IV

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Le père, ne voulant pas empêcher Adonis de devenir ce qu’il souhaitait, demanda à l’unique famille de nègre du village, la famille de Chérilos, de prendre Adonis. A cette époque — j’avais huit ans, tout comme eux deux —, cette famille était composée que deux enfants, Chérilos et Cléon, son frère de trois ans son aîné. Leur père était tellement un bon cultivateur qu’il était obligé de partir chaque été donner ses produits partout en Priscus pour aider quiconque était dans le besoin. Ce généreux homme ne savait pas dire non, il nous avait quitté quelques années plus tard au grand damne de tous ; je me souviens qu’on avait organisé des obsèques digne de son compte. Il était apprécié par tout le village. On avait donné son nom à l’allée principale du village : « L’allée de Ménélas. »

Il m’avait raconté qu’une fois, il avait tellement donné qu’il n’avait plus rien à manger et qu’il avait refusé qu’on lui redonne ce qu’il venait de donner. Il m’avait raconté : « Enfant, j’ai rencontré un drôle homme qui ne mangeait rien de ce qu’il cultivait. Il donnait tout le fruit de son travail aux gens dans le besoin. Et tu veux savoir comment il faisait pour vivre ? Ceux qui recevait de la nourriture de sa part, ne le savait pas, il refusait qu’on vienne chez lui. Mes parents faisaient partie de ses gens. Et moi, j’étais curieux et je l’ai donc suivi jusqu’à chez lui et j’ai découvert qu’il était seul. Il mangeait les mauvaises herbes et tout animaux entrant sur son champs, la plupart du temps des fourmis ou des vers. Sur le coup, je ne comprenais pas pourquoi il faisait ça. Il avait largement de quoi gardé une petite partie pour lui, pourtant il ne le faisait pas. Et puis un jour, il remarqua que je l’observais. J’avais peur qu’il me gronde ou qu’il refuse d’aider ma famille dorénavant, mais je me trompais totalement. La première chose qu’il me demanda était si j’avais encore faim. Bien que je lui dis que non, il s’excusa à genoux de ne pas pouvoir produire plus afin de venir aux besoins de tous. Je lui demandais de se relever, qu’il faisait déjà bien trop pour nous, qu’il devait penser plus à lui. Mais il s’excusa à nouveau pour tout ce qu’il m’arrive, que si j’étais affamé, c’est que c’était sa faute. Il m’avait demandé de partir et de ne jamais revenir mais j’y suis retourné tous les jours pour l’aider. Il était d’abord réticent, mais il me laissa lui donner un coup de main. Puis, lorsque mes parents sont décédés, il m’accueille chez lui. Il était devenu en quelque sorte mon second père, mais, même s’il ne me montrait jamais ses sentiments, je savais qu’il tenait à moi. Je restai avec lui pendant six années, de profonds liens se sont formés entre nous, plus fort que des liens de sang. Mais il se faisait vieux et il commençait à avoir toujours plus de peine à travailler. Moi, j’étais émerveillé par lui. Il était le soleil qui éclairait notre monde sombre, celui qui m’avait aidé. Et… Excuse-moi pour mes quelques larmes, c’est l’émotion, et, le plus triste, ou le plus extraordinaire, c’est que lorsqu’il ne se sentait plus en état de travailler, il vint me voir en me racontant qu’il appartenait à la famille royale et il ne comprenait pas pour quoi il y avait des différences de rang à cause du sang, pourquoi lui, né prince, devait se considérer au-dessus des autres. Il a alors décidé de quitter le palais et découvrir le monde et ce qu’il découvrit était plus mauvais que ce qu’il espérait. Partout où il allait, il ne voyait que des gens malheureux, fatigués par leur travail et mourant, pour la plupart, de faim. Il n’était pas insensible à tout ça et il voulut améliorer leurs sorts. C’est pourquoi il alla trouva la reine, qui se trouvait être sa grand-mère, pour lui demander de faire quelque chose pour son peuple, qu’elle ne pouvait pas rester sans rien faire. Elle lui avait répondu en expliquant que leur famille était supérieure aux autres et qu’ils leur devaient obéissance. Pour résumer, elle s’en fichait de leur sort. L’homme que je prenais pour second père, qui m’avait toujours caché son nom, quitta le palais et n’y remit plus jamais les pieds. Il voua toute sa vie aux autres, comme pour s’excuser d’être né Etiennes. Cependant, malgré toutes les bonnes choses qu’il a pu faire, il ne se considérerait pas comme un homme, un monstre, voilà ce qu’il pensait de lui. Alors, quand il me révéla tout ça, il m’avait dit : « Tu ne mérites pas un père comme moi, du sang de monstre coule dans mes veines. Maintenant que tu sais tout, part et ne reviens jamais. Et pendant tout ce temps, je ne t’ai jamais aimé, je t’ai haï. ». En même temps qu’il me disait ça, il avait détourné le regard et mis sa main devant les yeux. Je savais qu’il mentait et il l’avait bien sûr deviné. Je l’avais laissé seul pendant la journée afin qu’il se repose, mais quand je suis rentré, j’ai découvert son corps mort. Quelque part, je savais ce qu’il allait arriver. Ce jour-là, je n’avais pas pleuré. Je suis retourné au champ et j’ai pris sa place. Très vite, la supercherie fut découverte et on me demanda des explications. J’ai alors dit qu’il était mort mais ils ont pensé que je l’avais tué. J’avais beau me défendre, personne ne me croyait. J’ai alors rencontré Mara qui me croyait et nous nous sommes enfuis. Nous sommes arrivés ici, à Samarie et nous avons fondé une famille. Malheureusement, je ne pouvais plus autant donner qu’avant, j’avais une femme, puis des enfants à nourrir. Mais je donnais le plus que je pouvais. C’est ce que m’a enseigné mon second père. »

