24 - 3 - Réaliste, étapes

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Adrénaline :

Le Capitaine, tout excité, nagea, brassa, crawla à travers les vagues puissantes, anarchiques, à contre-courant ou porté par les flots, tantôt en haut, en suivant dans les creux. Enivré, il arriva, sans qu’aucune nouvelle vague ne s’écrase sur lui, à la position, plus que supposée, de la main de Second. Largement essoufflé par l’effort requis, il s’arrêta et essaya de se calmer.

<< – Inspire, expire, inspire, expire et plonge, vite, au plus vite, avant que… >>

Et le Capitaine, galvanisé et déterminé à retrouver Second, s’immergea sans attendre qu’un monstre d’eau déferlant vers lui – pfff, ok, une vague, rapp’lez-moi de n’pas m’la jouer poétique avec vous – ne le balaye et le submerge.


Perdu :

<< – Cette eau noire, toujours, tout le temps, partout. >>

Une brasse sous-marine, une autre, le Capitaine se stoppa – s'arrêta... si vous préférez ! Pfff, attention, ça monte ! – et se concentra.

<< – Je ne vois rien ! Je ne vois rien ! Nulle part. Pas un bruit, rien, le silence. Attends, écoute… si, j’entends : un murmure, plus, un tumulte ! Second ! Non, stupide que je suis, ce n’est que la vague rageuse de ne pas m’avoir attrapé qui me hurle son mécontentement. Oui ça ne doit être que ça… >>

Bah oui, on est dans la partie réaliste, chiante, peu artistique, qui n'laisse pas libre cours à ma créativité hors norme, alors oui, du moins non, non, Second n'peut pas crier sous l’eau, donc non, n'vous attendez pas à c’qu’il crie, il ne criera pas, pas ici !

<< – Second ? Si, je l’entends, je le sens, il est là, je ne suis pas fou, je ne le vois pas, c’est tout ! Second ! Second ! >>

Le Capitaine, torturé, égaré, névrosé – pfff, ça n’va pas êt’e ça tout l’long, si ?! Il devient fou ! – perdu, continua à se questionner, à se raisonner :

<< – Non mais, non, je perds la tête et je me noie dans ma propre folie. Que faire ? Que suis-je censé faire ? Que puis-je faire ? Second ! >>


Essai :

Le Capitaine tourna la tête en tous sens mais, à travers cette eau trouble, sombre, glauque, impossible pour lui de distinguer quoi que ce soit. Décidé à ne pas rester inactif, il se mit à nager à la quasi verticale et s’enfonça plus encore dans les profondeurs. Toujours à chercher à gauche, à droite, il tourna la tête respectivement en ces sens, et réalisa à force, déjà, une sorte de rituel. Il scruta, guetta et sonda… mais sans succès. À cours de souffle, plus d’autre choix pour lui que de remonter. Alors, en sens inverse, il observa ses bulles d’air – qu’il avait laissées s’échapper histoire de s’repérer... j’vous r’fais pas l’cours, on va gagner du temps, d’toute façon vous n’aviez rien compris, je l’sais, n'dites pas l'contraire ! – et regagna la surface.


Surface :

Le Capitaine bougea les bras, tapa des pieds, résista tant bien que mal pour ne pas être emporté par le courant, influent, tourbillonnant, qui joua avec lui, le poussa et le domina. Malgré la pluie cinglante qui lui tomba dans les yeux, les embruns portés par le vent qui le fouettèrent, il tenta de regarder autour de lui mais ne discerna rien, rien que l’eau en furie, en mouvement, impressionnante.

Il écouta, et seule l’agitation ambiante, le brouhaha continu, la puissance dévastatrice des vagues, vinrent résonner à ses oreilles. Il s'efforça de récupérer, de respirer.

<< – Reprends ton souffle, garde les idées claires et… et… un plan, il me faut un plan ! >>

Essoufflé, le seul plan possible qui lui vint en tête, et qu’il jugea acceptable, fut d’y retourner. Mais plutôt que de le laisser en paix, la tempête se délecta à ne lui laisser aucun répit et tout, tout, sembla se liguer contre lui pour le faire couler et l’emporter à jamais. – Si j'en rajoute ? Non, je brode !


