Mon île - 06 - Obscur entraînement

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Et ils vécurent heureux et eurent pleins de formidables enfants…


Vous vous croyez où ? Dans un Disney ?! Déjà, pour le "ils vécurent heureux", on va y rev’nir. Après, pour le "ils eurent pleins d’enfants", vous avez d’jà vu deux hommes avoir des enfants ? Oui ? Ah… euh… C’est vrai qu’la société a évolué, mais on va s’éviter un long débat : ils n’eurent pas d’enfants ! Parce qu’en plus, ils sont dev’nus Père et Fils : pas d’consanguinité dans leur rapport !

C’est quoi ? La consanguinité, vous êtes sûrs ? Pfff, alors euh… avant d’vous expliquer, j’voudrais m’assurer qu’vous savez ce qu’est un rapport sexuel : Savez-vous ce qu’est un rapport sexuel ?

Oui ? Ouf, j’me serais mal vue vous d’mander d’imaginer vot’e maman toute nue, vot’e papa tout nu, les voir se rapprocher, s’enlacer, se caresser, les voir frissonner, s’embraser, se palper, se frictionner, s’allumer, jusqu’à s’emboîter, copuler, tout donner, pour enfin exploser dans des cris passionnels. Ouf, j’n’aurais pas à l’faire… et sans parler des autres détails, vous d’vez savoir que vot’e papa, vot’e maman, ont leurs propres mœurs tendancieuses !


Euh… j’n’aime pas vos têtes… j’vais m’assurer d’un truc : c’est quoi pour vous un rapport sexuel ? S’embrasser ? Ah… Et ? Oh, juste s’embrasser. Oups, euh… en y mettant la langue ? C’est sale, bark. D’accord, oubliez la langue, on s’en contentera pour parler.

Donc, euh, bah… Voilà, c’est bien ça un rapport sexuel : un bisou coquin sur la bouche.

Est-ce qu’il faut l’faire tout nu ? Hum… pas nécesair’ment, mais s’il fait chaud… Oh, vous m’énervez, papa et maman se mettent tout nu parce que… des fois ils se mettent tout nu pour êtr’ à l’aise ! Toi, t’as jamais vu qu’ta maman était toute boudinée dans son jean ? Ah, voilà ! Des fois elle laisse tout r’tomber.

Puisqu’on en a terminé, petit conseil sous fond de moralité : mes p’tits pirates, si vous n’voulez pas voir, ce qu’un enfant ne devrait jamais voir faire ses parents, n’entrez jamais dans leur chambre sans frapper !

On n’en a pas terminé, qu’est-ce que la consanguinité ? Vous êtes tenaces. Tenaces ! La consanguinité, c’est donc un rapport sexuel, un bisou coquin, entre deux personnes qui ont des ancêtres communs.

El Capitano et Freluquet n’ont pas d’ancêtres communs ? Non, mais j’partais du principe qu’ils étaient père et fils donc… Oh, d’puis quand vous réfléchissez ?! D’puis qu’j’vous ai d’mandé de l’faire. Moi ? Je n’vous ai rien d’mandé du tout et encore moins d’m’énerver ! Vous… C’est ça, vous m’énervez ! Mais ok, c’est vrai, vous avez raison, s’ils avaient eu un rapport sexuel il n’y aurait pas eu d’consanguinité.


Mais pourquoi j’en suis arrivée à vous dire ça ?! Ils n’auront pas et n’ont jamais imaginé avoir de rapports sexuels ! Et s’ils en avaient, ils n’auraient pas d’enfants formidab’es, parce qu’un enfant ce n’est jamais FORMIDAB’E !


La vie se déroula paisiblement…


J’passe les détails, j’vous explique pas qu’ils ont remis la tab’e en place, que Corinne s’est réveillé… quoique :


Père et Fils remirent la table en place, les chaises autour, ramassèrent la bouteille de rhum et s’en servirent une rasade en attendant que Corinne se réveille. Ils n’eurent pas le temps de tremper leurs lèvres dans leur verre qu’il reprit connaissance :

– Huum, huum, quueellee eest doonc ceettee oodeeuur ? Duu rhuum, duu rhuum !

