Chapitre 54 Djor Hallendal - Partie 2

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 Tandis que Cosimo s'éloignait, Tabatha donna un coup de coude à Sin fo et lui dit à voix basse :

- Tu as vu la taille de ces murs ? On jurerait qu'ils ont creusé la montagne elle-même !

- Je dois avouer que c'est assez impressionnant. Cela me rappelle un peu le temple des revanis, mais ce château est encore bien plus grand.

- Je me demande si nous n'avons pas fait une bêtise en venant ici. Nous n'aurons aucun moyen de fuir si les choses ne se passent pas bien.

- Il n'y aucune raison qu'elles tournent mal, tenta de la rassurer Sin fo. Et même si c'était le cas, nous sommes assez nombreux pour ne pas nous laisser faire facilement. L'idéal serait que nous restions tous groupés.

- J'ai bien peur que ça soit impossible. Même si ce Cosimo a un peu d'importance, il ne pourra pas faire comparaître plusieurs dizaines de personnes devant son seigneur, et surtout pas des gens du peuple. En parlant de ça, continua la princesse en faisant signe à Archibald de s'approcher, souviens-toi que tu es censé être le chef de notre groupe, alors c'est toi qui devra parlementer dans un premier temps. Mais si l'archer m'oublie, il faut que tu t'arranges pour me faire rentrer avec toi.

- Tu ne pourrais pas demander tout simplement ?

- Ils ont l'air un peu vieux jeu par ici, et je ne suis pas sûre que l'avis d'une jeune fille leur importe beaucoup, répondit Tabatha avec un rictus.

- À quel moment tu as prévu de leur dire qui tu es vraiment, questionna Archibald.

- Je ne sais pas encore. Peut être jamais si le seigneur Hollen ne se montre pas conciliant. Je verrais comment la situation évolue.

- On parlerait plus vite à cet aristo s'il savait que tu es la princesse, rétorqua Archibald en s'impatientant légèrement.

- Surveille ton langage, le mit en garde la jeune fille. C'est un des grands seigneurs du royaume, pas un petit chef local. Lui manquer de respect est la pire méthode à adopter. Et je te rappelle que j'appartiens à la noblesse moi aussi, alors je trouve tes remarques légèrement blessantes.

- Justement, profite de cet avantage. Après tout, il te doit obéissance, non ?

- Dans l'idée oui, mais il accorde peut être sa sympathie à un autre roi ces temps-ci, si tu vois ce que je veux dire. Et si c'était le cas, je ne veux pas lui fournir l'occasion de livrer la princesse à Teon sur un plateau.

- D'accord je comprends. Mais je n'aime pas trop la situation dans laquelle tu me mets.

- Dis-toi que nous faisons tout cela pour Maxou, lui rappela Sin fo d'une voix un peu cassante, qui trahissait son impatience naissante.

- Qu'est-ce que je dois comprendre exactement, répliqua Archibald. Que ce qui va nous arriver sera la faute de mon fils ?

- Ne déforme pas mes paroles. Je ne veux simplement pas que ta réticence et ta mauvaise humeur fasse capoter notre plan.

- Ne t'inquiète pas, je serais un parfait petit soldat.

- Ça suffit maintenant ! Tous les deux, trancha Tabatha en les regardant tour à tour. Je vous rappelle que nous sommes observés. Ce n'est pas le moment de nous quereller. Nous n'arriverons sûrement jamais devant le seigneur si nous avons l'air agressifs.

- Nous reprendrons cette conversation plus tard, prévint Archibald.

- Il me tarde d'y être, persifla Sin fo en levant les yeux au ciel.

 Tabatha leur jeta un nouveau regard noir, mais elle ne dit rien, car Cosimo s'approchait d'eux à grand pas.

- Nous n'aurons aucun problème pour rentrer, dit-il sans détours. Je peux vous assurer que dans quelques minutes nos portes vous seront grandes ouvertes. Messire peut être pourriez-vous d'ores et déjà demander à vos gens de préparer toutes leurs armes afin de les laisser rapidement à l'entrée du domaine. Cela nous éviterait de laisser les portes ouvertes trop longtemps. Il en va de notre sécurité à tous.

- Votre maison, vos règles, acquiesça Archibald. Je vais passer le mot. Ça irait peut-être plus vite si vous veniez avec moi les filles.

