V

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Pendant les deux années qui suivirent, Rhodopien et moi ne les avions que très peu vus. Ils s’étaient renfermés sur eux-mêmes, restant dans leur maison et leur champ, tel un concon qui les protégeaient du monde extérieur et du contact des gens. J’avais essayé de discuter avec eux, mais dans cet échange, j’étais le seul à parler. Le monde autour d’eux s’étaient anéanti, ils n’apercevaient aucune lumière, ils ne voyaient que les ténèbres parvenir jusqu’à leurs yeux.

Quelques temps avant leur quinze ans, le père Enée m’avait accompagné pour préparer la quincénera des deux frères, mais ils ne voulaient rien savoir, ils refusèrent de la faire. Bien que le père tentait de les convaincre, je lui disais que c’était inutile, qu’ils étaient suffisants grands pour prendre des décisions. Cette remarque m’avait valu deux regards remplis de mépris, mais je n’en avais rien à faire, il fallait que quelqu’un dise tout haut ce que tout le monde pensait. Ces deux-là ne sortaient plus, ne venaient même plus à l’Eglise et refusaient de tourner la page, mais personne au village n’avait le courage d’aller leur dire en face d’arrêter de se remémorer le douloureux passé et maintenant avancer pour continuer à vivre. Mais leur réaction fût simple, il — Adonis — m’incita à sortir rapidement de sa maison. Je ne fis pas attendre. Ils m’énervaient à rester entêter. Oui, ce qui leur étaient arrivés était très dur à supporter, surtout à leurs âges, mais il faut savoir et pouvoir mettre de côté toutes les choses négatives et continuer de vivre. Ménélas, Mara, Cléon, eux, n’auraient pas voulu les voir ainsi, si tristes, si malheureux, si mort dans leur corps de vivant. Alors, je me donnai comme objectif de leur redonner goût à la vie.

Je venais les voir tous les jours, plusieurs fois même si ma journée le permettait. Bien sûr, la porte restait fermée, mais je leur parler depuis derrière. Je ne savais pas s’ils m’écoutaient, mais je savais qu’ils m’entendaient. Au bout de trois-quatre mois d’harcèlement, je n’y allais plus qu’une fois ou deux par semaine. Puis, six mois après ma quincénera, ma sœur tomba gravement malade. Je n’avais plus de temps à leur accorder, alors, Rhodopien me succéda, mais rien ne changea vraiment. Vers la fin de l’été, une nouvelle famille arriva dans notre village. Ils avaient dû quitter leur domaine à cause d’une mauvaise récolte et d’une épidémie. Ils étaient les seuls survivants. En plus des parents, il y avait un garçon et deux filles, dont une, de quatorze ans, qui se prénommait Litsa et qui était extrêmement jolie. Ils demandèrent la charité au père Enée qui les dirigea vers la maison des deux frères. Ces derniers avaient une nouvelle fois une très bonne récolte, mais refusait d’aller dans d’autres villes pour les vendre. Lorsque le père de famille frappa à la porte, la voix rauque d’Adonis résonna dans tout le village, il s’était écrié « Qui va là, encore ? ». La puissance de cette voix avait fait pleurer la petite sœur de Litsa de six ans sa cadette. Adonis, qui avait entendu les pleurs d’une petite fille, ouvra la porte qui était resté fermer depuis si longtemps et s’excusa aussitôt. Mais devant lui, il avait les deux parents à genoux qui le supplier de les aider. Gêné par tous les regards indiscrets qui venait dans sa direction (à cause de sa voix, tous les habitants étaient sortis et les voyaient), il les fît entrer.

Ils discutèrent et finalement, les deux jeunes hommes acceptèrent d’héberger la famille chez eux. Pendant toute cette durée (ils restèrent environ six mois, le temps que le père, aidé par les autres hommes du village, construisait leur nouvelle maison), les deux frères, mais surtout Adonis, se réouvrèrent au reste du village. Ils côtoyaient désormais d’autres personnes quotidiennement et cela leurs faisaient du bien.

