Mon île - 11 - Tranché

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Effrontée abattit sa lame sur El Capitano. Celle-ci, bien que normalement destinée à porter – vaut mieux qu’le narrateur le rappelle, il a bien raison avec vous – des coups d’estoc – donc avec la pointe, là c’est moi qui m’occupe du rappel, j’vous connais –, trancha net son visage. La joue, fendue et retenue par un lambeau de peau – façon tranche de jambon, et avec la couenne, s’il vous plaît –, se mit à pendre sur la mâchoire de El Capitano.

Effrontée, l’épée basse, en resta momentanément là et se recula de quelques pas. Ainsi attentive, elle attendit la réaction de El Capitano.

Dur au mal – ah ! J’vous l’avais dit ! – , il ne cilla pas, ne hurla pas, ne gémit pas – et oui, y’a pas b’soin d’pleurer pour rien et à tout bout d’champ. Au contraire, avec lenteur, fier et voulant se montrer invincible, indestructible, il leva sa main à sa blessure. Il toucha avec délicatesse le morceau de chair sanguinolent puis, gagné par une rage fiévreuse, l’attrapa et le compressa – ou : gagné par une fièvre rageuse, si vous préférez. Il serra les dents et tira. La peau élastique se tendit, jusqu’à écorcher un large bout de peau à la base du cou. Difficilement, l’ensemble suintant se détacha et finit par rompre.

La partie droite du visage de El Capitano, maintenant sans joue – et sans barbe – , laissa visible les gencives et les molaires serrées, tâchées d’un sang rouge foncé.

El Capitano, peu à peu, se détendit, décrispa sa mâchoire et en arriva à jouer avec sa langue, jusqu’à la faire sortir sur le côté – vous connaissez l’défi où faut toucher son nez avec sa langue ? Et bah lui le fait avec son oreille et sa langue. Trouvant cela franchement amusant, il sourit, d’un de ces sourires ignobles et difformes – tu m’étonnes, avec un coin d‘bouche en moins...

Machinalement – à moins qu’ce fût nerveus’ment –, il pressa la joue flasque, tiède, spongieuse, toujours tenue en main, jusqu’à en faire couler un excédent de sang – façon éponge ! Et l’côté gratte-gratte c’est la barbe. Pris de démence, sans réfléchir, provocateur, il amena ce morceau de lui-même à sa bouche et croqua dedans à pleines dents – miam, miam. Doucement, sans jamais se plaindre, il mâcha la portion découpée… encore et encore – un peu comme les vaches qui ruminent sans arrêt.

Effrontée, divertie, s’égailla devant cette vision – un peu névrosée, la fille !

Demoiselle, la main apposée devant ses lèvres, retint un haut le cœur – prêt’ à gerber, un peu sensib’e, la donzelle !

Fils, captivé par le spectacle, rouvrit la bouche et la garda grande ouverte sans s’en rendre compte – complèt’ment à l’ouest sur ce coup !

El Capitano, jusqu’au-boutiste – il a décidé d’une chose, il va jusqu’au bout ! Prenez-en d’la graine – déglutit avec difficulté – malgré toute sa bonne volonté, c’est un peu resté coincé dans l’gosier.


– En désires-tu une autre tranche, El Capitano ? demanda Effrontée – l’a pas oublié d’êt’e aimable.

– Ma vieille carcasse est un peu ferme. Par contre, petit agneau, ton gigot m’a l’air savoureux. Je l’imagine parfumé, rosé et délicat, tendre et juste gras comme il faut. J’en salive d’avance – l’a pas oublié d'êt'e romantique.

– Tu peux bien baver, tu n’es pas prêt de le déguster.

– Hum, tourne-toi, hum… peut-être quand même un peu trop gras.

– Argh, perdit patience Effrontée.


À nouveau elle se jeta sur El Capitano et abattit sa lame sur lui.

Elle en découpa une aut’e tranche, au niveau du biceps, puis encore El Capitano se mangea.

Salivant, il lui sauta dessus et lui mordit l’jambon.

Effrontée hurla, redécoupa, il remordit, et ainsi d'suite jusqu’à ce que tous deux finissent en steak tartare – mangés tout cru !


Ce s’rait l’premier avril, voilà c’que j’aurais conté ! Sommes-nous l’premier avril ?!

Peut-être… et j’en arrive à m’dire, ma parole, qu’avec vous, ça march’ à tous les coups !

Moralité, mes p’tits pirates, n’soyez pas des poissons, n’gobez pas tout !

Bon, on oublie tout ça et on r’prend le fil normal de l’histoire.

Où en étions-nous… ah oui :


À nouveau elle se jeta sur El Capitano. Mais cette fois-ci il ne bougea pas d’un poil. Effrontée abattit sa lame sur lui.


<< Comme si El Capitano allait s’laisser trancher la joue… et Effrontée s’laisser mordre l’cuissot… n’import’ quoi. Pfff, complèt’ment crédules, ces mioches. >>

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