21 - 7 - Le voyage, calme

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Calmement, le Capitaine regagna son poste de pilotage.


Non, il n’y était pas encore ! Il vient juste de sortir de sa cabine ! Mais tu suis ou quoi ?!


D’un pas décidé, le Capitaine rejoignit son poste de pilotage.


Au passage, c’est très bien, et qu’ça reste ainsi ! J’dis poste de pilotage pour que tout l’monde comprenne. Parce qu’on est d’accord, ça n’s’appelle pas comme ça ! On n’est pas dans un avion, c’est un bateau, un galion, du temps ancien, un vrai, un truc qu’a d’la gueule, quoi !

Bon, pour vot’e gouverne… gouverne, sur un bateau, vous captez la subtilité ? Non ?! Pfff… Pour vot’e culture… enfin, je n’sais même pas si vous savez c’que c’est… Pour vot’e euh… bon, just’ comme ça, comme ça vous l’saurez, le Capitaine, il monte sur la dunette.

Ok, je vois...

Non, j'n'ai pas voulu dire la lunette, la lunette de quoi d’abord ?! Des toilettes ?! Non ! Mais non pas non plus la Danette ! Qu’est-ce que viennent faire là-d’dans les Danettes ? Parce qu’on s’lève tous pour Danette ? Ah, ouais, je vois… en fait pas trop, j’vois surtout qu’y a du boulot… mais comme toujours c’est à moi de travailler.

La dunette, et je dis bien dUnette, avec un U. La dunette, c’est l’gros truc à l’arrière des vieux bateaux. Mais si ! C’est comme une maison qu’est posée d’ssus ! Là où faut monter pour aller à la barre, sur l’dessus, et en d’ssous la cabine du Capitaine. Non ? Toujours pas ? Bon, c’est toute la partie surélevée ! J’vais faire simp’e, c’est encore c’qu’il y a de mieux, il monte sur la passerelle du gouvernail… Oh mais arrêtez d’me r’garder comme ça ! Il rejoint la timonerie !

J’abandonne :

Le Capitaine retourne conduire le bateau en montant à son poste de pilotage. Voilà, tout l’monde visualise. Puis d’toute façon, pas la peine d’essayer d’vous faire gober c’que vous aurez oublié d’main, sous réserve que vous arriviez même à l’comprendre. Vous n’comprenez rien !


Vite fait, le capitaine retourna aux commandes ! Personne à la barre.


On n’va pas s’faire un cours de marine ? Si ? La barre, c’est le gros truc qui tourne et qui dirige le gouvernail, qui lui est dans l’eau. Vous avez d’jà vu un film de pirates dans vot’e vie, oui ou non ? Non, non, non, non, stop ! Je n’attends pas d’réponse, en fait j’n’en veux même aucune.


Le Capitaine s’aperçut que, sur ce coup, Second avait été futé, il avait eu la bonne idée de bloquer le gouvernail avec un manche en bois, assurant ainsi au bateau de suivre une direction quasi rectiligne.

– Pas mal Second, assez malin, parla-t-il pour lui seul.


Quoi ? Il n’a pas pu bloquer le gouvernail si c’est dans l’eau. Mais punaise de crotte de bique qui… qui… merd’ à la fin ! Vous n’avez pas fini d’me faire chier ?! Oh oui j’ai dit chier, encore ! Vous m’saoulez, très très fort ! J'suis en pleine cirrhose là !

Il a, puisque vous préférez, bloqué la roue du gouvernail, le gros truc que l’Capitaine tourne. Appelée en abrégé courant : gouvernail !

C’est bizarre moi aussi j’ai l’impression d’parler toute seule.

