!

Sans aucune hésitation, un à un, les guerriers disparurent dans le torrent de larmes noires sous les yeux effarés de Selenn.

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