26 - 4 - Dans l'eau, bravade

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Je sais, c’est un suspens à deux balles ; vous avez d’viné que l’Capitaine ne va pas laisser la Commandante exécuter Second. Ce s’rait ridicule. Non, vraiment, après d’multiples chapitres à apprendre à l’connaître, le faire mourir ? Non, très peu pour moi ! En même temps, ce s’rait une chute redoutab’e : Second-ci, Second comme ça, Second rigolo, Second énervant, Second attachant et hop, plus d’Second ! Mais plus d’Second dans un océan d'sang ! Car quitt’ à l’faire trépasser autant qu’ce soit dantesque, grandiose, monumental et… inoubliab’e ! Limite choquant, va nous falloir un truc bien dégueulasse qui traumatise vos sensibles petits esprits. Ouais, c’est décidé, il devra mourir sal’ment.


Le Capitaine n’osa pas tourner la tête vers la Commandante, sa décision était prise : Brute l’enivrait, sa mort, plus exactement, l’exaltait, l’irradiait, l’enfiévrait, elle devait mourir, il devait la tuer, et tant pis si Second en subissait les funestes conséquences.


Ou pas… après tout, là où vous pensez qu’j’suis capab'e de raconter en détails l’histoire d’un personnage pour qu’il disparaisse vite fait bien fait, j’vous prendrais à r’vers en l'laissant vivre. Là où encor’ une fois vous vous attendiez – avec cruauté, perversité, extasié, la bave aux lèvres, l’œil pétillant, le cœur en tachycardie – pfff, qui bat vite – épris de tremblements, l'entrecuisse humide – Quoi ? Ce sont les bébés qui se font pipi dessus ? Euh... nous allons laisser tomber cette zone. Je profite de ce passage pour vous dire que si vous utilisiez un peu plus votr' odorat, vous sauriez qu'les vieux aussi laissent échapper un peu d'urine. Ne vous mettez pas à sniffer ici !

Quand allez-vous arrêter de digresser, ma parole ?! Pfff, de sortir du sujet en m'parasitant mes phrases ! Je n'sais plus où j'en suis ! Bien joué, faut que je r'prenne tout :

Là où encor’ une fois vous vous attendiez – avec joie – à c'que Second souffre, j’vous surprendrais en n'en faisant rien. Ah ah, quelle génie je suis ! Alors, vivre, mourir ? Exister, y passer ? Agoniser, l’échapper belle ?

Ah ah, vous n’savez plus, avouez-le ! Et bah réfléchissez ! Parce que de toute façon, c’nest pas moi qui choisis ! Je n’décide de rien du tout puisque tout ceci est une histoire vraie ! Dans les grandes lignes… Et que je n’ai pas à inventer quoi que ce soit ! Je n'm'en tiens qu'à c'que j'sais, qu'aux faits ! Je suis, en quelque sorte, une historienne.

Bon, vu comme ça, c’est vrai qu’ça n’veut toujours pas dire qu’il va vivre… ou mourir. Allez, découvrons ça. Enfin, j’dis nous, mais moi je sais.

Quoi ? Parce que j’y étais ? Mais non… tout simplement parce que Second est là, derrière vous, accueillons-le et applaudissons-le bien fort ! Second ! Second ! Second !

Pfff, voir tant de têtes, toutes vos têtes, se tourner, me désespère. Bon sang, mais réfléchissez ! Ça c’est passé y’a des sièc’es ! Comment est-ce qu’il pourrait êtr’ encore là ?!

Voilà, quand vous vous servez d'vot’e tête, autrement qu'en f'sant la girouette, c'est mieux. À part moi, personne ne vit pendant des sièc’es.

Pfff, et bah vous vous trompez ! Il aurait pu êt’e là ! Si il n’avait pas disparu. Parce qu’il vient d’arriver dans un monde magique de licornes où l’impossib’e est possib’e ! Combien d’fois va-t-il falloir que j’vous répète que la magie existe et que tout n’est pas comme vous l’croyez.

Bon, revenons-en à Second… et à Brute.


Quoi ? Est-ce que Second c’est le crâne qui trône sur le haut d’ma ch’minée ? Euh, non, n’faites pas attention à ça, c’est un trophée, d’une tout’ autre histoire. Elle l'avait bien cherché, sale garce !


– Brute, Brute, Brute ! Mais ne reste pas ainsi sous l’eau, tu vas en mourir ! Ne t’a-t-on jamais appris qu’il est impossible d’y respirer ? Brute, tu vas te noyer ! Commandante, comment faites-vous pour diriger un équipage aussi… ah, j’en perds mes mots ! Débile ? Allez Brute, sors de là.


