II

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Je ne me rappelais pas ce qui s’était passé avant mes neuf ans. Mes parents m’ont raconté que j’avais eu un accident après que je sois tombé d’un arbre, mais je ne les ai jamais cru. Une sacré coïncidence parce que le jour de mon accident était le même que celui de mon anniversaire. La première chose que je me souviens, c’était moi, tenant une clé par une main et un homme par une l’autre, juste devant la porte qui donnait sur notre maison. Deux personnes avaient ouvert la porte, Abba mon père et Fama ma mère. Je ne les avais pas reconnus, mais on m’incita à entrer. Lorsque j’avais lâché la main de l’homme — c’était un vieil homme qui avait une longue barbe blanche, il avait quelque chose sur son nez d’étrange et il portait des vêtements avec des tâches partout —, une larme coula sur ma joue. Je ne pouvais pas l’expliquer, mais quitter cet homme me procura de la peine. Mais je n’ai pas eu le temps de pleurer, ma mère m’apporta un torchon pour m’essuyer et m’emmena faire le tour de la maison afin de tenter de faire resurgir des fragments du passé, en vain.

Quand nous arrivons dans les chambres (ce fut assez vite, la maison était assez petite, trois pièces dont une assez grande), je vois une fille, plus âgé que moi, certainement ma sœur. Elle restait sur le lit et m’observait, comme si c’était la première fois qu’elle me voyait (tout comme moi qui la découvrait). Ma mère fait les présentations, accentua le petit malaise qui s’installait petit à petit. Elle se prénomme Hécube — quelle jolie prénom, trouvais-je — et avait quatre ans de plus que moi. Elle était assez jolie, mais nous ne nous ressemblions absolument pas. Elle avait des courts cheveux blonds, une tête carrée, des sourcils fins, des yeux couleur noisette et elle était assez petite, totalement tout le contraire de moi, impossible de croire que nous étions du même sang. Surtout qu’elle ne semblait pas me connaître, vue qu’elle me regardait fixement sans rien dire. Mais lorsque ma mère prononça mon prénom, elle se précipita pour me serrer dans ses bras. Elle répétait mon prénom tout en pleurant. Je ne savais pas comment réagir, mais moi, je ne ressentais rien. Elle me relâcha et repartit sur son lit, se cacha derrière son oreiller, mais je savais qu’elle continuait à pleurer. Ma mère alla la réconforter, lui chuchotant des mots que je n’entendais pas. Puis, comme il faisait nuit, nous nous sommes couchés. Et puis, les jours suivants, j’ai repris ma vie, comme avant.

Nous habitions Samarie, un petit village appartenant à l’unique pays du monde : Priscus. Dix familles habitaient au village et si on comptait en plus le religieux, quarante-six personnes y vivaient. Les dix maisons s’étaient bâties autour de l’Église, dont le père Énée s’occupait. La religion avait une place importante dans nos vies ; nous allions plusieurs fois par semaine assister à la messe précédé par le père. Celui que nous vénérions comme Dieu était un Phénix. Notre livre sacré, la Bible, était une véritable source de sagesse pour quiconque sachant lire, mais hormis le père et moi, personne n’en était capable. En même temps, notre village était composé exclusivement d’agriculteurs. Moi-même, lorsque mon père décèdera, je reprendrai le domaine familial. Mais, cet vie-là ne m’intéressait pas, je voulais louer ma vie au Phénix. Mon père me donnait des cours particuliers afin que je sois sûr d’être pris à l’admission au collège. Mais, après un tragique accident survenu à mes quinze ans, j’avais vu ma vie complètement bouleversé.

Cet année-là, on organisa, tel qu’il était écrit dans la Bible, ma quincénera, une fête pour faire entrer un garçon individu dans l’âge adulte, où très souvent les futures couples se forment et pour sceller l’union à venir, ils dansaient en présence de tous, afin que le garçon tienne son engagement. J’avais dansé avec Teréza, une fille assez grande mais qui était tout de même plus petite que moi. Elle avait le même âge que moi. Je ne la trouvais pas forcément très belle, mais elle avait toujours été gentille avec moi. C’était la seule fille qui ne trouvait pas mon nez moche. Un avenir rempli de bonheur nous attendait. Nous avions dansé toute la nuit, jusqu’au levé du jour, alerté par les coqs qui chantaient. Nous avions réussi à échapper à la vigilance des adultes pendant quelques minutes et nous nous étions embrassés. Nous sommes revenus ensuite tous les deux rouges, ils avaient dû savoir ce que nous avions fait.