Le géant était troublé lorsqu’il était dans la même pièce que Litsa. Elle était bien plus petite que lui, ses cheveux, d’un brun clair, presque blond, s’accordaient avec la couleur des murs en bois, et s’entremêlaient dans un désordre sans nom. Bien qu’elle était assez maigre lorsqu’elle était arrivée, désormais, à travers son accoutrement, une simple robe que sa mère lui avait cousue, on pouvait facilement discerner ses formes généreuses, jamais maigre, jamais obèse, elle profitait de toute la nourriture qui était à sa disposition. Certainement que la migration qu’elle avait dû effectuer l’avait traumatisé et lui avait fait comprendre à quel point la nourriture était importante et qu’il ne fallait pas la gâcher. Pour tout ça, Adonis la trouvait sublime, comme la plupart des garçons du village. Mais il ne savait pas comme s’y prendre ave elle, qui avait un caractère bien trempé. C’était avec le temps que ces deux se rapprochèrent. Quand la famille s’installa dans sa nouvelle maison, Adonis essayait de toujours trouver du temps pour la voir. Il avait enfin décidé, inconsciemment, de revivre. Chérilos, inspiré par la joie de vivre de son frère, commençait lui aussi à ressortir. A travers la fenêtre de la chambre d’Hécube, je pouvais les revoir marcher dans l’unique rue, comme avant la mort de leurs proches. Cela me faisait plaisir de les voir afin reprendre goût à la vie, ils n’étaient plus satisfaits par le simple fait de vivre.

Après plusieurs années de séparation, nous nous sommes afin réuni tous les quatre, comme au bon vieux temps, comme lorsque nous étions des enfants insouciants. Mais à présent, nous étions des hommes. D’abord, sans surprise, Adonis s’était marié avec Litsa. Puis, Rhodopien se maria avec Tamia, une naine qui se trouvait être sa cousine. C’était assez commun que les nains se marie avec des gens de leur propre famille. On racontait aux enfants, qu’autrefois, à une époque où il n’y avait pas de pays, pas de roi, quand seul la loi du plus fort régner, qu’aucune des trois autres races ne voulaient se mélanger avec les nains. Si bien que pour qu’ils perdurent, les premiers nains étaient obligés de se marier avec des membres proches. Mon père me disait également qu’il y avait une cinquième races, aujourd’hui éteinte, un mix entre humain et des soi-disant ancien dieux, vénéré par les premiers habitants de la planète. Cette race aurait régné sur toute terre et sur les quatre autres races et que sa grandiose et sa richesse nous serait inimaginable. Ils voulaient construire une tour pour atteindre les cieux, l’habitat de leurs Dieux. Mais leur hégémonie cessa grâce à un humain, l’envoyé du Phénix, celui dont nous sommes les descendants, qui les extermina tous. Cette histoire était celle de Vivus, l’éternel voyageur. Mon père me disait que l’histoire raconté par la Bible n’était pas exacte, qu’elle était romancée et qu’un Vivien n’avait jamais existé. Je ne l’avais jamais cru parce que, quand je lui demandais comment il était au courant de tous ça, il bafouillait et refusait de me communiquer la vérité. Même sur son lit de mort, il n’avait pas parlé.

Donc, Rhodopien s’était marié avec Chrysa, sa cousine, qui habitait dans un village voisin. Enfin, ce fût au tour de Chérilos de se marier. Il s’était pris d’affection pour une nègre qui était passée dans notre village avec sa famille. Il avait parcouru tous les villages environnants pour la retrouver. Lorsqu’il était revenu, un mois plus tard, il était avec Persa, sa promise. Tous avaient une maison, une femme, des terres et étaient heureux. Ce bonheur d’avoir un foyer, une famille et un avenir promis de bonnes choses, tout ceci faisait qu’ils avaient une raison de vivre. Et moi, qu’est-ce que j’avais ? Une sœur et deux parents qui allaient mourir dans quelques mois. Quelle vie menais-je ? Vivais-je pour moi ou pour eux ? La réponse était simple, leur bonheur passait avant le mien et l’état de ma sœur passait avant tout. Chaque jour, je passais plusieurs heures à ses chevets, à attendre que son état s’améliorer, mais en vain. En prenant deux seaux, j’allais chercher de l’eau fraîche à la rivière afin de la passer sur Hécube pour la refroidir. Mes amis trouvaient absurdes tout le temps que je passais auprès d’elle, au lieu de travailler ou de rencontrer une fille de mon âge. Mais je n’avais que faire de leur remarque, jamais je ne trahirais Hécube. Pourtant, j’essayais de sortir avec eux au moins une fois par mois et quand on se séparait, ils rentraient chez eux et retrouvaient leurs femmes, moi, je rentrais chez mes parents pour retrouver ma sœur.

