19 - 2 - Le peu de tort occasionné, Pub

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À une autr’ époque j’lui aurais coupé la langue, elle peut s’estimer heureuse, j’m’en suis juste prise à une de ses nattes !

J’n’allais pas la tuer non plus ! Mais vous m’prenez vraiment pour une monstre sadique ou quoi ?! J’ai un cœur, j’ai des sentiments, je suis sensible.

Pour tout vous dire, je suis assez compatissante, honnête, timide, réservée et émotive. Si, si, à quatre ou cinq choses près.

Puis bon, mince ! Surtout, j’suis quand même trop belle pour être une monstre, non ?

Tiens, r'gardez, puisque c’est parti sur mon physique, n’ai-je pas de beaux cheveux longs, soyeux, pleins de vitalité, sans fourche, souples, onduleux, coiffés à la perfection ? C’est qu’j’en prends soin d’ma chev’lure : avant-shampoing, shampoing, après-shampoing, soins. Fini le lavage au sel sur les bateaux. Aucune coloration, un vrai châtain naturel ! Puis mes deux mèches, rouge et violette, la classe, non ? Et la longueur, just’ ce qu’il faut, pas trop longs, pas trop courts, mi-dos, sobre et élégante.

Et là, vous n'vous dites pas qu’j’aurais pu faire des publicités shampoinesques ? Non ? Pas du tout ? Moi, passer à la télé, impossible ? Et bah pourtant, figurez-vous qu’j’ai tourné dans une pub ! Si, moi ! Ah ah ! J’vous en bouche un coin là, hein ?! Car ouais, devant vous se trouve une star du petit écran ! Et oui, petites et petits pirates, oui, moi, telle que vous m’voyez, j’ai été diffusée, mondial’ment, dans une pub ultra connue !

C’était quoi la marque ? Euh… "Tahiti douche"… mais pas n’importe lequel, cheveux et corps ! Du moins plus corps en fait, avant on s’faisait pas suer avec deux flacons. Shampoing-corps faisait aussi savon-ch’veux. Et vous savez quoi ? J’étais la reine senteur coco !

Une vraie actrice, adulée, un jeu d’scène impeccable. C’n’est pas comme aujourd’hui, où ces pseudos starlettes agitent la tête pour faire voler au ralenti leur tignasse trafiquée. Oh que non, j’me les suis mouillés, moi, les ch’veux ! Pour de vrai qu’j’me l’suis frotté, mon corps !

J’vous r’fait l’topo : ciel bleu sans nuage, soleil éclatant, prises de vues sur une île paradisiaque - sur laquelle, soit dit en passant, j’avais bien des années auparavant enterré un trésor -, une petite chute d’eau qui coule de la falaise, des arbres en fleurs multicolores, tout ça au milieu d’une jungle luxuriante. Voilà, l’décor est planté. Moi, telle une déesse, j’entre dans le champ d’la caméra et directement, j’arrive nue… et bah ouais, nue !

Car à l’époque, petits et petites pirates, faut savoir qu’la publicité c’était sympa, on pouvait voir quelques p’tits culs bien foutus et d’jolis p’tits nichons. C’n’est plus comme maint’nant, maint’nant la pub c’est ridicule, on s’y lave en maillot d’bain, y’a qu’des gros plans sur les pieds, les épaules, les genous… si on a d’la chance on aperçoit un nombril. Super, top cool ! Wahou, trop beau ce coude. Les réclames actuelles sont aseptisées, c’est gnangnan du slip, vive l’éclate pourrie ! Non mais, c’est vrai quoi, c’est absurde, quand on s’lave, on est nus.

Oh la, oh la, j’vous vois v’nir, c’n’est pas parce que j’vous parle de pubs anciennes, bien meilleures, avec des acteurs, ou souvent des actrices, dénudés, qu’faut croire qu’j’suis une vicieuse !

N’essayez même pas d’me traiter d’vicieuse, n’osez même pas… p’tain elle a encore osé ! Mais c’est quoi ton problème ?! En plus j’suis sûre que tu n’sais même pas c’que ça veut dire "vicieuse" ! T’es vraiment pas possib’e ! Tu veux que j’m’occupe de ton aut’e natte ou quoi ?! À moins qu’j’m’en prenne à ton œil… comme ça au moins tu n’auras même plus à penser à ta conjonctivite !

Bon, où en étais-je ? Tu m’ennuies, tu sais ! Si ! Et continue comme ça et tu n’inviteras plus tes copains copines.

Donc, j’étais là, telle une naïade… une superbe créature, si vous préférez. Telle une superbe naïade, j’arrive nue, de dos.

Oui, on a vu mes fesses.

Oui, à la télé.

J’vous l’répète, encore une fois vous n’avez pas l’air de m’croire : à l’époqu’ on n’simulait pas, quand on s'l'avait, on s'l'avait nu !

Je dois vous préciser que je suis très pudique. Un peu… bon, j’ai bien aimé l’idée qu’mon corps de rêve soit à jamais gravé dans la pellicule. Soit à jamais filmé, quoi ! Parce que faut bien s’l’avouer, quel cul j’ai. Puis ça rapportait bien, n’faut pas non plus s'le cacher.