Récapitulatif :

Quoi ? Si là, tout d’suite, j’vais récapituler c’qui a déjà été dit dans de précédents chapitres et qui vient déjà encore d’êt'e répété… Euh… Tu m’embrouilles ! Bon, euh… j’veux m’assurer qu’vous avez bien compris, après tout, on a l’temps, non ?

Le Capitaine refusa de céder, porté par l’adrénaline, il se contrôla, géra sa respiration, respira et respira, encore – Ouais, encore ! Et si vous continuez, j’suis prête à vous décrire chaque souffle ! Sachez qu’en moyenne, d’après une étude suédoise, elles sont toujours suédoises les études bizarres, ne m’demandez pas pourquoi, c’est comme ça ! Donc j’allais vous dire que, d’après des chercheurs, scandinaves, si vous préférez, on respire douze à vingt fois par minute. Voilà, c’est tout, vous êtes prév'nus.

Dans un premier temps, le Capitaine considéra son bateau : déjà loin mais pas irrécupérable. Second temps :

<< – Je ne dois plus hésiter, il faut que je continue à chercher, je dois y retourner ! >>

Derniers regards, du plus proche au plus loin, rien, à la surface rien que l’apocalypse. Alors le Capitaine plongea, à nouveau – voilà, là on en r’vient à son plan, et du coup euh… j’crois qu’j’ai pas récapitulé grand-chose, faudrait peut-êt’e mieux que j'revienne plus en arrière… ok, ok, c’est bon, j’en reste là ! Quelle impatience, incroyab’e ça !

Le Capitaine sait, au fond – de lui… pas de l’eau… il sait au fond d’lui, pas au fond d’l’eau… – qu’il s’agira de son ultime chance et qu’il n’y aura pas de nouvelles tentatives possibles.

<< – Dernier essai, je dois réussir. >>

Le Capitaine nagea vers le fond.

<< – C’est dur, trop dur. Brasse ! Mets-y tout ton être, ta vigueur, tes forces. Lutte ! >>

Il lutta pour descendre, toujours, toujours plus au fond… vers Second.


Le fond :

<< – Montre-toi, Second, ou faisons-nous nos adieux. >>

Tout en apnée, il exécuta son rituel.

<< – Impossible, de toute façon il n’a pas pu survivre. Il fait si noir, c’est si pénible… rien, il n’y a rien, je ne le retrouverai pas. Je dois renoncer. Non, non, pour Second, je dois continuer ! >>

Le Capitaine brassa, encore, vers ce qu'il pensait être les abysses – ah ah, interro ! Qui se souvient des abysses ?! J’désespère… Gigi, au moins toi ! Non, c’était bien sûr trop te d’mander – mais qui, au fur et à mesure, devinrent moins ténébreuses.

<< – C’est étrange, ici c’est comme… oui, éclairé ?! Oui, une singulière lueur rayonne… Mais quelle est cette clarté ? Rougeâtre… de la magie ? Quelle est cette lumière, d’un coup tout devient… tout s’illumine ! Autour de moi l’eau devient claire, j’y vois ! je vois ! >>

Le Capitaine vit.

<< – Que vois-je ?! Oui, non, me voilà fou, fou ! Pour de bon ! Non, Second... Oui, Second ! Second ! >>

Et d’une brassée supplémentaire, puis d’une autre – en fait, on va dire qu’il nagea un peu – le Capitaine nagea, nagea – donc en fait un peu plus que prévu – vers le fond, vers Second qui semblait mort et qui coulait. Le Capitaine l’attrapa.

<< – On remonte ! >>


Respire :

Le Capitaine le tira, s'y employant avec énergie, vers le haut, vers la surface.

<< – Je la distingue, encore quelques efforts et nous y serons, tiens bon, Second ! >>

Et vous savez quoi ? Et bah ils y arrivent, à la surface.

– L’air libre, je respire, j'ai réussi. Second, vas-y, respire, c’est à ton tour !

Il se tourna vers lui mais il lui apparut bien livide, blanc, toujours immobile.

– Second, Second, remue-toi, je n’ai pas fait tout ça pour rien ! Second !

En permanence dans les vagues, tantôt dans les creux, en suivant tout en haut, manipulés par le courant, le Capitaine l’agrippa, l’agita, le gifla, le frappa d’un coup de poing sur la poitrine, le martela d’autres en suivant.