– Viens donc là, Corinne, que je te serve un verre en signe de paix, déclara Fils.


Corinne secoua la tête, détendit ses muscles et se rendit compte de bleus et de courbatures à venir :

– Oouuiillee, quuee faaiiss-jee aauu sool ? Poouurquuooii paar teerree ? Poouurquuooii paar teerree ?

– Euh… commença Fils.

– Tu t’es agité durant ton sommeil et tu es tombé par terre, le choc t’a fait reprendre conscience, mentit Père dans un élan de soutien paternel.

– Poouurquuooii éétaaiis-jee aauu liit ? Poouurquuooii éétaaiis-jee aauu liit ? essaya de comprendre Corinne totalement amnésique.

– Mais je ne sais pas moi ! s’emporta Père, tu devais être fatigué, d’ailleurs pourquoi t’es-tu couché dans MON lit ?


Sans essayer d’en savoir plus, préférant éviter de se faire gronder par Père, Corinne n’insista pas et, son addiction l’emportant, elle en revint au principal :

– Rhuum ! Rhuum ! Duu rhuum eet laa paaiix !


Et c’est ainsi qu’autour d’un verre, pendant quelques heures, ils refirent le monde, expliquèrent à Corinne leur nouvelle relation père-fils et, en bref, firent réellement connaissance.

Père expliqua à Fils qu’il avait atterri sur cette île suite au naufrage de son bateau. Il lui expliqua que de cruelles créatures étaient à sa poursuite, qu’il leur avait volé un impressionnant trésor, qu’il avait visité bien des mondes, qu’il avait assisté à l’inimaginable, qu’il était un capitaine respecté, craint et glorifié. Malheureusement, depuis le naufrage, il était bloqué ici sur son île, leur île, avec un oiseau venu d’ailleurs pour toute compagnie. Fils, pas dupe, ne crut pas à tout, pensa que Père en rajoutait, amplifiait et magnifiait sa vie, mais il écouta et prit plaisir à ce récit.


Bon, voyez, j’la fait courte parce que tout ceci, El Capitano et Corinne, c’est une tout’ autre histoire, et je n’en connais que ce qui a pu être raconté au Capitaine, et que ce qu’il a, à son tour, pu m’en raconter.

En y pensant bien, c’est à dire un paquet d’truc ; final’ment, peut-êt’e qu’un jour j’vous en f’rais un préquel. De quoi ? Un spin-off ?! Peut-êt’e qu’un jour j’vous racont’rai l’histoire de El Capitano ! Merd’ alors, faites suer à jouer sur les mots, préquel, spin-off, même combat !


Après le rhum et les histoires, ils dormirent : Corinne sur son perchoir, Père dans son lit, Fils moitié assis sur sa chaise, moitié vautré sur la table.


Les jours passèrent. À l’aide d’un drap tendu dans la pièce, un coin privé fut aménagé pour Fils. Il y installa un lit, se construisit une petite commode.


Les jours s’enchaînèrent, Fils explora leur île, un petit lopin de terre, mais suffisamment grand pour qu’ils puissent y vivre. En un peu moins d’une journée, il en fit le tour. L’ouest, composé de hautes falaises, tranchait avec l’est, bordé d’une longue plage de sable fin. Au loin, rien, rien que l’horizon et l’océan à perte de vue. Au centre de l’île, une jungle dense et vallonnée, où Fils se surprit à découvrir du petit gibier mais aussi quelques terrifiants reptiles et d’autres bestioles dangereuses.

Lesquelles ? J’n’en sais trop rien, moi, vous avez qu’à imaginer ! Même ça c’est trop dur à d’mander ?! Pfff, des serpents, des lapins, des écureuils, des iguanes, peut-êtr’ un ou deux crocodiles, une panthère, des insectes bizarres, des oiseaux et… voilà, ajoutez un tatou, un tapir, ou un aut’e truc trop bizarre dont on connaît l’nom mais dont on n’arrive jamais à s’représenter la tête.


