Remous

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 Rouvrant les yeux, Lotus ressent une légèreté familière de son corps tout entier. L'antigravité a dû se mettre en marche juste après sa perte de conscience.

 Difficilement, la Loumiane se tourne et enclenche le bouton d'arrêt, tombant alors lourdement sur le sol rafraîchi. Le choc lui arrache un hurlement de douleur. Pendant quelques secondes, tout s'emmêle, écrasé d'une unique perception : brisée.

 "Aa.. hh.." Une toux agite son plexus où les mauves se comptent par dizaine. Très lentement, la voyageuse tente de se redresser. Assurément, son poignet est cassé. Des meurtrissures à en être colorée de la tête aux pieds, la hanche peut-être bien déplacée. Et son crâne... Elle y retire ses doigts collant d'un sang nacré.

 « Oh goln, goln, goln... goln. »

 Un léger roulis l'avertit : son canot est bien tombé à l'eau, et non sur une improbable parcelle de terre. Elle ne sait trop ce qu'il eût mieux valu, au regard des dégâts subis. La carcasse se serait fragmentée en milliers de morceaux, autant de chair que métalliques, les dysfonctionnements du navire principal ayant réduit le moteur secondaire à son strict minimum. Il ne reste à présent qu'à peine d'énergie pour naviguer. Les jours à venir se présentent sous le plus noir des auspices, si jours à venir il y a...

 Un rapide examen de la situation conclut l'affaire sur une note plus optimiste : elle a des vivres pour un mois, en se rationnant, une trousse médicale assez fournie et, pour l'instant, un habitat étanche.

 Lotus s'assied en grognant, sa tête la torturant de spasmes lancinants. La boîte de premiers secours sur les genoux, elle s'apprête à s'en servir lorsqu'un léger bruit creux l'alerte : elle tend immédiatement l'oreille, ne percevant plus que le clapotis des vagues contre la coque. Aurait-elle heurté un roc ? Des terres auraient-elle échappé à son premier examen de ce côté-ci, à moins qu'elle ne se soit évanouie bien plus longtemps que supposé ?

 Lotus, immobile, attend. Elle n'ose ouvrir l'écoutille à tribord. Seul rempart contre un monde de sel et d'eau, que faire si elle se bloque ?

 Le bruit revient, deux coups. Tac-tac. Cela ne ressemble plus à la rencontre d'un rocher. Le fait qu'il puisse y avoir des créatures marines ne lui a pas traversé l'esprit encore et cette idée la glace. L'ancienne princesse goûte pourtant à la mésaventure tous les matins ; elle s'est sortie de bien de situations désespérées avec courage et jamais ne faillit. Le regret n'est pas une option pour la jeune femme intrépide dont la précieuse énergie ne doit être dirigée que vers la recherche de solutions.

 La mer secoue l'habitacle ; hauts-fonds en approche, perçoit-elle tout en bandant sa tête après application d'un gel curatif anesthésique. Ce n'est pas évident, d'une seule main. L'autre repose mollement contre sa jambe, la rappelant à l'ordre toutes les dix secondes.

 Une attelle plus tard, Lotus se lève enfin et manipule le levier de maintien, cœur frémissant. L'haleine maritime se précipite aussitôt à l'intérieur sous un ciel mangé de nuées argentées ; les vagues, serrées et nombreuses, sont à moins d'un mètre plus bas. L'air est frais, piquant, amer, vieux compagnon de routes vieilles de plus d'un siècle.

 Le jeune être inspire.

 Expire.

 Une lumière de jour déclinant lui parvient, illuminant cet océan d'une âme d'au-delà. Brusquement, un sourire transforme son visage, comme la survie tourne sur elle-même : là, à moins de deux milles, de longs bancs sableux s'étalent complaisamment, racines longilignes et blanches d'une île verdoyante.

 « Oh goln. OUI ! »

 Elle ne peut pas les rater, le courant semble jouer en sa faveur.

 Le temps passant, les embruns ont pénétré toute l'annexe. Cela lui rappelle de fort lointains souvenirs, mais ici il n'y a que l'avenir.

  La survie heurte le sable et tangue, tangue, hésitant à se coucher pour un somme bien mérité.

 « Eh là, non, ça non », s'inquiète vivement la jeune femme, tâchant de garder son équilibre.

 Le vent souffle ses roseaux au travers des ramures indigo alors que l'étrangère saute, son sac à dos accroché, laissant son poids arrimer ses premiers pas dans le sable mouillé. Tirant à elle un filin inoxydable qu'elle déroule dans son chemin, Lotus parvient à faire suivre son canot le long des bras de mer.

 Malgré les flots chantant et le chuintement de la coque métallique contre le fond marin, la Loumiane perçoit très bien un bruit de plongeon, dans son dos.

 Il n'y a rien que l'étendue liquide à perte de vue.

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