Mais ce jour-là, au leu de retourner toute de suite chez mes parents, je passais par la maison d’Adonis pour trouver Litsa. J’avais trouvé une pauvre femme que j’avais serré dans mes bras. Cela me donna l’illusion que j’avais une femme. Mais où avais-je la tête ? Je la relâchais, je ne voulais pas laisser aucun sous-entendu si Adonis venait à rentrer. Elle me demanda une nouvelle fois si je voulais boire un verre d’eau. Sans répondre, je me levai et j’allais en chercher un moi-même ; je ne voulais pas faire bouger une femme enceinte. Malgré son mécontentement, je lui dis qu’il ne fallait pas qu’un malheur tombe sur son bébé. A ses mots, son regard se décomposa. Elle ne me voyait plus, elle était comme en transe. Elle faisait des gestes bizarres avec ses mains, comme des cercles, chuchotant des paroles incompréhensibles. J’essayais de lui faire reprendre ses esprits, mais rien n’y faisait. Mais, quand elle entendit quelqu’un frappait à la porte, elle se leva et ouvrit. Elle découvrit son mari, à genoux, un bouquet de fleur cueillis par ses soins. Il dit : « Excuse-moi, mon, amour, depuis que je travaille dans les champs, je n’ai jamais eu une si mauvaise récolte et comme je ne voulais pas que tu sois à nouveau confrontée à la famine et que tu portes notre enfant, je ne voulais que rien ne vous arrive, je suis simplement devenu fou et je t’ai délaissé. Accepte te tu mes excuses ? ». Elle lui arracha les fleurs de ses mains et sans lui adresser un mot, elle les mit dans un vase et partit en courant dans la chambre. Adonis remarqua ma présence et fit mine de rien, comme si tout allait bien. Il m’avait simplement dit : « Elle ira mieux dans quelques temps ? Sinon, pourquoi es-tu chez nous ? ». Je lui révélai que je voulais parler avec Litsa, mais qu’elle me paraissait bizarre. Adonis me confirma mes doutes et m’informa qu’elle était comme ça depuis quelques jours, depuis qu’elle était allée avec son père à Décapole. Tout cela me troublait, mais Adonis me demanda de ne pas m’en faire. Il m’avait dit cette phrase qui m’avait marquée :

—Grâce à tout ce que tu as fait, je suis devenu le géant que je suis aujourd’hui. Sans toi, sans venir comme tu l’as fait chaque jour à cette porte, je me serais certainement suicidé. Mais je suis toujours en vie et mon enfant naitra. Grâce à toi, non seulement une vie a été sauver, non seulement deux personnes se sont rencontrées et sont heureux, mais non seulement une nouvelle vie naîtra et perdura la volonté de Ménélas, la volonté de partage dans ce monde. C’est pour ça que j’ai pensé que tu pourrais être le parrain de notre enfant, conclu à t-il en rigolant.

Je rigolais également et j’accepta. Ça faisait du bien de rire, ça faisait longtemps que ça n’était pas arrivé. Mais ce fut de courte durée. Nous entendîmes des dizaines de voix dehors chanté tous en cœur « Youkoubaté youkoubaté, dra, dra ». Lorsqu’il était chanté, ce chant était synonyme de mauvais présages. Je regardais par la fenêtre, la dizaine de soldats se dirigeaient vers nous. Litsa, alertée, vint vers nous et n’arrivait plus à tenir debout, je devais la soutenir et la faire s’assoir sur le fauteuil. Aucun de nous ne savait ce qu’il allait se passer.

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