Les jours défilèrent, Fils aida à la vie courante, bêcha dans le potager, coupa du bois, tantôt en planches, tantôt en bûches, chassa les animaux, d’abord à coup de pierres ou de lances, puis se fabriqua un arc, et opta pour des pièges qu’il releva chaque jour avec soin. Il œuvra avec Père, améliora le quotidien, copina avec Corinne et goutta à une vie paisible, rythmée par ses travaux journaliers.


Les jours filèrent, bon, j’vous épargne les corvées d’épluchage, de nettoyage – Père et Corinne étaient apparemment assez maniaques sur l’hygiène, en tout cas plus que Fils –, de réfection, les beuveries, les discours infinis, les chamailleries, les jeux – oui, faut toujours savoir s’amuser dans la vie –, l’apprentissage… quoique :


– Aujourd’hui, Fils, nous ne sommes pas venus pour la chasse.

– J’ai faim.

– Il nous reste des réserves, alors profitons de cette clairière, de cette journée ensoleillée, pour parfaire ton éducation.

– Parfaire mon éducation ?

– Paarfaaiiree soon ééduucaatiioon, paarfaaiiree soon ééduucaatiioon, peerrooquueet, peerrooquueet, répéta Corinne perché sur l’épaule de Père.


Oui, ça fait cliché mais c’est comme ça ! Corinne se perchait souvent sur l’épaule de Père.


– Oui, Fils, il est grand temps que je t’apprenne à te battre.


Fils laissa échapper un bruit de gorge et répondit :

– Aujourd’hui, Père, ne t’attends pas à ce que tout se déroule comme l’autre fois, il est grand temps que je remette les choses à leur place.


Père sourit et donna le top :

– En garde !

– Een gaardee, een gaardee, réitéra Corinne tout enchanté d’assister à un peu d’action.

– Corinne, tu fais bien de venir assister à la raclée de Père ! Tu vas te régaler. Mais un conseil, va te poser sur une branche avant de chuter avec lui.


Fils se mit en garde, les deux poings devant son visage, prêt pour la bagarre. Père, les deux mains dans le dos, se rapprocha :

– Bien, tes deux poings face au visage te protégeront. Premier exercice, garder la pose.

– Dis-moi plutôt quand tu seras prêt pour que je te démolisse !

– Exercice, jeune impudent, ex-er-ci-ce, dit Père en insistant sur chaque syllabes.

– Qu’entends-tu par là ? N’allons-nous pas nous battre ? demanda Fils, quelque peu déçu.


Pour toute réponse, la main droite de Père gicla de derrière son dos, tapa les poings de Fils et les projeta sur le côté où ils n’assurèrent plus la protection voulue. La main fila aussitôt en sens inverse et, sur le retour, cingla la joue de Fils.


– Ouch.

– La garde doit être ferme, rigide, maintenue, en toute circonstance, sinon elle ne sert à rien.


Offusqué, Fils balança une droite sans réfléchir, Père – qui s’attendait à cette réaction – se décala, le poussa dans le dos et, se servant de l’élan de Fils, l’envoya balader.

Fils se retourna et s’élança à nouveau vers Père ; il oublia toute idée de garde et n’eut qu’une seule idée en tête : le plaquer au sol. Mais avant qu’il ne puisse le saisir, Père envoya une petite gauche qui le toucha sous l’œil. Fils s’arrêta net.


– Si tu continues ainsi, je ne pourrai rien t’apprendre.

– Riieen luuii appreendree, riieen luuii aappreendree.

– Rien m’apprendre ? répéta Fils maintenant occupé à se masser l’œil.

– Ce Fils n’a aucune patience.

– Iil aappreendraa laa paatiieencee.

– Trop de colère en lui.

– Sûûr quu’iil n’eest paas prêêt.


Revenu à la raison, Fils protesta :

– Père, je suis prêt, dorénavant je t’écouterai, je me plierai à tes exercices sans compter sur la colère et la force brute, je peux et je veux être un grand pirate !