Quoi ? Si, parfait j’vous dis ! Et j’pèse mes mots. Cul ferme, rebondi, musclé, aux dimensions à faire rêver. Tenez, j’me lève, vous pouvez voir que je n’vous raconte pas d’bétises, j’ai d’belles fesses, bien proportionnées. Non j’n’enlève pas mon jean ! Ça n’va pas, n’importe quoi.

Tout ça pour vous dire que j’n’ai pas changé ; j’vous l’redis, je n’veillis pas vite physiquement. Vous allez peut-êt’e enfin commencer à m’croire.

Et Gigi ? Quoi Gigi ? Non, non elle est quasi comme vous. Du moins, avec beaucoup de défauts en plus. Elle est bavarde, irrespectueuse, pénib’e, effrontée, a tendance s’mêler d’tout et rien et me désespère à jouer sans arrêt d’son violon qu’elle trimbale partout !


Allez, laissez-moi terminer avec ma pub :

J’avance lentement sur la mousse des rochers, m’exhibant moi et mes tatouages, pour me diriger vers la cascade.

Oui, je suis tatouée, on va vraiment s’arrêter sur chaque détails de mon anatomie ? Oui, de vrais tatouages de pirates ! Certain’ment pas des trucs tribaux à la mode ou des "I love maman d’amour" grotesques sur le cœur. Non, j’ai des tatouages, des vrais ! N’la ramène pas, Gigi !

C’est quoi ? Euh… j’vais vous l’dire sinon elle va m’balancer. Une p’tite licorne noire aux reflets cuivrés sur l’épaule droite, à l’opposé une p’tite licorne ivoire. Un p’tit drapeau d’pirate sur la hanche gauche. Trois cercles autour d’mon biceps droits. Que j’vous les montre ? Non, vous ne l’méritez pas, vous n’aurez qu’à r’trouver la pub.

Donc je marche, et au passage je chope mon "Tahiti douche", lait d’coco, j’vous l'rappelle. Pas mangue, ça c’était pour la blonde. Fruits rouges, seulement pour la rousse. Bois d’ébène, pour la brune. Ouais, avant on n’se compliquait pas la vie.

Quand j’y r’pense, des coquines ces trois là. On s’est essayées à une publicité ensemb’e. D'ailleurs, tout était prêt pour la tourner. V’là l’topo : On attendait qu’la pluie tombe, elle est arrivée. On s’est déshabillées, on s’est ruées dehors. Au passage on a chopé nos "Tahiti douche", et dans le plus simple appareil donc, on s’est mises à piaffer et à… n’plus penser à la caméra... et ça a mal tourné…

Pourquoi ? Disons qu’on s’est trop savonnées... on a dérapé…


Bon, revn’ons en à ma pub, j’m’égare.

J’entre sous la cascade, l’eau éclabousse mes cheveux, perle sur mon corps, coule tout le long de mon mètre soixante douze. Gros plan sur mon visage, mes grands yeux verts transpercent l’écran, je souris, je suis belle et heureuse.

Hors caméra, on m’fout trois tonnes de savon dans les mains, fallait qu’ça mousse un maximum, c’était une pub et fallait vend’e le produit.

Je m’r’trouve donc avec plein d’savon mousse et v’là que j’m’e frotte les ch’veux, le visage, la poitrine. Gros plan sur mes seins, fermes, bien en place, symétriques, les deux p’tits tétons dressés. Ouais, l’eau n’était pas si chaude.

Plan plus large, je descends sur mes abdominaux bien dessinés.

Zoom, sur mon… flacon noix d’coco, placé comme il fallait pour cacher mon intimité. Mais vous croyez quoi ? Qu'j’étais là pour m’exhiber ? Vous n’êtes pas bien ! C’est une pub, oh oh ! On était libéré, mais quand même, c’n’était pas un film cochon !

Vision d’mes cuisses, lisses, musclées, de sportive, puis nouveau plan de dos. Le savon est rincé par l’eau ruisselante et forme une marre blanche à mes pieds. Et là, le slogan : « secoue, secoue-moi ».

Euh non ! Non, non. Ça c’est aut’e chose.

Quoi, quel aut’e chose ? Euh… C’est Orangina ! Oui, c’est Orangina ! Style vous n’connaissez pas. Si j’ai tourné dans une pub Orangina ? Non, j’n’ai pas eu besoin d’Orangina pour qu’on m’secoue. Ah ah ah. Euh… n’faites pas attention, je rigole toute seule.


Et ? Ah oui le slogan : Taaahhhiiitttii… contient du paradis.

Et voilà, une star de la télé qu’j’vous disais.

Si j’en ai faite d’autres ? Non juste celle-ci. Je me suis arrêtée en pleine gloire. Mais rien n’est définitif, j’en r’ferai peut-êt’e un jour.

Des questions, des autographes ?