– Dernière tentative, Second, c’est le moment, tu me le dois !

Le Capitaine pria intérieurement, une deuxième fois – si si, il l’a d’jà fait avant, faites-moi confiance, j’sais c’que j’dis ! – n’importe quel dieu susceptible de l’aider. D’un coup sec, fort, il le cogna en plein cœur. Second ouvrit alors les yeux, inspira et revécut – Du verbe revivre ! C'est moi qui vais me mett'e à prier, nom de Dieu !


Motivation :

– On va s’en sortir, c’est bon Second, je t’ai récupéré, je t’ai repêché, plus qu’à nager, plus qu’à regagner le bateau, on y est presque, le plus dur est fait, allez Second, allez, nage !

Arasé, épuisé, mi-mort, absent, encore dans les profondeurs, tout juste arraché à la Mort qui le désire, en a envie et le demande, tandis que de l’autre côté l’Océan, en offrande à sa suprématie, à sa grandeur, le réclame et l'exige, Second brassa, par gestes lents, maladroits, sans envie, abandonna et se laissa-aller – On avait dit pas d’lyrique ? Bah, y’en a pas tant qu'ça ! Quoi ? Vous n’avez rien compris à cette phrase ? Pfff, Second abandonne et coule, voilà.

La tête déjà sous l’eau, le Capitaine l’empoigna, l’arracha, à moitié par les cheveux et l’extirpa à nouveau.

– Non, non tu n’abandonneras pas, souffre, souffre de cette vie, meurs et je te tuerai pour ça, le bateau est là, là !

– Il est si loin, impossible, c’est peine perdue, jamais…

Apitoyé, Second pleura et ses larmes coulèrent, ajoutant leur sel à celui de l’Océan qui les prit comme un cadeau compensatoire et acquiesça, accepta et rugit – Oh, merd’ à la fin ! Un peu d’poésie n’a jamais tué personne !

– Réagis, Second, je te l’ordonne !


Vivre :

Le Capitaine empli d’une énergie infinie, résolu, courageux, exulta Second : – Quoi ? On n’exulte pas quelqu’un ? Qu’est-ce que tu en sais d’abord ?! Mouais… Bon… on va donc se contenter d’un simple "encouragea" insignifiant et tristement plat… Voilà, on lui dit tous « merci ! »

– Je te montre, suis-moi, gagne et mérite cette vie qui t’appartient, qui t’attend, qui t’anime, l’avenir est là, devant toi, débordant de vie à en redonner l’espoir !

Second, sans choix possible, interdit d’abandon, retrouva en lui l’espérance qui fait vivre et, tous deux en vie, vivants, survivants, prêts à survivre, se remuèrent, nagèrent, brassèrent et se démenèrent pour s'en sortir.


Malmenés :

Une vague, une autre, encore, sans arrêt, s’abattirent sur eux, en vacarme, les gesticula, les agita, et l’océan, lui, déferlant, harponnant, les tira et les maltraita.

– Allez Second, bouge, remue, nage, essaye, essaye tout et surtout ne renonce pas, bats-toi et fais en sorte que le bateau, pour l’instant si loin, trop, trop, beaucoup trop loin, se rapproche...

– Tout cela est bien vain, mon Capitaine, balbutia Second.

Et l’eau les poussa, les repoussa, les guida où elle voulu, les malmena, se moqua, les emprisonna, les manipula, s’acharna – si je vais vous faire toute la liste des synonymes que j’ai en tête ? Quoi ? De toute façon j’n’en ai plus ? – les happa, les souleva, les coula, les recracha, les ébranla – et toc !

Et cette même Eau décida, peut-être par bonté, voire par amusement, ou par désintérêt, insignifiance, ou peut-être par reconnaissance devant ce Capitaine qui s’obstinait, persévérait et s’évertuait à aider, à secourir et à ne pas se désemparer de Second, ce mort à venir, déjà noyé une fois mais qui refusait de se laisser ravaler et vivait, de leur offrir une chance – Rien compris ? Voilà, qu'ça n'm’étonne qu’à moitié, dès qu’il n’y a plus trente points par lignes, y’a plus personne !