Quelques jours plus tard, Hécube tomba gravement malade. Elle était forcée de rester au lit et elle crachait du sang. Je l’ai vu mourir de nombreuses fois, mais elle luttait de toute ces forces pour survivre. Moi, qui était très pieu, je ne comprenais pas pourquoi le Phénix nous faisait ça. Je restais auprès d’elle, m’éloignant de plus en plus de Teréza. Je l’aimais, mais ma sœur passait avant. Un médecin était venu dans notre village dans sa tournée trimestrielle, mais il ne savait pas la guérir. Impuissant, je changeais de livre. Je mettais de côté la Bible pour me tourner vers des livres de médecine, mais je n’y comprenais rien. Mon père me demandait de continuer à vivre ma vie, que j’avais une copine et une famille a fondé, mais ma famille, celle qui avait le même sang que moi, c’était Hécube. Je devais la protéger, ne pas la quitter, car s’il elle devait nous laisser, je voulais être présent, lutter avec elle jusqu’au bout. Tant qu’on pas tout essayer, on ne sait pas ce qui peut arriver.

J’étais allé voir de nombreuses fois le père Énée pour lui demander des conseils, savoir pourquoi un tel châtiment lui était affligé. Qu’est-ce que j’étais stupide quand j’étais un adolescent. Comme si un religieux pouvait m’expliquer le pourquoi du comment avec des arguments sensés. « Si ta sœur est malade, c’est qu’elle a dû provoquer la colère du Phénix », m’expliqua-t-il. Moi aussi j’étais sur le point de provoquer sa colère, j’avais hésité à la frapper, ce satané père. J’étais sorti de l’Église aussitôt, je ne voulais plus entendre ses dires. Si j’étais encore croyant, j’aurai pu dire qu’il était l’incarnation d’un démon. Parce que on m’a enseigné, instrumentalisé que le Phénix était un Dieu, mais je le considère plus comme un être malfaisant. Depuis cet altercation, qui était arrivé un mois après que ma sœur soit tombée malade, je n’avais plus foi en qui que ce soit. Étais-je un hypocrite ? Certainement car j’allais toujours à l’Église lors de la messe ; pour bien me faire voir par les autres, je faisais mine d’être toujours croyant, mais je ne priais plus. Dans notre pays, on peut dénoncer aux autorités une personne qui ne croit plus au Dieu unique et dans ce cas, la peine de mort est souvent appliquée. Je ne voulais pas courir un tel risque.

Quatre années ont passé, mais rien n’avait changé. Et moi, j’étais resté pendant tout ce temps au chevet de ma sœur. Elle m’avait demandé de la laisser, que je ne servirais à rien à me lamenter à côté d’elle, mais je n’avais pas la force de la quitter. Elle était la dernière personne que j’avais, nos parents étant décédé. Mon père fut le premier à mourir. Fatigué par son travail, il mourra d’épuisement après une violente sécheresse qui s’était abattue dans nos contrées. Sur son lit de mort, il me confia qu’il était heureux de me voir en pleine santé et qu’il espère que je vivrai longtemps. Sa dernière volonté fut de me demander de tout faire afin qu’Hécube, que ma mère et que le plus de monde possible ne soit jamais malheureux, que les sourires prévalent sur les pleurs. Ma mère et deux autres hommes présents dans la chambre s’étaient mis à pleurer et moi, en essuyant mes larmes et en lui souriant, je lui ai dit :

—Bien sûr Papa, regarde, je souris.

Il rendit son dernier souffle juste après m’avoir entendu. Son visage transmettait du bonheur. On l’enterra peu de temps après. Ma mère ne s’en était jamais remis, de santé fragile, elle mourut pendant une nuit d’automne. Elle n’avait pas souffert, c’était le mieux. Teréza, malgré la coutume, avait trouvé un autre mari. En plus, toute les filles en âge de se marier avait trouvé un mari. Heureusement, Litsa, la femme de mon ami Adonis, venait m’aider pour les tâches de la maison. Mais elle allait avoir un enfant dans quelques mois, ce serait compliquer pour elle de m’aider. Mais je ne prévoyais pas ma vie à l’avance, je vivais au jour le jour, profitant peut-être, des derniers moments de bonheur que j’aurai avec Hécube.