Le Capitaine, toujours agrippé aux oreilles de Brute, la tira vers lui. Le visage hors de l’eau, ses prunelles – Argh, faites un effort ! La pupille de l’œil ! Le centre ! – reprirent petit-à-petit vie. De l’eau coula de sa bouche. Pas en quantité suffisante au goût du Capitaine qui, pour l’aider à récupérer plus vite, la baffa, une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, et une petite cinquième fois pour s'assurer de la bonne efficacité de ses gestes. Sonnée, étourdie, Brute toussa, vomit et éructa toute l’eau avalée – avec un peu d’sang, faut savoir qu’une baffe du Capitaine vous décolle un peu la cloison nasale et vous réveille les gencives !


– Brute, vas-tu mieux ? Peux-tu bouger ?


Le Capitaine l’agita et la secoua dans tous les sens ; quitte à lui remettre un peu la tête sous l’eau pour qu’elle boive à nouveau la tasse.


– Bon, je vois que tu es presque en pleine forme, je te conseille de prendre la position sur le dos et les bras en croix, pour te laisser flotter sans peine et récupérer tes esprits.


Brute, désorientée, incapable de comprendre les paroles du Capitaine ne réagit pas. Le Capitaine, en bon samaritain – en parfait secouriste –, l’aida à prendre la position – oui, planche si vous voulez ! – planche. En bon professionnel et prenant son rôle de sauveteur très au sérieux, il plaça ses mains de façon intelligible, sous le fessier de Brute pour lui assurer une parfaite flottaison.


– Ne t’inquiète pas, je te maintiens, Brute. Sois rassurée, avec moi, tu es entre de bonnes mains.


Le Capitaine resserra un peu son emprise :

<< – Hum, ferme mais moelleux. >>

– Ferme mais moelleux ! dit-il tout haut en fin connaisseur.


Ce petit détail en tête et largement visualisé, le Capitaine reconsidéra Brute avec plus d’attention :

<< – Ma foi, un joli petit brin de fille. Jeune, dans la fleur de l’âge. Un corps agréable, cette combinaison, noire et si ample, est bien mieux portée lorsqu’elle est trempée et qu’elle lui colle au corps, qu’elle dévoile ses formes… généreuses. Un regard gris-vert à faire fondre, qui reprend vie, flamboie et qui déjà me semble hargneux. Une fille au caractère entier, une dominante. Je vais lui sourire, car j’ai comme l’impression qu’elle m’en veut. Il faudra que je lui rappelle que c’est elle qui a commencé ! >>


Le Capitaine, tout en séduction, sourit.

<< – Hum, aucun effet, du moins pas celui escompté, la belle Brute pense déjà au meurtre. Alors autant lui en donner pour son argent. >>


Le Capitaine assura la position par de nouvelles petites pressions.

<< – Ah, en fait plus moelleux que ferme. Ce petit nez fin, en légère trompette, qui se contracte, ces fines lèvres, dessinées d’un trait léger, qui se pincent, me font dire qu’elle récupérera vite. Un agréable minois, un charme certain, peut-être aurais-je dû m’arrêter à quatre, les bleus donneront mauvaise mine à son teint hâlé. >>


Sortant de ses pensées, le Capitaine lança à l’attention de la Commandante :

– Je suis aux anges, heureux, soulagé, d’avoir pu être ici pour sauver, secourir et mettre en sûreté votre protégée. N’hésitez pas à me remercier, je suis modeste, ne recherche aucune gloire de mes actes, encore moins de celui-ci, mais j’accepte les compliments et sais recevoir les honneurs.


La Commandante, hésitante à le féliciter et au final ne trouvant rien de positif à lui dire, s’abstint de repartir en bravade ou vers la provocation. Elle n’entra pas dans son jeu, ne prit pas la peine de lui répondre et ne donna pas suite à tout son simulacre et à toutes ses facéties.

Toujours la dague posée sur le cou de Second, elle paraissait réfléchir, tiraillée entre une envie certaine et une plus raisonnable.


