Chapitre 47 Passé décomposé - Partie 1

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Huit ans auparavant.

 Halbarad regarda les deux jeunes gens s'éloigner en direction de Castelroi. Il était rare de voir des voyageurs dans la vieille forêt. On racontait tellement de choses à son sujet. Aucun habitant de la région ne s'y aventurerait pour une promenade. Mais les deux jeunes semblaient venir de très loin. Ils avaient l'air complètement perdus.

 Halbarad espérait que Bruggar n'ait pas été trop rude avec eux. Il n'avait personnellement rien à reprocher à son collègue, mais il savait qu'il accomplissait sa tâche avec parfois un peu trop de zèle. Halbarad n'avait pas choisi ce travail de garde de la cité pour arrêter ou blesser des gens, mais plutôt pour aider les habitants de Castelroi à vivre une vie tranquille. Bruggar de son côté n'aimait pas les étrangers. C'était pour cela qu'il avait été affecté à la surveillance du portail sur l'île à l'ouest. Il était très peu fréquenté, et on y croisait plus souvent des brigands que des voyageurs.

 Mais Halbarad ne s'inquiétait pas au sujet des deux jeunes qui venaient de le quitter. Comme il l'avait dit à la jeune fille, il faisait totalement confiance au jugement de Bruggar. Mais tout de même, ces deux jeunes, que faisaient-ils dans la forêt ? Ils avaient dû être bien mal renseignés dans les villages voisins pour s'y retrouver. Enfin, ils n'avaient pas l'air d'en avoir trop souffert. Peut être le pouvoir mystique de ces bois n'existait-il que dans les contes de bonne femme.

 Halbarad aurait voulu pouvoir aider ces deux jeunes un peu plus qu'il ne l'avait fait. Mais il ne pouvait pas quitter son poste, même s'il était très peu probable qu'il voie quelqu'un d'autre ce jour-là. Au moins, il avait pu leur conseiller une bonne auberge, celle de sa femme. Ils dormiraient tranquillement cette nuit-là.

 Lui-même n'aurait pas cette chance. Il avait encore plusieurs heures à faire ici, et il devait se lever tôt le lendemain pour aller au château. Cela faisait plusieurs semaines qu'il était en poste près du pont, et il était temps pour lui de changer d'affectation. Halbarad en était un peu contrarié. Cela faisait plus de quinze ans qu'il était entré au service de la ville de Castelroi, et de son seigneur, Teon Garaney, et il appréciait la tranquillité de ce poste. Il n'y avait pas beaucoup de passage, et il n'y avait pas grand-chose à faire, mais cela lui convenait parfaitement, et il était sûr de rentrer auprès de sa femme tous les soirs.

 Soudain, des coups retentirent à la porte. Halbarad hésita une seconde avant d'ouvrir. Il était déjà rare que quelqu'un traverse le pont, mais il n'avait encore jamais vu deux groupes de voyageurs dans la même journée. Il commença à se demander s'il n'y avait pas eu de problèmes de l'autre côté. Aussi tira-t-il son épée du fourreau avant d'ouvrir la porte. Il s'apprêta à se montrer plus circonspect avec le nouveau venu, mais sa méfiance s'évapora quand il reconnut la veste de cuir et la tunique rouge qui constituaient l'uniforme des soldats d'une des villes voisines.

 Il rengaina son arme et serra la main de son collègue. Celui-ci était plus jeune que lui, il ne devait pas avoir plus vingt cinq ans. Ses cheveux étaient coupés courts, mais sa barbe négligée n'était pas très réglementaire. Il se présenta rapidement et demanda à Halbarad :

- Auriez-vous vu passer deux jeunes gens ? Un garçon et une fille ?

- Bien sûr, ils étaient obligés de passer par ici pour rejoindre Castelroi. Vous les avez ratés de peu. Ils étaient ici il y a à peu près une demi-heure.

- Savez-vous où ils sont allés ?

- En ville, répondit Halbarad en pointant son bras dans cette direction.

- Cela fait longtemps que je ne suis pas venu à Castelroi. C'est une grande ville. Comment vais-je pouvoir les retrouver ?

- Je leur ai conseillé l'auberge de ma femme, le Tonneau Malté. Vous devriez commencer par là.

- Vraiment ? Ça va me faciliter les choses merci.

- Attendez, dit Halbarad tandis que le jeune soldat commençait à s'éloigner. Pourquoi les cherchez-vous ? Est-ce que j'aurais dû les empêcher de passer ?

- Non, ne vous inquiétez pas, ils n'ont rien fait de mal. Nous avons besoin d'eux en qualité de témoins pour un litige entre un commerçant et un client, rien de plus. Ça aurait très bien pu attendre leur retour, mais vous savez ce que c'est. Si le chef dit que c'est urgent, alors c'est urgent, répondit le jeune homme sur un ton de connivence.

 Halbarad acquiesça avec un regard entendu et expliqua au jeune homme comment se rendre à l'auberge. Ce dernier le remercia et s'éloigna rapidement sur la route. Halbarad se retrouva une nouvelle fois seul. Il aurait aimé bavarder un peu avec ce jeune soldat, savoir si le travail était le même chez lui, et s'il avait des histoires intéressantes à partager. Enfin, peut être le verrait-il à son retour, même s'il était plus probable qu'il fasse un détour par les villes au nord pour éviter la vieille forêt. Halbarad regarda sa montre et soupira en réalisant qu'il avait encore plusieurs heures à passer ici.

 Deux heures après que les soleils se soient couchés, Halbarad entendit des bruits de pas remontant le chemin. Il se redressa, l'oreille aux aguets, et vit un soldat portant les couleurs de Castelroi s'avancer dans la lueur de son feu de camp. Les deux hommes se saluèrent et Halbarad laissa le poste à son collègue avec soulagement. Il prit un tison de son feu de camp pour s'éclairer sur le chemin. Il savait que les routes étaient sûres, mais il n'était pas très rassuré à l'idée de traverser les champs au milieu de la nuit. Il y avait très peu de prédateurs dans le sud du royaume, surtout près des grandes villes, mais il préférait ne pas forcer sa chance.

 Halbarad avait toujours été comme cela. Il se voyait comme quelqu'un de prudent. Certains auraient même dit qu'il manquait d'audace. Mais Halbarad se moquait de ce que pensaient les autres. On ne faisait pas une aussi longue carrière que la sienne dans la garde en se montrant toujours audacieux.

 Même s'il vivait dans une région relativement calme, il arrivait que des brigands s'organisent en bande pour piller les fermes isolées, ou qu'il y ait des tensions à la frontière sud avec les royaumes voisins. Dans ces moments-là, Halbarad évitait toujours de se retrouver en première ligne. Ce n'était jamais très compliqué, car il y avait toujours une ou deux têtes brûlées, souvent des jeunes recrues, pour se lancer à corps et à cris dans la bataille.

 Ils pouvaient accomplir deux ou trois faits d'arme, et pendant quelques temps on ne parlait plus que d'eux à la caserne et en ville, mais ils finissaient presque invariablement par tomber sur plus forts qu'eux, et un jour ils restaient sur le champ de bataille qu'ils affectionnaient tant. Les plus malins se servaient de leur renommée pour obtenir rapidement de l'avancement, mais ils étaient rares. Halbarad n'avait jamais connu la gloire, et était toujours resté simple soldat, mais au moins était-il toujours rentré auprès de sa femme.

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