Mon quotidien était les champs et ma sœur. Cependant, une fois par mois, mes amis me forçaient à sortir avec eux pour aller dans la forêt. Je n’y allais jamais de bon cœur, mais je gardais le sourire comme tel que le voulait mon père. Sans savoir que mon quotidien serait bouleversé à la suite de cette journée je me suis préparé, j’ai embrassé ma sœur et je suis aller rejoindre mes amis. J’étais le dernier des quatre à arriver. Il y avait Adonis, un géant, Rhodopien, un nain et Chérilos, un nègre. Nous étions amis depuis tout petit, avant même mon accident. Nous avons les quatre cents coups ensemble, mais tout ça, c’était du passé maintenant. Ils étaient tous mariés et Adonis aller même être père. Rhodopien et Chérilos aimaient se moquer de moi, pas méchamment, mais ils me charriaient sur le fait que Teréza soit aller avec un autre homme. Ça ne me faisait rien, je n’avais plus de sentiment pour elle. Comme toujours, quand Rhodopien m’aperçoit, il me lançait : « Hé long nez, te voilà enfin », c’était sa manière à lui de dire bonjour. Après les avoir salués, nous nous rendions près de la rivière pour nous y baigner. L’eau n’était pas encore très chaude en ce début de printemps, les arbres étaient sans feuilles. Nous pouvions se reposer, à l’abri des regards indiscrets et bavarder de choses et d’autres.

Mais ce jour-là, Rhodopien dépassa ma patience. Il m’avait demandé ce que je pensais de l’état de ma sœur. Naturellement, je lui répondis que je trouvais qu’elle luttait de toutes ses forces pour rester en vie, ajoutant que je ne voulais pas qu’elle meure pour ne pas me retrouver seul. Mais comme à chaque fois que je disais quelque chose, il ajoutait son petit commentaire pour me casser : « Tu ne trouves pas que ce serait mieux pour tout le monde s’il elle mourrait ? ». En essayant de garder mon calme, je lui explique que s’il elle venait à mourir, je n’aurai plus de famille. Et là, il me dit :

—Oui, mais regarde comment dans quel état elle est. Ce n’est pas une vie ça. Pas plus pour toi qui t’efforces de croire qu’elle guérira. Si je serai toi, je me marierai et je priais pour qu’elle guérisse, rien de plus. Rester près d’elle, stupide idée.

Je sais qu’on dit qu’on ne doit pas frapper plus petit que soit, mais cette droite, il l’avait mérité. Adonis m’avait saisi afin de me calmer, mais j’avais toujours autant envie de le frapper. S’essuyant avec le dos de la main le peu de sang qu’il avait sur ses lèvres, il me regarda droit dans les yeux et s’écria :

—Dès qu’on te dit la vérité, tu t’énerves. Voilà la vérité. Ouvre les yeux et…

—Rhodopien, arrête, demanda Chérilos.

—Non, j’arrêterai pas. Il faut qu’il comprenne une bonne fois pour toute. Qu’est-ce que tu as fais en dix-huit ans. Hein, quoi ? je vais te le dire, moi : rien ! Depuis que ta sœur est tombée malade, je ne te reconnais plus. C’est simple, l’Alès que je connaissais est mort. En face de moi, j’ai juste un faible qui refuse de vivre.

J’essayais de me débattre, mais Adonis était trop puissant pour moi. J’avais beau également crié, ça ne faisait qu’accentuer les tensions. Je n’écoutais même pas ce qu’il me disait. Je le regardais partir au loin, retournant certainement chez lui. Chérilos alla le rejoindre. Puis, Adonis me libéra. Je frappais l’eau, c’était la seule chose que je pouvais faire. Je mis la tête sous l’eau. Peut-être qu’à cet instant, je détestais Rhodopien, mais une part de moi savait qu’il avait raison.

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