– Prêt, tu crois être, comment peux-tu le savoir ? Toute ma vie j’ai formé des pirates, mais à mon seul jugement je me fie pour savoir qui doit être formé. Un pirate doit avoir l’engagement le plus profond, l’esprit le plus sérieux, toi, depuis tous ces jours je t’observe, et depuis toujours tu regardes vers ton propre avenir, jamais ton esprit n’est là où tu es, à ce que tu fais. L’aventure, l’agitation, viendront plus tard, tu ne dois point les désirer trop tôt, tu es insouciant !

– Coommee tuu l’aas éétéé, sii tuu tee soouuviieens biieen, rappela Corinne pour tempérer.


Père haussa les épaules, pour signifier que la comparaison ne tenait pas, et sembla renoncer :

– Je me suis peut-être trompé, peut-être est-il trop âgé pour commencer sa formation.

– Mais j’ai déjà beaucoup appris, tenta de le persuader Fils plus humblement.


Père le regarda dans le fond des yeux et sembla retrouver l’espoir qu’il avait placé en lui :

– Finiras-tu ce que tu commenceras ?

– Je ne te décevrais pas.

– Ah oui ? En ai-je une garantie ?


Fils réfléchit, s’imagina être pirate, un grand, le plus grand, et trouva sa qualité première :

– Je ne connais pas la peur.

– Oui, tu auras peur, tu auras peur.


Je n’vais pas vous décrire tous les exercices mais les leçons se répétèrent. D’abord avec du physique comme de la course sur les vallons pour l’endurance, du sprint sur le sable pour la vitesse, de la nage, nage et nage, en mer calme, en tempête, en apnée. Père ne se priva pas de lui rabâcher qu’un pirate exemplaire, accompli, supérieur, se devait de savoir nager à la perfection, et qu’un jour, dans l’eau parmi les vagues, il l’en remercierait. L’entraînement continua par des portés de troncs pour les biceps, du lancer de rochers pour… d’autres muscles et des coups répétés dans le ventre pour les abdos. Puis vint un travail sur la précision avec encore du lancer d’objets sur les animaux – d’une pierre deux coups, entraîn’ment et chasse. Ils finirent par tester les réflexes en condition de stress avec des combats contre les cobras. Autre pierre deux coups, Fils dév’loppa une certaine résistance aux poisons ; l’Capitaine m’a avoué avoir été mordu plus d’une fois. Apparemment, Corinne disposait de talents d’apothicaire – des connaissance en médecines parallèles. Oh, pfff ! Une sorte de sorcell’rie ! – et lui sauva la vie à de multiples reprises :


Fils, en sueur, une douleur lancinante, extrême, lui brûlant la main et se propageant dans tout le bras, entra dans la cabane et, à bout de souffle, s’y écroula. Père, qui arriva à sa suite, rouspéta et gueula :

– CORINNE ! Victoire pour le cobra ! Fils s’est fait mordre à la main.

– Paas biien, paas biien, dit-il en quittant son perchoir pour venir près de Fils.


Corinne observa la plaie, déjà violacée, où apparaissait nettement la marque des crochets entre le pouce et l’index. Les veines du bras, bien visibles, témoignaient de l’avancée du venin.


– Paas biien, paas biien, répéta inlassablement Corinne.

– Il ne va pas claquer pour si peu, hein ? s’inquiéta presque Père.

– Maaiis noooon, maaiis noooon, cooriiaacee, cooriiaacee.


Corinne, sans s’éterniser à discuter, s’envola à l’extérieur. Il réapparut quelques minutes plus tard et se dirigea vers Fils, toujours étalé sur le pas de la porte. Il n’omit pas de porter un regard accusateur vers Père qui le traduisit :

– Quoi ? Je n’allais tout de même pas le déplacer à moi tout seul ! Qu’il soit allongé ici ou ailleurs ne changera rien.

Corinne, le bec plein et s’appliquant à mâcher une substance étrange…


Quoi, encore ?! Est-ce que Corinne a des dents ? Euh… Parce que pour mâcher il faut des dents… Oh… Pfff !

