24 - 1 - Réaliste, déjà voilà vite

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À peine entré dans l’eau, le Capitaine fut saisi par le froid. Un froid auquel il s’attendait mais dont il n’avait pas anticipé l’intensité. Glacé jusqu’aux os, il prit conscience que sauter n’était rien de plus, rien de moins, que pure folie.

La folie, voilà ce qui le gagnait, déjà, dans cette eau sombre et lugubre. À sa gauche, à sa droite, partout, juste la noirceur de l’océan. Pour en tester l’opacité, il mit sa main au plus loin devant lui et, comme il s’y attendait, ne distingua ses doigts que sous forme de silhouettes floues. Derrière elles le noir, derrière elles le néant, attirant. Le Capitaine resta ainsi quelques secondes, écouta le silence des profondeurs l’appeler et entendit la Mort, d’une voix douce et apaisante, mentionner son prénom.

Prénom déjà bien lointain, remontant à une autre époque, à une autre vie et qu’il avait presque oublié depuis le temps qu’il avait, à la place, imposé son titre. Sous le choc des souvenirs, il se ressaisit et en termina avec sa latence et ses pensées angoissantes. Avec vigueur, il brassa pour rejoindre la surface. Oui, voilà, avant d’entamer toutes recherches de Second, une seule idée en tête, entêtante : rejoindre la surface au plus vite.

Au plus vite, revoir la lueur de l’extérieur, quitter cette obscurité, s’éloigner de la mort. Oui, voilà, rejoindre la surface, déjà, vite, vite, au plus vite. Juste cette seule idée obsédante et l’assurance de trouver à la surface, déjà, une pause salvatrice. Oui, voilà, à partir de là, il en était sûr, tout ne redeviendrait que certitude.

Certain, le Capitaine brassa, encore, avec force, et, soulagé, sortit la tête de l’eau. Il respira, respira déjà de tout son saoul. Là, de suite, seule l’envie de quiétude, déjà, l’emporta. Là, de suite, seule l’envie de dire « stop, temps mort » importa. Absent, le Capitaine en oublia toute son expérience, mit de côté tous ses bons conseils et se concentra juste sur souffle, rassurant. Il n’analysa pas son environnement, perdit sa vigilance et alla jusqu’à fermer les yeux pour tenter d’oublier, ne serait-ce qu’un instant, ce plongeon insensé.

Plonger, pourquoi ? Dans une si grosse tempête ? Pourquoi risquer sa vie ? Pour un Second qu’il ne connaissait que depuis quelques heures ? Pour un Second têtu qui ne l’avait pas écouté ? Pourquoi se mettre en péril ? Pourquoi en arriver à mourir ainsi ? Car sûr, pour sûr qu’il allait mourir ici.

Ici ou là, il pouvait fanfaronner, discourir d’autant de phrases parfaites et exultantes que sa bouche intarissable pouvait en sortir ; ici ou là, il ne rechignait pas sur le paraître et jouait ses plus grands rôles dans la grandiloquence ; mais ici et là, tout cela ne changerait rien, ne signifierait jamais rien, l’image qu’il s’assurait ne le sauverait pas. D’ailleurs, rien ne le sauverait dans l’agitation de ces flots.

Flottant dans ses doutes, gagné par ses pensées fatalistes, le Capitaine en perdit son sens de l’observation et ce qui devait arriver arriva : une vague, presque banale, somme toute commune, voire insignifiante face à l’immensité de certaines, s’écrasa sur lui.

Écrasé par le choc, lourd, qui l’ébranla du crâne jusqu’aux épaules, comme si un géant avait voulu lui enfoncer la tête dans le corps en oubliant toute idée d’un cou, le Capitaine retourna séjourner sous l’eau. Ballotté par le remous de la vague, il tourna, tourna, tourna, jusqu’à ce que, petit à petit, le manège s’arrête.

Lui aussi s’était déjà arrêté. Rien, il n’avait, déjà, plus envie de rien. Résister ? Pour quoi faire ? Non, abandonner, rien de plus simple. Pourquoi lutter ? Le Capitaine, résigné, déjà endolori, se laissa aspirer par le néant. Il en oublia de retenir son souffle, il omit de devoir respirer et cela ne l’inquiéta pas outre mesure. Il flottait, là, juste là, dans cette eau froide et noire. Vite, il ne souffrit plus de douleur, ne craignit plus la peur, mieux, il était bien, serein, apaisé, dans cet abandon de lui-même. Partir, se laisser guider par les profondeurs, voilà, rien de plus simple, et, vite, vite, au plus vite, ne plus faire patienter sa bienveillante Mort.

Mort, en même pas trois minutes, moi, si orgueilleux, si narcissique, devrais-je alors en oublier ce pompeux titre de capitaine ? Mort en trois minutes, mort et me voilà à nouveau moi-même, tel que j’ai été baptisé. Mort, après – avant ? – une histoire si prometteuse – insignifiante ? – qui aurait dû me conduire dans des contrées féeriques – dangereuses ? – , vers un trésor étincelant – divin ? – , gagné auprès de la – ma ? – sombre Commandante.

Alors qu’il sombrait, alors qu’il coulait, humble et soumis, un courant l’agita. D’abord faiblement, un mouvement insignifiant, puis plus insistant, limite persistant. Il se sentit aspiré et bougea par saccades. Rêveur lucide, il s’imagina une de ces certaines vagues, terrifiante, percuter la surface, en ébranler les fonds et l’attraper de sa main d’écumes pour le malaxer. Il sourit à l’idée de tournoyer à nouveau et se laissa tourbillonner, secouer ; il grimaça lorsqu’il commença à être pétri, cahoté ; il râla lorsque fut agité, trimballé ; il pesta lorsque tel un pantin, docile et asservi, il fut manipulé, baladé ; il meugla lorsque, sans s’y attendre, il fut balancé… expulsé à la surface.

La surface ?! Ah oui ?! En est-ce donc ainsi ? Les fonds ne veulent pas de moi, vraiment ? Alors soit, terminé, fini de subir, assez d’être votre jouet. Ne voulez-vous pas de moi ?! Oh, résigné, moi ? Plus maintenant, et moi vivant, plus jamais ! L’espoir fait vivre, je l’ai assez prêché pour m’en convaincre, alors moi, empli de cet espoir insensé, je m’en vais vivre ! Oubliez mon prénom, gardez-le dans les tréfonds, qu’il croupisse dans le néant, et surtout, surtout, laissez la Mort en user tant qu’elle le voudra, car moi je me nomme Capitaine ! Me revoilà, oui, et me voilà, dans la tourmente, intronisé capitaine !

Et voilà que le Capitaine respira, respira, encore, de tout son soûl, dans cette effroyable tempête. Inspirer, expirer, inspirer, expirer, oublier la surprise, les souvenirs, les doutes, la résignation et m’élancer vers un héroïque sauvetage, voilà pourquoi je suis là, voilà ce qu’il me reste à faire.


Voilà, est-ce déjà plus réaliste ? Petits pirates, est-ce plus probable ? Peut-être, peut-être pas... quoiqu'il en soit on continue, et fissa, fissa on en termine vite avec cette éternelle tempête qui commence à m’courir sur le haricot ! Et même, sur LES haricots !

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