Bon, j'me fais du mal. Je souffle, je me calme, je recommence, calmement :

À l’arrière du bateau se trouve la dunette, partie sur laquelle se rend le Capitaine pour diriger le bateau. De là, il voit mieux, il est un peu en hauteur et surplombe l’océan ; il voit au-dessus des vagues. Sur celle-ci, la dunette, se trouve une roue, appelée roue du gouvernail. C’est comme un volant, mais en bois et avec des poignées tout autour, et qui permet de manœuvrer le gouvernail, qui je répète est … ? Dans l’eau, bien ! Le gouvernail, quand on tourne la roue, bouge de droite à gauche, le bateau bouge en fonction. Avant, ou pour les plus petits bateaux, une barre suffisait à bouger le gouvernail, c’est pour ça qu’on appelle aussi ça "barre". Alors pourquoi une roue ? Parce que sur les gros bateaux, si ça avait été une barre, il aurait fallu les bras de Hulk pour la manœuvrer et faire bouger le gouvernail. La roue permet de démultiplier les forces. Compris ? Non, pas tous, ah…

P’tits pirates, il y a bien longtemps que je n’vous ai pas fait une petite morale. Alors, la morale, mes p’tits pirates, c’est qu’des fois, il faut savoir me mentir, pour éviter qu’il y ait un mort.

Soufflez, dites-vous que j’n’ai rien entendu, je recommence, calmement :

Vous avez tous bien compris comment on dirige un bateau ? Oui ?! Non, j’n’y crois pas, oui ? Oui ! Merveilleux, du premier coup. J’vais parler calmement plus souvent, ça porte ses fruits. Ah, j’suis contente. J’suis contente.


Néanmoins, la direction en ligne droite, prise par le bateau, déviait légèrement de celle des femmes. D’un coup sec, le Capitaine ôta le bâton qui bloquait la roue et, avec adresse, calme et sérénité, rattrapa le bon cap. Aucun doute à avoir quant à la direction à suivre : l’amoncellement de nuages et la grosse tempête.

Les vaguelettes martelaient toujours la coque d'une sonorité douce et régulière.

Le Capitaine, par quelques petits ajustements rapides, orienta le bateau de manière à ce que le vent s’engouffre au maximum dans les voilures restantes. Très vite, il se rapprocha du bateau des femmes et vint le talonner. Le Capitaine n’eut pas besoin de prendre sa longue vue pour voir que la Commandante tenait la barre.


Si sur son bateau à elle c’est une barre ? Oh, put… calme, calme… calme-toi. Je suis sur le calme, c’est le maître mot, je raconte avec calme.


Le Capitaine arriva très bien à voir que la Commandante tournait d’une main la roue du gouvernail !


Oh, j’ai réussi. C’est mieux ? N’hésitez pas à me reprendre si j’me trompe, hein. Bien que, communément, couramment, en langage abrégé, on peut aussi appeler ça la barre, je crois l’avoir dit. Oui, je sais qu’j’l’ai dit. Mais bon, ok, vous avez raison, soyons précis, employons les bons mots et corrigez mon langage abrégé et inapproprié. Moi, c'est vrai, je n'ai jamais été pirate, c'est vous les experts.

Oh, au passage, je vous le dis, calmement, toujours, profitez, de mon calme, bande de petits insolents de mes deux – pour la définition réfléchissez et rappelez-vous, ce n’est pas si lointain –, vous me saoulez. Et, je pèse mes mots parce que je suis… je suis… ? Calme ? Voilà, c’est ça, je suis calme. Sinon, j’aurais dis qu’vous m’faites chier bande de p’tits encu… mais je suis calme, heureusement, sinon ça pourrait tanguer du mauvais côté.


Sentant le regard du Capitaine peser sur son cou.


Là, rien, personne ? Non ? Ok, puisque tout le monde a oublié la descente dans l’escalier, restons-en à "cou".


Ressentant une certaine gêne, la Commandante se retourna et fixa le Capitaine, qui releva aussitôt les yeux. Heureuse de l’avoir à nouveau pris en flagrant délit, elle lui sourit et, usant de ses pouvoirs, elle s’adressa à lui :

<< – Concentrez-vous, Capitaine. Sur la navigation, rien que sur la navigation. Car nous y sommes, la partie calme est maintenant terminée, entrons dans la tempête. >>


Sur l’instant, le Capitaine ne broncha pas et ne prit pas la peine de répondre, ni même de faire un geste quelconque. Avec calme et lenteur, il détourna simplement le regard, contemplant au loin la tempête qui s’annonçait de plus en plus impressionnante.


