VI

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On toqua à la porte mais nous n’osions pas ouvrir. Cependant, après plusieurs secondes d’hésitation, Adonis ouvrit. Le soldat remettait son casque droit et déclara :

—Monsieur Adonis, au nom de l’unité nationale, nous sommes dans l’obligation de vous arrêter.

—Qu’est-ce que vous racontez ? Qu’est-ce que j’ai fait ?

—Nikolis, tu peux lire le mandat d’arrêt de monsieur, dit le capitaine du petit contingent qui se trouvait en rentrer par rapport aux autres.

—Youkoubaté dra, mon capitaine, annonçait-il fièrement en mettant la paume de sa main sur son cœur, sous ordre du très grand pape Sakis deuxième du nom, Adonis, fils de Ménélas a transgressé le troisième commandement. Je cite L’Exode, chapitre 6, verset cinq : « En moi et moi seul, le Phénix, le créateur de toute chose, tu croiras, sinon tu mourras ».

Je commençais à suer, Adonis de même. Comment pouvaient-ils être au courant, il n’y avait qu’Adonis, moi et Litsa… Non, elle n’aurait pas pu faire ça, elle n’aurait pas pu dénoncer son mari, tout de même ? Non, soit sérieux et réfléchis, Alès, pensais-je. Mais j’avais beau y réfléchir autant que je voulais, les pièces du puzzle ne s’assemblaient pas. Mais j’eus une éclair de génie, je ne pouvais pas l’abandonner, alors je m’écriais :

—Avez-vous des preuves de ce que vous…

—Arrête, Alès, puis, en se tournant vers les soldats, je me rends, je coopérais avec vous.

Non, Adonis, pas comme ça, non, ce n’était pas possible. Oui, c’était simple après tout, j’étais en train de rêver. Il n’y avait aucun doute que j’allais me réveiller d’ici peu de temps. Sacré cauchemar, tout de même. Je pinçai la joue, mais évidement que rien ne se passa, hormis une légère sensation douloureuse qui se propageait de ma joue jusqu’à tout mon corps. Adonis s’éloignait de moi et je ne pouvais rien faire pour l’en empêcher. Des soldats mirent des cordes — elles étaient en un matériau particulièrement résistant, même un géant ne pouvait la détruire — autour des membres d’Adonis afin de l’empêcher de s’enfuir, même s’il n’avait pas l’attention de le faire.

Je sortis de la maison en pleurant, en bousculant le capitaine qui s’était rapproché de la porte d’entrée, je tombai par terre, puis, en rampant, j’apercevais du coin de l’œil mon ami qui partait. Une nouvelle fois, cette putain de vie allait me prendre quelqu’un qui m’était chère. J’avançai en rampant, mais deux gardes me relevèrent et m’emmenèrent dans la maison, mais juste avant, j’eus le temps de voir Adonis me faire une signe de la main, le même qu’il me faisait enfant pour signifiait que tout irait bien. « Mon ami », criai-je.

On m’asseyait sur une chaise, tandis que Litsa, le visage sans expression, était assise dans le fauteuil à mes côtés. J’essayais de mettre ma main sur sa cuisse, mais elle ne réagissait pas. Je lui glissai : « Je le vengerai, je te le jure. Et je tuerai de mes mains celui qui l’a dénoncé ». A ces mots, elle me gifla. Le capitaine, ainsi que les deux soldats présents dans la maison rigolèrent. Puis, le capitaine fît mine de tousser et tous se taisaient, puis, il s’asseyait en face de nous et déclara :

—Madame…euh, excusez-moi. Mademoiselle Litsa, vous avez fait le bon choix.

—Seulement l’avenir nous le dira…

Je fusillai Litsa du regard, un regard partagé entre incompréhension et haine. Incompréhension d’abord puisque je ne voulais pas croire que c’était elle qui avait dénoncé Adonis et haine aussi puisque j’étais déterminé à sauver Adonis, quitte à transgresser toutes les règles. Ces deux-là m’ignoraient totalement, le capitaine avait tendu sa main à Litsa dans laquelle se trouvait dix pièces d’or.

—Pff, pour de l’argent, voilà pourquoi tu as vendu ton mari. Je jure que je vais te massacrer, annonçai-je. Et quand tu es allée à Décapole, c’était pour aller voir l’armée, c’est ça. Hein ? Répond-moi quand je te parle !