- Oh ma chère Sin fo et la jeune Lizzie peuvent rester devant avec moi. Je suis sûr que vos ordres seront assez rapidement suivis, assura Cosimo avec un sourire. J'aimerais beaucoup les avoir toutes deux à mes côtés lorsqu'elles découvriront la majesté de notre grande salle.

 Archibald émit un léger grognement en pinçant les lèvres, mais s’exécuta néanmoins après un mouvement de tête presque imperceptible de Tabatha. Cette dernière continua de jouer son rôle pour endormir la méfiance de Cosimo.

- C’est la première fois que je vois un château. Est-ce qu’ils sont tous aussi grands que celui-là ?

- Non certainement pas, répondit le jeune homme rapidement. Je ne voudrais pas avoir l’air de me vanter, mais Djor Hallendal est à nul autre pareil.

- Vous en êtes bien sûr, questionna Sin fo. Des marchands que j’avais rencontrés dans ma jeunesse m’avaient assurés que les plus grands et les plus beaux châteaux du royaume se trouvaient dans le sud.

- Le sud, s’insurgea Cosimo. Le sud ne possède aucune véritable place forte. Leurs châteaux ne sont rien d’autre que des manoirs améliorés. Le sud n’a jamais connu la vraie guerre. Les satyres se sont toujours tenus tranquilles derrière leurs frontières. Pas comme les bentous.

- On m’a pourtant dit que Castelroi était particulièrement bien protégée, insista Sin fo.

- Alors on vous a mal renseignée, répondit Cosimo d’un ton moins chaleureux qu’à l’accoutumée. Les murs autour de la ville peuvent sembler impressionnants, mais quelques engins de siège bien placés en viendraient facilement à bout. Et même sans cela, leurs murs ne les ont pas protégés des djaevels. J’ai entendu dire que toute la ville avait été décimée.

- Comment savez-vous cela ? Vous êtes-vous rendu dans la région ?

- Non je ne quitte jamais mes montagnes. Et plus personne ne s’aventure dans le sud. Tout le monde sait que c’est là que sont apparus les djaevels. Mais je sais que les murs et le château de Castelroi ne sont pas capables de protéger ses habitants, surtout si les menaces viennent de l’intérieur.

 Cette dernière remarque capta l’attention de Tabatha, mais elle tenta néanmoins d’afficher un visage impassible en demandant :

- De quoi est-ce que vous parlez exactement ?

 Cosimo secoua la main devant sa bouche pour tenter d’effacer ses paroles comme il chasserait un insecte importun.

- De rien, ce ne sont que des rumeurs que j’ai entendues.

- Des rumeurs qui disaient quoi ?

- Vous savez comment sont les gens, tenta d'éluder l'archer. Ils inventent les choses les plus invraisemblables quand ils ne savent pas de quoi ils parlent.

- Vous en avez trop dit ou pas assez, minauda Tabatha. Vous ne pouvez pas me laisser avec un tel suspens.

- Très bien, répondit Cosimo en souriant à nouveau. J’ai entendu dire que c’était à Castelroi précisément qu’on aurait vu des djaevels pour la première fois. Et ils n’ont pas attaqué la ville, ils seraient apparus une nuit à l’intérieur de la cité.

 Tabatha était un peu déçue par le peu qu’elle venait d’entendre, mais Cosimo continua ses révélations en ménageant ses effets :

- Mais le vrai mystère dans cette histoire, c’est que personne n’a revu le seigneur Teon Garaney après l’attaque de la ville, pas plus que les membres de sa famille. Bien sûr ils ont pu être dévorés, comme beaucoup d’autres, mais c’est tout de même étonnant que pas un seul d’entre eux n’ait été transformé.

- Comment pouvez-vous l’affirmer, questionna Sin fo.

- Je n’affirme rien, se défendit Cosimo. Je ne fais que vous rapporter les récits des quelques survivants de Castelroi qui sont parvenus jusqu’à nous. Mais j’ai rencontré un homme qui disait avoir pénétré dans la ville et dans le château quelques semaines après l’attaque, et il n’aurait vu aucun corps ni aucun djaevel dans les appartements seigneuriaux, alors même que les portes étaient toutes fermées à clé.

