14. Trioms

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La nuit, affamée, dévorait les rues de Cyryul. Les allumeurs de réverbères, torches à la main, couraient dans les rues et ruelles pour allumer les lampadaires. Un ballet de flammes envoûtant auquel était indifférent le petit groupe qui traversait la grande place du Pendu. Grys était pensif, il allait se confronter à son employeur Alzebal Yure. Jamais il ne l'avait vu, mais il connaissait sa réputation. Son nom suffisait à faire frémir des Rois. De nombreuses rumeurs circulaient à son sujet. Mage des ombres, roi déchu, démon. Les trois à la fois peut-être? 

Lodith s'arrêta devant une grande bâtisse dont les fenêtres ornées de barreaux lui donnaient l'apparence d'une prison. Un vent plus chaud, plus violent que les autres balaya soudainement les artères. 

La géante se tourna vers ses deux acolytes et grogna.

- Ce n'était pas prévu!

- Qu'est ce qui n'est pas prévu, demanda Grys

- Les Trioms!

- Les Trioms? 

- Pas le temps de t'expliquer petit Grys! Ne traînons pas ici.

Lodith tambourina à la grosse porte de fer. Elle était réellement effrayée, ce qui inquiéta d'autant plus le mercenaire. Il scruta rapidement les alentours, les rues s'étaient dépeuplées en quelques secondes. Les portes se fermaient les unes après les autres. Les allumeurs de réverbères avaient déguerpi. Il n'y avait aucun son, même le vent soufflait sans bruit. Soudain la poussière des pavés se souleva et resta suspendu dans les airs. Vinrent alors des gémissements sinistres qui tuèrent le silence. 

- Mot de passe! demanda une voix derrière le battant.

- Ouvre nous Gardien!

- Ce n'est pas le mot de passe.

- Si tu n'ouvres pas, je t'arrache la tête! Vociféra le fléau des Terres Brûlées.

La porte s'ouvrit et ils s'engouffrèrent, en se bousculant, dans la maison. 

- C'était quoi ce truc?! haleta Grys

-Les vents de Trioms! répondit Lodith

- J'avais compris la première fois! Dites moi ce que c'est?! 

Le gardien de la porte prit alors la parole d'une voix calme et grave.

- Certains jours, des vents brûlants balayent Cyryul. C'est imprévisible, parfois des années passent sans qu'une fois ils ne soufflent. On raconte que la poussière des morts emporte les vivants. Personne ne sort. Certains fous ont essayé de braver les Trioms. Plus jamais on ne les a revus. 

- Mais tu es qui toi? Grys fixait l'homme qui leur avait ouvert. Un petit homme sans âge. Vêtu simplement d'une chemise et d'un pantalon tous deux grisâtres. De petits yeux noirs comme la suie, étranges et pénétrants. Une pilosité inexistante, il n'avait pas plus de cheveux que de sourcils. Toujours d'une voix grave et lente, il répondit.

- Je suis le gardien des portes.

Grys ricana.

- Oui bien sûr, une autre façon de dire que tu es le concierge. Et quel est ton nom?

- On m'appelle le gardien des portes, Grys Dilur.

- Très bien, je viens de rencontrer le génie de la maison. Qui s'occupe du recrutement ici? Interrogea le mercenaire d'un ton sarcastique.

- Ca suffit Grys! Tu vas attendre ici! Ne parle plus au gardien! Je vais voir si maître Alzebal est prêt à te recevoir. La géante emprunta un magnifique escalier en colimaçon qui montait au centre de la pièce.

Le mercenaire secoua la tête en expirant son agacement. Le petit homme chauve s'assit sur un siège, pas loin de l'entrée. 

Grys contempla le hall. Une table encombrée de divers objets et des deux garde du corps qui riaient bruyamment en le dévisageant. Quelques fauteuils luxueux. Des canapés en cuir. De coûteuses tentures ocre couvraient les murs. Il regarda par la  seule fenêtre de la pièce. La tempête faisait rage à l'extérieur. A présent le sable dansait sinistrement. Il distingua des silhouettes vaporeuses qui apparaissaient et disparaissaient. 

- Je croyais que personne ne sortait les jours de Trioms? questionna Grys sans se retourner.

- Je n'ai pas envie de te répondre, répondit le Gardien.

- Allez gardien des portes, arrête de bouder. Dis moi.

L'homme imberbe inspira et parla.

- Les silhouettes que tu aperçois sont les fantômes issus des poussières de Cyryul. Le sable de cette ville n'est pas simplement... Il stoppa une seconde. Du sable. Il est "les morts". Il est la poussière des trépassés.

- Tu as vraiment l'air d'y croire gardien.

-C'est la vérité Grys Dilur. Depuis des centaines d'années, il en est ainsi. Les gens n'en parlent pas, de peur d'attirer les spectres chez eux mais les vents de Trioms sont la malédiction d'une cité viciée par le mal.

- Le mal? Grys sourit. Ote moi d'un doute? Tu sais pour qui tu travailles?

- J'étais dans cette maison bien avant ta naissance. J'appartiens à ces lieux. Je ne peux les quitter. C'est ma malédiction.

- Mais qui es tu réellement? 

- Cela dépasse ta capacité de compréhension. Je t'en ai déjà trop dis.

- Comme tu veux. Mais un jour je saurais.

- Un jour tu sauras.

- Tu sais, tu me fais penser à quelqu'un, il parlait comme toi, par énigmes. Jusqu'au jour où il a rencontré une personne qui n'aimait pas cette façon de s'exprimer. Il lui a coupé la langue, Grys se retourna en souriant, je n'aime pas les énigmes Gardien. 

Une voix presque féminine surgit des hauteurs de l'escalier en spirale. 

- Monte Grys! Alzebal t'attend.

Le mercenaire fit un clin d'oeil au gardien qui, déjà, s'était assis et fixait le mur devant lui.

Les marches étaient abruptes. Il voyait la silhouette massive de Lodith qui l'attendait en haut, ce qui ne le motiva pas outre mesure pour accélérer le pas.

La pièce, dans laquelle Grys venait de pénétrer, était ronde et grande. Au centre un grand bureau encombré de livres, devant un grand fauteuil avec à l'intérieur probablement le fameux Maître Alzebal, invisible pour le moment. Une passerelle à quelques mètres en hauteur courait le long du mur, et on apercevait la fameuse bibliothèque de son hôte, une des plus importantes collection de livres de magie noire des terres de Milsden. Grys nota qu'aucun escalier ne permettait d'y accéder. Il continua d'inspecter les lieux. De nombreux sièges en velours étaient accolés aux murs. Son attention fut captée par des vitrines placées de façon anarchique autour du bureau central. Il s'approcha et découvrit avec stupeur qu'elles étaient les gardiennes d'armes forgées en bois de Gravisse. Des dizaines d'épées et de dagues exceptionnelles s'offraient devant les yeux du mercenaire brillants d'envie.

- C'est une sacré collection que vous avez là Maître Alzebal. C'est la première fois que je vois autant d'armes de Gravisse réunies en un même endroit. Je ne pensais pas qu'il en existait autant.

Lodith fit signe au mercenaire de s'avancer.

Grys s'approcha lentement du fauteuil, enfin il allait voir le visage du célèbre Alzebal. Il tourna la tête en arrivant à la hauteur du siège. 

Leurs regards se croisèrent. 

Les yeux de Grys s'écarquillèrent. 

Lodith se mit à rire.

- Mais qu'est ce...

- Bienvenue Grys Dilur.

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