Pourquoi j’ai eu parfum coco, alors que j’n’ai pas les ch’veux blancs ? P'tain, rien n’vous échappe ! Bon, pour faire court, si, si, promis, vl’à l’topo : Une soirée déguisée, je suis invitée, j’y vais. LE, producteur est là. Mais je ne l’savais pas. J’arrive déguisée en vahiné… une danseuse des îles si vous préférez. Et pour parfaire mon costume, je portais un soutien-gorge fabriqué avec des noix d'coco. J’vous passe les détails d'la soirée arrosée où au final j’ai fait sensation. J’ai, tout bonnement, été repérée, et choisie comme Miss parfum coco.


Bon pourquoi on en est v'nus à parler d’tout ça ?

Quoi Gigi ? Ah oui, à cause de tes ch'veux… Bon, c’est bon, y’a pas mort d’homme non plus, c’est qu’des ch’veux ! Ça va r’pousser ! Tu mettras c’bonnet péruvien qu’t’aimes tant, tiens. Ça va, ne m’r’garde pas comme ça, j’n’ai pas coupé à la racine. Puis i’ t’reste une natte sur les deux. Ça n’se voit même pas… trop.

Quoi ? D’toute façon tu t’en fiches tu voulais avoir les ch’veux courts ? Oh, la p’tite peste. Tout c’chapitre pour rien en somme !

Ok, ok, restons-en là, j’accepte tes excuses et je te pardonne. Voilà, on est quitte.


Sinon, quelqu’un d’autre pour tester l’mot menteuse ? Non ?

Chouette, j’suis heureuse de voir qu’vous m’faites totalement confiance. Donc maint’nant, si j’vous dit qu’la Commandante l’a dit, c’est qu’elle l’a dit. Et nous en arrivons donc à ce fameux « plus tard ».


Oh non ! J’vous ai perdus. Je… je… vous… vous… vous vous n’souv’nez plus de ce fameux « plus tard », c’est ça ?

Je recommence : la Commandante a déclaré : « Pourtant il va falloir discuter du peu du tort que vous avez occasionné, mais laissons ça à plus tard ». Voilà où nous en étions ! Un peu d'mémoire, mince ! Si on n'peut même plus bifurquer légèr'ment d'l'histoire, où va-t-on ?

Allez, on reprend :


– Je vous avais dit que l’on devait laisser cela à plus tard. Juste avant que je ne me présente à vous. Ne faites pas comme si vous ne vous en souveniez pas, dit la Commandante.


Voyez, en plus elle le répète ! Si ça, au final, c’n’est pas une preuve qu’elle l’avait bien dit.


– Oui, oui, ça me revient.


Et là, c’est pour moi le jackpot, même le capitaine s’en souvient ! Alors hein ?! C’est qui, au final-final, la menteuse ? Ah, plus personne ne la ramène ! Non mais, menteuse, dire qu’elle a osé, ma propre fille !


– Mais… qu’entendez-vous donc par ce terme de "peu de tort occasionné" ? demanda le Capitaine qui, sur ce point, n’avait aucune idée, mais vraiment aucune, d’où elle voulait en venir.

– J’entends qu’il est temps, et tant que je suis bien disposée, de poursuivre dans une parfaite union.


Le Capitaine regarda la Commandante d’un air interrogateur.


– Oui, ça va de soit, poursuivons dans une union parfaite. Ça me va. Allez, je vais dire à mes hommes de tous embarquer dans notre bateau. À moins que vous ne souhaitiez mélanger les équipages ?

– J’ai l’impression que vous ne comprenez pas ce que veut dire une parfaite union. Vous avez occasionné un peu de tort, je demande réparation pour que tout puisse s’équilibrer. Tout est toujours une question d’équilibre, sinon mes femmes ne seraient pas ravies. Vous ne voudriez pas qu’elles se fâchent, n’est ce pas ?

– Non, loin de moi cette idée.

– Alors, je vous le demande, quel homme désignez-vous ?

– Je pense qu’il y aura plein de volontaires, allons le leur demander, répondit le Capitaine toujours quelque peu perdu.

– J’imaginais que vous décideriez ; je pensais à quelqu’un auquel vous ne seriez pas trop attaché. Peut-être celui que vous avez rossé, ou bien un des deux qui se sont battus ensemble, ou plus justement celui qui a tiré le boulet et a occasionné le tort. Cela serait je pense, naturel, que ce soit lui, mais je peux comprendre que vous le considériez comme un bon artilleur.


Petit à petit le Capitaine commença à comprendre.


– Euh, attendez, mais de quoi parle-t-on, exactement ? Je pensais que nous étions amis et dans le même camp.

– Bien sûr, bien sûr, mais cela ne veut pas dire qu’il ne doit pas y avoir de sanction. Rassurez-vous, rien ne sera remis en question.

– Attendez, si je suis votre raisonnement, vous me demandez donc de choisir un homme pour réparer un tort occasionné.

– Oui, cela est exact.

– Jusque là j’ai donc compris. Par contre, je n’ose pas comprendre ce que vous allez faire de cet homme. Et puis, c’est quoi ce tort occasionné, de quoi parlez-vous à la fin ?! pesta le Capitaine énervé de ne pas saisir le fin mot de cette histoire.

– Capitaine, pardi ! Une femme a été tuée, par un de vos boulets de canon ! Nous allons donc tuer un de vos hommes. tuer un de vos hommes.

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