 Tabatha et Sin fo échangèrent un regard. Cette histoire semblait confirmer les dires de Halbarad. Si toute la famille Garaney avait été mise à l’abri juste avant l’attaque des djaevels, c’était bien la preuve que Teon était derrière tout cela. Malgré ses réticences à la raconter, Cosimo semblait fier de l’effet que son histoire avait produit sur les deux jeunes femmes.

- Si cette histoire vous a plu, j’en ai de nombreuses autres en réserve. Je vous les raconterais ce soir au dîner. En attendant, suivez-moi. Je vous mène à la grande salle.

 Ils étaient parvenus juste devant le pont-levis. Tabatha marqua un temps d’arrêt et se retourna vers la troupe qui l’avait suivie jusqu’ici. Elle espérait vraiment ne pas les avoir menés dans un piège. Elle croisa quelques regards et crut y déceler une certaine confiance. Il n’était plus temps de reculer. Le plus important dans l’immédiat était que personne ne trahisse sa véritable identité. La princesse serra la main de Sin fo un instant, puis elles s’engagèrent toutes deux sur le pont-levis.

 L’énorme pièce de bois vibra et résonna sous les pas de la cohorte qui la traversa. La jeune fille leva les yeux sur la herse métallique et les rebaissa sur la vingtaine d’hommes en armes qui les attendaient à l’entrée. Contrairement à l’équipe de Cosimo qui était vêtue de cuir, ces gardes portaient des cottes de maille, ainsi que des bottes, des gants et des casques d’acier. Leurs écus étaient frappés des armoiries de la famille Hollen, une tête de bouc stylisée devant deux flèches croisées.

 Quatre d’entre eux collectaient les armes que leur donnaient le groupe de Tabatha et les amassaient sur des couvertures déroulées à la hâte. Tous les autres avaient formé une sorte de haie d’honneur au milieu de laquelle Tabatha, Sin fo et Archibald s’avancèrent sur les pas de Cosimo. Loin de se sentir honorés, les trois amis étaient nerveux sous les regards froids des gardes et leurs lances qui étaient pour l’instant pointées vers le ciel mais qui pouvaient se tourner sur eux à tout moment.

 Tabatha observa rapidement la cour autour d’elle et vit des râteliers d’armes, des tonneaux, des chariots, ce qui semblait être une forge et une enclume, des braseros allumés, des petits cabanons en bois dont elle ignorait l’utilité, ainsi que quelques poules et deux moutons, ce qui la fit sourire. Elle s’aperçut que les gens s’étaient arrêtés de travailler pour les regarder passer, mais quand elle croisait leurs regards, ils détournaient les yeux et se remettaient à leur tâche.

 Cosimo leur fit grimper une volée de marches puis tambourina contre la porte qui s’ouvrit presque immédiatement. Le garde à l’entrée salua Cosimo d’un signe de tête et s’écarta pour les laisser passer. Tabatha entendit le cliquetis des chaînes qui remontaient déjà le pont levis, puis la porte claqua dans son dos, l’isolant totalement du monde extérieur. Ses yeux mirent quelques instants à s’habituer à l’obscurité qui régnait à l’intérieur.

 Les hauts murs de pierre sombre du hall d’entrée n’étaient percés d’aucunes fenêtres et seules quelques torches l’éclairaient. Les trois amis suivirent Cosimo dans les méandres du château à travers une série de couloirs qui se ressemblaient tous. Le capitaine avait perdu son air enjoué et il ne leur adressa presque pas la parole, se contentant d’un signe de la main pour leur signifier un changement de direction ou un escalier un peu raide.

 Ils croisèrent de nombreuses personnes dans les couloirs, des gardes par groupes de deux, des domestiques affairés au nettoyage ou à entretenir les différentes torches et cheminées qui éclairaient le château, ainsi que de simples habitants du château, probablement nobles comme le jugea Tabatha à leurs vêtements et leur apparente oisiveté. La jeune fille s’efforçait de baisser la tête et de cacher son visage autant que possible. Tant qu’elle n’était pas sûre de la position du seigneur Hollen, la discrétion était sa meilleure alliée.

 Enfin ils arrivèrent devant les portes de la grande salle, sur lesquelles étaient gravées les armoiries de la famille.

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