Finalement, usant de toute sa meilleure répartie, il se répondit à lui-même :

<< – C’est ça, même pas un « vous m’avez manqué », pas plus un « bon courage », j’oublie le « à très vite » et ne parlons pas du « bisou, Capitaine ». Par contre pour trémousser son popotin à la roue du gouvernail, ça, elle sait y faire. Garce. >>

<< – Je vous regarde toujours, vous savez. Je vois que vous marmonnez, criez donc si vous voulez me parler ! Je rappelle – tiens, comme ça vous vous l’rentrez aussi dans l’crâne – que je ne lis pas dans les pensées, je peux juste vous parler, en pensée. >>

<< – C’est ça, rappelle, rappelle, comme si je ne me souvenais pas de tes pouvoirs, sorcière ! >> – Voyez, lui il s’en souvient.


En bravant la distance et sans trop de difficulté, le Capitaine hurla ce qu’il avait en tête :

– J’en ai connu des tempêtes, mais rarement dans ce secteur, et jamais de si gigantesques ! Qu’est-ce qui nous attend ?

<< – Vous verrez bien. >>

<< – Oh, je verrais bien, rien de plus, rien de moins. Oh oh. Et bien soit, je verrai bien ! >>


N’oubliant pas de lancer une petite remarque plus adaptée, il cria :

– Vue de derrière, qu’est-ce que vous barrez bien, Commandante.


Chut ! Je ne veux rien entendre. On dit barrer, parce qu’on n’peut pas dire conduire et encore moins rouer du gouvernail. Voilà, je n’en rajoute pas plus. Chut, vous non plus !


N’oubliant pas d’effectuer un geste parfaitement adapté, elle se fessa la fesse droite de deux petites claques.

<< – Gardez cela en ligne de mire, vous arriverez sain et sauf. >>

– Si c’est une cible, je m’en viens l’atteindre !

<< – Je ne vous entends plus, trop de vagues, trop de vagues, trop de vagues… >>


Le Capitaine laissa un petit rire s’échapper, mais bien qu’il eut maintes répliques affûtées en tête, il n’en lâcha plus aucune.

Car subitement et dans un calme parfait, son professionnalisme vint reprendre le dessus. Fini de rire, fini de parler, il était maintenant là, fin prêt, prêt à vivre le présent, prêt à jouer et à œuvrer pour son plus grand rôle, prêt à être lui-même, Capitaine, capitaine d’un bateau de pirates naviguant vers la tempête de leur vie.


Et… et… et… bah… voilà… qu’est-ce que j’peux bien vous dire d’aut’e moi ? C’n’est pas que j’manque d’inspiration mais… mais bah voilà, y’a des fois n’se passe plus grand-chose. Et là, c’est l’cas, les bateaux avancent et vont arriver dans la tempête. Le Capitaine est concentré et il dirige le bateau. Il est sérieux, il travaille. Rien d’plus, rien d’moins ! Pas la peine de s’éterniser quand il n’y a pas d’action, sinon l’histoire elle ne s’finira jamais !


Les vaguelettes se transformèrent peu à peu en petites vagues. Vagues qui se contentèrent tout d’abord de percuter le bateau. Puis les petites vagues devinrent de plus grosses vagues. Vagues qui s’amusèrent à soulever le bateau.

Fini les nuages blancs, au revoir le ciel bleu. D’abord le premier, puis le deuxième, les bateaux entrèrent dans la grisaille. Grisaille qui ne dura guère longtemps, des nuages bien plus noirs et sombres prirent rapidement place. En même temps qu’eux, une pluie froide, drue, dense, torrentielle, s’abattit sur le pont.

Alors, les vagues ne s’amusèrent plus. Les vagues devinrent méchantes. Elles percutèrent, elles soulevèrent, elles se jetèrent sur les coques, dans le seul but d’inonder, de submerger, de chahuter… désirant ardemment faire chavirer.


En bon analyste, le Capitaine n’eut qu’un regret, qu'il exprima tout haut :

– Fichtre, j’ai les cheveux mouillés, j’aurais dû prendre mon chapeau.

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