Le Capitaine en vint à douter :

<< – En ai-je trop fait au point qu’elle s’énerve et tranche la gorge de Second ? Il est vrai que j’aurais dû avoir en tête et prendre en compte son sale caractère. >>


Il en vint à tempérer :

– Est-ce moi ou êtes-vous énervée ? Boudeuse ? Vous savez que vous n’avez nul besoin de tuer Second. Un pour un, c’est la règle, et il n’y a pas eu de un. Quoique, un "un" positif, puisque j’ai, ne le nions pas, je le répète, sauvé Brute d’une noyade assurée. Un geste admirable qui se doit d’être… << – Aie en tête son sale caractère ! >> qui se doit d'être... << – Minimise, n'en rajoute plus ! >> qui se doit d'être... << – Pour Second, fait ça pour lui ! >> qui se doit d'être... banalisé et vite oublié.

– Second, c’est donc ainsi que vous l’appelez. Second, si je ne m’abuse, est un titre d’importance, non ? demanda la Commandante sortie de son silence.

– Oui, je pense que l’on peut dire ça. Second est mon second, un rôle capital. Je contribuais d’ailleurs, sur mon temps libre, à son apprentissage en l’initiant à la nage en pleine tempête avant que… Comment est-il arrivé avec vous ? termina-t-il, soudainement intrigué par la présence de Second sur le bateau des femmes.


Estimant que lui répondre en détail serait lui apporter satisfaction, la Commandante resta vague :

– Nous avons repêché ce…

– Cet excellent pêcheur des profondeurs ! Second, nous as-tu au moins ramené un peu de poissons ? Un requin, un orque, une pieuvre géante ? en rajouta le Capitaine.


La Commandante pesta intérieurement, se contint de riposter à toutes ces sornettes et recommença d’une seule traite :

– Nous avons repêché ce gringalet avant qu’il ne périsse d’une noyade assurée !

– Je ne comprends… une noyade ? Second ? Vous divaguez ! Ne vous ai-je pas dit qu’il est un excellent pêcheur-nageur ? Que de plus j’étais là, en tant qu’instructeur de premier ordre, pour parfaire son talent ?

– Vous êtes là et vous parvenez, en tant que… vous-même, et de part votre talent, à m’énerver !

– Pour changer, grogna-t-il.

– Capitaine enquiquinant !

– Commandante emmerdante !

– Capitaine toxique !

– Commandante vénéneuse !

– Capitaine bourru !

– Commandante acariâtre !

– Capitaine colérique !

– Commandante belliqueuse !

– Capitaine conflictuel !

– Commandante caractérielle !

– Oh, c’est vous, Capitaine "je sais tout", affabulateur, arracheur de dents, lunatique et capricieux qui dites cela ?!

– Parfaitement, Commandante "je ne me remets jamais en question", hypocrite, casse-couilles, incommodée et… et… et bou…

– Et si vous évitiez de la mécontenter, Capitaine ? La lame est extrêmement tranchante, dangereuse et redoutable, intervint juste à temps Second dans un éclair de lucidité et de douleur.


La Commandante corrigea aussitôt son attitude : la discussion avec le Capitaine, l’agaçant au plus haut point, l’avait tant crispée que, sans s’en apercevoir, elle avait commencé à enfoncer la lame dans le cou de Second. Un mince filet de sang coulait sur son torse.


– Suggérez, murmurez, ressortez une seule fois encore le terme "boudeuse" et je le décapite ! prévint-elle.

– Booouuu… diou, il ne faut pas vous mettre dans tous ces états ! C’est mauvais pour votre cœur.

– Vous faites bien de parler de mon cœur, il a un message pour vous.


Plein d’espoir, confiant et enchanté que ce petit échange verbal confirmerait une romance possible, le Capitaine se réjouit :

– Ah oui ?

– Il vous dit : Adieu !


En plein désespoir, déconfit et désenchanté que ce périlleux échange verbal ait mis fin à leur belle histoire d’amour, le Capitaine bouda :

– Cœur de pierre !

– Parce que vous pensiez que…


Second, sachant très bien que cet échange pouvait, durer, traîner, s’éterniser, ne la laissa pas finir. Il crut également bon de l’amadouer un peu :

– Je me permets de reprendre la parole, tant que mes cordes vocales le peuvent encore, pour vous certifier que, moi, je vous trouve charmante, jolie, gentille, et pas du tout "cœur de pierre".

– Cet avorton se permet-il de me faire la cour ? s'offusqua-t-elle mécontente.

– Espèce de freluquet, comment oses-tu la draguer ? se scandalisa le Capitaine.

– D’ailleurs, qu’est-ce qu’il en sait, lui, de tout cela ? Qu’est-ce qu’il s’imagine ? s’indigna la Commandante.