Corinne, le bec plein et s’appliquant à broyer dans sa bouche une substance étrange lui fit un signe de tête pour qu’il approche. Père grogna :

– Oh, ça ne peut pas attendre que je finisse mon verre ?


Corinne le dévisagea, toujours en mastiquant. Père, lâchant un soupir de mécontentement, se releva de sa chaise et vint à hauteur de Fils :

– C’est répugnant ton truc.


Sans autre remarque, il lui pinça le nez, à moitié inconscient, et lui ouvrit la bouche. Corinne se pencha et laissa s’échapper de son bec une substance mauve, collante, visqueuse et surtout malodorante dans la gorge de Fils. Une fois le bec vide, Corinne n’oublia pas d’éructer et de cracher le résidu… toujours dans la bouche de Fils.


– Un petit verre pour rincer tout ça ? proposa Père.

– Pluutôôt deeuux ! Pluutôôt deeuux ! objecta Corinne.


Tous deux regagnèrent la table et burent, plutôt cinq à six verres, dans l’attente de son réveil.


Et c’est toujours avec le même rituel qu’il lui sauva la vie à plusieurs reprises, pour les cobras, mais aussi les araignées ou encore les méduses mortelles.

Fils dév’loppa donc d’abord une certaine tolérance, puis une vraie résistance aux poisons.


– CORINNE ! Victoire pour ce maudit python !


Comment ça, ce n’est pas venimeux un python ?! Euh… qui a dit qu’il s’était fait mordre, d’abord ?!


– Il s’est enroulé autour de moi et a voulu m’étrangler, impossible de l’arracher. Heureusement, alors qu’il ouvrait la gueule pour m’avaler, je lui ai saisi les deux… mâchoires et clac ! Rupture nette du cou.

– Peerduu, peerduu ? rectifia Corinne qui ne comprenait plus.


Un peu comme vous ! Parc’ que vous n’me laissez jamais l’temps d’finir !


– Non, oui, perdu parce que son complice le… boa.


Un boa, toi qui crois tout savoir, c’est venimeux ? Non ? Ah… bien, bien, je te le confirme.


– Non, oui, perdu parce que son complice le… mamba noir.


Ah, bien ça le mamba noir, hein ?! Fallait l’trouver c’ui là ! Terrib’e un mamba noir, hyper venimeux ! Mortel !


– … son complice le mamba noir a surgi dans mon dos et m’a mordu… la fesse.

– Lee cuul, lee cuul, lee cuul ! s’emballa Corinne tel un enfant à qui on aurait dit le mot "fesse".

– Ne fais pas l’enfant ! Tu ne vas pas t’extasier à chaque pipi, caca, fesse, cucul !

– Piipii, caacaa, feessee, cuucuul, rigola Corinne.


Paraît qu’voir un perroquet qui s’bidonne c’est quelque chose.


– Bon, veux-tu bien m’aider ? Au lieu de rigoler comme un nigaud, râla Fils.


Retrouvant son sérieux, Corinne, en parfait docteur, demanda à voir :

– Faaiis vooiir, faaiis vooiir.

– Quoi ?

– Faaiis vooiir, faaiis vooiir.

– Ça va, j’avais compris, ma question est pourquoi veux-tu voir ?

– Méédeeciin, méédeeciin, mooii.

– Es-tu sûr que tu ne veux pas plutôt… Fils hésita sur le terme à employer.

– Mââteer, mââteer ? s’indigna Corinne en comprenant le fond de sa pensée.

– J’espère que tu ne veux pas juste me reluquer les fesses ?!

– Ooh quuee noon, ooh quuee noon !

– Je dis ça parce qu’à chaque fois, de toute façon, tu te contentes de me cracher dans la bouche.

– Paas craacheer, aadmiiniistreer uun reemèède !

– Alors pourquoi veux-tu voir mes fesses ?

– Poouur… Corinne hésita sur le terme à employer.

– Pour te rincer l’œil ! Perroquet zoophile, va !