Mais alors que j’avais saisi le bras de Litsa, qui ne débattait même pas, le capitaine me poussa par terre avec tellement de facilité que j’avais presque honte de me considérer comme un homme. Il m’avait dit :

—Un geste de plus, un mot de plus, et…

—Et qu’est-ce que tu feras ? Le coupai-je.

—… on s’occupe de ta sœur, si tu vois ce que je veux dire.

Qu’est-ce qu’Hécube avait à voir avec tout ça ? Argh, j’étais tiraillé entre un douloureux choix, mais je devais m’abstenir de bouger ou de parler, sinon ils feraient du mal à ma sœur, et ça, je ne pourrai pas le supporter. Je baissais la tête pour faire comprendre au capitaine que je ne tenterai rien d’anormal. Et une nouvelle, ils reparlaient eux deux en m’ignorant, comme si je n’étais qu’un simple moustique :

—Mademoiselle, vous ne devriez pas conserver cet enfant. Son géniteur n’est pas quelqu’un de bon et cet enfant sera forcément mauvais, tout comme lui. Tenez, c’est une lettre que je vous écrites afin que vous puissiez voir un médecin à Décapole. C’est le meilleur de toute la région, il s’occupera bien de vous.

—Merci, capitaine, répondit timidement Litsa, encore sous le choc.

—Thémis, Thémis c’est mon nom. N’hésitez à venir me voir à l’occasion. Ce sera avec plaisir de vous revoir. Bonne fin de journée, mademoiselle.

Sans un regard vers moi, il sortit de la maison, suivit par les deux soldats. Je quittai temporairement la maison moi-aussi (j’avais encore des comptes à régler avec Litsa) et je lançai à ce fameux Thémis :

—Nous nous reverrons, capitaine. Et ce jour-là, je vous reprendrai Adonis.

Il gloussa, puis ordonna à ses soldats de partir. Lui, était confortablement dans un chariot. Adonis était juste devant le chariot et le capitaine s’amusait à le fouettait. Quel monde cruel. Pourquoi est-ce que tout cela nous arrivait ? Ne pouvions pas juste avoir une vie banale, où nous mourions simplement à trente ans à la suite d’une fièvre ? Non ! Il fallait que tous les éléments soient contre moi. D’abord Hécube, puis mes parents et maintenant Adonis. Qui sera le suivant ? Chérilos ou Rhodopien ? Ils pouvaient mourir, je n’en avais plus rien à faire d’eux. Plus rien n’importait désormais. A quoi bon vivre, si c’était pour être malheureux, si c’étais ça ma destinée, oui, être triste, simplement ça et rien que ça. J’aurais peut-être mieux fait de… Mais j’arrêta de penser. En face de moi, devant le parvis de l’Église, je voyais le père Énée en train d’applaudir. Où avais la tête, Litsa n’a pas pu prendre cette décision toute seule, elle n’a d’ailleurs pas pu la faire, c’était le père qui l’avait dû l’influencer.

Je marchais vers le père Énée et je le secouai en lui demandant si ce qui venait d’arriver était sa faute, mais dès que je le touchais (toucher un père était interdit dans notre religion), Chérilos m’écarta de lui, il mit sa main sur mon épaule en me conseilla :

—N’aggrave pas ton cas, et ne t’en prends pas au père, le seul fautif dans cette histoire, c’est Adonis.

—Mais vous vous étiez promis de vivre, tu ne comptes rien faire ? Lui demandai-je désespérément.

—Si, mais le Phénix est au-dessus de cette promesse. Tu ne te rends pas compte à quel point je me sens trahis. Dire que mon pauvre père, paix à son âme, l’a recueilli. De là où il est, il doit regretter son acte.

Je voulais lui répondre, mais au moment de prononcer un mot, ma bouche se ferma. De toutes les réponses auxquelles je m’entendais, celle-là me surprenait. Comment pouvait-il sortir de telles paroles, lui qui considérerait Adonis comme son frère — c’était comme s’ils avaient le même sang — il y avait encore quelques minutes. Voir à quel point son opinion sur son propre frère avait pu changer en si peu de temps me dégouta. Je n’avais plus aucun respect pour cette homme, que dis-je, pour cette merde. Je dégageai sa main souillé de mon épaule ; on dit que touchait une personne lui procure toujours du bien, maintenant je pouvais dire que c’était faux. A présent, et surtout au futur, je ne pourrai plus le regarder droit dans les yeux.

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