Chapitre 43 Promenades - Partie 5

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  Suivant les instructions de Tek'listar, Hank sortit du chemin et marcha entre les arbres. Pendant quelques instants, il avança le nez en l'air sans rien voir d'autre que les branches entremêlées des arbres, puis il fit le vide dans son esprit comme l'hembra le lui avait appris quelques mois plus tôt, et lorsqu'il s'autorisa enfin à user de son pouvoir pour la première fois depuis des semaines, il put voir toute la vie qu'il y avait sur ces branches.

 Derrière les bourgeons et les maigres paquets de neige restants, cachés dans l'ombre et dans les creux des troncs, des dizaines d'oiseaux s'ébattaient, nourrissaient leurs petits ou lançaient leurs chants dans l'air matinal. Hank écouta tous ces chants, les reconnut un à un, et les comprit au fur et à mesure que son pouvoir reprenait le dessus dans son esprit. Il écoutait tous ces oiseaux et il avait l'impression d'être à Ts'ing Tao un jour de marché.

 Un immense sourire lui fendant le visage, Hank se rendit compte que cette sensation lui avait manqué. Cette sensation d'appartenance à un tout, à un groupe, c'était merveilleux pour lui qui avait passé tant d'années seul quand il était jeune. Il profita de ce sentiment quelques instants, puis il se mit au travail.

 Il s'éclaircit la gorge et lança un cri de ralliement. Il se servait de son don de manière si intuitive qu'il avait choisi une langue que tous les oiseaux pouvaient comprendre sans même y penser. Tous les volatiles alentour s'arrêtèrent immédiatement de chanter, tournèrent la tête dans sa direction, et en quelques secondes des centaines d'entre eux se posèrent à ses pieds, sur ses bras et ses épaules, ou volèrent en cercle autour de lui.

 Hank leur ordonna de voler très haut et de partir dans toutes les directions. Les animaux n'ayant pas la même conception du temps que les humains, il leur ordonna de voler jusqu'à ce que tous les soleils aient dépassé la moitié du ciel puis de revenir le plus vite possible vers lui. Dans une cacophonie de cris et de battements d'ailes tous les oiseaux s'élevèrent au dessus des arbres et s'éparpillèrent aux quatre vents. Hank secoua les plumes qui étaient restées accrochées à sa veste et rattrapa ses amies, qui avaient continué à marcher.

- J'ai entendu beaucoup de bruits là-derrière, lui dit Tabatha. Tout s'est bien passé ?

- Oui, très bien, il n'y a plus qu'à attendre.

- Cela n'a pas été trop difficile pour toi, s'inquiéta Sin fo.

- Non, en fait, ça m'avait manqué, répondit Hank avec un sourire.

 De l'autre côté du chemin, Tek'listar leur fit signe que c'était bon de son côté également et rejoignit ses amis en milieu de convoi.

 Un peu avant midi, alors que le premier des trois soleils était presque à son zénith, l'atmosphère sous les arbres s'était grandement réchauffée et le groupe commençait à montrer des signes de fatigue. Les gens étaient essoufflés, trébuchaient souvent, et la plupart s'épongeaient le front toutes les cinq minutes.

- Peut être devrions-nous faire une halte, proposa Sin fo après s'être retournée.

- Pas question, répliqua Tabatha d'un ton sec. Cela ne fait que quelques heures que nous sommes partis. Nous n'allons pas déjà nous arrêter !

- Regarde-les ma chérie, ils sont exténués. Ils ne pourront pas aller beaucoup plus loin.

- Ils savaient à quoi s'en tenir en quittant le village. Nous ne faisons pas un voyage d'agrément, nous sommes en guerre !

- Tu as sans doute raison, mais ce n'est pas en les maltraitant que tu obtiendras ce que tu veux d'eux.

- Et surtout ils seront incapables de se battre s'ils sont trop fatigués, remarqua Hank.

 La princesse hésita une seconde, regarda ses amis et le reste de leur groupe, se mordit la lèvre et finit par se décider. Elle balança son bras droit au dessus de sa tête et cria d'une voix forte :

- On s'arrête là ! Profitez-en pour manger un morceau et vous reposer, on repart dans moins d'une heure et on ne fera plus de pause avant la nuit.

- Tu as fait le bon choix, lui dit Sin fo quand la princesse se tourna vers elle.

- Sévère mais juste, approuva Hank les bras croisés.

- Ça m'agace de perdre encore du temps, mais je dois reconnaître que je suis un peu fatiguée moi aussi.

 Ils s'arrêtèrent là où ils étaient et s'installèrent aussi confortablement qu'ils le purent. Tabatha et Sin fo s'assirent sur des pierres en bordure de chemin et Hank se cala entre les racines d'un arbre. Tout en se massant les jambes, Tabatha reprit :

- Il y a longtemps que nous n'avions pas marché autant plusieurs jours de suite.