Oh, un doigt levé… Zoophile ? Zoophile… c’est… un zoophile c’est quelqu’un qui aime les rapports sexuels avec les animaux. Je rappelle qu’un rapport sexuel est un bisou coquin sur la bouche. Alors comme Corinne est un perroquet, s’il aime à regarder les fesses d’un humain, Fils en déduit que c’est un zoophile. Mais il aurait pu dire humanophile, j’en conviens. Ouf, explication toute simp’e.

Quel rapport entre le bisou coquin sur la bouche et regarder les fesses ? Je r’tire mon ouf. Mais vous en avez de d’ces questions ! Parce que… parce que… Fils en arrive à dire n’importe quoi parce que le venin du mamba noir est en train de lui atteindre le cerveau ! Voilà, on n’écoute plus Fils qui est en plein délire et on n’cherche plus à tout comprendre ! Re-ouf.


– Poouur sooiigneer, guuéériir ! Paas poouur plaaiisiir ! s’offusqua Corine tout en tournant le dos à Fils en signe de bouderie.

– Quoi, tu boudes ? Alors que le venin va me tuer, me fait délirer et me fait dire n’importe quoi ?


Ah, voyez !


– Oui, je dis n’importe quoi et je délire à cause du venin, alors arrête de bouder et aide-moi !

Corinne se contenta de l’ignorer.

– S’il te plaît, Corinne.


Corinne continua à l’ignorer.


– Ah zut ! Tu as gagné ! Maudit oiseau !


Fils se retourna, baissa son pantalon, son slip, et exhiba ses fesses. Corinne le reluqua, le mâta, le palpa, le…


étudia la blessure, en parfait professionnel. N’imaginez pas ce qu’il n’y a pas besoin d’imaginer !


C’est alors que Père fit son entrée :

– Oh, je… c’est embarrassant.


Fils remonta ses frusques – son pantalon, j’essayai juste de varier l’vocabulaire – et se justifia aussitôt :

– Corinne est docteur, je me suis fait mordre, il voulait…. la blessure, tu comprends… voir la blessure !

– Te sonder.

– M’examiner !

– T’ausculter.

– M’examiner ! s’énerva pour de bon Fils.

– Eexaamiineer, exaamiineer, exaamiineer, assura Corinne avant de s’envoler à l’extérieur.


Père secoua la tête et émit un doute :

– Pourquoi aurait-il besoin de te…


Fils fronça les sourcils. Père soupira et abdiqua :

– Pourquoi lui montres-tu tes fesses ? De toute façon, à chaque fois que tu te fais mordre, ce satané oiseau se contente de sortir, de récolter je ne sais quoi dans son bec, de le mâchouiller et de te le recracher dans la bouche.

– Je… je… la morsure… le serpent… Corinne… un redoutable mamba noir !

– Oh, carrément, un mamba noir ?! Il cache bien son jeu ce perroquet !

– Hein ?

– Quoi, hein ?

– Père, je… oh puis merde, sers-moi un verre, Corinne m’a si souvent sauvé la vie que je peux bien…

– Laisser son "mamba noir" t’examiner, termina pour lui Père.

– Non, mais… non ! Quoi ?! Non, oh non, non, non non ! Il n’y a pas lieu de s’imaginer ce qu’il n’y a pas besoin de s’imaginer !

– Soit, je n’imagine rien. Rien. Après tout, faites comme bon vous semble, nous ne sommes que trois sur cette île, et entre Père et Fils ce rien s’apparenterait à de la consanguinité.

– Je… je crois que je suis en plein délire !


Et les jours passèrent, Corinne continua à s’occuper de Fils et Fils profita de ses concoctions. Corinne lui en apporta des potions, des mélanges, en tout genre, pour guérir, pour rêver, pour s’évader… pour délirer ! Tous deux s’amusèrent, rigolèrent, se droguèrent, se rapprochèrent et ensemble profitèrent.

Quoi Gigi ? Oh, oui : mes p’tits pirates, n’vous droguez pas ! C’est mal la drogue ! N’prenez jamais d’médicaments sans prescription et n’laissez jamais un perroquet vous prescrire quoi qu’ce soit. Contente ?

Et les jours s’enchaînèrent, Père et Corinne se chamaillèrent, déblatérèrent, s’abreuvèrent… avec Fils.

