16 - 1 - La mission, récréation

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– Capitaine, trop de questions, bien trop de questions, continua la Commandante.

– Oui mais… tenta-t-il d’intervenir.

– Et comprenez qu’il y a des choses que nous ne pouvons vous révéler.

– Ah, mais… tenta-t-il d’intervenir.

– Chacun ses secrets et ses petites cachotteries.

– En effet, mais… tenta-t-il d’intervenir.

– Vous ferez vous-même vos déductions, ou découvrirez notre façon de vivre plus tard.

– Certes. Puis-je en placer une ? Intervint-il.

– Bien entendu, le duologue est un échange.

– Dialogue. Il me semble que vous avez su me reprendre.

– Marrant, tout de même, ce terme de duologue. Mais entendez que nous ne pouvons pas dire triologue, quadrologue, cinquologue, sexologue, et ainsi de suite, expliqua-t-elle.

– Sixologue, la reprit-elle.

– C’est ce que j’ai dit, s'insurgea-t-elle.

– Non, vous avez dit sexologue.

– Non, cela c’est ce que vous avez compris.

– Vous êtes de mauvaise foi, Commandante.

– Pourquoi aurais-je dit sexologue au lieu de sixologue ?!

– Parce que vous êtes portée sur la chose et que votre langue a dû fourcher.

– Capitaine, ce n’est pas vous qui m’émoustillez en tout cas, dit-elle toute souriante.

– Et voilà que vous redevenez imbuvable !

– Laissez ma cyprine tranquille, contentez-vous de boire votre rhum ! se fâcha t-elle.


Hein, quoi ? Cyprine, qu’est-ce que c’est ? Non, j’n’ai pas dit cyprine, pourquoi aurais-je dit cyprine ?! J’ai dit… dit… cypriline, oui, cypriline ! Stop, arrêtez ! Ne dev’nez pas d’mauvaise foi ! C’n’est pas la peine d’vous inspirer du caractère des personnages, le votr' est suffisamment détestab'e comme ça. N’insistez pas !

Et donc c’est quoi cypriline ? Et bah, c’est, euh… c’est… un liquide étrange sécrété par une fleur magique dont raffole la Commandante. Voilà, voilà. Allez, on passe à autre chose.


– Allons, apportez-moi quelques explications, vous me devez bien ça, s’obstina le Capitaine.

– À moins que je ne me trompe, mais nous ne vous devons rien.

– Si je ne me trompe pas, je suis ici parce que vous attendez quelque chose de moi.

– Pour l’instant vous ne vous trompez pas.

– Donc avant de faire quelque chose pour vous, ne croyez-vous pas qu’il faut que j’apprenne à mieux vous connaître ? En plus, vous-même m’avez jugé !


La Commandante réfléchit et regarda la Générale. Le silence dura. Le Capitaine observa leurs regards intenses. Il remarqua des haussements de sourcils, des hochements de têtes, des nasaux frémissants. D’un coup, il réalisa :

– Là, puisque je commence à m’y habituer, j’en déduis que vous communiquez entre vous, est-ce bien ça ? Oui, je suis sûr que vous êtes en train de discuter par la pensée. Comment fonctionne cette… télépathie ?


Toutes deux tournèrent alors leur regard vers le Capitaine ; puis se regardèrent à nouveau ; enfin la Générale hocha la tête.


– Comme vous voudrez Générale.


Se tournant alors vers le Capitaine, la Commandante s’adressa à lui :

– La Générale est d’accord pour vous livrer quelques informations. En fait, elle est même assez ravie que vous vous intéressiez à nous. Tous ne sont pas si curieux. Elle comprend que vous puissiez demander à mieux nous connaître.

– Je trouve normal de m’intéresser à ce qui m’apparaissait impossible il y a peu. Je suis tout ouïe pour tout savoir.


Le Capitaine décroisa ses jambes, mis les coudes sur ses cuisses et se pencha en avant, prêt à être captivé par les révélations à venir.


– Vous devrez être un peu patient. Comme je vous le disais, vous en saurez beaucoup plus sur nous en temps et en heure.


Tututute ! Silence ! C’n’est pas possible, arrêtez d’vous agiter. Quoi ? C’est qu’vous aussi vous êtes impatients d’tout savoir ? C’est qu’j’suis trop longue. Vous voulez qu’l’histoire avance plus vite.

Attendez, attendez, j’ai commencé à vous raconter cette histoire depuis… voyons voir, quarante minutes ? Une heure tout au plus. Bon, vous pouvez t’nir encor’ un peu, non ? J’vous rappelle qu’vos parents vous ont confiés à moi pendant encore quelques heures. Allez, pour vous apprendre la patience et puisque ça m’a été réclamé d’puis un moment, récré pour tout l’monde ! Dehors ! Ouste ! Pause.

Une dernière chose avant d’sortir, just’ une p’tite moralité qui m’vient à l’esprit :

La moralité, mes p’tits pirates, c’est qu’dans la vie, il ne faut pas être impatient. Tout arrivera un jour ou l’autre, en temps et en heure, pas la peine de s’précipiter. Méditez là-d’ssus !