– Ce sera notre seule et ultime chance, il nous faut la saisir, Second, prépare-toi !


Le Bateau :

Le Bateau bougea en tout sens, dériva, se pencha, monta et descendit, tourna, tournoya, – attention, n’dites rien sinon j’vous en r'ssors encore douze ! – personne pour le guider, livré à lui-même, il hésita, se perdit, erra au milieu des vagues et dépendant de leur volonté, il s’abandonna lui-aussi à leur bon vouloir, perdit espoir et vivota.

Le Bateau garda sa flottaison, comme il put, ne coula pas mais ne sut même pas pourquoi il était là, encore là. Il en profita pour naviguer, une dernière fois, jusqu’à ce qu’une énième vague le heurte. Puissante, elle se brisa, le brisa presque, sur le côté et l’entraîna, à moitié penché, dans son écume. Le Bateau hurla, cria, subit, trembla et oscilla… mais survécut – Un bateau ça n'crie pas ? Tiens-donc ?! Va donc dire ça à tout l'bois qui craque et qui gémit ! Je t’assure, dans une tempête, un bateau ça se plaint !


Choc :

– Attention au choc, prévint le Capitaine sans que cela ne change quoi que ce soit.

Le bateau déferla vers eux, eux s’abattirent sur lui et s’écrasèrent contre sa coque tels des chatons condamnés à mort – vous voulez qu’j’vous rappelle l’histoire des chatons ? Ceux qu’on explose contre… Non ? Ah, non ? Pfff, vous n'êtes pas drôles.

Ramassé sur lui-même, l’épaule en avant, le Capitaine avala le gros du choc et préserva, en partie, Second accroché à son dos.

Sonné mais toujours attentif, prêt à s’en sortir, à saisir cette occasion, le Capitaine – ce chaton perdu… ok, j’arrête – pas abattu, griffa mais ne parvint pas à s’accrocher.

<< – Non, non, pas maintenant, pas si près du but, non, non… >>

Le bateau glissa sous ses doigts, il en frôla la coque, la toucha, la brutalisa, la supplia, la pria – Oui, il parle à la coque, et alors ? Vous n’parlez pas aux objets, vous ? Non ?! Ah non ?! Ah… – de ne pas s’éloigner. Il en pleura de rage, d’effroi, d’injustice !

– Tenez, prenez, essayez avec ça, annonça Second. – Comme par magie, oui et alors ? Ça vous pose un problème ? On est dans la partie réaliste, alors vous n’allez pas r’commencer à m’faire… Bon, on s’comprend.

Le Capitaine saisit alors une dague tendue et la planta de toutes ses forces dans le bois ; à moitié fou, il l’empoigna, s’y cramponna et s’y réfugia.


Duologue : – Dialogue, plutôt ? Tu n’vas pas faire ta Commandante ?! Duologue, j’ai dit !

– Sans moi vous n’en seriez pas là. Je ne serais plus qu’un cadavre, rongé par des poissons nécrophages, je vous remercie mais je vais mourir, je veux mourir, je n’en peux plus, je vais lâcher, vous laisser, sans moi… Sauvez-moi !

C’est quoi nécrophage ? Tu n’vois pas qu’ta question coupe toute l’action ?! Putain, c’n’est pas croyab’e… Un nécrophage, c’est quelqu’un qui mange les cadavres. Quoi ? Comme quand on mange un steak-haché ? Oh, ça y est, va nous faire chier la Végan !

– Sans toi, sans toi… JE NE PEUX PAS ! Je ne peux rien de plus pour toi, pas ici, c’est inhumain, décroche-toi si tu veux, de toute façon pour toi comme pour moi, pour nous, je ne suis plus maître de rien ! clama le Capitaine.

Ça n’correspond pas à son tempérament ? Hey, oh ! T’as qu’à attend’e la fin d’son discours !

– Attends néanmoins avant de te détacher de moi, car notre chance, finale, semble venir, peut-être, regarde !

Et ils regardèrent. – Il lui dit de regarder, il regarde ! Oh merde, hein ! Le réaliste, ça y est, ça m’les brise !

– Notre survie doit être là, juste là, juste devant… à moins que ça ne soit, finalement, notre trépas.


Rouge.

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