Et les jours défilèrent, Père et Fils persévérèrent. Père entraîna Fils, durement, tous les jours, pour qu’enfin il devienne le fils parfait. Fils écouta ses conseils, s’endurcit, s’aguerrit et apprit, pour enfin devenir un pirate parfait.


– Fils, l’énergie d’un pirate émane de la force, mais fie-toi au côté obscur.

– Corinne, qu’as-tu donné à Père ?

– Paas reespoonsaablee, paas reespoonsaablee ! se dédouana le perroquet.

– Je ne sais pas pourquoi mais j’ai toujours rêvé de dire ça. Je crois que je tiens quelque chose avec la force, le côté obscur, non ? La force, le côté obscur… insista Père.


Corinne et Fils le dévisagèrent, l’air inquiet. Fils se confia à Corinne :

– Il perd la boule le pauvre vieux. La force obscure, qu’est-ce donc que cette idée minable ?

– Viieeuux foouu, vieeuux foouu ; paass sii foouu…


Père, pas sourd pour un vieux…


Bah oui, vous savez bien qu’les vieux ça d’vient sourd ! Oh, n’dites pas l’contraire, au fond d’vous, vous l’savez bien, c’nest pas juste pour faire l’suer l’monde que pépé et mémé écoutent la télé à fond !


Père, qui les avait parfaitement entendu, abandonna :

– Prêts, vous n’êtes pas.


Devant ce constat, Fils s’agita :

– Père ? Je suis prêt, je… Corinne, je peux être une force obscure ! Dis-lui que je suis prêt !

– Prêt tu crois être. Comment peux-tu le savoir ?


Fils l’observa, se calma, se concentra, et gagné par une force soudaine sut quoi lui répondre :

– Père, je suis prêt. J’ai travaillé dur. J’ai subi, tes réprimandes, tes entraînements, tes conseils, jamais je n’ai bronché, j’ai accepté de m’en remettre à toi. Guide-moi. Je suis prêt.

– Aah, iil eest prêêt.


Père le considéra, réfléchit et opina :

– Alors laisse-moi te dévoiler ce qui pourrait un jour te sauver la vie… ou devenir ton fardeau. Oui, il est grand temps que tu saches.

– Aah, qu’iil saachee, qu’iil saachee.


Car Corinne, lui aussi savait… et même très bien.


– Je t’écoute, Père.

– Les Femmes viendront, ici, tôt ou tard. Elles me retrouvent, toujours. Méfie-toi d’elles, car elles t’entraîneront de l’autre extrémité du côté obscur, toujours c’est ce qu’elles rechercheront. Si tu le peux cache-toi et passe ton chemin.

– Iil nee lee paasseeraa paas, iil nee lee paasserraa paas. Tuu nee l’aas paas paasséé, àà toon iimaagee iil nee lee paasserraa paas.

– Je ne comprends rien, les femmes? Des femmes ? Je veux les rencontrer, qu’elles viennent, et par dizaine si elles le veulent ! Je saurai m’en occuper.

– Impatient, insensé que tu es.

– Mais Père, des femmes…

– Pas des femmes ! Les Femmes, celles des mondes extraordinaires ! Cruelles, vicieuses, pernicieuses.

– Oui, comme toutes les femmes.

– Fils, la magie et les mondes féeriques existent. Tout n’est pas comme tu le crois. Autour de nous il y a beaucoup de choses que tu ne voies pas. Certains diront que tu rêves, que tu as trop d’imagination, que ceci ou cela n’existe pas. Mais les mondes extraordinaires et les êtres légendaires sont là, tout autour de nous.

– Corinne, dis quelque chose…

– Toouut aauutoouur dee noouus ! Toouut aauutoouur dee noouus ! Toouut aauutoouur dee noouus !


Fils, troublé, perturbé par la folie ambiante, ne sut que répondre. Père, une fois ses quelques vérités bien mystérieuses révélées, décréta :

– Fils, il se peut que tu sois enfin prêt.