- Le problème ce n'est pas la marche, c'est plutôt cette chaleur, répondit Hank en ouvrant sa veste et en en secouant les pans pour se faire de l'air.

- Il ne fait pas si chaud, l'hiver n'est même pas terminé.

- Je sais bien mais je n'y peux rien. Dès que la température augmente, je souffre.

- Je croyais que tu venais du sud du royaume, s'étonna Tabatha en ouvrant son sac à la recherche de nourriture. Tu devrais être habitué à la chaleur.

- Je me suis acclimaté aux hivers du nord, répondit Hank avec un haussement d'épaules.

 Sin fo, qui était en train de boire à sa gourde, pouffa si fort en l'entendant qu'elle manqua de s'étouffer et répandit de l'eau partout. Elle continua à rire en s'essuyant le visage, et comme Hank la regardait d'un drôle d'air, elle s'expliqua :

- Aujourd'hui tu as trop chaud avec un rayon de soleil, mais pendant des années je t'ai entendu te plaindre du froid dès qu'il y avait quelques nuages, que le feu de cheminée n'était pas assez fourni à ton goût, ou bien quand je volais soit-disant la couverture.

- Oui mais ça, ça n'a rien à voir avec la température, se défendit Hank.

- D'accord, alors la vérité c'est que tu adores râler.

 Hank s'apprêta à répliquer, puis il se ravisa et se contenta de hausser à nouveau les épaules en souriant.

- C'est vrai j'adore ça. Mais tu t'ennuierais à mourir si j'étais toujours d'accord avec toi.

 Ils continuèrent à discuter en mangeant, sans se rendre compte que des choses se déplaçaient dans les fourrés non loin de là. Une fois le ventre bien rempli, Hank cala son sac contre le tronc de l'arbre et s'allongea entre les racines de manière à s'en servir comme d'un oreiller. Il se couvrit les yeux avec son écharpe et joignit ses mains sur son ventre découvert. Après quelques instants, sa respiration lente et régulière indiquait clairement qu'il s'était endormi. Tabatha et Sin fo se moquèrent gentiment de lui et parlèrent d'autre chose.

 Sur le chemin, d'autres habitants de Ts'ing Tao avaient imité Hank et s'étaient couchés à même le sol. Une petite demi-heure après s'être arrêtés, la moitié du groupe profitait des bienfaits d'une sieste digestive. Sin fo regarda son mari dormir et cela la ramena plusieurs années en arrière, lorsqu'elle campait avec Reg'liss et que lui aussi dormait toujours le ventre découvert. La jeune femme ressentit un léger malaise. Elle se sentait toujours un peu coupable lorsqu'elle comparait Hank à Reg'liss. Bien sûr, les deux hommes avaient eu des points communs, mais c'était Hank qui partageait sa vie, et ce n'était pas juste pour lui.

 Tabatha aussi regardait ses compagnons dormir, et elle aussi était inexplicablement mal à l'aise. Et soudain elle comprit. Elle revit ses parents le jour où elle les avait perdus. C'était comme si elle les avait juste sous les yeux. Ce jour-là il avait fait beau et ils étaient sortis tous les trois. Ils s'étaient promenés toute la matinée et ils avaient déjeuné à l'ombre d'un arbre. Cette journée était en tout point semblable à celle qu'elle avait vécue autrefois. Ils s'étaient ensuite assoupis, persuadés de n'avoir rien à craindre derrière les hauts murs d'enceinte du château, et c'était là que leur vie avait basculé.

 Tabatha regarda fébrilement autour d'elle. Tout était pareil que ce jour-là. La longue marche, la chaleur, le déjeuner à l'ombre avec des proches, tous ces éléments étaient réunis pour lui rappeler douloureusement la pire journée de sa vie.

- Nous devrions partir, dit-elle soudain à Sin fo.

- Déjà, demanda cette dernière en regardant sa montre. Cela ne fait pas une heure que nous sommes arrêtés.

- J'ai un mauvais pressentiment. Nous ne sommes pas en sécurité.

- Pourquoi ? Tu crois qu'il pourrait y avoir des djaevels ?

- Je ne sais pas. Je sens juste que nous ne devons pas rester là plus longtemps.

- Mais ma chérie, nous sommes tous ici, que veux-tu qu'il nous...

 Sin fo ne put finir sa phrase car elle fût interrompue par un cri à quelques mètres de là. Les deux jeunes femmes se précipitèrent au secours de leurs compagnons. Réveillé par les cris et les bruits de course, Hank se redressa et dégagea l'écharpe sur ses yeux, juste à temps pour voir une énorme créature bondir sur lui.

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