Non, il n’y a rien d’plus, c’est bon, dégagez !


Stop, stop, on n’court pas dans la maison ! Puis pas la peine d’essayer d’tous passer la porte en même temps. Un par un ça marche très bien, la porte ne bougera pas. Toi, là bas, tu n’vas quand même pas sortir en chaussettes ? R’mets tes chaussures ! Ton manteau, tu vas êt’e malade ! Tire pas sur son écharpe tu vas l’étrangler ! Ce n’sont pas tes chaussures ? Qui lui a volé ses chaussures ?! Tu veux faire pipi ? Oui, bon bah tu f’ras près d’l’arbre au fond du jardin. Hein ? Tu n’peux pas t’es une fille… ah… toi, tu peux en vouloir à mère Nature. Les toilettes sont au fond à droite.

Il y a d’jà quelqu’un qui est en train d’faire caca ? Quoi ?! Mais c’est incroyab’e que vous n’puissiez jamais vous ret’nir ! Surtout pour la grosse commission ! À croire qu’ça vous prend comme ça : « Tiens, si j’allais faire popo, oh oui, ici ça m’a l’air bien… » Vous faites ça pour marquer vot’e territoire ou quoi ? Et Autant l’pipi-caca vous amuse, vous les enfants, qu’moi beaucoup moins. Surtout dans, mes, toilettes !

Bon, où est "Intello-bouseuse" ? Ah, viens là toi, n’te sauve pas. En tant qu’experte, félicitations, première mission, tu t’assureras qu’il n’y ait pas d’traces partout. Chut, ne m’remercie pas pour cette mission d’confiance. Allez, file !


Qu’est-ce qu’il y a ? Tu as faim ; mange ta main et garde l’aut’e pour demain. Me r’garde pas comme ça, un peu d’humour. Y’a des haricots et des épinards dans l'frigo, va t’servir. T’as plus faim ? Problème résolu. Tu veux du Nutella ? Puis quoi encore ! J’ai du "Choconussa", c’est plus mauvais pour la santé, mais c’est moins cher et ça a l’même goût. Du coca ? J’en ai du vrai, ce n’sont pas les sodas régionaux qui remplaceront c’nectar ! Puis l’coca, ça n’peut être que bon pour la santé. Je n’sais pas si vous l’savez, mais à la base c’était quand même un médicament. Tu préfères l’Pepsi ? Tu veux qu’j’te tape ?! T’arrêtes tout d’suite le Pepsi, t’arrêtes de faire la maligne, et tu bois du Coca-cola, du vrai, tant qu’tu veux, comme tout l’monde ! Pepsi, pfff, n’importe quoi.


Goûter après la pause ! J’prépare. Après la pause j’ai dit, fiche le camp !


Pourquoi tu restes assis là, toi ? Ah, tu n’as pas d’copain. Sache que dans tous les groupes, quelqu’ils soient, il faut absolument un vilain canard. C’est comme ça, c’est une loi, c’est universel. Pas d’chance, ça tombe sur toi ; si j’peux t’rassurer, sache que ton rôle est très utile. Grâce à toi, les autres ont quelqu’un sur qui s'défouler. T’es en fait comme une sorte de bien d’utilité publique. Félicitations ! Rassuré ? Allez, va donc dehors, ils cherchent quelqu’un pour être choisi en dernier dans l’équipe de foot. Tu n’aimes pas l'foot ? T’inquiète pas, tu s’ras dans les buts. Tu n’aimes pas êt'e goal ? J’commence à comprendre pourquoi ils en ont après toi… Les autres vont tirer de toute leur force et après ils vont te crier d'ssus ? Tu m’as écoutée ou quoi ?! C’est ta destinée, t’es né pour ça ! File ! P’tain, casse bonbons ç’ui là. Faudrait l’présenter aux campagnes anti-harcèl’ment, ça chang’rait peut-êt’e la donne…


P’tain ! Mais quel bande de gorets. Vous êtes pires que des cochons ! R’gardez-moi ça, une porcherie, mon salon. Et v’là qu’ça renverse du coca sur l’canapé, v’là qu’ça fait tomber son Choconussa sur l’tapis, v’la qu’ça s’essuie les mains sur ma nappe… J’n’y crois pas ! C’est quoi ces haricots prémâchés qui trempent dans l’fond du verre ?! Restez assis, bougez plus, plus un geste. Je n’veux plus vous voir remuer pendant que j’nettoie. Quoi ? Non, "Intello-bouseuse", j’n’ai pas besoin de la brosse des toilettes ; tu peux aller la remettre en place ; tout doux… mais merd… ouille ! Tu n’vois pas qu’elle goutte partout ! Arrghhh !


C’est bon, c’est prop’e, on r’prend, et maint’nant, vous n’bougez plus. Car moralité, à vos chers parents, si vous avez la malchance de recueillir un groupe d’enfants, pensez à les attacher, à les séquestrer dans une seul’ et unique pièce, ou mettez-les d’vant la télé. Vous pouvez même tout faire à la fois !


Allez, si vous voulez connaît’e la fin, on va s’dépêcher un peu !

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