Ménélas l’avait naturellement accueilli à bras ouvert chez lui. Il ne prenait pas l’enfant comme une charge, mais plutôt comme deux bras en plus pouvant l’aider au champ et ainsi, avoir toujours plus de nourritures à partager avec les autres. Et Adonis faisait tout pour s’intégrer dans cette famille. Il travaillait toute la journée, il continuait même lorsque la nuit tombait, il ne s’arrêtait jamais.

Cinq années passèrent. Adonis et Chérilos, deux individus si différent, se considérassent comme frères. Comme avec Rhodopien, nous avions le même âge que ces deux-là (et que nous étions les seuls garçon du village de cet âge), nous sommes devenus amis. Nous avons fait les quatre cents coups, toutes les farces, nous les avons faites. Je me souviens de cette fois-là, quand nous avions caché les chevaux du compte dans la forêt et que, lorsqu’il avait envoyé sa garde les chercher, nous les avions ramenés et il nous avait remercié tels des héros. Et lorsqu’il essayait de monter sur le sien, il n’y arrivait pas. Petit de naissance, il peinait parce que nous avions trafiqué son matérielle. Plus il essayait, plus il échouait et plus il s’énervait. Il devenait rouge de honte. Un jeune garde avait dû venir l’aider, sinon il n’y serait jamais parvenu. Ah, c’était le bon temps, nous étions jeunes, insouciant, même si, de nous quatre, le plus mature était Adonis. Il avait déjà compris le sens du devoir et à quel point travailler la terre était une tâche très importante. Pour tout cela, il entretenait de très bonnes relations avec Ménélas.

Mais un garçon ne restait pas enfant toute sa vie, surtout à cette époque ; il y avait diverses façon de devenir un homme : être suffisant âgé et quitté la ma ison familial, se marier, accomplir quelque chose de prestigieux ou côtoyer la mort. C’était vers cette époque que Ménélas décéda, il n’avait même pas trente ans. Certes, dans nos contrées, il était courant, voire même normal, de mourir vers âges-là, surtout pour un homme comme lui qui passait plus claire de son temps à travailler, mais personne n’était prêt à le voir mourir. Tous les habitants s’étaient habitués à voir ce sourire enjoué lorsqu’ils l’apercevaient. Sa perte fut d’autant plus douloureuse pour sa famille lorsque Mara (sa femme) révéla qu’elle était enceinte d’un enfant qui grandirait, s’il survivrait à la naissance, sans connaître son père autrement que de l’entrevoir à travers un nom inscrit sur un tombe. Les trois enfants, devenus hommes, avaient soutenu leur mère pendant la grossesse mais ce qu’il allait se passer était encore plus terrible. L’accouchement ne se passa pas comme prévu et le médecin ne put rien faire pour sauver la mère. Elle mourut en mettant au monde son enfant. C’était une fille, mais cette dernière, très petite pour un nouveau née, mourut également quelques jours plus tard. C’était comme si la foudre divine s’était abattue sur cette famille.

A l’enterrement, personne ne pouvait retenir ses larmes ; le père Enée, de part son discours, fît sortir toutes les larmes enfouies au plus profond de chaque être. A la suite de cet évènement, l’aîné quitta le village. Au moment de faire ses adieux à ses frères, il avait dit « Mers chers frères, prenez son de vous et veiller l’un sur l’autre. Je vous aime et je sais qu’un jour, nous serons tous réunis ». Ils avaient essayé de le retenir, mais en vain. Sans cacher ses émotions, il leur avait dit : « Désolé, désolé de vous quitter ainsi, mais je suis épuisé et en restant ici, les mêmes souvenirs tristes me hanteront. Désolé, mes frères mais je préfère en finir avec ça. » Il les prit dans ses bras une dernière fois et partit pour de bon. Chérilos tenta de garder le sourire, en se disant qu’il reviendrait les voir et que ce jour, ils seront heureux. Mais le jeune se trompa. Deux soldats avaient ramené un corps qu’ils avaient trouvé dans la forêt : c’était Cléon. Il s’était suicidé, il n’y avait aucun doute. En public, aucun des deux frères ne montrèrent leurs émotions, ils étaient malheureusement habitués à la mort. Je les avais suivis jusqu’à chez eux et j’avais entendu, à travers la porte, toute la détresse qu’ils ressentaient. Je n’osais pas entrer, je n’avais aucune idée de quoi dire pour les aider ; qui étais-je pour les aider ? Après tout, je n’ai jamais connu un dixième de leur peine. Je les avais entendu se jurer de vivre, qu’ils ne mourraient pas de sitôt.

Ils étaient nés dans ce monde, grandis en espérant une vie heureuse, mais ils n’ont connu que le malheur.

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