– Il doit avoir une imagination bien trop débordante et il est sûr qu’il n’en sait rien ; contrairement à son Capitaine qui, OUI, sait tout ! se plut à préciser le Capitaine.


La Commandante crispa sa main sur sa dague effilée, pinça ses lèvres et, à son plus haut point de tension… laissa un rire franc et sonore s’échapper :

– Oh, mais oh ! Oh, que vous m’irritez, Capitaine. J’en arriverais presque à perdre mes moyens. Vous avez failli me faire sortir de mes gonds. Félicitations, d’ordinaire je reste maîtresse de moi-même, toujours, et là, là, il s’en est fallu d’un rien pour qu’il ait la gorge tranchée.

– Femme qui rit, à moitié…


Le Capitaine n’eut pas le temps de terminer son dicton que la Commandante clarifia aussi sec la situation :

– Mais ne vous y trompez pas, ne déduisez rien de ce rire, si ce n’est que je reprends le contrôle, total, et dites-vous bien que tout ce que j’ai dit, je le pense. TOUT, ce que j’ai dit.

– Bah moi aussi ! affirma le Capitaine.

– Moi je… tenta Second.

– Toi, ta gueule ! dirent-ils en chœur.


Tous deux se regardèrent et n’eurent rien d’autre à ajouter.

Le Capitaine pensa bien sortir un petit "boudeuse" mais, pas pleinement convaincu que cela n’aurait pas de tragiques conséquences, le garda pour lui.

La Commandante pria presque pour qu’un petit "boudeuse" ou un nouveau "moi je" se fasse entendre, convaincue qu’une entière plénitude la gagnerait si elle exécutait Second.

Second, réprimandé et n’ayant d’autre choix que d’attendre, resta de marbre.

Les trois femmes, faute d’un ordre contraire, continuèrent à le maintenir en position.

Brute, désireuse de ne plus être maintenue, s’attela au plus vite à récupérer la pleine possession de ses moyens.

Quelques secondes passèrent ainsi lorsque résonna, dans la tête du Capitaine et de la Commandante, une voix qui n’avait rien perdu de toute la scène :

<< – N’avais-je pas parlé d’enfantillage ? Irrécupérables… >>


La Commandante, rappelée ainsi à la raison, abandonna son fantasme sanguinaire et en revint à Second :

– Second, Second, Second ! Mais ne reste pas ainsi agenouillé, un couteau tranchant sur le cou ! Ne t’a-t-on jamais appris qu’il est impossible de respirer une fois la tête coupée ? Second, reste tel quel et tu vas finir décapité ! Capitaine, comment avez-vous pu choisir un second aussi… Ah, le mot me vient : débile ? Allez, femmes, lâchez-le.


Les deux femmes, toujours agrippées aux bras de Second, le relâchèrent dans le même temps. L’autre femme lui libéra l’épaule et la tignasse. Second bougea le cou, les épaules, se massa le cuir chevelu et tout doucement reprit son souffle. De ses doigts il s’essuya le cou, poisseux, et se les frotta sur le sol du bateau. Geste suffisamment sale au goût de la Commandante pour qu’elle se décide à le baffer : une fois, deux fois, trois fois, quatre fois et une petite cinquième fois. Sonné, étourdi, Second toussa, saigna et s’écroula au sol.


– Second, euh… ça va ? Peux-tu bouger ? mima la Commandante qui, en fait, n’en avait cure.


Elle lui donna alors un coup de pied, violent, dans les côtes ; Second s’agita et se roula dans tous les sens.


– Bon, à gesticuler ainsi, je vois que tu as pleine possession de tous tes membres. Je te conseille maintenant de te remettre debout, aie donc un peu de dignité et de rigueur face à ton capitaine.


Second, désorienté, fut incapable de se relever. Une fois de plus ses cheveux furent ciblés : la Commandante, en bon samaritain – pfff, pour l’aider – , les lui tira pour l’aider – voilà – à se remette debout. Second grimaça en silence et les mains sur sa tête tenta d’amoindrir la douleur. La Commandante plaça sa deuxième main de façon intelligible, sur l’entrejambe de Second pour lui assurer une parfaite tenue, bien droite.


– Ne t’inquiète pas, je te maintiens Second. Sois rassuré, avec moi, tu vas te tenir droit, au garde à vous.


Le Commandante resserra un peu sa prise :

<< – Petit et tout mou. >>

– Ferme et... volumineux ! dit-elle tout haut en fine provocatrice.

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