12. Ereïm

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Revêtu de poussière, le petit hall d'entrée était éclairé par quelques bougies qui finissaient leur vie, lentement, posées sur une commode. Deux escaliers faisaient face aux voyageurs fourbus, un qui s'échappait vers le haut sans lumière et un qui fuyait vers le bas, faiblement éclairé. Sur le sol pavé, des livres éreintés empilés de ci de là exhalaient une odeur d'encre vieillie qui flattait l'odorat des nouveaux arrivants.

Le vieux Ereïm détacha sa cape et la jeta négligemment sur un banc en bois accolé à la commode. Tous deux patientaient depuis des années, d'être dépoussiéré. Une bien longue attente.

- Vos bottes! Ordonna le vieil homme, sourcillant. Arcis se demanda si son arrière-grand père était né avec les sourcils inclinés vers le bas.

- Ce serait dommage de salir un sol sale en effet, ironisa Loup, baissant les yeux vers le plancher.

- Garde tes sarcasmes "petit" fils. Il insista sur le "petit". J'ai l'extrême bonté de vous accueillir ici. Alors un peu de respect.

Loup ne dit rien, il regarda Arcis et lui fit un clin d’œil.  Les bottes enlevées, les pieds des deux voyageurs respiraient enfin. L'enfant se hâta de grimper les premières marches vers l'étage.

- C'est dangereux par là petit! Interdiction d'y aller! Nous on descend !

Ils empruntèrent l'étroit escalier qui plongeait dans les profondeurs du Mont Noir. Tandis que les marches de pierre défilaient sous leurs pieds, une douce chaleur les enlaçait. La lumière se faisait plus intense sans être éblouissante.

Leurs chaussettes boueuses terminèrent leur descente et se posèrent dans une pièce aussi vaste que l’entrée était petite. Une grande cheminée centrale ronronnait de plaisir tandis qu'une autre plus petite, dans le fond, se régalait d'une marmite en fonte. Deux canapés en cuir, posés face à face comme deux duellistes, se réchauffaient aux flammes de l'âtre. Une table basse, encombrée de bouteilles d'alcools et de liqueurs diverses, séparait les deux adversaires.

Tournant la tête vers la gauche, Arcis contempla, les yeux brillants d'envie, une grande bibliothèque qui courait tout le long du mur. Des centaines de livres dormaient attendant patiemment d’être choisis. Loup regarda à droite. Deux grands bancs usés étaient placés autour d'une table en bois, immense, encombrée d'assiettes et de couverts. Aux murs, épées, dagues, rapières et autres armes attendaient la main qui les brandiraient à nouveau dans la furie d'un combat. Plus loin quelques tableaux que Loup connaissait bien, des portraits pour la plupart. Tel un arbre généalogique l’histoire de sa famille s’étalait sur le mur . Il s’attarda sur une peinture qui représentait ses parents. Il se rendit compte qu’il avait presque oublié leurs visages. Il ferma son esprit à l’émotion qui le submergeait.

- Bienvenue chez moi, annonça Ereïm sortant Loup de ses pensées.

- Tu as tout changé ici, je ne reconnais plus rien.

- C'est que tu ne viens pas très souvent petit.

- Où est grand-mère?

- Elle ne reste jamais ici l'hiver. Elle séjourne à Stannarg dans sa famille.

- Comment va-t-elle ?

- Elle vieillit. Ereïm changea de sujet. Vous devez avoir faim. J’ai préparé un ragoût de lapin. Il y en a assez pour trois.

Le vieil homme courbé se dirigea vers le fond de la pièce.

Loup posa la main sur l'épaule de son fils.

- Tu te vois vivre quelques temps ici?

Arcis acquiesça de la tête et se déplaça devant les étagères débordantes de livres. Il laissa parcourir son doigt sur les tranches des ouvrages. Son arrière grand-père tourna légèrement la tête et parla assez fort pour que l'enfant l'entende.

- Fais attention mon garçon. Certains de ces livres sont dangereux. Demande moi avant d'en ouvrir un!

L'enfant, le regard inquiet, retira vivement son index et acquiesça d'un signe de la tête.

Le couvert installé, le souper fut servi dans un silence pesant. Les estomacs affamés se rassasièrent rapidement. L'effet soporifique d'une panse bien remplie ne se fit pas attendre et les paupières d’Arcis devinrent trop lourdes pour rester ouvertes.

- Je crois qu’il est temps de vous montrer vos chambres ! Ricana Ereim en regardant l'enfant.

Loup se leva et prit son fils dans les bras, il s'était endormi sur sa chaise.

Une petite porte au fond de la grande pièce abritait une chambre, sans décoration, avec deux lits et une grande armoire ouverte pleine de couvertures.

Loup coucha Arcis sans le déshabiller et le regarda quelques secondes en lui caressant les cheveux. Il était ce qui lui restait de plus précieux. Il refréna à nouveau ses émotions et posa un baiser sur son front. La peau de son fils exhalait le même parfum que Dwenn. Il s'éternisa savourant chaque effluve. Il avait si mal. Cette haine, enfouie en boule au fond de lui, avait explosé dans une gerbe d'acide qui le rongeait. Une larme rebelle, involontaire, s’échappa mais d’un revers de la main, il la balaya.

- Je suis désolé pour ta famille. J’aurais aimé les connaître.

Son grand-père était sur le pas de la porte.

Loup se leva, il écarta Ereïm de la main et sortit de la chambre.

- Laisse tomber vieil homme. Ta fausse compassion est plus insultante que ton indifférence.

- Etre père ne t’a pas changé. Tu as toujours cette colère en toi.

Loup souffla.

- Les gens que j'aime meurent et... mais à quoi bon te parler de choses que tu ne comprendras jamais.

Le vieil homme soupira d'agacement.

- Tu as une réaction d'adolescent rebelle de quarante ans.Tout ce que je vois, c’est que tu es encore plus amer que ton père. Je ne suis pas responsable de sa mort, tu sais je l’aimais. Ses mauvais choix l’ont…

- Tais-toi vieux gâteux ! Tu n’étais même pas à son enterrement !

-  J’avais mes raisons.

- Lesquelles?

Ereïm baissa les yeux et se retourna.

- Il est tard, je suis épuisé. Il y a des couvertures dans l’armoire. Je t'en ai posé une ici. Bonne nuit.

Il indiqua le divan.

- Comme toujours tu fuis.

Loup fit un geste d’agacement de la main. Le vieil homme continua son chemin.

Il le laissa partir. Il s’enfonça dans un des canapés après avoir choisi une bouteille sur la table basse. Il ôta le bouchon, la sentit. C’était fort. Exactement ce dont il avait besoin. Il but une gorgée. L’alcool réchauffa son gosier.

Oublier.

Une deuxième gorgée, son corps se réchauffait un peu plus. Le breuvage faisait son effet.

Juste oublier quelques heures.

Une dernière gorgée. Il s’abandonna au sommeil.

Il oublia quelques instants. Un oubli éphémère qu'il aurait aimé éternel.

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