Et Corinne, qui lui aussi savait, dévoila bien d’autres sages mystères :


– Laa coolèèree, laa peeuur, l’aagreessiioon, foormeent lee côôtéé oobscuur dee toouutee foorcee.

– Fils, la force s’est répandue en toi, engage-toi du côté obscur, et à jamais cette force dominera ton destin et te fortifiera.

– Ce côté obscur semble…

– Est séduisant !

– Poouur toouut boon piiraatee, piiraatee, piiraatee, oobscuur, oobscuur, oobscuur ! récita Corinne tel un mantra.

– L’ai-je en moi ?

– Tu le sauras, en sera convaincu, quand tu seras agacé, en tourmente, actif ; mais déjà tu le ressens, non ?


Fils hocha la tête.


– Uun piiraatee uutiiliisee lee côôtéé oobscuur poouur l’iincoonnuu, l’aattaaquuee, jaamaaiis poouur laa dééfeensee !

– Alors attaque ! enchaîna Père en se jetant sur lui.


Fils ne se laissa pas surprendre et esquiva d’un pas rapide sur le côté. Père, le sourire aux lèvres, se réjouit :

– Enfin. Enfin tu sembles à la hauteur.

– Je suis ! À la hauteur.


Je vous passe le combat, ils s’étripèrent, luttèrent, s’agrippèrent, se firent fourbes, bas, surent être sournois, trichèrent, s’engluèrent et… Père en sortit vainqueur.


Se relevant tout essoufflé, Fils désespéra :

– Je n’y arriverai jamais.

– Que de certitudes as-tu, avec toi rien n’est jamais possible. N’écoutes-tu pas ce que je dis ?

– Père, ton côté sombre ou je ne sais quoi, la haine, la rage, la fièvre, je les sens au plus profond de moi. Oui, mais tout ça c’est une chose, alors que pour te battre il me faut autre chose.

– Non pas autre chose, juste autre chose dans ton esprit ! Tu dois désapprendre tout ce que tu as appris.

– Très bien, je vais essayer.

– Non ! N’essaie pas ! Fais-le.

– Faaiis-lee, faaiis-le, faaiis-lee.

– Ou ne le fais pas.

– Faaiis paas, faaiis paas, faaiis paas.

– Mais Fils, il n’y a pas d’essai.


Sur ces belles paroles, gagné par une fureur jusque là inconnue, Fils sentit ses forces lui revenir. De nouveau hargneux, il s’embrasa et se rua à son tour sur Père.


Quelques minutes après, Père vainquit.


Fils, couché au sol et ensanglanté, déclara forfait :

– Je n’y arriverai pas, tu es trop… alors que… qui es-tu réellement ? Pourquoi est-ce si dur ?

– Regarde-moi, je suis vieux et tu penses que me battre devrait être aisé. La taille, l'âge, le sexe, l'apparence n'importent pas ! Me juges-tu vieux ? Et bien tu ne le dois pas ! Car mon allié est ma force, la vie m’a créé, m’a fait grandir, mon énergie nous entoure, je suis un être obscurci ! Pas une simple matière brute, tu dois sentir cette force autour de toi, ici, entre toi, moi, l’arbre, la roche, partout, oui, oui ! Utilise ta force et ton côté sombre de la même manière pour tous, doute toujours de la victoire mais sois assuré de la remporter ! Sois malhonnête, traître et ténébreusement rusé. Sois sombre !


Fils, l’air dépité, presque résigné, défaitiste, secoua la tête :

– Tu veux l’impossible. Puis entre nous, je ne suis pas sûr d'avoir tout compris. Es-tu sûr de n'avoir rien consommé de... psychédélique ?

– Fils, tu réaliseras cet exploit et deviendras à la fois mon vrai fils et un pirate remarquable. Bien sûr que Corinne m'a donné une… de ses créations.

– Je n’arrive pas à croire à cet exploit, douta Fils.

– Vooiilàà poouurquuooii tuu ééchoouuees.


Et les semaines filèrent, Fils s’endurcit, écouta, apprit, comprit, et acquit ce côté sombre. Un côté sombre très prononcé, pour devenir suffisamment cruel.

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